publié le 27/12/2013 à 11:30 par Samuel Blumenfeld
Il y a près de soixante ans, l'écrivain Anne Golon donnait naissance à la marquise des Anges. Une héroïne devenue mythique sous les traits de Michèle Mercier. Alors qu'une nouvelle adaptation cinématographique est dans les salles, sa créatrice, âgée de 92 ans,
évoque son Angélique incomprise.
En 1964, quand sort la première adaptation d'Angélique, marquise des Anges, réalisée par Bernard Borderie,
des romans d'Anne Golon, cette dernière se trouve déjà à la tête d'un empire. Sa saga démarrée en 1956 en est à son septième tome, avec 27 traductions couvrant 47 pays, et des ventes estimées à
150 millions d'exemplaires. Un phénomène d'édition qui peut laisser croire que la romancière est toute-puissante, alors qu'en réalité son personnage lui a déjà échappé.
En effet, pour l'écrivain Daniel Boulanger – dialoguiste du film de Bernard Borderie –, l'héroïne d'Anne Golon se résume à son sex-appeal. Un érotisme auquel Michèle Mercier offre à l'écran sa sensualité. « Angélique est une putain qui veut se farcir tous les hommes », assure
Daniel Boulanger à la romancière. Celle-ci avait pourtant insisté pour que l'historien Alain Decaux vienne épauler le dialoguiste, le gage à ses yeux que la version cinématographique de son roman
conserverait une part des recherches historiques effectuées par son mari, Serge Golon, sur le XVIIe siècle français et la cour du roi Louis XIV. « Je me suis mis le doigt dans l'œil. Alain Decaux
n'a pas servi à grand-chose. Angélique est restée une putain. Je me suis levée et j'ai quitté la pièce. » Angélique, marquise devenue catin, reste un contresens aux yeux de la romancière,
aujourd'hui 92 ans. « Tout a débuté avec un livre, Les Portraits de la cour des Miracles, l'un des premiers que j'ai lus sur cette période historique. Je me souviens avoir proposé à Daniel
Boulanger de le lire, mais il m'a répondu qu'il avait sa propre cour des Miracles en tête. Dans ce cas… »
Dans les romans d'Anne Golon, Angélique de Sancé de Monteloup, comtesse de Peyrac, marquise de Plessis-Bellière, est une femme affranchie gravissant les échelons de la réussite sociale :
servante, puis commerçante, grande bourgeoise, et, pour finir, dame de la cour du roi Louis XIV. Il ne s'agit pas d'une héroïne féministe au sens où on pouvait l'entendre dans les années 1970.
Elle s'impose davantage comme l'héritière de Scarlett O'Hara, le personnage central d'Autant en emporte le vent : une femme que les circonstances historiques, la guerre civile, amènent à endosser
d'importantes responsabilités. Anne Golon se trouvait précisément dans cet état d'esprit, au lendemain de la guerre. Il fallait faire face à l'histoire : la découverte de l'extermination des
juifs d'Europe la marque alors terriblement, tout comme le retour des soldats français détenus dans les stalags. C'est dans cette perspective qu'il faut envisager les persécutions protestantes
qui émaillent une partie de sa saga. « Cela m'a toujours fait sourire quand on m'expliquait que mes romans étaient à l'eau de rose. Croyez-vous vraiment que j'aurais écrit tous ces livres avec de
simples fadaises ? »
SAGA À QUATRE MAINS
Ses livres seront signés Anne et Serge Golon. Son mari, géologue, mort en 1972, se chargeait des recherches historiques tandis qu'elle écrivait les romans, pour s'imposer comme la véritable
auteure de cette saga. Mais lorsque le premier tome d'Angélique, marquise des Anges sort, en 1957, il semble impensable que le nom d'une femme apparaisse seul en couverture. L'éditeur américain
propose alors une étrange solution, signer les romans « Sergeanne Golon ». « On m'a expliqué que le nom d'un homme ferait plus sérieux. Les journalistes ne pouvaient pas croire qu'une femme
puisse être un auteur. »
La romancière a sans doute été la personne qui a le moins tiré profit du succès de son héroïne. Elle a signé avec un agent, Opera Mundi, une société qui prélevait 50 % de ses droits. Quand Opera
Mundi fut racheté en 1982 par Hachette, aucun contrat nouveau ne fut signé. Ses droits d'auteur s'amenuisaient d'année en année et le treizième et dernier volume de son roman-fleuve, La Victoire
d'Angélique, sort, en 1985, dans l'indifférence. Après un long combat et une période de disette, privée de l'intégralité de ses revenus, la romancière parvient à récupérer les droits de son
personnage en 2006, avec l'aide de sa fille, Nadia Golon. Elle touche enfin de l'argent sur les – nombreuses – rediffusions des cinq films réalisés par Bernard Borderie. Et réécrit en partie ses
livres après s'être aperçue que certains avaient été retouchés sans son accord. Anne Golon prévoit également de poursuivre sa saga.
Si elle n'a jamais été invitée à la première des films mettant en scène Michèle Mercier et Robert Hossein,
l'auteure était néanmoins bien présente à la première d'Angélique (sorti depuis le 18 décembre) d'Ariel Zeitoun. Cette nouvelle adaptation se trouve, selon elle, en phase avec le personnage
qu'elle avait en tête. « Ils ont été plus proches de l'héroïne que j'ai créée. Ensuite, c'est du cinéma… »