Jean Jaurès homme politique français (Castres 1859-Paris 1914). Le père de Jean Jaurès avait pour cousins germains deux amiraux
et professait des opinions légitimistes. Commerçant, il avait fait de mauvaises affaires et s'était finalement installé à quelques kilomètres de Castres, à la Fédial, où il cultivait quelques
hectares. Jean Jaurès sera beaucoup plus influencé par sa mère que par son père, qui mourra en 1882. Il songe au concours des Postes, quand il est remarqué par l'inspecteur général Félix Deltour,
qui intervient pour qu'il puisse préparer le concours d'entrée à l'École normale supérieure (ENS), tout en étant interne à Sainte-Barbe (Paris). Au bout de deux années, il entre premier d'une
promotion qui compte dans ses rangs le philosophe Henri Bergson.
À l'École normale supérieure (1878-1881), il prépare l'agrégation de philosophie, à laquelle il sera reçu troisième. Il est républicain et partisan des lois laïques de Jules Ferry ; mais rien ne
paraît le destiner à une carrière politique. Professeur de philosophie au lycée d'Albi (1881-1883), Jean Jaurès prépare ses thèses : De la réalité du monde sensible et Sur les origines du
socialisme allemand. En novembre 1883, il est maître de conférences à la faculté des lettres de Toulouse. Les élections législatives de 1885 se font au scrutin de liste. Il manque un candidat sur
la liste républicaine du Tarn. Est-ce l'amiral Benjamin Jaurès (1823-1889) qui suggère le nom de son petit-cousin ? Élu député, Jean va s'asseoir au centre gauche. À cette époque, il n'est pas
socialiste, mais il s'intéresse aux questions sociales, par exemple aux caisses de retraites des ouvriers mineurs, et déclare à cette occasion (juillet 1886) que « tout nous achemine vers la
réalisation de l'idée socialiste » ; mais celle-ci semble n'être encore pour lui que l'idée républicaine poussée à ses extrêmes limites.
Aux élections de 1889, qui se font de nouveau au scrutin uninominal, Jean Jaurès choisit la circonscription de Castres, et il y est battu. Il reprend alors son poste à la faculté des lettres de
Toulouse. Il soutient brillamment ses thèses en 1892. Mais il collabore depuis 1886 au quotidien la Dépêche de Toulouse, et il est entré en 1890 au Conseil municipal, qui l'a nommé adjoint au
maire. En mars 1892, il a avec Jules Guesde, de passage à Toulouse, un entretien qui ne se solde pas par une adhésion, car, visiblement, il se méfie des « sectes socialistes » et de leur
exclusivisme. C'est le socialiste Lucien Herr, bibliothécaire de l'École normale supérieure, qui lui fait franchir le « pas décisif », vraisemblablement en entreprenant de lui démontrer que le
socialisme n'est pas une chose faite, mais une chose à faire, et qu'en y adhérant il pourra en modeler le contour. Cela se situe en 1892-1893. En 1893, Jean Jaurès est élu dans la circonscription
de Carmaux.
Une quarantaine de socialistes de tendances diverses siègent alors au palais Bourbon. Influencé, à travers Lucien Herr, par le socialiste Lavrov, Jean Jaurès pense possible de mettre en œuvre un
socialisme largement ouvert à la fois aux ralliements des républicains sincères (il croit alors à l'adhésion de Georges Clemenceau) et aux jeunes qui s'éveillent à l'action, notamment parmi les intellectuels. Dans une série
d'articles publiés par la Revue socialiste (mars 1895-mai 1896), il s'emploie à dessiner les linéaments de la société future. Pour lui, le socialisme n'est pas l'étatisme. Ce socialisme est aussi
éloigné du patronat d'État que du patronat privé. La production sera assurée par de grandes associations nationales autonomes. Jean Jaurès, qui n'est ni un économiste ni un juriste, ne poussera
pas beaucoup plus loin cet effort de prospective socialiste. Il sera au premier rang de la campagne en faveur de Dreyfus et soutiendra l'œuvre laïcisante de Pierre Waldeck-Rousseau et d'Émile
Combes ; il sera l'un des animateurs de la gauche. Il joue un rôle important dans la mise sur pied d'une « verrerie ouvrière » à Albi.
Aux élections de 1898, Jean Jaurès est de nouveau battu. Il entreprend alors de rédiger une Histoire socialiste (1789-1900) ; se chargeant lui-même de la Constituante, de la Législative et de la
Convention, il renouvelle, par ses analyses économiques et sociales, l'histoire de cette période. Affichant une certaine réserve à l'égard du marxisme, il déclare placer son histoire sous le
patronage de Jules Michelet et de Plutarque aussi bien que sous celui de Karl Marx. Il songe, à ce moment, à mettre sur pied une Encyclopédie socialiste dans le même esprit. Mais l'unité
socialiste qu'il espérait voir se réaliser dans un large esprit de compréhension mutuelle est retardée, en partie par l'entrée du socialiste indépendant Alexandre Millerand dans le cabinet
Waldeck-Rousseau en 1899 et par l'évolution que Millerand suit ensuite. Jules Guesde et Karl Kautsky, – gardiens vigilants de l'orthodoxie marxiste – souhaitent que l'unité du socialisme français
se fasse en dehors de Jean Jaurès, qui, en 1902, fonde le parti socialiste français et est réélu député à partir de cette même date.
Au congrès de la IIe Internationale à Amsterdam en 1904, Jean Jaurès se dresse contre un certain marxisme qu'il accuse d'appartenir encore à la période utopique. Mais ses thèses sont
minoritaires, et c'est sur un socialisme inspiré du marxisme que l'unité des socialistes français se réalise en 1905. Jean Jaurès, critiqué et abandonné par certains de ses amis, s'incline. Il
pense qu'il a pour lui l'avenir. De fait, Jean Jaurès, au congrès de Toulouse en 1908, remporte un succès éclatant. En pleine possession de ses moyens, doué d'une chaude éloquence et d'une
culture considérable, il présente alors une motion de synthèse, qui est adoptée à l'unanimité moins une voix. Mais son action parlementaire va être de plus en plus absorbée par la lutte contre
les dangers de guerre, car Jean Jaurès s'est toujours élevé contre l'alliance franco-russe, qui lui paraît contre nature : comment la République française peut-elle s'allier à l'autocratie
tsariste ? Il redoute – vue prophétique – que quelque complication balkanique n'entraîne, par le truchement de l'alliance russe, la France dans une guerre européenne.
Il prépare un projet de réorganisation de l'armée, dont l'exposé des motifs – élargi démesurément – devient un livre, l'Armée nouvelle (1911), où il explique sa conception de l'État, très
différente de la conception marxiste. Parallèlement, il s'élève contre la politique française de pénétration au Maroc, qui, elle aussi, lui paraît grosse de périls. Son action s'étend à
l'Internationale. Avec Édouard Vaillant, qui, finalement, se sent plus près de Jean Jaurès que de Jules Guesde, avec James Keir Hardie, l'un des leaders du parti travailliste britannique, il
essaie d'amener les congrès socialistes internationaux à prendre une position plus nette en face des menaces de guerre. Est-il disposé à aller jusqu'à la grève générale devant la guerre, comme la
Confédération générale du travail en France déclare vouloir le faire ? N'utilise-t-il cette menace que pour obliger le gouvernement à négocier plutôt qu'à risquer un conflit ? Avec passion, il
mène campagne contre l'allongement de la durée du service militaire, porté à trois ans. Il voit avec inquiétude Raymond Poincaré accéder à la présidence de la République (janvier 1913) et
Joseph Caillaux écarté du gouvernement par le meurtre de Gaston Calmette, directeur du Figaro, abattu par Mme Caillaux (mars 1914). Sans doute espère-t-il pouvoir agir sur le
président du Conseil, René Viviani, ancien socialiste indépendant.
Après l'attentat de Sarajevo (28 juin 1914), alors que la situation s'aggrave dans les Balkans, puis en
Europe, Jean Jaurès semble avoir pensé qu'une fois encore la guerre sera écartée. Il essaie de convaincre les ministres sur lesquels il croit avoir une influence. Devant la décision du
gouvernement allemand de proclamer l'« état de danger de guerre », il songe à télégraphier au président des États-Unis, Woodrow Wilson, pour lui demander son arbitrage. Mais, alors qu'au sortir
du siège de son journal, l'Humanité (fondé par lui en 1904), il dîne au café du Croissant, rue Montmartre, il est abattu d'un coup de revolver par Raoul Villain, un nationaliste déséquilibré (31
juillet 1914). Reporté à la paix, le procès du meurtrier se terminera par un acquittement (1919).
Il apparaît comme essentiellement synthétique. Chaque fois que Jean Jaurès se heurte à une opposition, il essaie de la vaincre en allant vers une synthèse plus vaste. Il tente ainsi de
réconcilier la démocratie et la lutte de classes, la réforme et la révolution, la nation et l'Internationale. En présence d'un syndicalisme qui affirme par la charte d'Amiens en 1906 sa volonté
d'indépendance, il n'engage pas la lutte ; il pense que le syndicalisme, même s'il n'est pas lié organiquement en France, comme dans d'autres pays, au parti socialiste, mène une action qui va
dans le même sens. Vis-à-vis des coopératives, il adopte la même attitude. Mieux vaut que les coopératives françaises de consommation réalisent leur unité que de voir deux mouvements rivaux, l'un
qui se donne comme socialiste, l'autre qui se réclame de la neutralité.
Pour la même raison, Jean Jaurès ne veut pas d'un socialisme ouvriériste. Sans doute, les ouvriers, qu'il a connus surtout à travers les mineurs d'Albi et les verriers du Tarn, sont-ils dans sa
pensée le principal levier de la transformation sociale. Mais le socialisme de Jean Jaurès s'adresse au peuple travailleur dans sa totalité, aux paysans, qu'il connaît bien et dont sa jeunesse a
partagé les travaux, ou aux enseignants, sur lesquels il essaie d'agir à travers les articles qu'il donne à la Revue de l'enseignement primaire et primaire supérieur. Ce qu'il veut éveiller chez
tous, c'est l'humanité. Le nom qu'il a donné à son journal a ce sens profond. Pour lui, l'individu est la fin suprême. Il faut désagréger tous les systèmes d'idées et toutes les institutions qui
entravent son développement. C'est l'individu qui est la mesure de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété. Pour y parvenir, il faut secouer la torpeur du grand nombre. Quelques
esprits d'élite présentent la possibilité de formes nouvelles de vie. Quelques volontés héroïques s'épuisent à les réaliser. La masse manque de confiance en soi. Il faut l'entraîner.
Au cours de son existence passionnée, Jean Jaurès a été violemment combattu : d'abord par la droite conservatrice et par le patronat, qui lui reprochent d'être un démagogue ; ensuite par les
catholiques, qui n'acceptent pas l'appui donné par lui à Pierre Waldeck-Rousseau et à Émiles Combes ; enfin par certains socialistes, comme Jules Guesde, qui l'accusent de ne pas faire une place
suffisante à la lutte de classes. Des hommes comme Georges Sorel et Charles Péguy, si différents à tant d'égards, se trouveront d'accord pour juger sévèrement son attitude après l'affaire
Dreyfus. Nombre de patriotes l'accuseront de faire consciemment ou non le jeu de l'Allemagne. Mais, quand Jean Jaurès disparaît, la Chambre unanime lui rend hommage, d'Albert de Mun à Édouard
Vaillant.
Par la suite, son exemple et sa pensée seront maintes fois invoqués par ceux qui lui succéderont à la tête du mouvement socialiste, mais souvent dans des sens différents, des communistes, qui
maintiennent son nom en tête de l'Humanité, devenu l'organe de leur parti, à Pierre Renaudel, qui, se séparant de la SFIO en 1933, baptisera le parti qu'il forme « Union Jean-Jaurès », en passant
par Léon Blum, qui, dans les circonstances difficiles, déclarera se référer toujours à ce qu'aurait pensé, dit et fait Jean Jaurès.
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Jaurès Jean
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