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Des vies incroyables de courage et de générosité

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L'Humanitépublié le 21/09/2012 à 18h41 par Marcel Trillat, journaliste, réalisateur

Ils furent les témoins de leur temps. Rassemblés dans la série Des journalistes et des combats, que nous avons publiée tout l’été, les portraits de tous ces reporters sont aujourd’hui réunis dans un hors-série de l’Humanité.

Quelle galerie de portraits ! Quelle vies incroyables, dont chacune est un véritable roman de cape et d’épée, souvent un roman noir ! Pour la plupart, des monstres de vitalité, de courage, d’abnégation, de générosité.

Ce qui frappe d’abord, c’est de découvrir à quel point il s’agit d’un martyrologue : treize sur cinquante morts de mort violente. À la guerre (Paul Nizan), sauté sur une mine (Robert Capa), guillotinés (Camille Desmoulins, Jacques-René Hébert) et surtout tous ceux et celles qu’on assassine pour ne plus les entendre, comme la grande voie pacifiste de Jean Jaurès en 1914.

On a le cœur serré en découvrant l’histoire de Rodolfo Walsh. Un an jour pour jour après le coup d’État des généraux argentins, le 24 mars 1977, ce journaliste réfugié dans la clandestinité envoie aux principaux journaux du monde une Lettre ouverte de Rodolfo Walsh à la dictature. Il écrit : « La censure de presse, la persécution des intellectuels (…), l’assassinat d’amis chers et la perte d’une de mes filles, morte les armes à la main, sont quelques-uns des faits qui m’obligent à m’exprimer de cette manière clandestine… » Il fait état de « quinze mille disparus, dix mille prisonniers, quatre mille morts, des dizaines de milliers d’exilés (…) ». Le lendemain, il tombe dans un guet-apens : il est abattu dans la rue.

Autre terrible histoire, celle de Saïd Mekbel, billettiste et directeur du journal algérien le Matin. Le 3 décembre 1994, il écrit : « C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail. Et lui qui quitte, le soir, son travail sans être certain d’arriver à sa maison (…) Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c’est lui (…) Lui qui est tous ceux-là et qui est seulement journaliste. » À midi, le même jour, il déjeune à 50 mètres de son journal avec une consœur. Un homme surgit des toilettes et lui tire une balle dans la nuque.

Ceux-là au moins, comme Ruth First, admirable journaliste blanche et communiste d’Afrique du Sud, exilée au Mozambique, assassinée par l’explosion d’une lettre piégée, ont été les victimes de leurs pires ennemis.

Mais il y a plus poignant encore : l’histoire de Mikhaïl Koltsov, par exemple. Combattant de la révolution d’Octobre, il est envoyé en Espagne en 1936, où il joue un rôle politique de premier plan, tout en couvrant la guerre antifasciste pour la Pravda. D’après Vladimir Fédorovski (le Roman de l’espionnage), « l’Union soviétique tout entière attendait chaque jour ses reportages d’Espagne ». Il est rappelé à Moscou, accusé de trahison, torturé dans le sous-sol de la Loubianka (siège des services secrets) et exécuté…

Justice est enfin rendue à Paul Nizan, philosophe ami de Sartre, auteur d’Aden Arabie, grand journaliste communiste, victime d’un petit procès de Moscou mais à Paris, pour avoir désapprouvé la justification par le PCF du pacte germano-soviétique et ses conséquences.

Albert Camus, lui aussi, malgré des désaccords avec le PCF pendant la guerre d’Algérie, retrouve la place qui lui est due.

Il y a un trait commun plutôt réjouissant à la plupart de ces personnages : ce sont de fortes têtes. Le grand Gabriel Péri, par exemple, qui fustige Daladier après les accords de Munich : « Nous ne prenons pas place parmi la brigade des acclamations. Les accords de Munich sont un Sedan diplomatique (…). Triomphez, président Daladier… Nous n’avons pas fini notre promenade parmi les ruines accumulées. » Mais au moment du pacte germano-soviétique, il n’applaudit pas non plus. Et moins encore lorsque Jacques Duclos tente d’obtenir des autorités allemandes d’occupation la reparution de l’Humanité. Il sera fusillé au mont Valérien en 1941.

Parmi les plus intrépides, les photographes bien sûr et, entre autres, la grande figure de Robert Capa, photographe de guerre risque-tout qui aimait tans les femmes, l’alcool, la vie, qui échappe cent fois à la mort en Espagne, qui débarque parmi les premiers en Normandie en juin 1944 et qui va bêtement sauter sur une mine en mai 1954, en couvrant, côté français, la guerre d’Indochine. « À rebours de l’engagement passionné de toute sa vie », déplore Pierre Barbancey…

Terrible exercice que de devoir, parmi les cinquante choisis par l’Humanité, faire un choix supplémentaire et « oublier » par force, faute de place, tant d’autres, si attachants.

Et les femmes, me direz-vous. Eh bien, c’est exprès : je les ai gardées pour la fin. Elles sont moins nombreuses, bien sûr, neuf sur cinquante, signe de ces temps d’inégalité. Mais elles supportent sans difficulté la comparaison. En particulier la plus proche de nous : l’incroyable Madeleine Riffaud. « Le 23 juillet 1944, ce visage d’ange qui n’a pas encore vingt ans exécute un officier SS en plein Paris », raconte Maud Vergnol. Arrêtée et livrée à la Gestapo par un milicien, elle est torturée et, pire encore, forcée d’assister aux tortures subies par ses camarades, dont un adolescent de douze ans. Elle échappe miraculeusement au poteau grâce à un échange d’otages. Elle ne s’en remettra jamais. Mais, devenue grand reporter à l’Humanité, « elle sera l’une des rares Occidentales à être acceptée dans les maquis Viêt-cong ».

Et puis les pionnières : Flora Tristan, première femme grand reporter, et l’étonnante Séverine, qui relance, avec Jules Vallès, le Cri du peuple, l’un des journaux emblématiques de la Commune. En 1897, elle invente le premier journal féministe, la Fronde. Elle combat pour le droit à l’avortement et fustige « les juges, si bienveillants aux petits fœtus, si indifférents aux petits enfants » !

J’aimerais enfin ajouter un portrait à la série : celui d’Édouard Guibert, leader du SNJ (Syndicat national des journalistes) et de la grève de 1968 à Radio France. Protégé par son statut il ne put être licencié, comme plus d’une centaine de grévistes. Chaque matin, pendant sept ans, il se présentait à son rédacteur en chef : « Il y a du travail pour moi ? – Non, rien ! » Et il rejoignait le bureau de son syndicat. Sept ans. Puis, en 1975, il fut envoyé comme correspondant dans la Tchécoslovaquie normalisée.

En 1981, enfin, ses qualités furent reconnues et il devint, à la tête de la rédaction de France 3, l’un des rares directeurs de l’information progressiste de toute l’histoire du service public...


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