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Le témoignage d'un survivant d'Auschwitz

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Il y a 64 ans, l'Armée Rouge libérait le camp d'Auschwitz. Léon Lehrer, survivant du camp, témoigne, interviewé par des élèves de 3e du collège Daudet de Draveil...

Le témoignage d'un survivant d'Auschwitz

Léon Lehrer :

"Je suis né en 1920 à Paris de parents juifs. En 1942, devant la menace de grandes rafles, je pars à Toulouse en zone libre, mais, en novembre, l’Allemagne envahit complètement la France. Un an plus tard, je suis arrêté par la Milice française, incarcéré à la prison Saint Michel, puis transféré à Drancy. A cette époque, ce camp est formé de grands bâtiments dont les ‘chambres’ n’ont ni porte, ni fenêtre ce qui est horrible avec le vent glacial de l’hiver ; et le sol est encore ‘brut de béton’.

En Janvier 1944, je suis déporté pour ‘je ne sais où’. Dès la gare de Bobigny, je découvre la barbarie nazie, j’assiste à un premier assassinat. Tandis que les gendarmes français poussent brutalement les déportés dans les wagons à bestiaux, un soldat nazi tue à coup de crosse une petite fille sortie du rang pour ramasser sa poupée qu’elle avait fait tomber, puis exécute la mère d’un coup de fusil.
Le voyage en train est un enfer. Nous sommes 60 à 80 par wagon, debout, serrés les uns contre les autres sans pouvoir bouger ni évidemment nous asseoir. Nous manquons d’air, de lumière, nous avons trop chaud (nous sommes très couverts car c’est l’hiver), et la soif commence à nous torturer. A cela vient s’ajouter la puanteur : chacun fait ses besoins là où il est. Peu à peu le silence s’installe car on ne peut plus parler (notre langue semble épaissie) ni pleurer (nos larmes se sont taries). A ma grande honte, pour pouvoir me reposer, je m’assois, comme les autres, sur ceux qui meurent ! Je rêve de pouvoir remuer et respirer !

Au bout de 3 jours et 2 nuits, la porte s’ouvre. C’est une vision d’apocalypse ! Il fait noir et très froid ! Des projecteurs balaient le quai d’une lumière violente et le sol est recouvert d’un tapis blanc. La neige pénètre en bourrasques dans nos wagons. On entend des cris et des aboiements. Ce sont les SS qui se rapprochent. Ils tiennent leurs chiens en laisse et nous donnent des ordres que nous ne comprenons pas. Ceux qui peuvent faire un effort sautent sur le quai, les autres sont mordus par les chiens et jetés dehors par les nazis.

Un interprète nous informe que nous devons nous séparer en 2 groupes : les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre. Les cris et les pleurs recommencent car les familles ne veulent pas se séparer mais le commandant donne des coups de trique et lâche les chiens sur ceux qui ne veulent pas obéir. Les femmes et les enfants sont donc obligés de monter le plus vite possible dans des camions. On ne les reverra plus.

Les hommes eux-mêmes sont séparés en deux groupes. Seuls les jeunes sont ‘sélectionnés’ et doivent partir à pied. Pour nous faire avancer rapidement, alors que nous sommes complètement épuisés et frigorifiés, les soldats nous donnent des coups de schlague. Au bout de deux heures, nous arrivons dans un grand champ de neige pas très loin d’une longue baraque. Nous devons nous mettre complètement nus dehors, dans le froid. C’est à ce moment que je reçois mon premier coup de crosse…car j’avais gardé mes lunettes ! Le sang coule sur mon visage, je ne vois plus de l’œil droit.

Des déportés en pyjamas rayés arrivent alors pour ramasser nos affaires, et nous font entrer dans le bâtiment. On nous donne l’ordre de monter sur un banc et d’autres pyjamas rayés nous rasent des pieds à la tête. Puis, on nous demande de nous asseoir et de tendre le bras gauche : nous sommes tatoués. Le numéro que je dois maintenant connaître par cœur en allemand est le 172 749… mais je ne l’apprends pas assez vite pour obtenir le café chaud qui nous est distribué après.
Nous recevons un pantalon, une veste, une paire de sabots, et on nous emmène dans notre baraque. Le chef de block, un interné de droit commun, hurle qu’il faut toujours obéir très vite à ses ordres et pour que nous comprenions bien ses dires frappe comme un sauvage avec son gourdin un pauvre type qui n’avait rien fait, avant de l’étrangler avec le manche d’une pelle… c’est notre premier jour à Auschwitz !

Dès le lendemain, après l’appel, je dois travailler : poser des rails en pleine campagne. Nous sommes à plusieurs pour soulever une longue pièce de fer mais c’est quand même très difficile à saisir, très lourd, et nos mains collent sur le métal froid. Je me rends rapidement compte que je ne tiendrai pas longtemps si je continue ce travail c’est pourquoi je précise à mon Blockmeister que je suis électricien. Je ne veux pas finir dans la chambre à gaz… que j’ai découverte en montant une petite hauteur près de la voie ferrée. J’ai vu un camion arriver, des femmes et des enfants s’engouffrer dans un bloc de désinfection et disparaître à jamais. J’ai vu des déportés aligner ensuite les cadavres, tondre les cheveux des femmes et prendre les dents en or. Je n’ai jamais oublié l’odeur, la puanteur ne m’a jamais quitté !

Si je m’en suis sorti c’est que j’ai été appelé dans un centre industriel en construction, la Buna. Pour vérifier si j’étais bien électricien, un ingénieur allemand m’a demandé de compléter le schéma d’une installation électrique. J’ai donné le change en suivant le tracé des fils avec un crayon à papier et en parlant tout le temps…en Français… alors qu’il ne parlait que l’Allemand. Cela m’a permis de survivre 11 mois !

A 89 ans, je veux continuer à témoigner pour faire comprendre aux jeunes la barbarie des nazis. Je suis toujours aussi révolté contre toute forme de fascisme"

Remerciements à Françoise Breton et Claire Bisson, professeurs au collège Daudet de Draveil.


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