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Débarquement : pourquoi Poutine est aujourd'hui en Normandie

Si le débarquement allié fut un succès, l'opération concomitante de l'Armée rouge sur le front de l'Est a provoqué une saignée dont le Reich ne se remit pas.

 

Le leader soviétique Staline (à gauche), le président américain Roosevelt (au centre) et le Premier ministre britannique Winston Churchill (à droite), lors de la conférence de Téhéran, première rencontre des trois grands Alliés de la Seconde Guerre mondiale le 28 novembre 1943

La présence de Poutine aux célébrations du 70e anniversaire du Débarquement en fait grimacer plus d'un. Mais reconnaissons que le président russe a toujours bien su son histoire. En l'occurrence, cette histoire lui donne raison. Alors que les Alliés amorçaient leurs grandes manoeuvres en 1944, les Soviétiques, sur le front de l'Est, lancèrent une très vaste opération, méconnue en Occident, l'opération Bagration, en Biélorussie, qui provoqua une saignée dont le Reich ne se remit pas. Comme l'écrit l'historien Jean Lopez, qui lui a consacré un ouvrage, Caen, Cherbourg, Le Havre parlent plus que Polotsk, Moguilev et Bobruisk. 

Pourtant, la comparaison est très favorable à l'Armée rouge : déclenchée entre le 23 juin et le 15 juillet, Bagration va détruire 28 divisions allemandes, trois armées entières, permettre une avancée de 600 kilomètres et faire plus de 400 000 tués et blessés chez les Allemands, soit plus de trois fois les pertes infligées par les Alliés en Normandie. Dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, Bagration compte autant, voire plus, que la contre-offensive de Moscou (printemps 1942), Stalingrad (hiver 1943) ou la grande bataille de chars de Koursk (été 1943).

Offensive conjointe des Alliés et de l'Armée rouge

Overlord et Bagration sont intimement liées l'une à l'autre. Les Soviétiques ont compris qu'ils ne pourraient lancer une offensive majeure que si les Alliés ouvraient un véritable second front. Les débarquements en Afrique du Nord, en Sicile ou en Italie comptent à leurs yeux pour des prunes, car ils ne fixent pas assez de divisions allemandes. Dès la conférence de Moscou, fin octobre 1943, Staline demande au général Deane, le chef de la mission militaire américaine à Moscou, quand les Alliés comptent lancer ce fichu débarquement à l'Ouest. Deane répond très vaguement. À la conférence de Téhéran, le 28 novembre 1943, Staline insiste auprès de Churchill et Roosevelt pour avoir une date, évoquant pour la première fois la perspective d'une offensive conjointe de l'Armée rouge. 

Mais jusqu'en juin 1944, les Alliés auront beau presser les Soviétiques de leur dire où ils attaqueront, ils n'en sauront jamais rien. Il faut dire que Staline ne fera porter son choix sur la Biélorussie, renforcé par deux offensives conjointes en Ukraine, qu'en mai 1944. Auparavant, il aura essayé, en avril, d'autres attaques, vers la Roumanie et vers les pays baltes. En vain. De leur côté, les Alliés s'inquiètent. Staline leur a-t-il fait miroiter de fausses promesses ? Le 7 juin, Deane se heurte encore au silence de Staline, qui n'a pas confiance dans les Alliés et leur manque de discrétion.

Guerre froide

L'objectif de Staline est également politique. Depuis Téhéran, il a compris que les Alliés lui avaient abandonné la Pologne. Encore faut-il mettre la main sur ce territoire. Bagration va le lui permettre, avec des attaques en direction de Sandomir, sur la Vistule, et de Lublin. C'est un triomphe. Pour la première fois, les Soviétiques sont supérieurs en tout, aviation, mobilité, renseignements, aux Allemands, qui perdent le noyau dur, aguerri, de leur armée de l'Est et sont moralement profondément touchés, confrontés pour la première fois à un double front. En trois semaines, ils perdent la Biélorussie, un quart de la Pologne, l'Armée rouge est aux portes du Reich et menace les pays baltes. 

Mais le plus important est ailleurs, dans l'exploitation des deux tournants que furent le D Day et Bagration. Plutôt que de foncer vers Berlin, comme il en avait la possibilité, Staline préfère se diriger vers la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et les pays baltes, pour s'assurer un glacis de pays à sa botte. Churchill aimerait en faire de même et filer vers Berlin et le coeur de l'Allemagne. Mais Eisenhower, qui préfère un front large, tergiverse : ce sera l'échec d'Arnhem et des Ardennes. La guerre froide a commencé, avec un avantage aux Soviétiques.

 


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