Drapeaux républicains et slogans hostiles au prince Felipe de Bourbon. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté, lundi 2 juin dans la soirée, dans des dizaines de villes d'Espagne, pour exiger la tenue d'un référendum sur le futur de la monarchie, quelques heures seulement après l'annonce de l'abdication du roi Juan Carlos, en faveur de son fils, Felipe. A Madrid, sur la Puerta del Sol, ils étaient près de 10 000. Les manifestations étaient organisées par le mouvement des « indignés » et les partis politiques de la Gauche unie (IU, écolo-communistes), Podemos (extrême gauche) et Equo (écologistes).
Manifestation antiroyaliste à Bilbao, lundi 2 juin 2014, au Pays basque, après l’annonce par le roi Juan Carlos de son abdication
Le succès de ces manifestations illustre le contexte dans lequel Juan Carlos, 76 ans, a décidé de mettre fin à son règne, celui d'une chute de la cote de popularité de la monarchie, en particulier parmi les jeunes, qui n'ont pas vécu la transition entre la dictature et la démocratie (1975-1982) dans laquelle il a joué un rôle clé. Selon le sondage d'avril du Centre de recherche sociologique, les Espagnols lui donnent une note de 3,72 sur 10.
Le roi, fatigué après de nombreuses interventions chirurgicales subies depuis trois ans, espère donner un nouveau souffle à une monarchie éclaboussée par des scandales. Sa partie de chasse à l'éléphant au Botswana, en 2012, en pleine crise, accompagnée d'une « amie intime », quelques semaines après avoir déclaré que le chômage des jeunes « l'empêchait de dormir », a écorné son image. L'affaire Noos, un scandale de corruption et détournement de fonds publics, dévoilé fin 2011, qui met en cause une de ses filles, l'infante Cristina, et son gendre Iñaki Urdangarin, a affaibli l'institution.
« RÉGÉNÉRATION DÉMOCRATIQUE »
Après plus de trente-neuf ans de règne, Juan Carlos a décidé d'abdiquer après avoir assuré durant des mois qu'il resterait roi jusqu'à sa mort. Le monarque répond ainsi à la perte de confiance des citoyens envers leurs représentants et leur désir de « régénération démocratique ». C'est à eux que le roi s'est adressé lorsqu'il a expliqué sa décision en évoquant la nécessité d'un changement. « Aujourd'hui, une génération plus jeune, avec de nouvelles énergies, décidée à entreprendre avec détermination les transformations et les réformes que la conjoncture actuelle demande et à affronter les défis de demain, mérite de passer au premier plan », a-t-il déclaré.
La date choisie n'est pas anodine. Juan Carlos a attendu une semaine après les élections européennes pour annoncer sa décision. Ce scrutin s'est caractérisé par la chute du bipartisme entre le Parti populaire (PP, droite au pouvoir) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), ses principaux soutiens, et la poussée de partis d'extrême gauche résolument républicains.
Il n'est pas sûr que le prochain Parlement, après les législatives de 2015, lui aurait été aussi bienveillant. Le PP détient la majorité absolue et les dirigeants du PSOE maintiennent leur appui à la monarchie. « Don Felipe de Bourbon représente le respect de la Constitution et la stabilité institutionnelle, » a déclaré Alfredo Perez Rubalcaba, le secrétaire général du PSOE, qui va quitter ses fonctions.
Une opinion que ne partagent pas les Jeunesses socialistes, qui ont demandé la tenue d'un référendum sur la République, tout comme le courant de la gauche socialiste au sein du PSOE et la majorité de la base électorale du parti.
« LA QUESTION BASQUE N'EST PAS RÉSOLUE »
Dans son allocution, le roi a indiqué que son fils Felipe, héritier de la couronne, « incarnait la stabilité. » Une façon de mettre en garde sur les conséquences négatives des tentatives de changement de cadre institutionnel, d'autant plus qu'une crise territoriale est ouverte en Catalogne. « Il y aura un changement de roi en Espagne, mais le processus catalan suivra son cours », a aussitôt rappelé le président catalan, Artur Mas, qui entend organiser un référendum d'indépendance en novembre. « La question basque n'est pas résolue », en a profité pour déclarer de son côté le chef du gouvernement basque, Iñigo Urkullu.
Personne ne doute que Felipe succédera au roi. Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, ne souhaite pas perdre de temps. Un conseil des ministres extraordinaire devait se réunir, mardi à midi, pour approuver la loi organique nécessaire afin de mener à bien la transition, puisque l'abdication n'est pas envisagée dans la Constitution. Cette loi devrait ensuite être approuvée sans encombre au Congrès des députés et au Sénat, grâce aux majorités du PP et PSOE. Dans quelques semaines, le prince devrait ainsi devenir le roi Felipe VI.
En attendant, Juan Carlos continuera d'assumer les fonctions de chef de l'Etat et respectera son agenda. Lundi soir, il recevait le président de la chambre de commerce des Etats-Unis et en profitait pour se montrer souriant et détendu devant les caméras : « Vous n'avez jamais montré autant d'intérêt pour moi… », a-t-il lancé avec humour aux nombreux journalistes présents. Sans doute parce que son abdication marque le début d'une nouvelle étape dans l'Espagne démocratique, dont l'histoire a été jusqu'à présent intimement liée à la figure du roi.