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Juan Carlos d'Espagne, le self-made roi

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Ses dernières apparitions publiques l'avaient montré affaibli. Lundi 6 janvier, pour son discours annuel devant les chefs de l'armée, Juan Carlos Ier, marqué par une nouvelle opération de la hanche – la sixième intervention chirurgicale en deux ans –, est apparu vacillant en dépit de ses béquilles, peinant à articuler, soupirant d'épuisement alors qu'il prononçait le discours qui devait signifier son rétablissement. 

 

Le roi d'Espagne Juan Carlos saluant la foule à Ceuta, en 2007

Le roi d'Espagne Juan Carlos saluant la foule à Ceuta, en 2007

Quelques mois plus tôt, le 22 avril 2013, on l'avait vu tout raide, apparemment perclus de douleurs après une énième opération – d'une hernie discale, cette fois. « Je vais continuer à donner du fil à retordre », avait plaisanté Juan Carlos. Le roi d'Espagne a finalement rendu les armes : lundi 2 juin, Mariano Rajoy, chef du gouvernement espagnol, a annoncé la volonté du roi, qu'il a qualifié de « meilleur symbole de notre vie ensemble en paix et en liberté », de renoncer au trône. C'est son fil, le prince Felipe, qui devrait prendre sa suite, au terme d'un « processus normal de succession », selon les mots de M. Rajoy.

Les avanies physiques, cela faisait des années qu'il les accumulait, au point que ce sportif avait dû se résoudre à renoncer à ses passions – voile et chasse, entre autres. Les blessures politiques, elles, l'avaient forgé dès l'enfance et, après deux décennies paisibles pour les Bourbons d'Espagne, elles étaient de retour.

Depuis deux ans, en effet, c'était bien son pays qui lui donnait du fil à retordre. A lui et à l'institution qu'il incarnait. Cette monarchie longtemps jugée exemplaire, modeste et moderne, sans cour et ouverte à la roture, est aujourd'hui soupçonnée d'être tombée dans l'affairisme. Lui-même s'est vu reprocher de chasser l'éléphant au Botswana, en avril 2012, pendant qu'un quart des Espagnols se débattent pour trouver un emploi ; d'avoir un train de vie opaque, une liaison – encore plus voyante que les autres – avec une riche allemande, Corinna zu Sayn-Wittgenstein, une sorte d'entremetteuse dans le monde des affaires. Son gendre Inaki Urdangarin, mis en examen pour détournement de fonds publics, fraude et évasion fiscale, a dû être écarté des activités officielles de la famille. Sa fille cadette, Cristina, a elle-même été mise en examen dans cette affaire. A tel point qu'aujourd'hui, le pays ne se reconnaît plus dans ses Bourbons.

Avec Franco, en mai 1973

Avec Franco, en mai 1973

Cette institution monarchique, elle est son œuvre à lui. Rarement roi se sera autant dû à lui-même : sa couronne, son rôle institutionnel, son mode de vie, sa longue popularité. Car si, à la mort de Francisco Franco, le 20 novembre 1975, Juan Carlos est au pied du trône par la volonté du Caudillo, en réalité, pour lui, à ce moment là, rien n'est écrit. Tout le monde ou presque le tient pour une marionnette. Le vieux dictateur croyait avoir laissé le pays « attaché, et bien attaché ». L'illusion ne tiendra pas plus de quelques mois.

Car, pendant les six années de la transition démocratique, Juan Carlos jouera un rôle décisif. Il exercera véritablement le pouvoir, tendant la main à l'opposition, endormant les piliers du régime par de bonnes paroles, cajolant les militaires... et s'inventant un règne. Dans ce pays de républicains et de caudillistes, d'espagnolistes et de nationalistes catalans et basques, de catholiques et d'anticléricaux, où les royalistes sont finalement depuis longtemps la catégorie politique la moins active et la plus divisée, il réussit le tour de force non seulement de réinstaller la monarchie, mais en plus, de la rendre populaire.

« SEUL COUP D'ETAT DE L'HISTOIRE ENREGISTRÉ PAR LA TÉLÉVISION »

Cette popularité s'est scellée le 23 février 1981. Chacun a, gravée sur la rétine, l'image saisissante du lieutenant-colonel Antonio Tejero surgissant, pistolet au poing, dans l'hémicycle du Congrès des députés avec son commando de gardes civils. Les députés, réunis pour l'investiture de Leopoldo Calvo Sotelo à la présidence du gouvernement, et le personnel du Parlement se jettent à terre. Dans son grand livre Anatomie d'un instant (Actes sud, 2010, 24,80 euros), l'écrivain Javier Cercas décrypte comment chacun croit se souvenir d'avoir vu en direct ce « seul coup d'Etat de l'histoire à avoir été enregistré par la télévision », alors même que ces images n'ont été diffusées qu'après coup, le lendemain, pour la bonne et simple raison que les putschistes avaient pris le contrôle de la télévision. Les radios, en revanche, ont relaté l'événement en direct.


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