Issue d’une très vieille famille flamande d’aristocrates reconvertis dans l’industrie textile, elle naît Lucie Derveaux-Six à Roubaix le 24 août 1915. Elle est élevée et choyée par sa grand-mère maternelle Zélie Derveaux-Six. À l’adolescence elle découvre sa vocation de comédienne en écoutant le disque La Voix humaine (le mélodrame de Jean Cocteau, lu par Berthe Bovy). Elle échoue au concours d’entrée au Conservatoire mais déjà elle est retenue par Louis Jouvet (Pourquoi tu pleures, mon p’tit ?) et surtout Georg Wilhelm Pabst qui lui fait tourner Du haut en bas puis Jeunes filles en détresse. En 1935, elle partage l’affiche de Dédé avec Danielle Darrieux !
Après cette période, elle décide d’elle-même de rencontrer David Wark Griffith qui cherche une comédienne délicieuse et fragile pour son remake du Lys brisé. Elle le rejoint à Londres et Griffith semble prêt à l’engager ; les producteurs font échouer le projet, mais le vieux maître recommande celle qui a choisi pour premier pseudonyme Olga Muriel à de puissants amis américains, dont Mary Pickford. Celle-ci, co-fondratrice de United Artists (avec entre autres Charlie Chaplin et son mari Douglas Fairbanks) prend la jeune comédienne sous contrat et la loge chez elle. Ariane est donc témoin des scènes de ménage et des réconciliations de l’actrice avec Douglas. Mary, sans enfants, lui proposera de l’adopter, ce qu’Ariane refusera par égard pour sa propre mère.
En 1935, la puissante MGM rachète son contrat et décide de façonner et lancer une nouvelle star. Louis B. Mayer, le PDG, et Irving Thalberg, producteur de génie (dont Francis Scott Fitzgerald s’est inspiré pour écrire son roman Le Dernier Nabab) ont l’intention d’en faire la nouvelle Greta Garbo. Ariane Borg prend des cours de comédie, d’anglais, de maintien. Elle a pour camarade un jeune homme promis à un bel avenir de cinéma : Jimmy Stewart. Divers essais sont tournés, dont une mort de Jeanne d'Arc. Ariane rencontre les stars et personnalités de l’époque : Marlène Dietrich, Greta Garbo dont la loge est voisine de la sienne, elle dîne sur un yacht avec Jean Giraudoux, alors diplomate aux États-Unis, en rade de San Francisco, joue au tennis avec le scientifique Albert Einstein...
Irving Thalberg a acheté les droits de Trois camarades, le best-seller de Erich Maria Remarque pour la lancer. Malheureusement, il succombe deux ans plus tard à une crise cardiaque et Joseph L. Mankiewicz sera chargé de le tourner... sans Ariane Borg ! En août 1939 elle retourne en France pour y fêter son anniversaire en famille ; la guerre va la bloquer sur le vieux continent pendant six ans. Au moment de l’invasion allemande, elle projette de fuir aux États-Unis par l’Espagne, mais un médecin la convainc que sa grand-mère, qu’elle adore, ne survivrait pas aux dures conditions du voyage. Elle s’installe donc à Paris, avenue Montaigne.
Commence la période la plus brillante de sa carrière française, où films et pièces de théâtre alternent rapidement. Au cinéma, ce sont surtout : La Valse blanche de Jean Stelli en 1943, un gros succès public, où elle interprète une jeune femme tuberculeuse, mourant comme la Dame aux camélias ; Le Père Serge en 1945 avec entre autres Marcel Herrand et Jacques Dumesnil; La Cabane aux souvenirs en 1946.De la Valse blanche, Simone Lavorel écrira, dans un album consacré aux nouveaux visages du cinéma français, "sans elle, (le film) n'aurait été qu'un insupportable mélo. Elle lui donne un intérêt, celui de son cœur douloureux, un rythme, celui de son jeu impulsif"… Bien des années plus tard, Jean Tulard, dans son dictionnaire du cinéma, évoquera ce "terrible mélodrame,...que sauve l'émouvante beauté d'Ariane Borg dont le jeu reste très moderne". Elle rêve alors d'incarner des personnages romanesques, Adrienne Mesurat de Julien Green, Victoire de Jack London. Par la suite, malgré sa beauté et le retentissement de sa jeune carrière, aucun projet au cinéma n’aboutira : La Cabane aux souvenirs sera son dernier souvenir de cinéma... Elle monte sur scène à bien des reprises, malgré le trac, pour des pièces aussi diverses que Chatterton d'Alfred de Vigny, Tchin Tchin de François Billetdoux, Jean le stropiat, Francesca da Rimini de Francis-Marion Crawford, écrit pour Sarah Bernhardt.
Elle atteint le sommet de sa carrière théâtrale en incarnant Cordelia, la fille fidèle du Roi Lear qu’interprète et met en scène Charles Dullin. Celui-ci a reçu la direction du Théâtre Sarah Bernardt, devenu pour un temps Théâtre de la Cité. Autour de lui gravitent des amis, des élèves, tous ceux pour qui il est et demeurera le maître irremplaçable, dont la silhouette hantera pour toujours ceux qui s'attacheront à suivre sa voie, et aussi tous ceux qui, dans l'ombre, vont tenter de ruiner sa sortie de scène. Il gène, là où il est. Des cabales… Et puis, Henri Jeanson, le pape des critiques. "… (( Charles Dullin))chantonnant, parodiant atrocement Ophélie", écrira-t-il dans un article sur le spectacle. ArianeBorg ne sera pas épargnée, même si la cible principale reste Charles Dullin. "Quant à Ariane Borg, qui prétend interpréter Cordélia, elle devrait apprendre à parler, à marcher, à s'asseoir… C'est d'ailleurs une assez jolie figurante"…"C'est Shakespeare, qu'il n'aimait pas", commentera un autre journaliste, avec quelque gêne. Faut-il rappeler qu'à peu de temps de là, après la présentation de la merveilleuse École des femmes montée par Louis Jouvet en son théâtre de l'Athénée, l'infaillible Henri Jeanson avait affirmé de façon péremptoire "ce n'est pas comme ça qu'on doit jouer ((Molière". Il s'était attiré cette réplique devenue historique, magnifiée par la diction si particulière du maître. "Ah? Tu lui as… téléphoné?"…
En 1945, elle remarque un jeune comédien de dix ans son cadet, Michel Bouquet, qui quelques années plus tard deviendra son mari puis ils divorceront. La carrière de celui-ci décolle peu à peu, quand celle d’Ariane entame un inexorable déclin. Malgré la radio et le théâtre, elle se fait rare et ne deviendra jamais la star qu’elle eût pu être. En 1955, à quarante ans, elle tente sans succès un come-back aux États-Unis. Elle est pressentie pour jouer à New York une pièce tirée du Journal d'Anne Frank, mais finalement le producteur impose... sa fille ! Elle n’est guère plus chanceuse à Hollywood, même si elle a renoué avec le show-business américain, fréquentant Garbo, Lillian Gish et sa sœur Dorothy et bien d’autres célébrités. De retour en France après avoir écorné ses économies, elle remontera sur les planches en une grande occasion : elle monte à ses frais la pièce de Vigny Chatterton, pour laquelle elle engage deux jeunes comédiens encore inconnus, mais promis à un bel avenir : Bruno Cremer et Jean-Pierre Marielle.
Suit alors un inexorable déclin que rien n’arrêtera, la beauté, l’argent et la vie intellectuelle et mondaine brillante compensant cette carrière somme toute décevante. Issue d’un milieu très huppé, Ariane Borg ne cessera de se comporter et de raisonner comme une bourgeoise conservatrice. Sa beauté et son élégance lui ouvrent toutes les portes. Avant-guerre, outre les metteurs en scène et les artistes prestigieux qui la remarquent, travaillant ensuite avec elle ou non (Pabst, Griffith, Jouvet, Dullin, Allégret, Duvivier), elle fréquente Giraudoux, Garbo, Marlène Dietrich, et toute l’élite américaine (où tant d’exilés d’Europe centrale ont rejoint le soleil de la Californie).
C’est surtout à partir du moment où sa carrière décolle, pendant la guerre, que toutes les portes s’ouvrent : elle rend visite à Jean Cocteau et Colette sa voisine au Palais-Royal, déjeune avec Montherlant, participe de la gloire d’Anouilh dont triomphe l’Antigone, se lie d’amitié avec Louise de Vilmorin tout en détestant un Malraux pourtant génial (ceux sont de délicieux dîners à Verrières-le-Buisson), fréquente toutes les générations d’artistes de tous ordres, de Mauriac à Thierry Le Luron, de Callas à Wilhelm Kempff, de Mauriac à Romain Gary, de Ionesco à Jacques de Bourbon Busset dont l’amour conjugal pour sa tendre Laurence ne laissait pas de l’émouvoir, et, des frères Marc et Yves Allégret à Jean-Luc Godard dont les propos cinématographiques la dépassent, des réalisateurs du « cinéma de papa » des années 1940 et cinquante jusqu’à la Nouvelle Vague, elle croise tous ceux qui comptent, compteront ou ont compté. En 1944, Jean Cocteau prépare La Belle et la Bête, son film qui verra le jour l'année suivante. Colette lui propose de confier le rôle de Belle à Ariane Borg, en raison de son "physique de conte de fée". Josette Day lui sera cependant préférée. En 1949, lors du décès de Charles Dullin, c'est elle qui accueille Simone de Beauvoir, qui évoquera leur rencontre dans La Force des Choses, à l'occasion de l'hommage rendu par les amis et les élèves du maître disparu.
Ariane Borg était une femme très cultivée (encore que superficiellement, n’entrant jamais avec lucidité dans le fond des choses) et très raffinée. Elle adorait les beaux-arts, la peinture flamande qui était un peu sa patrie picturale (van Eyck, Gérard David, Pieter de Hooch...) et fréquentait musées et galeries parisiens. Son compositeur préféré était Chopin, dont elle dut entendre maintes interprétations par son proche ami Samson François. Sa bibliothèque comportait plusieurs milliers de livres, essentiellement de littérature ; son roman préféré était La Princesse de Clèves. Ses palaces préférés : le Plaza Athénée et le Ritz ; son restaurant préféré : Lipp. Elle fut habillée personnellement par Balenciaga, Christian Dior, Givenchy. Toute sa vie elle fut fascinée par le destin cinématographique de Greta Garbo. Sa beauté égalait celle de la Divine et Irving Thalberg, les comparant explicitement, lui avait murmuré : « You are much more human than she. » — (Vous êtes bien plus humaine qu’elle…). Ariane Borg épouse Michel Bouquet au début des années 1950. La carrière du comédien prend sans cesse plus d’envergure, entre radio, théâtre et cinéma, tandis que la sienne décline. Il l’évince de sa vie brutalement au printemps 1967 : elle ne s’en remettra jamais. Elle entame une grève de la faim qui dure plusieurs mois, lui fait perdre vingt-cinq kilos et l’amène aux portes de la mort. Un long et conflictuel divorce commence ; elle ne reverra jamais Bouquet. Ils n’ont pas eu d’enfants.
Sa vie s’étiole dans son appartement de l’avenue Montaigne, et le déclin personnel suit le déclin artistique – sur quarante années, qui laisseront sa beauté fanée et pourtant intacte, et son cœur meurtri, et son esprit terriblement amer. Elle regrette amèrement d’avoir quitté l’Amérique qui lui avait été si hospitalière ; elle parle de la France qu’elle juge corrompue en disant « la pourriture de ce patelin » ou « I hate French people ! » - car il est vrai qu’entre jalousies, voire haines tenaces, chausse-trappes, vraie, éternelle indifférence et planches passablement savonnées, rien ne lui fut épargné. Pour finir, quelques phrases d’Ariane sur la condition humaine qu’elle a si durement, avec grâce, éprouvée : « Étrange chose que l’humain… L’égocentrisme. L’indifférence, qui est une haine pire que la haine !... » « J’ai la nostalgie de l’intelligence… » « Pour rien au monde, je ne reviendrais au monde ! » Ariane Borg est décédée le 16 avril 2007 à Couilly-Pont-aux-Dames.