Émile Zola naît à Paris d'une mère beauceronne et d'un père vénitien, ancien officier d'artillerie devenu ingénieur, installé en France pour échapper à la domination autrichienne. Il grandit à Aix-en-Provence, où son père doit diriger les travaux d'un barrage de retenue et d'un canal destiné à alimenter en eau la ville d'Aix. Après la mort de son père, des complications d'une pneumonie qui l'a saisi sur le chantier du canal, sa veuve est spoliée par d'habiles hommes d'affaires et se débat sans succès, pendant plus de dix ans, dans le règlement des affaires de la Société du canal Zola. La famille sera désormais dans la gêne matérielle. Orphelin de père à 7 ans, Zola connaît une jeunesse à la fois pauvre et libre, marquée par son amitié avec Paul Cézanne. Après avoir échoué à son baccalauréat, il rejoint Paris avec sa mère. Sans diplômes ni emploi stable, il ne connaît de cette vie littéraire pour laquelle il se sent fait que les mécomptes de la bohème.
Le 31 octobre 1862, Émile Zola est naturalisé français. Ayant tiré au sort un bon numéro et, au surplus, étant fils de veuve, il ne fera pas de service militaire. Avant 1870, il collaborera à l'Événement, au Figaro, à la Tribune, au Gaulois, au Rappel, à la Cloche. Dès ses premiers articles, il exprime son souhait de voir la littérature adopter la rigueur méthodologique des travaux scientifiques. En 1865, Zola rencontre Gabrielle Alexandrine Meley, qui devient sa maîtresse et qu'il épouse le 31 mai 1870. Il découvre les Goncourt avec Germinie Lacerteux, lit Taine et Balzac, reçoit le jeudi soir, dans son logement du boulevard Montparnasse, ses amis aixois : Cézanne, mais aussi Baille, Marius Roux, le sculpteur Philippe Solari. Un modeste emploi à la Librairie Hachette, où le sert son intuition de ce qui deviendra la publicité, lui permet de se lancer dans le journalisme.
Zola commence par des œuvres d'inspiration romantique (Contes à Ninon, 1864 ; la Confession de Claude, 1865 ; le Vœu d'une morte, 1866). Prenant parti pour les impressionnistes dans ses critiques d'art (Mon Salon, 1866 ; Édouard Manet, 1867), il annonce ce qui ne s'appelle pas encore le « naturalisme », avec son roman Thérèse Raquin (1867) – première esquisse de l'arbre généalogique des Rougon-Macquart et de la fascination pour les « modèles » biologiques. En 1869, la lecture du Traité philosophique et physiologique (1847-1850) du Dr Prosper Lucas (1805-1885) et de l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865) de Claude Bernard détermine son orientation.
Très tôt, l'exemple de Balzac et de la Comédie humaine porte Zola à imaginer un système, qui repose sur deux idées maîtresses :
– la psychologie de l'homme est influencée par le milieu naturel dans lequel il vit ;
– la méthode expérimentale établie par Claude Bernard dans le domaine de la médecine peut être appliquée en littérature.
Zola projette un cycle retraçant la vie d'une famille française sur cinq générations : les Rougon-Macquart – Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ; les vingt romans en sont écrits et publiés au rythme d’environ un par an de 1871 à 1893. Le succès de l'Assommoir fait de Zola un romancier reconnu et comblé, largement à l'aise financièrement. La suite compte notamment Nana (1880) et la Bête humaine (1890), mais surtout Germinal (1885).
Parallèlement à son œuvre romanesque, Zola joue aussi un rôle dans l'histoire du théâtre, influençant Antoine, le fondateur du Théâtre-Libre. Par son œuvre critique (le Roman expérimental, 1880 ; les Romanciers naturalistes, 1881 ; le Naturalisme au théâtre, id.) et auprès de tous les écrivains qui aiment à se retrouver dans sa maison de Médan (les Soirées de Médan, 1880), il devient le principal théoricien du naturalisme. Au fur et à mesure qu'il est amené à préciser sa doctrine, il élargit ses ambitions. En effet, selon Zola, le naturalisme doit être un engagement dans le monde moderne, une prise de position sur tous les grands problèmes de l'époque. Séduit par les théories socialistes de Fourier et de Guesde, l'écrivain estime indispensable de participer à l'éducation de l'individu pour mieux l'insérer dans la collectivité. Dans cette perspective, il écrit le cycle des Trois Villes (Lourdes, 1894 ; Rome, 1896 ; Paris, 1897), choisies comme symboles d'une civilisation en pleine mutation, guidée par les « grandes espérances » de la science, à laquelle l'Église elle-même tente de s'adapter.
Dans le même temps, Zola durcit ses positions politiques. Depuis les années 1860, il écrit dans des journaux républicains. Ses articles hésitent entre la peinture de mœurs et la polémique politique contre le second Empire. L'affaire Dreyfus lui fournit l'occasion d'un engagement exemplaire. Le 13 janvier 1898, la lettre ouverte au président Félix Faure publiée dans l'Aurore sous le titre « J'accuse…! » donne le signal de la campagne publique en faveur de la révision du procès du capitaine Dreyfus. Mais les chefs de l'armée le poursuivent en diffamation et Zola est condamné, en juillet 1898, à un an de prison et à 3 000 francs d'amende par la cour de Versailles. Il est automatiquement exclu de l'ordre de la Légion d'honneur. Il choisit l'exil en Angleterre pour éviter l'emprisonnement. En 1899, après la cassation du jugement contre Alfred Dreyfus, l'écrivain poursuit son action en faveur de la réhabilitation de l'officier (la Vérité en marche, 1901).
La révélation qu'est pour lui la levée des haines sectaires et la montée des injustices serait peut-être venue à bout de son étonnante vitalité s'il n'avait eu, depuis 1888, la consolation de ses amours tardives avec une jeune lingère, Jeanne Rozerot – qui lui donnera deux enfants, Denise (1889-1942) et Jacques (1891-1963), reconnus après sa mort par sa femme, Alexandrine Zola (1839-1925). À la veille du xxe siècle, faisant évoluer sa doctrine vers une sorte de messianisme laïque, Zola entreprend la tétralogie des Quatre Évangiles (Fécondité, 1899 ; Travail, 1901 ; Vérité, 1903, posthume ; Justice, id., restée à l'état de notes), qui est interrompue par sa mort. Il meurt asphyxié, dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, chez lui, à Paris, dans des circonstances douteuses. Si, à l'époque, l'enquête conclut à un accident, la thèse de l'assassinat est aujourd'hui privilégiée : la cheminée de la chambre aurait été obstruée par un fumiste, Henri Buronfosse, membre d'une ligue nationaliste et antidreyfusarde.
Le 5 octobre 1902, aux obsèques de Zola, Alfred Dreyfus est du cortège, ainsi qu'une délégation de mineurs qui scandent « Ger-mi-nal ! Ger-mi-nal ! ». Anatole France prononce un vibrant éloge funèbre. Les cendres de Zola seront transférées au Panthéon le 4 juin 1908. Dès l’origine, l’œuvre d’Émile Zola revêt une dimension contestataire mais aussi théorique. L’écrivain, fort de sa première expérience professionnelle au service de l’éditeur Hachette, connaît l’utilité de la publicité et même du scandale pour fixer les lecteurs. L’activité qu’il déploie dans le journalisme lui assure une position dans la vie artistique et littéraire, qu’il consolide en appuyant ses romans sur des principes formels nouveaux.
« La haine est sainte. […] J’ai fait de la haine et de la fierté mes deux hôtesses ; je me suis plu à m’isoler, et, dans mon isolement, à haïr ce qui blessait le juste et le vrai. » Ces mots sont forts et d’abord provocants : Zola les place en tête de son premier recueil d’articles, véritable programme en faveur de la modernité (Mes Haines, 1866). Passant de la critique dramatique à la satire politique, du billet d’humeur à la chronique, Zola rejette l’idéologie et les partis au bénéfice d’une révélation esthétique. Après avoir défendu, à travers la peinture d’Édouard Manet, la capacité de l’artiste à créer en s’inspirant du monde qui l’entoure, il emprunte la matière de ses propres livres à la réalité, refusant toute idéalisation.
Thérèse Raquin, troisième roman de l’auteur, paraît en 1867. Élevée par une vieille tante qui lui fait épouser son fils, un être terne et maladif, Thérèse fait assassiner celui-ci par un peintre raté dont elle est devenue la maîtresse : à partir d’une intrigue simple, des thèmes forts sont ici dégagés, où dominent le poids de la sexualité et le conflit des tempéraments. L’ouvrage rencontre un important succès public, alors que plusieurs critiques dénoncent sa dureté. On accuse Zola de facilité, parfois d’immoralité. Un article de Louis Ulbach dans Le Figaro, « La littérature putride », conduit l’auteur à s’expliquer dans une Préface, un an après la première parution du livre, et à affirmer le « but scientifique » qu’il poursuit. Clamant son appartenance au « groupe d’écrivains naturalistes », il a simplement « fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres ».
Avec les Rougon-Macquart – Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, la conception esquissée dans Thérèse Raquin acquiert une ampleur définitive. Les vingt romans qui composent ce cycle illustrent une méthode d’écriture nouvelle, fondée sur l’enquête. Chaque volume est l'étude d'un cas, et l'enquête est si vaste – les textes préalables à la rédaction de chacun des romans seront réunis et publiés en 1987 dans Carnets d'enquêtes – que Zola devra en faire vingt romans, au lieu des dix initialement prévus. Les Rougon seront la branche légitime, ambitieuse et bourgeoise ; et les Macquart, la branche bâtarde et prolétaire. Les rejets du double tronc, classés selon la méthode du naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, devront s'épanouir, s'étioler ou mourir, soumis aux lois de l'hérédité, suivant « trois cas de mélange : par soudure, par dissémination, par fusion ».
Le cycle brosse une étonnante galerie de personnages, tous, à des degrés divers, marqués de la tare originelle d'une tante devenue folle, et eux-mêmes sous l'emprise d'un vice (souvent l'alcoolisme). Ils sont le plus souvent avides d'argent, d'amour, de pouvoir, d'art ou de science. Hommes politiques, commerçants, spéculateurs, meneurs de grève, fille publique, meurtrier, prêtre, soldat, cheminot ou artiste, ils animent tous leur époque. Au-delà de la dénonciation politique du régime corrompu de Napoléon III, l'ensemble se veut une grande fresque, montrant par l'analyse au microscope la cohérence et la vie débordante d'un monde en mutation.
Zola admire Balzac et projette d’écrire la Comédie humaine de son époque. Comme Flaubert et les Goncourt, Zola se documente et procède à une méticuleuse étude préalable du milieu dans lequel chacun de ses romans doit se dérouler. Les paysages et les décors, Zola les consigne au cours de voyages en province ou de séjours prolongés dans certains quartiers de Paris, comme par exemple les abords obscurs de la Goutte d’Or où se noue le drame de l’Assommoir (1877). Il y a aussi les nouveaux lieux, les instruments du monde moderne : avant d’écrire Germinal (1885), le roman des mineurs, l’écrivain se rend à Anzin et descend au fond d’un puits pour recevoir lui-même l’impression des galeries et des machines. Car les Carnets d’enquête ne sont pas de simples dossiers préparatoires, alimentés de notes et de repérages. Ils constituent une ethnographie de la France, et présentent le tableau économique et moral d’un pays alors en pleine mutation.
Influencés par le milieu et par l’époque, les personnages de Zola le sont plus encore par leur nature profonde – ce que l’écrivain appelle « les fatalités de leur chair » (Préface pour Thérèse Raquin). Zola en cela s’éloigne de Balzac, pour qui la volonté individuelle parvenait à dominer les déterminations sociale et historique, et se rapproche des conceptions de l’historien, critique et philosophe Hippolyte Taine. Un monde neuf se dessine, où la physiologie prime sur la psychologie. Parlant du crime commis par Thérèse Raquin et son amant, Zola esquisse un parallèle avec l’ordre animal, « l’assassinat des moutons » chez les loups, et entrevoit le « désordre organique » qui s’empare de ses héros, cette « rébellion du système nerveux tendu à se rompre » (Préface pour Thérèse Raquin).
Zola est marqué par les travaux du biologiste Claude Bernard (Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865) et se veut lui-même « expérimentateur » (le Roman expérimental, 1880), non sans susciter la perplexité déjà parmi ses contemporains. De fait, on voit mal comment un romancier, créateur d’un monde de fiction, peut observer dans son travail une objectivité comparable à celle que garantissent les conditions de la recherche en laboratoire. La confusion sur la question de la méthode se prolonge dans une autre, liée à la culture scientifique insuffisante de Zola. Dans les Rougon-Macquart, à travers cinq générations d’une même famille, Zola illustre les conclusions avancées par le Dr Prosper Lucas dans son Traité philosophique et physiologique de l’hérédité naturelle (1850). Or il s’agit d’hypothèses jamais confirmées, dont le simplisme pseudo-scientifique apparaît lorsque l’écrivain évoque le « lent empoisonnement » du sang pour expliquer la « sauvagerie » qui, d’un père ou d’un grand-père alcoolique, se transmet à sa descendance (la Bête humaine, 1890).
Critiquée par les uns, admirée par les autres, la somme des Rougon-Macquart achève toutefois d’imposer Zola à la tête d’une école littéraire. Mais sitôt défini, le naturalisme est dépassé – y compris par son chef de file. La force de sa position dans l’histoire littéraire tient à la capacité de Zola à faire converger l’héritage romantique de Hugo et de Michelet, le réalisme de Balzac et de Flaubert, les idées d’Hippolyte Taine, les tentatives des frères Goncourt pour décrire la société contemporaine à travers l’étude de cas pathologiques. L’Assommoir, paru en 1877, est le premier roman naturaliste à obtenir un succès massif en librairie. Mais les disciples assemblés autour de lui et qui font paraître, en 1880, le recueil de nouvelles les Soirées de Médan, retrouvent ensuite un destin personnel. Edmond de Goncourt quant à lui reproche à Zola son systématisme, et favorise l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains naturalistes.
En réaction à la sortie d’un nouveau volume des Rougon-Macquart, la Terre, paraît un Manifeste des Cinq (1887) particulièrement sévère avec l’auteur : « Eh bien ! cela termine l’aventure. Nous répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique, cet effort vers la gauloiserie mixte d'un cerveau en mal de succès. Nous répudions […] ces silhouettes énormes, surhumaines et biscornues, dénuées de complication, jetées brutalement, en masses lourdes, dans des milieux aperçus au hasard des portières d'express. […] le titre de naturaliste, spontanément accolé à tout livre puisé dans la réalité, ne peut plus nous convenir. […] nous refusons de participer à une dégénérescence inavouable. »
Peu soucieux des controverses suscitées par sa notoriété, Émile Zola prolonge son œuvre de romancier dans des essais : après le Roman expérimental viennent le Naturalisme au théâtre (1881) et les Romanciers naturalistes (1881). Il est pourtant le premier à transcender les idées et les modèles : l’appréhension froide et calculée du monde, au fondement de sa méthode, s’accompagne chez lui d’une véritable inspiration. Les forces qui s’exercent sur les personnages de ses romans, les attitudes des personnages eux-mêmes, soigneusement articulés, laissent place finalement à une vision.
Racontant les laborieux travaux qu’il accomplit pour préparer ses livres, Zola s’amuse : « l’imagination, l’intuition plutôt, fait le reste » (1890, lettre à Jules Héricourt). Ainsi les derniers volumes des Rougon-Macquart, notamment la Terre (1887) et l’Argent (1891), apportent-ils une justification à la définition de l’œuvre d’art que Zola retenait dans un article de jeunesse, paru dans le Salut public et repris dans Mes Haines : « un coin de la création vu à travers un tempérament » (1865).
Devant l’achèvement imminent des Rougon-Macquart, Zola entreprend de prolonger son œuvre romanesque en inscrivant celle-ci dans une perspective philosophique élargie. S’il revendique froideur et objectivité, l’écrivain n’en éprouve pas moins un sentiment de révolte devant le spectacle de la détresse humaine. L’observateur des misères du siècle devient le chroniqueur de la religion et des pratiques du clergé catholique dans les Trois Villes (1894-1898), puis prophétise une société nouvelle, favorable à l’essor du plus grand nombre, dans les Quatre Évangiles (Fécondité, 1899 ; Travail, 1901 ; Vérité, 1903 [inachevé], Justice, resté à l’état de projet).
Parallèlement à cette conclusion en forme d’utopie, il retrouve à partir de 1897 le journalisme politique à la faveur de l’affaire Dreyfus. Sous le choc de plusieurs revers mais surtout de l'acquittement du commandant Esterházy (sans doute le vrai coupable de trahison) par le conseil de guerre, le camp dreyfusard (partisans de l'innocence du capitaine Dreyfus) ne voit plus aucun recours judiciaire ou politique pouvant encore mener à la révision du procès. L'écrivain, qui a déjà pris la plume dans le Figaro en faveur de Dreyfus, décide de porter publiquement des accusations précises, qui le mettront sous le coup d'une accusation en diffamation ; il espère susciter un procès Dreyfus par un procès Zola. Il écrit une lettre ouverte, le célèbre J'accuse…!, au plus haut magistrat de l'État, le président de la République. Mais surtout, par l’émotion immense et la prise de conscience qu’elle suscite, cette intervention amène à redéfinir la place de l’intellectuel au sein de la société. Une responsabilité pèse désormais sur celui-ci, et qui ramène à la révolte affirmée autrefois dans Mes Haines : la responsabilité de s’engager.