publié le 28/06/2010 à 20h42 par Jean-François Kervéan
45 ans après sa mort, les psys cherchent à savoir qui elle est
Dans la nuit du 4 au 5 août 1962, Marilyn Monroe choisi de mettre fin à ses jours. Cette fameuse nuit , une
star sensuelle s'éteint et une légende est née.
Lire le début : Marilyn dénudée par ses psys
Dans Certains l’aiment chaud, il fallut quatre-vingts prises pour lui faire dire « Mais où est cette bouteille de Bourbon ? » Et dans Quelque chose doit craquer, film terminal, elle ne put jamais
prononcer sa première réplique « Nick, mon chéri ». Côté vie privée, rien ne tient. Greenson mesure son vide et son vertige sexuel. Elle lui avoue qu’elle peut s’offrir à n’importe qui, au
plombier venu réparer sa baignoire, à un chauffeur de taxi de nuit. Et Montand ? « Il est parti, il m’a appelée “une passade”. » Et Arthur Miller, son dernier mari ? « Il me trouve laide et
idiote et lourde et fatigante et malheureuse, je crois. » Rencontrant Miller, Greenson le prévient : « Il faut l’aimer intégralement, sinon c’est comme si vous ne lui donniez rien. » Miller n’aura
pas cette force, et s’enfuit.
Tout le monde a peur. A New York en février 1961, Marianne Kris, la voyant dans un état catastrophique après quarante-deux séances en deux mois, prendra la décision de l’interner de force.
Epreuve apocalyptique pour Marilyn. Elle éclate une vitre avec une chaise, menace de s’ouvrir les veines. Joe
DiMaggio, son ex-mari, qu’elle n’avait pas revu depuis sept ans, la sort du gouffre. Dans Marilyn dernières
séances*, on trouve son immense lettre écrite à Greenson depuis la clinique, très belle : « Je n’ai pas dormi
de la nuit. Parfois je me demande à quoi sert la nuit. Pour moi ce n’est jamais qu’un affreux jour sans fin... »
A L.A., Greenson la récupère. Son état s’aggrave. Aucun psy ne fit jamais de diagnostic de Marilyn Monroe. Dans sa correspondance, Greenson répète seulement : « Elle est très malade. » Schizophrène ? Un peu. Paranoïaque ? Un peu. Borderline,
dirait-on aujourd’hui, incapable de se relever des blessures psychiques qu’elle a vécues enfant (père disparu, mère folle, abandons, abus pro bables). Et narcissique, évidemment, le noyau le plus
dur à vaincre pour la psychanalyse. Sa mise à nu semble la laisser au bord du vide, sans la guérir. Rien ne tient. Sauf la peur. Les objectifs des photographes et les miroirs la calment, un
peu.
Bientôt, cette femme qui pleure, tantôt sublime, tantôt bouffie et blafarde, Greenson doute de pouvoir la
guérir, alors il va la protéger, devenir son père, lui offrir la famille qu’elle n’a pas eue. Pulvérisant le cadre de la psychanalyse, il va littéralement adopter et diriger une petite fille de
trente-quatre ans. Elle le voit tous les jours, même le dimanche, à 50 dollars la séance (tarif préférentiel mais onéreux). Le soir, Marilyn dîne chez son psy, en famille dans sa belle hacienda. Après le repas, elle fait même la vaisselle. Quand sa
tuyauterie tombe en panne, ravie, elle se précipite chez les Greenson pour se laver les cheveux. Nuit et jour,
elle et lui s’appellent. Peu à peu, il décide de tout. Les films, les cachets (Marilyn fut sous-payée jusqu’à
sa mort). Oui, elle jouera la revenante névrosée de Quelque chose doit craquer. Grassement rémunéré par les studios, Greenson doit contrôler le script, le montage, et garantir la ponctualité de Marilyn. Il échouera.
Mais on n’en peut plus de Marilyn, les Kennedy, les studios, les psys, le personnel de maison. Inquiet et
dépassé, Greenson décide de prendre enfin ses premières vacances depuis deux ans. Il lui laisse un psy
temporaire : Milton Wexler, pourtant hostile au traitement de Greenson. Selon lui, replacer Marilyn Monroe devant une famille, un foyer ne fait que renforcer sa détresse de n’en avoir jamais eu. Greenson part pour l’Europe. Le tournage de Quelque chose doit craquer commence. Il ne finira jamais. Marilyn va craquer. Elle le sait. Elle l’a dit lors de sa dernière séance. Avec la mort de l’enfant qu’elle portait de
Miller, à trente-six ans, elle comptabilise dix-sept fausses couches et avortements. Elle se sauve pour chanter
ce célèbre Happy Birthday éméché et paroxystique à l’homme le plus puissant du monde. Dernière baise, la nuit même, au Carlyle, avant que Kennedy ne coupe les ponts. Rage. Menace, chantage. Folie. Sinatra reprend la main, conviant l’actrice dans un casino du Nevada, pour une tournante entre potes. Il existe une
photo, une seule, atroce, d’une Marilyn nue, défoncée, à quatre pattes entre des jambes d’hommes. Greenson revient. Trop tard ?
La psychanalyse ne l’a pas sauvée. Nul ne sait aujourd’hui ce qui s’est passé à Santa Monica. Ce corps déplacé. Ces hommes du F.B.I., partout. Ralph
Greenson brisa la vitre de la chambre où gisait sa patiente, il est « le dernier homme à l’avoir vue vivante, et le premier à l’avoir vue morte » titra la presse. Il valide le suicide. Dans
le ciel vide et plein d’étoiles où vivait Marilyn, la psychanalyse ne fut pas assez forte pour retrouver un
sens. Un jour après une séance, Greenson trouva un petit mot plié laissé par Marilyn. C’était un poème. « La
nuit n’a ni regard ni silence / Sauf pour la nuit elle-même. »
* De Michel Schneider, éd. Grasset.