publié le 12/09/2012 à 18h21 par François Eychart
Poète, romancier, résistant, communiste… Aragon était aussi un grand journaliste qui combattit avec panache
Pétain et l’occupant nazi. De Ce soir aux Lettres françaises, il est l’auteur de centaines d’articles
importants.
Quand on parle d’Aragon, on évoque le poète, le résistant, le communiste, le romancier,
le surréaliste, l’amoureux d’Elsa, mais presque jamais le journaliste. Or, Aragon a aussi été un grand journaliste. Ses écrits journalistiques, qui comptent des centaines de pages, constituent une
sorte de contrepoint à son œuvre.
Des années 1920 à sa mort en 1982, Aragon collabore à Paris journal, Littérature, la Révolution surréaliste,
Clarté, Commune, Europe, l’Humanité, Ce soir, les Étoiles, les Lettres françaises. Dans cette liste, Ce soir et les Lettres françaises ont un statut particulier puisqu’il les a longtemps
dirigés.
Si on met de côté les quelques semaines passées à la tête de Paris journal, que lui confie Jacques Hébertot en 1923, ses véritables débuts de journaliste ont lieu quand il entre à l’Humanité, en
1933, sur proposition de Vaillant-Couturier. D’abord, confiné aux rubriques sur les chiens écrasés (histoire de l’éprouver), il accède vite à des sujets de plus grande ampleur, notamment pendant
les événements de février 1934. En 1936, Maurice Thorez décide de lui confier la direction d’un nouveau
quotidien qui soutiendra le Front populaire : Ce soir. Aragon accepte à la condition d’y associer Jean-Richard
Bloch, dont il connaît la rectitude intellectuelle et les qualités littéraires. Bloch, qui ne faisait jamais les choses à moitié, redoutait d’y compromettre son activité d’écrivain. Au terme
d’une nuit de discussion, Aragon arrache son accord. L’un comme l’autre sont alors hantés par la montée du
fascisme. Le premier numéro de Ce soir paraît en mars 1937, grâce au talent d’organisateur de Gaston Bensan. Les deux directeurs travaillent en parfaite intelligence et imposent d’emblée une
ligne éditoriale. Ils font appel à des collaborateurs très variés. On y trouve des photographes comme Cartier-Bresson, Capa, Gerda Taro, les signatures de Robert Desnos, Jean Cocteau, du futur
acteur Alain Cuny, de Fernand Léger, de Boris Taslitzky, de la journaliste Andrée Viollis, des écrivains Louis Parrot, Édith Thomas, Pascal Pia, Elsa Triolet, etc. Paul Nizan y couvre la politique étrangère. Ce soir est ouvert aux menus événements de la vie
quotidienne, tout en sachant les relier aux problèmes majeurs de l’époque. Chaque fois que son orientation est trouvée dérangeante, Maurice Thorez apporte son soutien aux deux directeurs. Le
journal atteint rapidement des ventes de l’ordre de 250 000 exemplaires. Aragon contribue au rayonnement du
journal par de nombreux articles, notamment ceux de la série Un jour du monde, qui commente brillamment l’actualité au jour le jour. Il poursuit à temps volé le roman les Voyageurs de
l’impériale, qu’il a commencé en 1936. Ce soir combat avec panache pour la réussite du Front populaire, pour l’Espagne républicaine, contre Munich et la politique d’apaisement envers Hitler. Il
sera brutalement interdit, comme toute la presse communiste, en août 1939, à la suite du pacte germano-soviétique.
Les Lettres françaises naissent en 1941, lors d’une discussion entre Aragon, Jacques Decour et Georges Politzer,
qui menaient depuis 1940 le combat clandestin des communistes dans les milieux intellectuels. L’objectif est de parvenir à un large rassemblement des intellectuels, dans le cadre du Front
national contre Pétain et l’occupant nazi. C’est pourquoi Aragon veut que Jean Paulhan fasse partie de l’équipe des Lettres. Decour ne verra pas le premier numéro, il sera pris et
fusillé, comme Politzer. Claude Morgan est alors chargé de reprendre le projet. Pendant ce temps, Aragon fonde,
en zone sud, un journal similaire, les Étoiles. Le premier numéro des Lettres sort en septembre 1942, celui des Étoiles en février 1943. Ces petites feuilles mal imprimées, distribuées au péril
de la vie des militants, portent très haut la parole de la France et sont l’expression de l’intelligence en guerre contre la barbarie (1).
À la Libération, fatigué et surchargé de travail, Aragon revient brièvement à la direction de Ce soir, avant
qu’elle soit confiée à Jean-Richard Bloch, à sa satisfaction. Au décès de celui-ci, en 1947, il reprend ses fonctions jusqu’à la fin du journal, en 1953. Il succède alors à Morgan à la direction
des Lettres françaises. Trois semaines plus tard, Staline meurt. Lecœur, qui dirige le PCF en l’absence de Thorez, mène une politique de caporalisation des intellectuels. Il reproche à Aragon d’avoir piétiné la douleur des communistes en publiant un portrait iconoclaste de Staline, signé de Picasso, et
déclenche une violente campagne contre lui. Quelque temps auparavant, il s’en était pris à Moussinac. À partir de cette expérience, avec l’appui de Thorez, Aragon tisse les fils qui lui
permettront de faire des Lettres françaises le meilleur hebdomadaire culturel français. André Wurmser, George Besson, Georges Sadoul, Elsa Triolet font régulièrement des chroniques. Accordant un intérêt toujours renouvelé aux jeunes talents, Aragon les présente généreusement. Parmi eux : Philippe Sollers, Lionel Ray, Bernard Vargaftig, Jacques Roubaud, Maurice
Regnaut, Pierre Lartigue, Jean Ristat… Il s’élève de plus en plus fortement contre les mesures qui briment la liberté de création en URSS et dans les autres pays socialistes. Il le fait au nom du
communisme, dont il ne cesse de se réclamer. Les polémiques qu’il mène sont retentissantes, dépassant parfois les capacités de gestion de la direction du PCF.
Ces mêmes années sont celles qui voient mourir ses amis : Éluard, Tzara, Breton, Courtade, Moussinac… Il leur consacre des textes qui resteront parmi les plus beaux. L’automne de sa vie a, pour
ses lecteurs, le goût d’un merveilleux printemps.
Lorsque la fin des Lettres françaises est programmée, en 1972, il publie la Valse des adieux, dans laquelle se trouvent ces mots : « J’ai gâché ma vie. » Certains ont voulu y lire l’aveu enfin
exprimé de l’échec de son engagement communiste, voulant à toute force qu’Aragon n’ait fait que porter un masque.
Si elle exprime l’usure des espérances, la douleur des coups reçus des siens, l’inquiétude sur l’avenir, cette Valse ne traduit aucunement le désaveu du chemin qu’il avait pris jadis et qu’il a
suivi jusqu’au bout. Lui qui disait : « Nous sommes les gens de la nuit qui portons le soleil en nous », n’a cessé d’intervenir sur l’histoire des hommes pour que le peuple cesse d’être l’ennemi
de lui-même et que vienne le temps du chant pour tous.
(1) Les Lettres françaises et les Étoiles dans la clandestinité ont été rééditées aux éditions Le Cherche-Midi.
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