publié le 05/09/2013 à 12h00 par Frédéric Lemaître (Berlin, correspondant)
La veille du jour où le président de la République allemande, Joachim Gauck, effectuait une visite
historique à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) aux côtés de François Hollande, le procureur spécial chargé d'enquêter en Allemagne sur les crimes nazis annonçait, mardi 3
septembre, qu'il transférait à la justice les dossiers de 30 gardiens présumés du camp
de concentration d'Auschwitz-Birkenau en recommandant aux procureurs d'engager des poursuites pour "complicité de meurtres".
John Demjanjuk, en 2006. En 2011, le tribunal de Munich a condamné à cinq ans de prison John Demjanjuk, jugé coupable parce qu'il avait été gardien au camp de Sobibor
L'office central d'enquête sur les crimes du national-socialisme, dont le siège est à Ludwigsburg (Bade-Wurtemberg), n'a en effet pas le pouvoir d'engager lui-même les poursuites. Au départ, il
avait identifié 49 gardiens présumés. Mais neuf sont morts durant l'enquête préliminaire et plusieurs vivent à l'étranger (dont sept en Russie et même un en Israël). Trente, dont quelques femmes,
vivent aujourd'hui un peu partout en Allemagne.
"NOTRE PRINCIPAL ENNEMI, C'EST LE TEMPS"
Il reviendra donc aux procureurs des Etats-régions concernés de décider s'il y a lieu d'ouvrir des poursuites judiciaires et si les accusés – âgés de 87 à 97 ans – sont aptes à être jugés. "Notre
principal ennemi, c'est le temps", a déclaré lundi Kurt Schrimm, le procureur de l'office central. Créé en 1958,
l'office central de Ludwigsburg a mené 7485 enquêtes préliminaires. Mais pendant soixante ans, les tribunaux allemands n'ont jugé que des personnes pour lesquelles ils disposaient de preuves
directes et de témoignages.
Or, jusqu'à la chute du communisme, les historiens et les enquêteurs n'avaient pas accès aux archives stockées en Russie, en Ukraine et en Biélorussie, où furent commis une grande partie des
crimes nazis. Alors que plus de 6 000 personnes ont travaillé à Auschwitz, où plus
de 1,1 million de personnes sont mortes, une liste de plus de 1 000 surveillants a pu être établie. Sur les 6 000 personnes ayant travaillé à Auschwitz, environ 120 seraient encore en vie d'après le centre Simon-Wiesenthal.
On ne dispose pas de listes équivalentes pour les camps de Treblinka, Belzec, Chelmno et Sobibor. Par ailleurs, le procès de l'Ukrainien John Demjanjuk, en 2011, a marqué une évolution de la jurisprudence.
JURISPRUDENCE AVEC LE JUGEMENT DEMJANJUK ?
En 1969, la Cour de cassation allemande avait en effet estimé qu'il fallait pouvoir prouver la participation directe à des crimes pour condamner un inculpé alors que pour Kurt Schrimm, "quiconque a apporté une contribution aux meurtres de masse s'est rendu coupable de complicité de
meurtres".
En 2011, le tribunal de Munich s'est écarté de la jurisprudence de la Cour en condamnant à cinq ans de prison John
Demjanjuk pour le meurtre de 28 000 personnes. Celui-ci avait été jugé coupable parce qu'il avait été gardien au camp de Sobibor. Mais John Demjanjuk est mort avant que l'affaire ne soit jugée en appel. Si l'un des trente cas soumis à la justice aboutit,
on saura alors si le jugement Demjanjuk a fait jurisprudence ou non.
En avril, un gardien lituanien d'Auschwitz qui vivait dans le Bade-Wurtemberg a été
arrêté. Il est âgé de 93 ans. L'acte d'accusation doit être prochainement présenté et son procès pourrait débuter en 2014.