Comment tout cela va-t-il finir ? Les haines et les peurs de notre temps ont un parfum de redite, celui des années 30, cette décennie tragique qui mena le monde à l'abîme. Économique, sociale, identitaire ou politique, les crises s'additionnent depuis le krach de 2008, comme au temps de la Grande Dépression de 1929.
Extrait de «Les années 30 sont de retour - Petite leçon d'histoire pour comprendre les crises du présent», de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut (Flammarion - 15 octobre 2014).
Le reniement « social-libéral » de François Hollande vaut-il vraiment la « pause » de Léon Blum ? Poutine phagocytant l’Ukraine rejoue-t-il Hitler avalant les Sudètes ? L’antisémitisme de la génération Soral-Dieudonné illustre-t-il la résurgence des haines d’un Céline ? Le danger Le Pen fait-il écho au péril nationaliste d’hier ? Telles sont quelques-unes des questions de cet ouvrage, fruit de la rencontre entre deux historiens et deux journalistes, qui se livrent à un incessant aller-retour entre passé et présent. L’Histoire n’est pas un éternel recommencement, mais ces années 30, si proches et si lointaines, si terribles et pourtant fondatrices, éclairent bien étrangement les crises du temps présent…
Extrait de Les années 30 sont de retour, de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut (Flammarion - 15 octobre 2014).
« Nous défendrons les intérêts des Russes vivant à l’étranger […]. Nous insisterons pour que, dans les pays où vivent nos compatriotes, leurs droits et libertés soient pleinement respectés. » Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a été très clair le 21 mars 2014 : après avoir annexé la Crimée « ukrainienne », la Russie continuera de défendre ceux qu’elle considère comme les siens. Son peuple, son territoire, sa culture. La Russie « éternelle ».
Face à la situation actuelle en Ukraine, les opinions publiques occidentales s’inquiètent, hantées par ces années 30. Face aux dictatures, les démocraties avaient alors failli, faisant preuve de faiblesse et d’hésitations coupables, incapables de réagir aux agressions de la dictature hitlérienne, ou de l’Italie mussolinienne en Albanie et en Éthiopie, mais aussi de freiner les revendications « coloniales » allemandes et italiennes au Cameroun, en Tunisie, en Corse, en Savoie, sur Nice, en Namibie ou au Togo. Pour autant, comparer les ambitions du président russe Vladimir Poutine à celles d’Adolf Hitler, est-ce bien raisonnable ?
Le contexte est si différent, la mondialisation des rapports de force telle, que ce parallèle peut apparaître erroné, voire indécent. Certes… Mais, la posture de Vladimir Poutine n’est-elle pas similaire sur au moins un point : s’appuyer sur des enjeux d’unité culturelle et historique, avancer ses pions dans un contexte de crises internationales (Syrie, Palestine, Irak, Libye, Égypte…) et étendre pas à pas son « espace vital » (en Tchétchénie, en Géorgie, en Moldavie, et maintenant en Ukraine) en bénéficiant de l’aura des Jeux olympiques de Sotchi organisés début 2014.
Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble n’a pas hésité à dresser ce parallèle pendant la crise récente, à travers une « petite phrase », ce qui n’a pas manqué de créer un incident diplomatique entre l’Allemagne et la Russie. Cette dernière, furieuse, a convoqué l’ambassadeur allemand à Moscou, obligeant la chancelière Angela Merkel à prendre quelques distances avec son ministre. « Ce qui se passe en Ukraine est une répétition de l’histoire » : tel est l’avis émis dès le 3 mars 2014 par l’ancien ministre des Affaires étrangères tchèque (2007-2010), figure de la droite proeuropéenne de son pays, Karel Schwarzenberg, ajoutant encore : « Poutine agit selon le même principe qu’Adolf Hitler […]. Comme il voulait envahir la Crimée, il avait besoin d’un prétexte, et a expliqué que ses compatriotes étaient opprimés. Quand Hitler voulait annexer l’Autriche, il a expliqué que les Allemands y étaient opprimés. » Dans le même sens, l’ancienne secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, n’a pas été moins claire : « Si cela vous semble familier, c’est qu’Hitler l’a fait dans les années 30. » Un peu plus tard, en mai, alors qu’il est en déplacement au Canada, le prince Charles établit lui aussi cette comparaison lors d’une conversation privée, selon le Daily Mail. En quelques semaines, le parallèle s’impose à l’esprit de beaucoup.
En Ukraine même, les figures politiques de premier plan ont lancé l’antienne un peu plus tôt : mi-mars, l’égérie de la « Révolution orange » en 2004 et ancienne Premier ministre de l’Ukraine, Ioulia Tymochenko, avait osé la comparaison, en affirmant qu’elle n’avait plus entendu de discours comme celui prononcé par Poutine le 18 mars 2014 sur l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie (« La Crimée a toujours été et restera une partie indissociable de la Russie ») « depuis 1938 ». La candidate malheureuse à l’élection présidentielle de juin 2014 se fit encore plus claire : « redessiner les cartes du monde par les guerres, les crimes de masse et le sang sont son Mein Kampf à lui ». À son tour, le président ukrainien par intérim Oleksandr Tourtchynov affirma : « Les autorités russes ont lancé aujourd’hui un sale jeu pour annexer la Crimée. C’est avec l’annexion de territoires d’autres États par l’Allemagne nazie qu’a commencé la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, Poutine suit l’exemple des fascistes du XXe siècle. »
Claude Askolovitch est journaliste à iTélé. Pascal Blanchard est historien, chercheur au Laboratoire communication et politique (CNRS), spécialiste de la colonisation et de l'immigration. Renaud Dély est journaliste au Nouvel Observateur. Historien, chercheur au laboratoire URMIS (migrations et société), Yvan Gastaut enseigne à l'université de Nice.