Nuit et Brouillard est un film documentaire réalisé par Alain Resnais, à l'initiative d'Henri Michel, et sorti en 1955. Il
traite de la déportation et des camps d'extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale, en
application des dispositions dites « Nuit et brouillard » (décret du 7 décembre 1941). Nuit et Brouilard est une commande du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, un organisme
gouvernemental fondé en 1951, dont la fonction était de rassembler de la documentation et de poursuivre des recherches historiques sur la période de l'occupation de la France en 1940-1945, et
dont Henri Michel était le secrétaire général.
D'une durée de trente-deux minutes, le film est un mélange d'archives en noir et blanc et d'images tournées en couleur. Le texte, écrit par Jean Cayrol, est dit par Michel Bouquet. Le film tire
son titre du nom donné aux déportés aux camps de concentration par les nazis, les NN (Nacht und Nebel, du nom du décret éponyme du 7 décembre 1941), qui semblaient ainsi vouloir jeter l'oubli sur
leur sort.
Réalisé en 1955, dix ans après la fin des hostilités, ce qui assure un certain recul, le film est le premier à poser un jalon contre une éventuelle avancée du négationnisme, ainsi qu'un
avertissement sur les risques que présenterait une banalisation, voire le retour en Europe, de l'antisémitisme, du racisme ou encore du totalitarisme. Il reste difficile d'imaginer aujourd'hui la
force du film à sa sortie, en 1956, en pleine guerre froide. Travail de documentation serein, calme et déterminé, ce film montre tour à tour comment les lieux des camps de concentration ainsi que
le travail d'extermination pouvaient avoir une allure ordinaire, comment cette extermination était organisée de façon rationnelle et sans état d'âme, « technique » en un mot, et comment l'état
dans lequel ont été conservés les lieux est loin d'indiquer ce qui jadis s'y perpétrait.
Les images sont accompagnées de la lecture d'un texte de l'écrivain français Jean Cayrol, résistant français déporté dans le KZ Mauthausen en 1943. Son monologue poétique rappelle le monde de
tous les jours des camps de concentration, la torture, l'humiliation, la terreur, l'extermination. Dans la version allemande, la traduction allemande, de Paul Celan, diffère parfois de l'original
pour des raisons poétiques : elle est restée longtemps le seul texte imprimé en allemand, le texte original de Cayrol a été imprimé en allemand seulement en 1997.
La musique du film a été écrite par le compositeur germano-autrichien politiquement engagé Hanns Eisler. Le 31 janvier 1956, le film remporte le Prix Jean-Vigo. Le film est traditionnellement
présenté aux classes de troisième, en France, pour illustrer le chapitre sur la Seconde Guerre mondiale et le nazisme. Le film est également connu pour avoir dû faire face à la censure française
qui cherche à estomper les responsabilités de l'État français en matière de déportation. En 1956, la commission de censure exige en effet que soit supprimée du film une photographie d'archives
sur laquelle on peut voir un gendarme français surveiller le camp de Pithiviers. Les auteurs et producteurs du film refusent mais sont tout de même contraints de masquer la présence française, en
l'occurrence en couvrant le képi du gendarme, signe distinctif principal, par un recadrage de la photographie et une fausse poutre. Cet artifice a depuis été ôté et l'image a retrouvé son
intégrité.
Les autorités allemandes demandent également le retrait de la sélection officielle du festival de Cannes 1956 sous prétexte d'une réconciliation franco-allemande. Cette forme de dénégation
provoque en retour de nombreuses protestations en Allemagne. Des critiques ont pu être faites à ce film qui distingue mal « camps de concentration » et « camps d'extermination ». À cet égard, il
est conforme à la vision de la déportation — essentiellement politique et résistante — qu'on a dans les années 1950-1960. Ainsi, le mot « juif » n'est prononcé qu'une seule fois dans tout le
commentaire : dans une liste de victimes de l'extermination, « Stern, étudiant juif d'Amsterdam » est évoqué ; mais les autres victimes, dans cette liste, comme cette « Annette, lycéenne de
Bordeaux », ne se voient pas reconnaître leur statut de Juif. Le désir de l'auteur est de fondre les victimes dans un grand ensemble, sans insister sur la spécificité de la Shoah, qui sera
dominante après les années 1970.
Cependant, le commentaire de Jean Cayrol et les images d'Alain Resnais gardent aujourd'hui une grande force. Ainsi, les dernières paroles du film, sur un travelling arrière des chambres à gaz
dynamitées :
- « Neuf millions de morts hantent ce paysage.
- Qui de nous veille de cet étrange observatoire, pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? Quelque part parmi nous il reste des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus …
- Il y a tous ceux qui n’y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.
- Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »
Le négationniste Robert Faurisson a exploité, en en déformant le propos, la séquence finale du film dans laquelle apparaît une image du camp d'extermination d'Auschwitz Birkenau tandis que le
commentaire énonce que « neuf millions de morts hantent ce paysage ». Dans des écrits répétés depuis les années 1990, Robert Faurisson prétend en effet que le documentaire affirmerait ainsi
qu'Auschwitz seul aurait fait 9 millions de victimes : or ce nombre correspondait dans le documentaire à une estimation de l'ensemble des victimes du système concentrationnaire, c'est-à-dire
l'objet du Nuit et Brouillard que symbolise l'image de Birkenau. Cette estimation par ailleurs excessive correspondait à l'état limité des recherches sur le sujet au milieu des années 1950. Selon
l'analyse de Gilles Karmasyn, qui souligne qu'aucun historien n'a jamais avancé un tel chiffre concernant Auschwitz, « il s’agit pour Faurisson de gonfler l’estimation maximale du nombre de morts
d’Auschwitz afin de montrer à quel point on aurait avancé des évaluations grotesques, les derniers textes de Faurisson attribuant plus ou moins explicitement cette estimation aux historiens. Il
s’agit de les décrédibiliser et de prétendre qu’ils ne travaillent pas sérieusement (sous-entendu : « contrairement aux “révisionnistes” »). Cette falsification a été également reproduite par
Roger Garaudy. Pour Ewout Van Der Knaap, auteur d'une étude sur l'accueil international réservé à Nuit et Brouillard, « Cet argument fallacieux a prouvé au contraire la célébrité et la force de
Nuit et Brouillard, qui peut fonctionner à la fois comme un point de repère de la mémoire et comme un totem à abattre. »
Fiche
technique
- Titre : Nuit et Brouillard
- Réalisation : Alain Resnais
- Assistante réalisateur : Anne Sarraute
- Scénario : Jean Cayrol
- Photo : Ghislain Cloquet - Sacha Vierny
- Musique : Hanns Eisler
- Producteur : Anatole Dauman
- Voix-off : Michel Bouquet
- Pays d’origine : France
- Langue : français
- Genre : documentaire
- Durée : 32 minutes
- Date de sortie : 1956
Distribution
- Michel Bouquet le narrateur (voix) (non crédité)
- Reinhard Heydrich lui-même (derrière Hitler) (non crédité) (images d'archives)
- Heinrich Himmler lui-même (avec Hitler) (non crédité) (images d'archives)
- Adolf Hitler lui-même (vue de la parade) (non crédité) (images d'archives)
- Julius Streicher lui-même (discours) (non crédité) (images d'archives)