La tension monte Jean-Marie Le Pen et sa fille suite aux propos du président d’honneur du FN sur la “fournée d’artistes”. Interrogé par “Les Inrocks”, le président d’honneur du FN dit avoir été “poignardé dans le dos”. Le parti serait-il sur le point d’imploser ?
“La fin du FN à papa”. Le titre s’étale en une du Parisien de ce mardi 10 juin. Jamais Marine Le Pen n’avait désavoué publiquement son père, c’est désormais chose faite. La présidente du FN a qualifié de “faute politique”, les propos polémiques tenus par son père sur Patrick Bruel. A Montretout, sur la colline de Saint-Cloud, Jean-Marie Le Pen tire la tête des mauvais jours. “La fin du FN à papa, ça serait le fin du FN tout court”, s’agace le président d’honneur du FN.
L’affaire remonte à vendredi dernier. Sur son traditionnel journal de bord vidéo, le président d’honneur du FN s’est laissé aller à une nouvelle provocation à connotation antisémite. Il s’en est pris à plusieurs artistes qui avaient pris position contre le FN : Guy Bedos, Madonna et Yannick Noah. Avant que Marie d’Herbais (une militante qui fait office d’intervieweuse – ndlr) n’évoque le chanteur Patrick Bruel, qui est juif. “On fera une fournée la prochaine fois”, lui répond alors Jean-Marie Le Pen. En 1995, il avait déjà attaqué le chanteur sur ses origines.
SOS Racisme a dénoncé ces propos relevant selon l’association “du plus crasse logiciel antisémite et non du simple dérapage” tandis que le Mrap a déclaré que cette sortie témoignait de “l’adhésion idéologique” de la direction du parti “aux thèses racistes distillées à longueur d’idées et/ou de jeux de mots par Jean-Marie Le Pen”.
Fin du journal de bord vidéo de Jean-Marie Le Pen
En conséquence, Marine Le Pen a décidé que le site du FN n’hébergerait plus le Journal de bord vidéo incriminé. Depuis plusieurs années, Marine Le Pen multiplie les efforts pour limiter la visibilité médiatique de son père mais il continuait à disposer sur le site du FN d’un créneau d’expression libre chaque vendredi où il commentait l’actualité de la semaine avec des bons mots et des blagues polémiques. “Cela fait des années que Marine Le Pen cherche à supprimer ce journal de bord compte tenu des dérapages récurrents de son père, elle a saisi la balle au bond”, commente un cadre du mouvement.
Furieux de voir sa fille le désavouer publiquement, Jean-Marie Le Pen a violemment réagi :
“Ma fille m’a poignardé dans le dos. C’est elle qui a créé le problème. Si elle ne s’était pas exprimée, la polémique n’aurait pas duré plus de 6 heures (…). Je n’ai pas l’intention de changer à 85 ans. Si je les emmerde, ils n’ont qu’à me tuer. Je ne me suiciderai pas. Je préfère vous prévenir, s’il m’arrivait un accident prochainement, ça ne sera pas de mon fait.”
Le président d’honneur du FN affirme qu’il n’a pas encore eu d’explications avec sa fille :
“Elle ne m’a pas fait l’honneur de m’appeler, non. Je pense qu’elle a honte car elle sait qu’elle a accrédité le procès d’intention établi par des adversaires du Front national (…) Elle sait que j’ai le sens du devoir et que je hais la trahison.”
En 2005, Marine Le Pen avait menacé d’abandonner la politique…
Ce n’est pas la première fois que Marine Le Pen et son père se prennent le bec. En 2005, suite à des propos off de Jean-Marie Le Pen publiés dans l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol où il déclarait que ”l’occupation allemande n’avait pas été aussi inhumaine”, Marine Le Pen avait menacé de démissionner de son poste de vice-présidente.
“Je crois qu’en son for intérieur, elle a envisagé d’arrêter la politique”, nous confiait l’un de ses amis. Furieuse, elle ne délaissera finalement que temporairement sa fonction, mais s’exile sur le champ dans la maison familiale de La Trinité-sur-Mer pour faire le point. C’est Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du mouvement et amie de Marine Le Pen qui avait permis la reconciliation entre la père et sa fille. Lors d’un dîner avec Le Pen dans un restaurant italien du XVIIe arrondissement, elle avait raisonné le vieux chef.
“Mais qu’est- ce qu’elle a, Marine ? Je ne comprends pas”, confiait alors Le Pen, gêné. “Tu le fais exprès ?”, lui rétorque Arnautu. Tu n’as pas vu tout ce qu’elle donnait pour normaliser le parti ?”. “Mais je ne l’ai pas fait contre elle !”, proteste alors Le Pen. “Comment veux- tu qu’elle ne le prenne pas contre elle ?”, lui rétorque alors Arnautu.
En 2011, Le Pen prend la défense des radicaux face à Marine Le Pen
Au mois d’avril 2011, Alexandre Gabriac passe devant la commission de discipline du parti, une structure interne chargée de statuer sur les sanctions. Ce conseiller régional de Rhône-Alpes, âgé de 20 ans, se voit reprocher “la revendication de l’idéologie nationale-socialiste et l’appartenance à l’Œuvre française”. Le mois précédent, en pleines élections cantonales, la presse a en effet diffusé une photo où il effectuait le salut nazi devant un drapeau à croix gammée.
Toutefois, lorsque Gabriac passe devant la commission, le 19 avril 2011, Marine Le Pen est en vacances en Thaïlande. Au sein de l’institution, la voix dominante est donc celle du président d’honneur du parti, Jean-Marie Le Pen, qui prone l’indulgence. “C’était une foucade de jeunesse, ça ne vaut pas plus qu’un blâme”, estime le président d’honneur du mouvement.
En l’absence de Marine Le Pen, cette opinion prévaut, et Gabriac conserve sa carte d’adhérent. Lorsqu’elle apprend la nouvelle par SMS, à plusieurs milliers de kilomètres de Nanterre, la présidente du FN est furieuse. Depuis son hôtel, elle prépare un communiqué à l’AFP, annonçant son intention de passer outre la décision de la commission, comme le lui permettent les statuts du parti. Gabriac est exclu. Jean-Marie Le Pen s’agace mais finit par accepter la décision…
Le Pen, dernier obstacle à la dédiabolisation
Au sein du premier cercle de Marine Le Pen, tout le monde est convaincu que Jean-Marie Le Pen est le dernier obstacle à la stratégie de dédiabolisation opérée par le Front national. En politique, la présidente du FN le sait, il faut savoir tuer le père mais c’est beaucoup plus difficile quand il s’agit de votre propre géniteur. Pour s’émanciper de la tutelle de son père lors de la campagne présidentielle, la présidente du FN avait délocalisé son siège de campagne boulevard Malesherbes à Paris plutôt qu’à Nanterre.
En désavouant publiquement son père, Marine Le Pen sait qu’elle a franchi le rubicon. Statutairement, Jean-Marie Le Pen demeure incontournable au sein du FN. Son rang de président d’honneur du Front national lui donne le droit de siéger dans toutes les instances du mouvement, bureau exécutif compris. Marine Le Pen pourrait donc être tentée de modifier le prochain organigramme du mouvement lors du futur congrès, le XVe, qui aura lieu dans cinq mois, les 29 et 30 novembre 2014, à Lyon.
Surnommé “Le Menhir”, son père ne s’est jamais excusé après aucun dérapage. En 1998 lorsque sa fille Marie-Caroline avait pris parti contre lui en rejoignant Bruno Mégret, Jean-Marie Le Pen avait rompu du jour au lendemain avec elle. Aujourd’hui au cours de la conversation que nous avons eue avec lui, le président d’honneur du FN a lâché “Tu quoque filia mea”. La dernière fois que Jean-Marie Le Pen avait fait une analogie avec César poignardé par son fils adoptif Brutus, c’était en 1998. Juste avant l’explosion du parti…