L'opération Overlord a commencé. D'abord incrédules, les nazis s'organisent et réagissent ! Les combats les plus meurtriers battent leur plein...
À 4 heures du matin, les soldats au large des côtes normandes montent dans les barges de débarquement.
Avril 1944. "La guerre sera gagnée ou perdue sur ces plages. Les vingt-quatre premières heures de l'invasion seront décisives. Pour les alliés comme pour nous, ce sera le jour le plus long", écrit le maréchal Erwinn Rommel, commandant des forces du mur de l'Atlantique, à sa femme.
6 juin 1944. Ce jour est arrivé. Un peu après minuit, l'opération Neptune, la phase d'assaut d'Overlord, est lancée. Elle engage plus de 156 000 hommes. Des ports d'Angleterre convergent plusieurs convois rassemblant près de 7 000 navires. À leur bord, l'infanterie mais aussi les chars, les véhicules, les engins amphibies... À leurs côtés, 137 navires de guerre qui bombarderont pour leur ouvrir le passage. En face 150 000 Allemands de la 7e armée stationnés en Normandie, dont environ 50 000 dans la zone de débarquement. À proximité des plages, une seule division blindée et six divisions d'infanterie.
L'opération d'intoxication Fortitude a fonctionné, les Allemands ne croient pas que le débarquement principal aura lieu ce jour-là, en Normandie... Le jour le plus long peut commencer.
La météo, alliée clé du D Day
Au printemps 1944, l'imminence d'un débarquement dans le nord de la France n'est plus un secret pour personne. Quand aura-t-il lieu ? Les Allemands en sont convaincus : les Alliés ont besoin d'au moins six jours d'une météo clémente. Or, en ce début de mois de juin, le temps est exécrable. Sur conseil de son chef prévisionniste James Stagg, le général Eisenhower décide d'un premier report du 5 au 6 juin. Une accalmie, dans l'après-midi du 5, devrait permettre de lancer Overlord le lendemain à l'aube. Risqué. Mais manquer cette fenêtre de tir aurait reporté le débarquement de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. La brume, le vent, la houle compliquent les opérations. Au moins ont-ils le mérite de tromper les Allemands : lorsque l'armada alliée prend la direction de la Normandie, la Kriegsmarine a suspendu ses patrouilles devant les côtes et les plus grands chefs de la Wehrmacht ont quitté leur poste.
0 h 5. Au milieu de la Manche, les convois se scindent en cinq flottes distinctes, une par plage de débarquement. L'Ouest (Utah et Omaha) pour les Américains, l'Est (Gold, Juno et Sword) pour les Britanniques et les Canadiens.
0 h 7.
Des parachutistes américains et britanniques sautent en éclaireurs afin de baliser la zone d'atterrissage des divisions aéroportées qui doivent sécuriser chaque flanc de la zone de débarquement. La 6e division aéroportée britannique est chargée de l'est de l'Orne (flanc gauche), la 101e division aéroportée américaine (US Airbone) doit soutenir les débarquements à Utah Beach et la 82e US Airbone assurer la protection du flanc ouest d'Utah Beach.
Le capitaine Franck Lillyman, chef des pathfinders (les éclaireurs) de la 101e division aéroportée américaine, est le premier soldat américain à poser le pied en Normandie.
0 h 10. Des centaines de faux parachutistes, les mannequins "Rupert", sont largués près de Saint-Lô, Yvetot, ainsi qu'au sud de Caen et à l'est de la Dives pour désorienter les forces allemandes. De petites équipes d'hommes les accompagnent, chargées de déclencher au sol des bruits de tirs de mortiers afin d'augmenter la confusion.
REGARDEZ - Les forces en présence, les lignes de front et les zones de défense sur la côte normande le 6 juin 1944 :
Le planeur britannique Horsa n° 91, piloté par Jim Wallwork, arrive en trombe (150 km/h) sur une rangée de barbelés protégeant les défenses allemandes du pont de Bénouville sur le canal de Caen à la mer. Deux autres suivent. Le fracas "épouvantable", aux dires des Britanniques, n'attirera pas les Allemands.
Au même moment, trois autres planeurs britanniques se posent près du pont de Ranville, sur l'Orne. À bord de ces six planeurs de la 6e division aéroportée britannique, 124 hommes d'élite surchargés d'armes et de matériel. Ils vont accomplir l'une des missions les plus périlleuses et les plus essentielles du jour J : prendre le contrôle des deux ponts pour empêcher l'accès aux plages des troupes allemandes, s'emparer ensuite de la batterie de Merville, menace potentielle pour la plage de débarquement Sword et, enfin, détruire cinq ponts situés à l'est de l'Orne pour désorganiser les Allemands et empêcher une importante contre-attaque depuis cette région.
0 h 21. La bataille est courte, mais violente. Le D Day fait ses premiers morts britanniques : le lieutenant Danny Brotheridge, 29 ans, tué d'une balle dans le cou, et David Wood, resté coincé dans la carcasse du second planeur et qui meurt noyé dans l'étang.
0 h 26. Les deux ponts sont pris. Le major Howard (à la tête de la 6e division aéroportée) envoie par radio ce message : "Ham and Jam", soit "jambon et confiture". Il s'agit du code pour signaler la capture du pont de Bénouville (Ham) et de Ranville (Jam). Howard siffle un V de la victoire.
Les soldats entrent dans le café Gondrée, à deux pas du pont de Bénouville, qui sera renommé après la guerre "Pegasus Bridge" en référence à l'emblème des forces aéroportées britanniques. Elle est la première maison à être officiellement libérée.
À la même heure, le général Erich Marcks, chef de la 7e armée allemande postée dans le secteur, fête son anniversaire à Saint-Lô. Le général Feuchtinger, commandant de l'unique division blindée présente dans le Calvados, a, lui, rejoint sa maîtresse à Paris.
Mais où sont les Allemands ?
La réussite du débarquement allié tient aussi au fait que les Allemands ne croyaient pas en une opération d'envergure le 6 juin, notamment pour des raisons météorologiques. Alors, ce jour-là, les chefs de guerre allemands sont occupés ailleurs ! Le maréchal Rommel est en Allemagne pour l'anniversaire de son épouse ; le général Erich Marcks, chef de la 7e armée allemande postée dans le secteur, fête son anniversaire à Saint-Lô ; Feuchtinger, commandant de l'unique division blindée présente dans le Calvados, est avec sa maîtresse à Paris... Plus savoureux, tous les commandants de division sont en route pour Rennes pour un Kriegspiel (littéralement "jeu de guerre") au cours duquel il est prévu qu'ils s'entraînent à contre-attaquer un débarquement aérien.
0 h 30.
Les parachutistes français de la brigade SAS (Special Air Force, créée quelques mois auparavant) sautent au-dessus de la Bretagne. Ils doivent empêcher les troupes allemandes présentes là-bas de rejoindre la Normandie. Ils s'appuieront sur la résistance locale pour mener une guérilla et des sabotages contre les Allemands.
00 h 34.
Après avoir été prévenus par une station d'écoute de la Luftwaffe que des bombardiers de l'US Air Force se livrent à des missions dites "de météo" (vols Mercury) au-dessus de la Manche, des chasseurs de nuit allemands décollent, patrouillent le secteur indiqué... avant de rentrer, bredouilles.
0 h 40.
Blessé au combat, le caporal Émile Bouétard de la brigade SAS est achevé par un supplétif ukrainien ou géorgien de l'armée allemande, à Plumelec.
0 h 45.
L'alerte commence à courir côté allemand : "Sie Kommen ! Ils arrivent !"
0 h 50.
Pour les paras américains chargés de sécuriser le flanc ouest de la zone de débarquement et notamment de prendre Sainte-Mère-Église, le largage s'est avéré plus difficile, voire catastrophique. Les mauvaises conditions climatiques perturbent les aviateurs. Les soldats se retrouvent au sol, dispersés, désorientés. Certains, largués dans des marais, se noient sous le poids de leur équipement.
"Arrivé au sol, je me suis retrouvé désespérément seul et j'ai eu l'impression d'avoir à marcher et à ramper dans le marais pendant une éternité avant de rencontrer âme qui vive, raconte Albert Webb, 22 ans, originaire de Brooklyn. Ça te donne le sentiment d'une effroyable solitude, d'être tout seul, perdu, derrière les lignes allemandes." L'état-major l'avait prévu : ces hommes, des volontaires souvent très jeunes et inexpérimentés, vont au sacrifice.
1 h 5.
À Saint-Lô, le général Marcks s'apprête à se coucher lorsqu'on lui signale, par téléphone, que des parachutistes ennemis se sont posés à l'ouest de l'Orne.
Au même moment, en mer, un petit-déjeuner est servi aux troupes d'assaut. Sur le Samuel Chase, qui transporte les unités de la 1re division d'infanterie américaine, les hommes mangent "steaks, porc, poulet, glaces et friandises" autant qu'ils peuvent. Côté anglais, c'est "sandwich au corned-beef et une goutte de rhum d'une grande jarre en terre". Partout, ceux qui restent en mer n'hésitent pas à offrir leur ration à ceux qui vont débarquer.
1 h 15.
Dans le parc de Southwick House (Portsmouth, Angleterre) où se trouve l'état-major du Shaef (Supreme Headquarter Allied Expeditionary Force), le général Eisenhower rejoint sa caravane, cachée par des filets de camouflage. Là, il rédige un texte pour le cas où Overlord échouerait. "J'ai ordonné le repli de nos troupes (...). Si l'on cherche un responsable ou un fautif, c'est moi seul."
1 h 50.
À Paris, l'amiral Karl Hoffmann convoque les différents états-majors suite à l'accumulation de rapports inquiétants et envoie en Allemagne ce message : "Signalez au quartier général du Führer que c'est l'invasion."
2 h 15.
Le général Marcks réveille Hans Speidel, le second de Rommel, absent, puis le maréchal von Rundstedt à qui, deux ans plus tôt, Hitler a confié le haut commandement Ouest et dont le PC est à Saint-Germain-en-Laye. "Il s'agit d'une affaire locale, aurait conclu Speidel, une action de soutien à la Résistance."
2 h 30.
Les premiers navires de la force U américaine, chargée de débarquer sur Utah Beach, jettent l'ancre à 18 kilomètres de la plage.
2 h 40.
Le maréchal von Rundstedt signale par radio à la 7e armée allemande qu'il ne croit pas en un débarquement de grande envergure.
2 h 50.
Les navires américains de la force O jettent l'ancre à 23 kilomètres d'Omaha Beach.
3 heures.
Au Berghof, sa résidence secondaire dans les Alpes bavaroises, Hitler va se coucher sans avoir été informé de la situation, après avoir passé la soirée en compagnie d'Eva Braun... et de Wagner.
3 h 5.
L'attaque aérienne commence sur les batteries côtières d'Omaha et Utah Beach, puis sur Sword, Gold et Juno Beach. 500 tonnes de bombes sont larguées.
4 heures.
Ranville est conquise par les Britanniques.
Parallèlement, les Américains hissent la bannière étoilée au fronton de la mairie de Sainte-Mère-Église. Sur la flèche du toit de l'église de la commune, on peut voir le soldat John Steele, 32 ans, de la 82e division aéroportée. Le parachute du soldat, qui a reçu une balle dans le pied au moment où il est arrivé sur la ville, est resté accroché. Steele fait le mort avant d'être fait prisonnier, puis de parvenir à s'évader. Des années plus tard, cette anecdote - immortalisée par Le Jour le plus long - prêtera à polémique, certains témoins assurant n'avoir jamais vu de para à cet endroit.
4 h 5.
En mer, des appels résonnent. Dans une nuit noire et glacée, sur une mer agitée, les premiers soldats américains à destination d'Utah et Omaha montent sur les barges de débarquement. Déjà, les soldats sont trempés jusqu'aux os et, pour beaucoup, malades. Les embarcations à fond plat tanguent et roulent dans des creux de presque deux mètres. À l'état de la mer s'ajoute l'odeur. Celle des moteurs mais aussi des uniformes, imprégnés d'un produit chimique censé neutraliser les effets toxiques. Les effets du mal de mer n'ont rien d'anecdotique puisqu'ils épuisent les hommes avant leur arrivée sur la plage.
4 h 30.
Les forces britanniques du lieutenant-colonel Otway (6e division aéroportée britannique) attaquent la batterie de Merville. En dépit d'un entraînement très poussé en Angleterre sur une réplique exacte de la batterie, l'assaut est particulièrement meurtrier. La batterie, qui figurait parmi les objectifs prioritaires du débarquement, n'abritait en réalité que de vieilles pièces tchèques que les Britanniques vont néanmoins saboter.
Par prudence, von Rundstedt, qui a demandé que l'on alerte Hitler et son quartier général, met en route vers les côtes du Calvados la 12e Panzer SS Hitlerjugend, étalée entre Paris et Caen, ainsi que la Panzer Lehr, basée entre Orléans et la côte. Il envoie en outre une demi-division d'infanterie traquer les parachutistes.
5 heures.
Le croiseur HMS Glasgow et le cuirassé USS Texas jettent l'ancre afin de préparer l'assaut des rangers sur la pointe du Hoc, un éperon rocheux où se trouve une batterie allemande de six pièces de 155 mm, des canons dont la portée de 20 kilomètres menace à la fois Omaha et Utah.
5 h 10. Depuis la mer, les tirs alliés commencent à Gold Beach, notamment sur la batterie de Longues-sur-Mer et sur Vaux-sur-Aure.
5 h 20. La garnison allemande de la pointe du Hoc signale la présence de vingt-neuf navires, dont quatre gros bâtiments.
5 h 30.
Les navires de Juno Beach jettent l'ancre.
5 h 36. Les cuirassés, les croiseurs et destroyers pilonnent sans relâche les différents points d'appui côtiers et les batteries allemandes à Utah Beach, Sword Beach et Omaha Beach. Les conditions météorologiques compliquent les tirs.
5 h 37. Le 726e régiment de grenadiers allemands rapporte : "Au large de (Gold Beach), de nombreux navires, la proue vers la côte, sont en train de débarquer. Les unités navales commencent à ouvrir le feu par le travers des plages."
5 h 45. Bombardement naval de Ouistreham.
5 h 52. Le régiment d'artillerie de la 352e division d'infanterie allemande signale : "60 à 80 bateaux rapides de débarquement s'approchent de Colleville (Omaha Beach)."
6 heures. Le soleil se lève dans un ciel couvert.
6 h 30.
Omaha Beach, la première vague de soldats, 1 450 au total, débarque. Rien ne se passe comme prévu : le débarquement devait avoir lieu à mi-marée montante, mais la mer s'est retirée de 250 mètres, autant de distance que les soldats doivent parcourir à découvert ; la mer démontée a fait sombrer 27 des 32 chars amphibies qui devaient appuyer les soldats et la défense allemande, à peine touchée par les bombardements qui ont souvent manqué leurs objectifs, a été renforcée. À cela s'ajoute le poids du matériel. La charge excessive des soldats de la première vague devait se révéler fatale pour beaucoup d'entre eux. "Quand la rampe s'est abaissée, notre barge a été directement mitraillée", rapporte un soldat du 16e régiment.
La "boucherie" commence, selon les mots du caporal Franz Gockel, 18 ans, qui fait partie de la 352e division d'infanterie allemande, positionnée là depuis des jours sans que les services de renseignements alliés en aient eu connaissance. Les Allemands laissent les Américains sortir des barges, s'empêtrer dans leur barda et puis : "On tir(e) sur tout ce qui boug(e). La plage est bientôt couverte de corps de soldats américains." De toutes parts, on entend le même cri : "Je suis touché !" Déjà, Omaha est "Omaha la sanglante".
À Utah Beach, la première vague de débarquement se déroule dans de meilleures conditions. 28 chars amphibies gagnent le rivage et attaquent les points fortifiés allemands. Le destroyer USS Corry heurte une mine. Il est bombardé simultanément par la batterie de Crisbecq et finit par couler, une heure plus tard. 22 marines meurent.
On réveille le porte-parole du Führer, le général Jodl, qui ordonne que les divisions déplacées par von Rundstedt gardent leur position jusqu'à nouvel ordre de Hitler : 40 000 hommes, 500 chars lourds et 100 canons d'assaut vont ainsi rester bloqués, inutiles.
6 h 35.
Radio Berlin est la première radio à annoncer le débarquement, aussitôt reprise par les agences de presse. Au même moment, à Omaha, les défenses côtières allemandes entrent en action.
Sources : Jour J, Le grand atlas du Débarquement, Stephen Badsey, Atlas, 286 pages, 30 euros. D-Day et la bataille de Normandie, Antony Beevor, Calmann-Lévy, 638 pages, 26, 40 euros. Les secrets du jour J, Bob Maloubier, La Boétie, 295 pages, 18, 50 euros. Le Débarquement pour les Nuls, Claude Quétel, First Éditions, 380 pages, 22, 95 euros. Opérations aéroportées du Débarquement, Benoit Rondeau, Editions Ouest-France, 144 pages, 18, 50 euros. "Invasion !", le Débarquement vécu par les Allemands, Benoît Rondeau, Tallandier, 440 pages, 23, 90 euros. Chronographie du Débarquement et de la bataille de Normandie, Stéphane Simonnet, Editions Ouest-France, 14, 90 euros.