Vladimir Poutine ne sera pas le seul dirigeant d'une ancienne république de l'Union soviétique le 6 juin sur les plages de Normandie. Après des semaines de revendications de la part de la communauté ukrainienne et alors que le conflit se poursuit dans l'est du pays, François Hollande a finalement décidé d'inviter le président ukrainien nouvellement élu, Petro Porochenko, aux commémorations du 70e anniversaire du débarquement en Normandie.
La République d'Ukraine devient ainsi le vingtième pays représenté : l'occasion de souligner l'importance de sa contribution à la guerre, au sein de l'Armée Rouge, mais surtout de permettre des rencontres visant à une sortie de crise en Ukraine.
Initialement, seul Vladimir Poutine avait été choisi par l'Elysée pour représenter les quinze ex-républiques soviétiques. Deux mois après l'annexion de la Crimée par la Russie, les représentants de la communauté ukrainienne en France y voyaient presque un affront : « D'un point de vue diplomatique, c'est choquant que la France n'ait pas pensé à élargir son invitation aux ex-républiques soviétiques », souligne Nathalie Pasternak, présidente du Comité de la communauté ukrainienne en France.
Elle avait d'ailleurs été particulièrement offensée par certains propos du président français, qui a rappelé plusieurs fois « que le peuple russe a donné des millions de vies » lors de la seconde guerre mondiale. Pourquoi ? Parce qu'une telle déclaration revient à faire de l'armée russe la seule héritière de l'Armée rouge, au détriment des autres républiques de l'Union. Les Ukrainiens soulignent qu'en proportion de la population, l'Ukraine est, après la Biélorussie, la république qui a subi les plus lourdes pertes : un peu moins de 7 millions de personnes, dont 1,6 million de militaires, soit 16,3 % de la population totale contre 12,7 % pour la Russie.
La présidente du Parlement polonais Ewa Kopacz, François Hollande et le président ukrainien Petro Porochenko, le 4 juin à Varsovie
« Mais le but n'est pas de compter nos morts », poursuit Nathalie Pasternak, qui se défend de vouloir entrer dans une telle concurrence. Seulement, à ses yeux, rien ne justifie que la Russie récolte toute la gloire de l'Union soviétique. « Ne pas inviter l'Ukraine, c'était continuer cet amalgame entre la Russie et l'URSS. »
GESTE DIPLOMATIQUE
L'agacement des Ukrainiens de France aura-t-il fait pencher la balance ? Difficile de l'affirmer. Selon l'Elysée, le président français aurait plutôt profité de la récente élection de Porochenko pour légitimer le nouveau gouvernement. Une décision qui a également l'avantage de permetttre d'établir des discussions, même informelles, entre Vladimir Poutine et Petro Porochenko.
Au-delà des célébrations du 6 juin, l'invitation du président ukrainien a une portée symbolique lourde de sens. Pour Nathalie Pasternak, elle aussi conviée en Normandie, c'est une double victoire. « La France reconnaît enfin la participation des Ukrainiens lors de la seconde guerre mondiale, mais cela va plus loin : elle reconnaît un nouveau président élu majoritairement par le peuple ukrainien, et lui donne une vraie légitimité. Aujourd'hui, Porochenko a sa place sur les plages de Normandie au même titre que les autres chefs d'Etat. »
Celle qui, à l'origine, considérait que Poutine « n'avait pas sa place à ce genre d'événement » voit finalement son invitation d'un bon œil : le 70e anniversaire du Débarquement devrait être la première rencontre informelle entre MM. Poutine et Porochenko. Et si le porte-parole du Kremlin affirme qu”aucune rencontre entre les présidents russe et ukrainien n'est prévue, on peut tout de même s'attendre à des discussions « off », ne serait-ce que le temps du déjeuner, ou lors de la cérémonie à Ouistreham.