L'Ukraine divise les Européens. La démonstration en a été apportée, jeudi 15 mai, lors de la conférence Globsec, à Bratislava. Les premiers ministres des quatre pays membres du groupe de Visegrad (Slovaquie, Hongrie, République Tchèque, Pologne) étaient assis côte à côte face à une assistance obnubilée par la nouvelle politique agressive de la Russie dans sa périphérie. Derrière les politesses et les appels à l'unité européenne, une vraie divergence est apparue entre le Polonais Donald Tusk et le Hongrois Viktor Orban.
On attendait une explication entre les deux hommes ; elle fut polie mais ferme. Quelques jours plus tôt, Viktor Orban avait lancé une grenade au milieu du concert européen, en suggérant que les 200 000 Hongrois vivant en Ukraine pouvaient prétendre à une autonomie. Donald Tusk avait qualifié ces propos de « malvenus et dérangeants ».
A Bratislava, M. Orban s'est contenté de réclamer le respect des droits des minorités. « Les Hongrois vivant en Ukraine définiront eux-mêmes quelles institutions démocratiques ils souhaitent », a-t-il dit. Selon M. Orban, il n'y a pas de « garantie qu'il y aura un gouvernement démocratique » à Kiev, malgré la présidentielle du 25 mai. Selon lui, « on n'a pas seulement un problème russe, mais un problème ukrainien ».
« POLITIQUE AGRESSIVE RUSSE »
Donald Tusk a haussé le ton en réponse. « Le problème n'est pas le nationalisme ukrainien mais la politique agressive russe, souligna-t-il. Je serais très prudent face à des déclarations qui, consciemment ou non, alimentent la propagande russe. » Le dirigeant polonais a mis en garde contre « l'hypocrisie » qui menace les Européens. « Nous voyons que la source de la crise est la politique agressive de la Russie dans cette partie du monde, pas seulement en Ukraine mais en Transnistrie, en Abkhazie et en Ossétie du Sud ; et pourtant on préfère parler des problèmes de l'Ukraine, comme si elle était responsable de la crise, et pas la Russie. »
M. Tusk souhaite une présence « beaucoup plus significative » de l'OTAN en Europe, et en particulier dans les pays frontaliers, cibles potentielles d'une ingérence russe. M. Orban, lui, a mis en garde contre « l'énorme coup porté à la compétitivité européenne » si on abandonnait l'idée d'une coopération avec la Russie. Tandis que M. Tusk évoquait des « achats groupés » de l'UE en matière énergétique, M. Orban a qualifié d'« erreur historique » l'abandon du projet de gazoduc Nabucco, soutenu par l'Union européenne et dont aurait profité l'Europe centrale. Il a ainsi justifié l'engagement de la Hongrie dans le projet russe South Stream.
M. Orban a expliqué que son pays ne pouvait rester dépendant de la situation politique en Ukraine. Incapable de payer ses factures à Moscou avant livraison, Kiev risque de ponctionner le gaz transitant par son territoire et destiné à des clients du centre de l'Europe. D'où la nécessité de trouver des voies alternatives de livraison. Les principes contre les intérêts : un débat ancien.