Micheline Dax – Micheline-Josette-Renée Etevenon de son vrai nom –, qui est morte le 27 avril à Paris, à l'âge de 90 ans, était, comme la plupart des comédiens de sa génération (elle était née le 3 mars 1924 à Paris), une artiste de variété, dans le sens premier et aujourd'hui légèrement galvaudé du terme. Elle savait tout faire : jouer la comédie au théâtre, au cinéma et à la télévision, chanter, doubler des voix de films et de dessins animés, faire la marrante de service dans des jeux télévisés fameux tels L'Académie des neuf ou Le Francophonissime…
La comédienne Micheline Dax, au Théâtre Saint-Georges à Paris dans "Miss Daisy et son chauffeur", en janvier 2004
La jeune fille étudie au Cours Simon et se destine à jouer Bérénice et La Dame aux camélias, ce à quoi sa voix naturellement grave la prédisposait. Mais on ne prit pas une seconde au sérieux cette brune piquante et sexy et il lui fallut, à sa grande tristesse d'alors, dévier ses projets de carrière vers le genre comique et boulevardier, dans lequel elle fit une magnifique carrière populaire, débutée en 1946 dans la troupe des Branquignols, auprès de Colette Brosset et Robert Dhéry.
A partir de 1949, parallèlement à ses activités de théâtre et de cabaret, elle tourne de très nombreux films de cinéma, notamment avec Jacques Becker (Rue de l'Estrapade, 1952), Sacha Guitry (Si Paris nous était conté, 1955), Henri Decoin (Le Pavé de Paris, 1960), Jacques Demy (L'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune, 1972), Tonie Marshall (Pentimento, 1989), ainsi qu'une palanquée de nanars peu mémorables. Ses deux dernières apparitions au grand écran furent, en 2009, dans Bancs publics (Versailles Rive-Droite), de Bruno Podalydès, et La Femme invisible, d'Agathe Teyssier. Elle se produit cependant encore à la télévision, sur M6, dans la mini-série La Pire Semaine de ma vie (2011), de Frédéric Auburtin.
CANTATRICE DE FORMATION
Micheline Dax était également cantatrice de formation. En 1998, rencontrée avant un concert qu'avait organisé pour elle le pianiste Philippe Cassard aux Estivales de Gerberoy, qu'il dirigeait alors avec Eric Slabiak, elle avait confié au Monde : « J'étais soprano léger. Personne ne voulait le croire, avec cette voix grave que j'avais déjà enfant. Mais j'étais réellement un soprano flûté à l'aise dans l'aigu. Dès trois ans, je chantais les opérettes que j'entendais. J'adorais cela. »
Elle travaille avec une chanteuse de l'Opéra de Paris, est recommandée par la chef de chœur Yvonne Gouverné au compositeur Henri Dutilleux, à l'époque en poste à la radiodiffusion nationale : « J'ai passé l'audition, on n'a pas voulu de moi comme artiste lyrique classique mais on m'a reçue à l'unanimité dans la catégorie “folklore” ! Quand je suis passée devant le jury, pour un entretien, après avoir chanté, personne n'a voulu croire que cette voix parlée si grave était bien celle de la chanteuse auditionnée à l'aveugle...»
Elle se fait alors connaître comme interprète d'opérette : « J'ai remplacé au pied levé le rôle-titre de La Grande Duchesse de Gerolstein [de Jacques Offenbach]... On m'a appelée le vendredi et je suis entrée sur scène le lundi soir, sans avoir répété. J'avais tout mémorisé en quelques heures, la mise en scène, la musique, les paroles... Un miracle ! » Elle enregistre en 1967 La Veuve joyeuse de Franz Lehar, mais affronte les préjugés de certains musiciens : « Ils me prenaient alors pour une comédienne, une amuseuse, et ne pensaient pas que j'y arriverais. Mais j'en suis fière de cette Veuve ! »
SIFFLEUSE ET DOUBLEUSE
Micheline Dax revendiquait crânement et sérieusement un autre emploi musical : siffleuse. « Petite, je sifflais déjà. Plus tard, lorsque je travaillais mes morceaux, je les déchiffrais en sifflotant. Je ne devinais pas que j'allais en faire une activité professionnelle ! Pourtant, parmi les musiciens de studio, j'ai été classée dans la catégorie “instrument”. Un jour, Kosma cherchait un siffleur pour Jean Giono, qui réalisait un film [Crésus, 1960]. Il m'a auditionnée et en a eu le sifflet coupé, si je puis dire : il s'est assis et m'a regardée, médusé, pendant tout l'enregistrement de la musique. Je suis toujours heureuse de siffler, surtout quand quelqu'un comme William Sheller m'écrit spécialement une chanson !» [Aria Dax - extrait de l'album Olympiade]
Elle fut aussi une excellente doubleuse. Certains se souviendront de sa vache Azalée dans Le Manège enchanté (1966) mais plus nombreux sont ceux à connaître son inénarrable incarnation de la voix française de Miss Piggy dans la fameuse série du Muppet Show (1977-1981) : « Savez-vous qu'on m'a appelée en me demandant si je voulais doubler une grosse cochonne folle de son corps ? J'ai dit oui tout de suite, pardi ! La poignée de comédiens [Roger Carel, Pierre Tornade, Francis Lax et Gérard Hernandez] se partageait les rôles... Nous doublions une dizaine de voix chacun et réécrivions les textes. Et je ne faisais pas que les voix de femmes ! Ce fut une expérience incroyable... »
DERRIÈRE LA FACONDE
A la fin de sa carrière, Micheline Dax perdit progressivement la vue, ce qui l'empêchait de mémoriser de nouveaux textes. Elle aura pourtant pu se livrer à une expérience inattendue : elle fut l'une des actrices à se succéder, à Paris, en 2005, dans les Monologues du Vagin (1996) d'Eve Ensler.
Sentant derrière cette faconde de rigolotte de service une fêlure qu'elle avait du masquer depuis ses débuts d'actrice comique, son ami Philippe Cassard lui demanda de lire, lors du festival Les Nuits romantiques du lac du Bourget à Aix-Les-Bains, en 2000, Mademoiselle Else (1924), d'Arthur Schnitzler. Le pianiste se souvient : « Arrivée sur scène en sifflant La Veuve joyeuse, pour le plus grand plaisir d'un auditoire non préparé à écouter une lecture devenue au fil des pages de plus en plus poignante – puisque il s'agit du récit d'une jeune fille qui va se suicider dans la honte de s'être livrée d'une manière vénale à un baron libidineux qui sauverait sa famille de la ruine –, Micheline Dax a lu d'une voix sépulcrale ce récit dans un silence glaçant et pétrifié. »
« Elle s'est tellement prise au jeu de ce drame intérieur qu'au baisser de rideau, elle était en larmes, effondrée sur une chaise, me disant entre deux spasmes : “Personne ne m'a jamais demandé de lire ou d'incarner un personnage aussi dramatique. Il a fallu que j'atteigne 75 ans”. » Car celle qui publia son autobiographie sous le titre Je suis gugusse (Plon, 1985) n'était pas que cela.