L’officier d’artillerie Joffre propose en 1875 la création d’un camp pour le 9e régiment d’artillerie. Il dispose de nombreux
atouts : proximité de la route nationale, d’une voie ferrée, de la mer, des Corbières. Mais le terrain, peu cher, manque d’eau. En 1935, quand le projet est repris, un aérodrome s’est en plus
installé à côté. Un centre militaire d’instruction est donc créé, sur 600 hectares à cheval et aux quatre cinquièmes sur la commune de Rivesaltes et au cinquième sur celle de Salses. Il est doté
de bâtiments en fibrociment. Suite à la Retirada, il est envisagé de placer au camp Joffre plus de 15 000 réfugiés catalans. Cela reste à l’état de projet, même si de plus faibles flux ont lieu
(1939).
En 1939, dès la mobilisation, le camp est utilisé en transit pour les militaires en attente d’affectation. Le 10 décembre 1940, la Défense met à disposition 600 hectares au sud du camp militaire,
afin de regrouper les personnes expulsés d’Allemagne. La partie militaire du camp fonctionne ensuite parallèlement aux camps civils. Alors même qu’arrivent les premiers internés le 14 janvier
1941, le statut du camp et des hommes qui y sont adressés n’est pas encore fixé. Il est décidé qu’il s’agit d’un « centre d’hébergement » pour familles. D’abord envisagé pour un maximum de 17 000
« hébergés », il aligne 150 grandes baraques d’habitation soit une contenance de 10 000 personnes. La particularité du lieu est d’interner des familles sans les regrouper, mais plutôt en les
séparant : il y a des baraques pour les hommes, d’autres pour les femmes et les enfants (les garçons passent d’un camp à l’autre à 14 ans).
Au 31 mai 1941, le camp compte 6 475 internés de 16 principales ; plus de la moitié sont Espagnols, les Juifs étrangers représentent plus du tiers. Le 26 août 1942 à cinq heures du matin
commencent les opérations de ramassage des Juifs étrangers de la zone Sud et leur regroupement au Centre national de rassemblement des Israélites de Rivesaltes. Ce dernier est installé aux îlots
J (femmes et enfants), F (hommes ; antérieurement dédié aux travailleurs) et K (réception, criblage et triage). Il est prévu pour un effectif de 10 000 internés composé de familles et une durée
de 15 jours. Y sont d’abord regroupés les 1 176 Juifs déjà au centre.
Selon les Archives départementales des Pyrénées-Orientales (chiffres partiels, probablement supérieurs), au moins huit convois partent pour Drancy, en 1942 : le 11 août (394 personnes), le 23
août (entre 175 et 182 personnes), le 1er septembre (173 personnes), le 4 septembre (187 personnes), le 14 septembre (594 personnes dont 76 enfants), le 21 septembre (72 personnes), le 28
septembre (70 personnes) et le 5 octobre (106 personnes), soit un total de 1 771 à 1 778 personnes déportées, dont 78 enfants3. Une autre source indique un total de 2 250 déportés. Serge
Klarsfeld note que du 4 septembre au 22 octobre, le camp de Rivesaltes a joué le rôle de « Drancy de la zone libre ». Il a été le camp de rassemblement de tous les Juifs arrêtés dans la zone
libre et le camp de transit vers Drancy, pour beaucoup de ces Juifs (environ 1 700).
En novembre 1942, après l’invasion de la zone libre, les troupes allemandes s’installent au camp Joffre. En conséquence, le centre d’hébergement est liquidé au 25 novembre. À cette date, il
comptait 277 membres du personnel. Durant deux années, le camp de Rivesaltes a interné environ 21 000 personnes6, dont environ 5 714 au camp spécial, 2 313 ont rejoint Drancy, 2 251 ont été exclues par la commission de criblage. Sur le site sont décédés 215 internés,
dont 51 enfants d'un an et moins. Le camp sert à l’instruction des recrues de la Wehrmacht jusqu’en août 1944, date de son abandon et de son sabotage par l’armée allemande. L’armée allemande
quitte Rivesaltes le 19 août 1944.
Tandis que la partie militaire du camp de Rivesaltes reprend sa vocation initiale, est instauré le centre de séjour surveillé de Rivesaltes (12 septembre 1944)4. Concentrant sur l’îlot Q les
personnes internées dans le cadre de l’épuration, ce nouveau camp dispose d’une capacité maximum de 1 080 internés. Le centre continue de recevoir des ressortissants d’autres pays européens : les
Espagnols, internés pour passage clandestin de la frontière, assurent ainsi les travaux nécessaires à la sécurisation du centre ; en janvier et mars 1945 viennent plusieurs centaines de réfugiés
soviétiques, etc. La dissolution du centre intervient le 10 décembre 1945, et sa liquidation est achevée aux premiers jours d’octobre 1946.
L’armée française installe le dépôt no 162 des prisonniers de guerre. Regroupant des militaires allemands et italiens, ce camp compte moins de 10 000 prisonniers en octobre 1944, entre 6 000 et 7
000 hommes en mai 1945, et est fermé le premier mai 1948. Les prisonniers ont amplement travaillé à la reconstruction des Pyrénées-Orientales. Mais, entre mai 1945 et 1946, 412 prisonniers de
guerre allemands décèdent. Les prisonniers allemands sont employés dans des travaux agricoles dans tout le département. Dans le cadre de la guerre d’Algérie, l’État envisage, en 1957, de créer un
« camp d’internement » à cet endroit. Le préfet fait tout pour l’en dissuader car les lieux contiennent le centre de formation majoritairement peuplé de Nord-Africains, un centre de formation
professionnelle militaire destiné aux Nord-Africains et un centre de passage des jeunes soldats mobilisés pour la guerre.
Le projet ne va pas jusqu’au bout mais s’installe, en parfaite discrétion, un centre pénitentiaire destiné aux condamnés partisans de l’indépendance de l’Algérie. 527 prisonniers intègrent le
centre entre le 9 mars et le 18 avril 1962. Parallèlement, le camp sert de camp de transit pour le contingent avant son embarquement pour l’Algérie. Courant juin, le 1er régiment de tirailleurs
algériens est rapatrié au camp Joffre. Il a emporté avec lui plusieurs centaines de civils, femmes et enfants.
En octobre 1962, environ 8 000 Harkis séjournent au camp de transit et de reclassement de Rivesaltes (dont ceux en provenance du camp du Larzac et de Bourg-Lastic). En tout, selon les calculs de
l’historien Abderahmen Moumen, à peu près 20 000 personnes passent dans le camp entre 1962 et 1964. Le séjour varie selon les familles : entre quelques jours pour certaines, voire des années pour
d'autres. Les familles considérées comme « irrécupérables » — termes administratifs employés à l'époque — sont envoyés à la fin de l'année 1964 au camp/cité d'accueil de Saint-Maurice-l'Ardoise
dans le Gard (jusqu'en 1975). Un « village civil » accueille encore plusieurs centaines de familles — ayant un emploi mais pas de logements — au camp de Rivesaltes durant les années 1960. En
1963, un hameau forestier a aussi été créé à Rivesaltes pour environ 25 familles d'anciens supplétifs (soit une centaine de personnes). La décennie suivante voit l'essentiel de cette population
s'installer à la cité du Réart, construite sur la commune de Rivesaltes pour mettre fin à la situation de ces familles. Les dernières à quitter le site du camp le font en février 1977.
D’autres supplétifs coloniaux sont venus, accompagnés de civils : de 1964 à 1966 parviennent au camp environ 600 Guinéens, anciens militaires français, rapatriés et leurs familles, ainsi qu’un
petit camp de familles d’anciens militaires rapatriées d'Indochine française. Le camp est rendu à sa première vocation, l’entraînement des militaires, pour quelques années. C’est le 24e régiment
d'infanterie de marine (24e RIMa) qui l’utilise. Créé en 1986, le centre de rétention administrative a d’abord eu pour objet de regrouper les ressortissants Espagnols en situation irrégulière sur
le territoire français. Ayant dépassé les mille entrées annuelles depuis 1994, il est, sur le territoire français, l’un de plus importants centres de rétention des immigrés clandestins. Il
déménage en 2007. En 1993, Serge Klarsfeld publie Les transferts de juifs du camp de Rivesaltes et de la région de Montpellier vers le centre de Drancy en vue de leur déportation, 10 août 1942.
Avec lui, le 16 janvier 1994, l'association « Fils et filles de déportés juifs de France », érige une stèle à la mémoire des 2 313 Juifs déportés du camp de Rivesaltes vers Auschwitz.
Le 2 décembre 1995, on érige une stèle à la mémoire des Harkis. En 1997, pétition du collectif « Pour la mémoire vivante du camp de Rivesaltes » signée par Simone Veil, Claude Simon, Edgar Morin
et de nombreux citoyens suite à l'émotion provoquée par la révélation par le journaliste Joël Mettay du dépôt à la déchèterie d'une partie des archives du camp. En 1998, Christian Bourquin,
nouveau président du conseil général des Pyrénées-Orientales, s'oppose à la destruction du site et commence la concertation autour du projet. Le 30 octobre 1999, la stèle à la mémoire des
républicains Espagnols est élevée. En 2000, le site est inscrit comme monument historique par le ministère de la Culture. 2005, à l'occasion des Journées du Patrimoine, une partie du camp est
ouverte pour la première fois au public. Rudy Ricciotti remporte le concours d’architecte. Robert Badinter accepte de parrainer le projet. Novembre 2005, le Conseil général fait l'acquisition de
l’îlot F, de 42 hectares.
L'architecte Rudy Ricciotti dépose le permis de construire le 21 janvier 2009. La première pierre a été posée le 15 novembre 2012, par Christian Bourquin et Rudy Ricciotti, le Mémorial devrait
être ouvert au public en 2015. Un parc éolien, composé de huit éoliennes (quatre de 43 m de haut et quatre de 70 m) est installé en bordure du camp. La puissance totale installée est de 7 600 kW,
correspondant à l'alimentation en électricité d'environ 3 500 personnes. Des entreprises sont installées sur une partie du camp.
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Camp de Rivesaltes
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