Hôtel Terminus, sous-titré Klaus Barbie, sa
vie et son temps, est un film documentaire franco-germano-américain réalisé par Marcel Ophüls, sorti en 1988. Le documentaire relate la vie du criminel de guerre nazi Klaus Barbie : son enfance, son affectation à Lyon en tant que membre de la Gestapo, ses quarante années de fuite et son procès pour crimes contre l'humanité. Le film obtint l'Oscar du meilleur film
documentaire.
Documentaire fleuve (près de 4h30), d'une habileté et d'une intelligence remarquable, Hôtel Terminus est une formidable plongée dans l'une des existences les plus obscures et détestables (c'est
du moins le sentiement majoritaire) de l'époque récente, celle de Klaus Barbie. C'est "à la faveur" de la récente
disparition de Jacques Vergès (il y a deux jours je découvrais également l'excellent docu de Barbet Schroeder,
L'avocat de la terreur), que j'ai décidé de me pencher un peu plus sérieusement sur une histoire qui prend racine peu avant le début de la Première Guerre Mondiale à Bad Godesberg (Barbie y étant né en 1913) pour finalement occuper tout le XXème siècle.
Ce qui fait le prix du film d'Ophuls fils, c'est la puissance qui s'en dégage, faisant du cas Barbie celui d'une
triste et morgue banalité. C'est surtout son incroyable capacité à interviewer avec une humeur constante des interlocuteurs aux profils aussi disparates qu'un SS fier de ses valeurs, qu'un agent de la CIA à la retraite, qu'un chasseur de nazi, qu'un leader de mai 68, qu'une femme déportée, que des
résistants ayant gravité autour de Jean Moulin, qu'un journaliste ayant retrouvé Barbie en Bolivie ou qu'un célèbre avocat engagé pour sa défense. Toutes ces personnes, victimes ou bourreaux, résistants
ou traîtres, ordures congénitales ou braves types dépassés par l'ampleur des événements, sont traités avec la même équité, avec la même exigence: celle de dresser un portrait non pas à charge,
mais le plus proche possible de ce que fut Barbie, sa vie, son "oeuvre". Ce sujet brûlant continuait, quarante
années après les faits, de faire couler énormément d'encre entre les tenants d'une justice implacable à l'encontre du "Boucher de Lyon" et de l'assassin des enfants d'Izieu, et ceux, plus
mesurés, d'un oubli, seul à même de panser les blessures.
Formidable à biens des égards, Hôtel Terminus se distingue, je le disais, par l'intelligence de son initiateur, Marcel Ophuls. Loin de faire crouler son film sous le poids de l'Histoire, sans
faire pour autant l'impasse sur les horreurs perpétrées par Barbie, il a le bon goût de nous épargner le ton
misérabiliste qui préside malheureusement trop souvent aux documentaires de ce type (les bouses produites par France TV récemment avec Matthieu Kassovitz par exemple). Il se distingue même ça et
là par des touches d'humour de prime abord déstabilisantes, mais qui emporte finalement l'adhésion du spectateur, tant il est nécessaire pour lui de ne pas se sentir accablé par la multitude de
discours durant deux cent soixante-dix minutes.
C'est tour à tour un Ophuls cherchant un interlocuteur (visiblement peu enclin à communiquer) dans son jardin parmi les salades, ou bien un Ophuls et son assistant se prêtant au jeu de l'appel
téléphonique à des témoins directs ou indirects d'abord enchantés à l'idée de participer à un documentaire (puis nettement moins lorsqu'on leur annonce que le sujet en est Klaus Barbie) qu'on découvre. Cette liberté de ton, arrachée à l'habituel pathos, témoigne de l'incroyable finesse du
réalisateur et participe grandement à la réussite de cette oeuvre monumentale. Monumentale par sa durée certes (quoiqu'on se surprend à ne pas voir passer le temps), mais monumentale surtout par
sa précision et sa volonté, au-delà des années et des continents, de rassembler les témoignages et les informations les plus riches et divers sur "La vie et l'époque de Klaus Barbie" (sous-titre américain du film).
En français, anglais, allemand ou espagnol, Marcel Ophuls étudie, dissèque, retranche, des événements qui s’entremêlent, des témoignages qui se contredisent et tente, sans prétention aucune, de
parvenir à établir une vérité, sans doute plus aisée à obtenir que la vérité. Tous ces témoignages sont précieux et apportent chacun à leur manière une pierre à l'édifice particulièrement fragile
qu'il s'est astreint à construire, une lumière plus ou moins crue sur la sombre existence de Barbie. Comme pour
l'affaire Jean Moulin dont on devine petit à petit que la seule trahison du dénommé René Hardy ne peut pas tenir décemment la route et que certaines hésitations, qu'on pourrait mettre sur le compte de l'âge
des interlocuteurs, relèvent bien plus de la gêne face à un sujet encore brûlant que d'autre chose, et révèlent une sordide histoire aux démêlés bien plus troubles et compromettants qu'on veut le
croire.
Convoquant des témoins directs de l'arrestation, des membres du petit cercle proche du préfet assassiné ou le "traître" Hardy (que les équipes de télé avaient poursuivit jusque dans son lit, malade, affaibli, le sommant de s'expliquer), le
réalisateur d'Hôtel Terminus ne s'adjuge néanmoins aucunement le droit (pas plus qu'au spectateur) de prononcer la sentence à l'encontre de tel ou tel. Seuls comptent pour lui ces hommes et ces
femmes, leur conscience et leur vécu, qui ne doivent converger que vers une seule et unique question: qui était Klaus
Barbie ? Traversant les océans, franchissant les frontières, remuant les souvenirs, Ophuls n'hésite pas à faire face à des ordures notoires, des nazis convaincus, des agents secrets
américains ayant côtoyé Barbie, de barons sud américains de la drogue, de responsables politiques
d'extrême-droite. Gardant sa rigueur et faisant preuve d'un courage bien réel, il fait preuve d'une combativité remarquable lorsque son interlocuteur refuse la question, louvoie, noie le poisson.
Une certaine idée du journalisme en quelque sorte. Une haute idée.
De cet ensemble profondément hétéroclite émerge assez paradoxalement une belle histoire, et donc, un espoir, certes maigre, pour l'Humanité. L'histoire de cette dame, à qui Ophuls dédicace Hôtel
Terminus, qui tenta, vainement, d'épargner à la petite Simone Kaddouche (devenue Simone Lagrange) d'une rafle avec sa famille. Une hommage, comme le notait Tancrède, "bouleversant à la grandeur
d’âme la plus pure et la plus simple qui soit". Il ne nous reste plus qu'à militer pour qu'un éditeur français s'attache à publier cet exceptionnel témoignage, autant document historique
qu'enquête aux ramifications internationales. Chef-d'oeuvre !
Fiche technique
Réalisation : Marcel Ophüls
Photo : Pierre Boffety
Scénario : Marcel Ophüls
Date de sortie : novembre 1988
Durée : 267 minutes
Distribution
- Marcel Ophüls : lui-même
- Jeanne Moreau : narratrice
- Johannes Schneider-Merck : importeur/exporteur allemand, voisin de Barbie à Lima
- Raymond Lévy : joueur de billard à Lyon
- Marcel Cruat : joueur de billard à Lyon
- Henri Varlot : joueur de billard à Lyon
- Pierre Mérindol : journaliste de Lyon
- Johann Otten : fermier, ami d'école du village natal de Barbie
- Peter Minn : major de la Wehrmacht, à la retraite, ami d'université de Barbie
- Claude Bourdet : chef résistant
- Eugene Kolb : lieutenant, C.I.C. Control Officer, à la retraite, supérieur de Barbie
- Lise Lesèvre : membre du « French Underground »
- Lucie Aubrac : résistante
- Raymond Aubrac : chef résistant
- Simone Lagrange : survivant d'Auschwitz
- Régis Debray : lui-même