publié le 25/02/2014 à 17h44 par Ondine Debre
La petite-nièce d'Heinrich Himmler, un des plus hauts dignitaires du régime nazi, cosigne un ouvrage qui
permet de dresser le portrait intime d'un des pires meurtriers du siècle dernier. Il s'appuie sur les lettres qu'il a échangées avec sa femme.
Lorsqu’on demande à la petite nièce d’Heinrich Himmler, le Reichsführer SS et l’homme le plus important du
IIIème Reich après Hitler, pourquoi elle n’a pas changé de nom, Katrin Himmler répond très simplement : "Ce n’est pas en changeant de nom que l’on change d’histoire". A quoi bon
lutter contre cet héritage familial omniprésent en voulant le cacher ? Autant garder ce patronyme malheureux, l’un des plus repandu en Allemagne.
C'est à l'âge de 11 ans que Katrin a découvert, grâce la série américaine "Holocauste", le personnage de son
grand oncle. Le choc est immense et sa réponse à cette violence est inattendue : elle se fait fort de lire tout ce qui existe sur les persécutions nazies, devient une spécialiste du sujet et
milite contre le racisme. Et elle vient de publier, avec l’historien allemand Michael Wildt, un livre qui s'appuie sur les lettres envoyées par le chef de la SS et de la Gestapo à son épouse Marga entre
1927 et 1945. Des échanges qui, s’ils ne révèlent rien de déterminant sur un plan historique, permettent néanmoins d’approcher le chef des SS, au plus prêt de sa glaçante désinvolture. "Himmler n’avait pas de cas de conscience", affirme Katrin Himmler.
L’histoire de ces lettres, que l’on cru perdues pendant de longues années, est stupéfiante. A la fin de la guerre, en 1945, deux GI américains fouillèrent la maison de la famille Himmler en Bavière et emportèrent plusieurs effets personnels. Les lettres manuscrites d’Himmler - butin de l’un des deux soldats - s'est retrouvé voilà dix ans entre les mains d’un diamantaire d'Anvers. La
fille de celui-ci, la réalisatrice israélienne Vanessa Lapa, petite-fille de déportés, décida d’en tirer un documentaire sur Himmler, "Der Anständige", sorti en février à Berlin. Et Vanessa Lapa a également pris contact avec Katrin Himmler, qui avait déjà écrit en 2007 le livre "Les frères Himmler, une histoire familiale allemande".
Douceurs et surnoms
Le dernier livre de la politologue
allemande raconte, au fil des quelque 350 pages et presque autant de lettres, dix-huit ans dans l’histoire d’un couple au cœur d'un des régimes les plus monstrueux de l'Histoire. Pourtant, pas
une fois Heinrich Himmler ne mentionne les assassinats de masse dont il est à l’origine. Pas une fois le chef
de la SS ne fait allusion à la mise en place de la solution finale. Pas une fois, celui qui déjeunait avec Hitler tous les deux jours, n’expose les ressorts de ses folles convictions. Mais ce que
taisent ces lettres, le travail de mise en perspective historique des deux auteurs le décrypte remarquablement.
Les faits les plus anodins sont confrontés à la réalité historique. Himmler, de retour des pays baltes où il
vient d’ordonner le massacre de près de 70 000 juifs à la fin de l’année 1941, se rend à Kiev, afin de mettre en place l’extermination des juifs et des malades mentaux en Ukraine. Le 28 septembre
1941, il écrit à Marga et glisse la lettre dans un colis remplis de douceurs : "le bouquet n’est pas à mettre en vase. C’est une herbe, de la 'porsh', je l’ai coupée moi-même en Lettonie."
A la niaiserie des surnoms qu’ils se donnent est effarante : "bon petit papa, méchant petit papa, ma poupette, ma bonne petite femme,...". succèdent les peu ragoutantes descriptions de leurs
problèmes de peau et d’estomac. Mais comme le souligne Katrin Himmler, "beaucoup d’éléments ne sont pas
anecdotiques. Par exemple, on apprend qu’il était dans les années 20, beaucoup plus proche d’Hitler qu’on ne le croyait. La longue période sur laquelle s’inscrit cette correspondance démontre
très nettement qu’Himmler avait déjà très tôt arrêté sa vision du monde".
Une haine commune des juifs
L’un des plus hauts dignitaires nazi n'était-il qu’un bon petit soldat consciencieux, méticuleux à l’extrême ? C’est ce que croit Michael Wildt, pour qui cette correspondance révèle des éléments
fondamentaux de la psychologie de leur effroyable auteur. L'historien estime que si Himmler ne parle pas de
son "travail" à sa femme, c’est parce qu’il n’en a pas besoin. Il ne cherche auprès d’elle aucune justification. Ce qu’il fait, il le fait bien, avec une mentalité de fonctionnaire satisfait.
Marga et lui partagent la même haine des juifs, la même méfiance à l’égard de l’être humain et la même foi en la grande nation allemande.
Himmler fondera discrètement mais pas secrètement une deuxième famille avec une jeune femme, Hedwig Potthast,
avec qui il aura un premier enfant, Helge, né le 15 février 1942. Celui que sa jeune compagne appelait "König Heinrich" (le roi Heinrich), appliqua à la lettre ce qu’il prônait pour sa SS : le concept de la double famille comme mesure de protection de la race allemande. Marga accepta ce "mariage de paix"
pour "le bien de l’Allemagne". Lorsqu’une journaliste américaine apprendra le 13 juillet 1945 à Marga Himmler, emprisonnée à Rome, le suicide de son mari, celle-ci ne montra aucune émotion. Elle
ne s’étonna pas non plus de savoir que certains l’aient haï. "Il était policier, personne n’aime les policiers."
"Heinrich Himmler d'après sa correspondance avec sa femme 1927-1945" Plon, 2014, 350 pages.