publié le 21/02/2014 à 13h31
PORTRAITS - Les personnalités choisies par François Hollande, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay, ont
toutes marqué la même période de l'histoire, mais présentent des profils très différents.
De gauche à droite : Jean Zay, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Pierre Brossolette
GENEVIÈVE DE GAULLE ANTHONIOZ, LA CHARITABLE
Leur destin sera donc éternellement lié, Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion reposeront pour toujours au Panthéon. Comme
l'ethnologue, la nièce du Général a été résistante dès la première heure et dans le même réseau, le groupe du Musée de l'homme. Elle aussi a connu le camp de Ravensbrück après avoir été arrêtée par la Gestapo et emprisonnée à Fresnes. De cette période, elle a laissé un récit magnifique, La Traversée de la nuit, publié au Seuil
en 1998 quand elle avait 78 ans (elle est morte en février 2002). Geneviève de Gaulle a souhaité
prendre la plume cinquante-trois ans après le camp. Ce livre de 59 pages est exemplaire, toutes les générations doivent le lire, et les enfants en premier. Les pages se révèlent lumineuses par
l'espérance et la solidarité qu'elles dégagent. Charles de Gaulle lui-même a été touché par son histoire.
Cette femme laisse aussi une trace indélébile auprès d'ATD Quart Monde, qu'elle a dirigé avec sa voix douce et une énergie de tous les instants durant plus de deux décennies auprès de son
fondateur, le père Joseph Wresinski, et après la mort de ce dernier. À la tête d'ATD Quart Monde, elle a été à la pointe du combat qui a abouti à la «loi d'orientation relative à la lutte contre
les exclusions et la grande pauvreté», en 1998. Avant de connaître ATD, elle travaillait, en 1958, pour André
Malraux, et c'est pour le mouvement de lutte contre la misère installé dans un bidonville qu'elle quitte le cabinet du grand ministre de la Culture. Geneviève de Gaulle a également témoigné au procès Barbie. Assurément, cette femme humble et déterminée méritait que la patrie lui soit reconnaissante.
PIERRE BROSSOLETTE, LE RIVAL DE JEAN MOULIN
Il n'a pas parlé. Fin mars 1944, il a préféré se défenestrer plutôt que d'en dire plus sur ses alias. Pierre Brossolette fut Pedro, Bourgat, Paul Boutet, Philippe Baron, Paul Briant, Philippe Bernier, Brumaire,
Polydor… Un antinazi de premier ordre. À gauche, la pièce maîtresse dans la Résistance qu'il a largement contribué à fédérer. Né le 25 juin 1903 à Paris, ce fils de fonctionnaire radical est
brillant. Janson-de-Sailly, Louis-le-Grand, entré premier à l'ENS. En 1925, une agrégation d'histoire en poche, il entame une carrière de journaliste et d'homme politique socialiste, farouchement
anti-munichois. Mobilisé en 1939, Croix de guerre pour son attitude au cours de la retraite, il se voit pourtant refuser son intégration dans le corps enseignant par Vichy. Il ouvre alors à Paris
une librairie qui servira de couverture à ses premières activités clandestines. Début 1941, il intègre le réseau du Musée de l'homme et collabore au journal Résistance, dont il devient le rédacteur en chef. Puis
c'est la Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy. Le 1er décembre, «Pedro» signe son engagement aux Forces françaises libres. Sa mission? Rédiger des rapports aux Français de Londres et nouer des
contacts sur le terrain. Le 27 avril 1942, il effectue son premier voyage en Angleterre et rencontre de
Gaulle. Promu chef de bataillon, il est parachuté en France, facilite des évasions et des exfiltrations. Le 22 septembre, sur la BBC, il évoque les «soutiers de la gloire». Sa voix porte,
mais ce n'est pas suffisant. Adjoint du colonel Passy, Brossolette renoue avec le terrain, reliant inlassablement résistances extérieure et intérieure. Le 17 octobre 1942,
de Gaulle lui décerne la croix de la Libération et le nomme membre du Conseil de l'ordre de la Libération. Il
n'a pas 40 ans. Sur ses papiers, il s'appelle Philippe Bernier. Nouveau parachutage pour structurer toutes les forces et préparer une administration provisoire dans la perspective de la
Libération. Quand il est à Londres, il remplace souvent Maurice Schumann au micro de la BBC. Le 19
septembre, encore un départ pour la France. Son dernier. Arrêté lors d'un contrôle de routine, Brossolette
ne sera d'aucune utilité pour la Gestapo. Il repose au Père-Lachaise.
GERMAINE TILLION, L'HUMANISTE
De la Résistance à l'Algérie: Germaine
Tillion (1907-2008) aura été des grands combats du XXe siècle. Pionnière de l'ethnologie française, elle mène ses recherches en Algérie, dans les Aurès. Lorsqu'elle rentre en France, en 1940,
elle découvre Paris occupé. Depuis le Musée de l'homme où elle travaille, elle participe à la création du premier réseau de résistance. Elle coordonne, avec l'aide du résistant Paul Hauet, l'activité des groupes en région, organise des évasions de prisonniers. Dénoncée en 1942, elle est déportée à
Ravensbrück avec sa mère, qui sera gazée en 1945. Germaine Tillion a 38 ans : elle observe le camp en ethnographe, demande à ses camarades de lui rapporter des
informations, leur fait des conférences sur la logique du système concentrationnaire, qu'elle comprend peu à peu. Elle publiera ses observations dès 1946. «La connaissance est un engagement et
une évasion, car lorsque vous n'avez plus rien, seule la raison humaine peut vous empêcher de sombrer», dit-elle. Cachée dans des cartons, elle écrit en 1944, l'année où Geneviève de Gaulle arrive à son tour à Ravensbrück, une opérette sur le quotidien des camps, Le Verfügbar aux Enfers, dont elle chante les airs à ses
compagnes : «J'ai écrit une chose comique, parce que je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément vivifiant. Que reste-t-il quand il ne reste plus rien à
opposer à la barbarie? Le rire. On peut rire jusqu'à la dernière minute», estimait-elle.
En 1954, elle est l'autorité morale que François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur, envoie étudier
la situation en Algérie. Elle sert d'intermédiaire entre le régime gaulliste et le FLN. De retour en France, après la bataille d'Alger, elle dénonce la torture, sans embrasser une position
antifrançaise : elle refuse de se laisser embrigader dans un parti ou un autre. Elle finit sa carrière comme directrice de recherches à l'École pratique des hautes études, où elle enseignera
jusqu'en 1980. En 2007, à l'initiative de son directeur, Jean-Luc Choplin, le Châtelet remontait devant une Geneviève Tillion enthousiaste Le Verfügbar aux Enfers. Il sera aussi donné à Ravensbrück, en 2010, pour le 65e anniversaire de la libération du camp.
JEAN ZAY, LE PROFESSEUR
Ministre de l'Éducation nationale du Front populaire, Jean Zay est une figure de la République. Né à
Orléans en 1904, il s'engage très jeune en politique. À 21 ans, il s'inscrit au Parti radical. Il devient aussi membre de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme, responsable de
la Ligue de l'enseignement, et est initié à la loge maçonnique Étienne Dolet en 1926. Élu député du Loiret, il devient un espoir du Parti radical-socialiste. En 1936, il est nommé au gouvernement
du Front populaire. Jean Zay réorganise l'administration par décret, crée l'ancêtre du Centre régional des œuvres
universitaires et scolaires (Crous), prépare la création en 1939 du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le 2 septembre 1939, il rejoint l'armée française. En juin 1940, il est
autorisé à se rendre à Bordeaux pour la dernière session du Parlement. Le 21 juin, il embarque pour Casablanca avec les présidents des deux chambres et d'autres parlementaires. Arrêté pour
désertion, renvoyé en métropole, il est condamné à la déportation à vie, une sanction sévère qu'expliquent sans doute ses prises de position très antimilitaristes avant guerre. Finalement
incarcéré à Riom, il ne cherche pas à s'échapper, mais prépare dans sa cellule des réformes pour l'après-guerre. Le 20 juin 1944, trois miliciens se faisant passer pour des résistants le font
sortir et l'assassinent. En juillet 1945, la cour d'appel de Riom le réhabilite entièrement à titre posthume.