publié le 18/03/2013 à 17h34 par Cyrille Piguet
Depuis quelques années, la question de la spoliation d’oeuvres d’art, et plus particulièrement celle de leur restitution, a pris une importance croissante. On estime à plusieurs milliers les
oeuvres qui n’auraient toujours pas été récupérées ou tout simplement identifiées. Ces objets sont souvent la propriété d’acquéreurs de bonne foi, lesquels se trouvent aujourd’hui confrontés aux
précédents mais tout aussi légitimes propriétaires.
Après que les Alliés ont contesté officiellement les expropriations, spoliations et autres pillages pratiqués dans les pays occupés (déclaration de Londres de 1943), des législations nationales
ont permis, dès la fin de la guerre, la restitution d’une partie seulement des oeuvres spoliées. La France et la Suisse, notamment, ont connu des réglementations spéciales qui dérogeaient au
régime du code civil et favorisaient la revendication de biens par les propriétaires spoliés. À condition d’être faites dans un délai limité, les revendications étaient possibles même contre un
acquéreur de bonne foi et sans obligation de rembourser le prix. Dès 1949, faute d’avoir retrouvé leurs légitimes propriétaires, 2 000 oeuvres ont été confiées, en France, à la garde des Musées
nationaux (MNR pour "Musées nationaux Récupération").
Confisquées par les nazis
La volonté de restituer ces biens, réapparue expressément depuis une dizaine d’années, a abouti à la constitution de commissions pour l’indemnisation des victimes de spoliations. Celles-ci ont
déjà su régler de nombreux litiges, à satisfaction des parties concernées. Restitution de l’oeuvre fondée sur des motifs éthiques ; restitution de la propriété accompagnée d’un contrat de dépôt
de longue durée de l’objet spolié dans un musée national (souvent dans celui-là même qui possédait l’oeuvre revendiquée) ; rétrocession de la propriété de l’oeuvre à un musée avec indication du
nom des propriétaires spoliés et mention de leur don ; simple notification sur l’oeuvre de la spoliation ; compensation financière en faveur des victimes spoliées. Voici quelques-unes des
solutions adoptées.
Mais pour les victimes, la reconnaissance publique des spoliations est essentielle et l’emporte même parfois sur la volonté de se voir restituer l’oeuvre pour laquelle il existe le plus souvent
un attachement sentimental très particulier. On en déduit que la vente, parfois préconisée, des biens spoliés au profit d’organisations de victimes de l’Holocauste aurait pour conséquence
fâcheuse de faire perdre à ces oeuvres leur qualité de témoins uniques du passé. Aussi, le maintien d’un statut spécial de ces biens répondrait-il davantage aux attentes des victimes et
garantirait à plus long terme la transmission du souvenir. Face à l’aspect moral et éthique qui caractérise le problème des spoliations, force est de constater l’incapacité du droit positif à
apporter des solutions satisfaisantes. La protection de l’acquéreur de bonne foi, les exigences en matière d’établissement du titre de propriété, l’écoulement du temps et la prescription sont
autant d’obstacles régulièrement opposés aux revendications d’oeuvres d’art.
L’accès à l’information reste l’une des difficultés majeures dans la recherche de l’origine des oeuvres. À ce titre, diverses conférences internationales ont tenté, en particulier depuis celle de
Washington en 1998, de faire reconnaître la nécessité de faciliter l’accès aux archives tant publiques que privées. États, marchands ou maisons de ventes admettent désormais largement la
nécessité d’actions visant à la recherche des spoliations. Les principes admis à Washington, puis confirmés à Vilnius en octobre 2000, bien que non contraignants, sont tout à fait novateurs. Ils
sont l’expression d’une nouvelle réalité juridique qui doit permettre de résoudre ces litiges originaux de par leur nature. Ainsi, la communauté internationale a pris conscience de la nécessité
morale et éthique de reconnaître les spoliations. Elle se doit désormais de réparer ce qui peut l’être encore. Il en va finalement d’une question de principe.