publié le 13/04/2012 à 16h30 de notre correspondant à Genève, Ian Hamel
L'un des tombeaux, en marbre, remontant au IIe siècle après Jésus-Christ, pourrait provenir de fouilles illicites près d'Antalya, en Turquie.
Les ports francs de Genève, en Suisse
L'avocate Claude Dumont-Beghi, qui traque depuis près d'une décennie l'héritage de Daniel Wildenstein, le richissime marchand d'art français, disparu en 2001, raconte ainsi sa première visite
dans les ports francs de Genève. "Le lieu est impersonnel et froid. Nous longeons plusieurs bâtiments sinistres. Nous passons sous douane. Une porte battante, un escalier de service,
l'environnement est toujours aussi glacial." Mais au bout du chemin, elle découvre, dans un "salon aux murs sombres", dix-neuf tableaux du peintre Bonnard, non déclarés au fisc français (*).
Les douaniers suisses, eux, ne s'intéressaient pas à la peinture, mais à des sarcophages. En décembre 2010, ils en ont trouvé trois, toujours dans les ports francs de Genève. Le plus important,
en marbre, de deux mètres de long, un mètre cinquante de hauteur, et un mètre de large, pesant plus d'une tonne, orné d'une sculpture représentant les douze travaux d'Hercule, date du IIe siècle
de notre ère. Il pourrait provenir de fouilles clandestines sur le site archéologique gréco-romain de Perge, près d'Antalya, en Turquie.
17 ports francs en Suisse
"Nous avions avec nous un stagiaire diplômé d'archéologie. Avec la nouvelle loi sur les douanes, nous pouvons à présent effectuer des contrôles à l'intérieur des ports francs concernant les
marchandises sensibles. Habituellement, les pièces archéologiques susceptibles d'intéresser les clients sont exposées dans un show room. Ce sarcophage romain ainsi que deux autres tombeaux de
moindre valeur se trouvaient dans une pièce plus discrète", raconte Jean-Marc Renaud, chef des services centraux de la section antifraude douanière de Suisse.
Les 17 ports francs de la Confédération étaient autant de "trous noirs" où se cachaient des oeuvres d'art, des trésors archéologiques volés, des diamants du sang, des millions de litres de vin,
et même du caviar. Les ports francs, notamment ceux de Bâle, de Genève et de Zurich, se présentaient eux-mêmes comme des "territoires hors du commun". Tout objet dérobé pouvait, selon la
législation suisse, ressortir "blanchi" au bout de cinq ans, et être revendu en toute impunité... Les ports francs de Genève s'étendent sur 140 000 m2 de locaux à la Praille et sur 10 000 m2 à
l'aéroport.
Demande de restitution turque
Cette législation très laxiste a ainsi permis à la Suisse de se hisser au quatrième rang mondial sur le marché de l'art. Mais depuis 2009, sous la pression internationale, les ports francs sont -
presque - devenus des territoires normaux. Du moins, la douane peut y fourrer son nez. Cette saisie, effectuée en décembre 2010, n'a été révélée que maintenant. La Turquie réclame la restitution
du tombeau romain. Une enquête pénale est en cours à Genève depuis l'été 2011.
Les sarcophages ont été séquestrés dans les locaux de la société Inanna Art Services, habituellement utilisés par les marchands d'art Ali et Hisham Aboutaam. Toutefois, les deux frères ne sont
pas visés par la procédure pénale. "Ce sarcophage romain n'est jamais entré en Suisse de manière illicite. Il n'était pas caché, j'en veux pour preuve que ce tombeau a été restauré à Londres en
2002", souligne Bastien Geiger, l'avocat des frères Aboutaam, patron à Genève de la galerie Phoenix Ancien Art.
(*) Claude Dumont-Beghi, L'affaire Wildenstein. Histoire d'une spoliation, L'Archipel, mars 2012.