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La justice rouvre les archives de l'affaire Agnès Le Roux

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Le Pointpublié le 17/03/2014 à 06h54 par Jamila Aridj

Maurice Agnelet est jugé pour la troisième fois pour le meurtre de l'héritière du Palais de la Méditerranée, trente-six ans après sa disparition.



Agnelet Maurice

Maurice Agnelet est poursuivi pour homicide volontaire avec la circonstance aggravante de préméditation. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

 

"Qu'avez-vous fait d'Agnès Le Roux ?" Au juge qui lui posait cette question, Maurice Agnelet a répondu par le silence. Un vide. Comme pour mieux résumer cette affaire unique qui a tant fait tergiverser la justice. Elle rejuge lundi pour la troisième fois le dossier, avec, sur le banc des accusés, l'ancien amant de la riche héritière du Palais de la Méditerranée dont le cadavre n'a jamais été retrouvé.

"Avec toi jusqu'à la mort, et peut-être même après", avait griffonné la jeune femme à celui qui était l'avocat de sa mère alors qu'elle se relevait d'une tentative de suicide, trois semaines avant sa disparition. Agnès Le Roux était "une fille attachante, complexe, très mature, très perspicace, mais très ingénue, discrète", dira d'elle une amie. Une jeune femme éperdument amoureuse d'un homme cupide et amateur de femmes. Pour Agnelet, Agnès est une "petite fille", "une rombière", "une cliente", avec qui il partage depuis le printemps 1976 une relation sans passion. Il continue à vivre avec son épouse, dont il est divorcé, et entretient une liaison avec une autre femme, Françoise Lausseure. "J'aurais préféré qu'il en ait après mon cul qu'après mon argent", écrira Agnès, qui vient d'empocher une petite fortune de la vente de ses parts du flamboyant Palais des rois sardes à Nice.

À l'été 1977, Agnès, influencée par Agnelet, fait perdre à sa mère le contrôle du casino qui appartient à parts égales à la famille Le Roux - Renée, la veuve, et ses enfants - et à Jean-Dominique Fratoni, propriétaire du casino rival, le Ruhl. Le 30 juin, lors du premier conseil d'administration qui oppose Renée Le Roux et Fratoni, Agnès vend sa voix à ce dernier contre trois millions de francs, versés sur un compte suisse avec procuration à Maurice Agnelet. "J'aurais pu hériter d'un bordel, ce n'est pas pour cela que j'aurais trouvé intéressant de devenir proxénète, je veux faire autre chose dans la vie", dit Agnès. Ce qu'elle désire ? Devenir mère, se retirer avec Maurice dans une bergerie de l'arrière-pays où elle envisage de prendre sous ses ailes les fils de "Momo". Des projets qui s'évanouissent avec sa disparition à la Toussaint 1977.

"Désolée, mon chemin est fini"

Ses proches pensent d'abord qu'elle est partie en voyage et la laissent bouder dans son coin. Aux inquiétudes de Jean-Charles Le Roux, le frère d'Agnès, Agnelet répond qu'elle est partie "faire la java" à Los Angeles. Les mois passent. Le 13 février 1978, Renée Le Roux décide de déposer une plainte contre X pour séquestration arbitraire. Le portrait de la jeune femme est diffusé dans toute la France. Interpol est aussi mobilisé. En septembre, le juge d'instruction Richard Bouaziz perquisitionne le cabinet d'avocats de Maurice Agnelet. Il y découvre des centaines de lettres adressées par Agnès à son amant. En ouvrant un tiroir, il tombe sur la photocopie du testament manuscrit d'Agnès dont l'original avait été trouvé quelques mois plus tôt par les enquêteurs, punaisé sur une table à dessin, au domicile de la jeune femme. "Désolée, mon chemin est fini. Je m'arrête, tout est bien. Je veux que ce soit Maurice qui s'occupe de tout. Agnès." Aux policiers qui l'accompagnent ce jour-là dans le bureau du juge d'instruction, Agnelet confie : "Je sais que je vais aller aux assises. Mais je vais écrire un livre sur cette affaire et je vais me faire des couilles en or." Il sort libre du cabinet du magistrat.

Les éléments qui accablent Agnelet sont nombreux. En témoignent ces annotations retrouvées dans quatre recueils de la Pléiade, les Oeuvres complètes de Montaigne, celles de Rimbaud, le Journal d'André Gide et les tomes I et II des romans de Hemingway. Quatre dates : le 17 mai, le 30 juin, le 7 octobre et le 2 novembre. "17 mai PM (Palais de la Méditerranée) - PV (Palais vénitien, la société propriétaire des murs du casino), Genève, Amitié." Le 17 mai 1977 correspond au jour où Agnès se rend en Suisse accompagnée de son amant pour y déposer les trois millions de francs sur un compte dont elle donne la procuration à Maurice Agnelet. Le 30 juin, "PM-PV, Sécurité" renvoie au jour où s'est tenue l'assemblée générale lorsque Agnès fait perdre la majorité du conseil d'administration à sa mère. Le 7 octobre, "le bateau ivre", jour de la deuxième tentative de suicide d'Agnès. Et enfin, "2 novembre 1977. Reclassement dossier PM-PV. Liberté." Le dernier signe de vie d'Agnès remonte au 27 octobre 1977.

Faux témoignage

Les années passent et la justice patine. En 1983, elle décide toutefois d'inculper Maurice Agnelet pour meurtre. Mis en examen, il continue de clamer son innocence et bénéficie d'un non-lieu devant la Cour de cassation. L'avocat déchu est sauvé par Françoise Lausseure, ex-épouse Fumat. Elle jure que ce fameux week-end de la Toussaint 1977, elle était avec Maurice à Genève à l'hôtel de la Paix. L'alibi est vérifié. Une chambre a bien été louée au nom de Françoise Fumat ce soir-là. Seulement voilà, vingt ans plus tard, l'amante fait machine arrière. "J'ai fourni ce faux témoignage pour lui rendre service à sa demande personnelle", dit-elle. Le parquet obtient alors la réouverture de la procédure criminelle. Jugé en novembre 2006, Maurice Agnelet est acquitté par la cour d'assises de Nice, avant d'être condamné dix mois plus tard en appel, après deux heures de délibéré, à vingt ans de prison. Il purge cinq années au centre de détention de Dauzac en Dordogne, avant que la Cour européenne des droits de l'homme n'estime qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable.

La haute juridiction a relevé de "nombreuses incertitudes" et notamment que "le meurtre n'était pas formellement établi". "Les raisons et les modalités de la disparition d'Agnès Le Roux, y compris la thèse de l'assassinat, ne reposaient que sur des hypothèses." On ne sait toujours pas quel jour, comment, où et dans quelles circonstances Agnès Le Roux a disparu. Une chose est sûre, tous les chemins mènent à Maurice Agnelet. Tout part de lui et tout y ramène. Mais cela ne fait pas des preuves.


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