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Georges Clemenceau, le poilu de l'Élysée

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Le Pointpublié le 24/08/2013 à 10h47 Laurent Legrand

Animé par une haine de la défaite, le Tigre a livré des combats sans précédent pour permettre à la France de tenir tête à l'Allemagne lors de la Grande Guerre.



Photo prise durant la Première Guerre mondiale

Photo prise durant la Première Guerre mondiale, en 1917. Georges Clemenceau, alors chef du gouvernement, arpente une tranchée lors d'une visite sur le front

 

La France est dans une situation délicate en ce mois d'avril 1917, l'offensive menée sur le chemin des Dames engendre la perte de 150 000 soldats français, dont 40 000 tués. Cette débâcle de l'armée française n'est pas sans conséquence puisqu'elle donne suite à différents mouvements de contestation se traduisant par les mutineries, les grèves, la propagande pacifiste. En cette période de doute et de défaitisme, Georges Clemenceau va venir bousculer les mentalités et provoquer une réaction décisive. Il prend l'initiative d'annihiler le mouvement de démoralisation impulsé par les anarchistes, syndicalistes et socialistes de l'époque. Clemenceau s'en prend directement à Jean Malvy, ministre de l'Intérieur, qui, selon lui, laisse la propagande pacifiste "se développer impunément sur les quais de toutes nos gares depuis quelques semaines".

Les mots sont durs à l'encontre du gouvernement, qu'il juge inexistant et qu'il fustige à travers les colonnes de son journal, L'homme enchaîné. Clemenceau dénonce de façon perpétuelle l'attitude du Sénat qu'il considère comme passif et antipatriotique. Orateur exceptionnel et homme de terrain, il jouit d'une popularité grandissante auprès des civils, mais aussi des poilus qu'il respecte énormément et dont la situation le préoccupe au plus haut point : "Ces hommes sont grands dans leur vie, sont grands dans leur âme, ils veulent de nobles choses, ils ne jugent pas toujours comme il faudrait, mais ils donnent leur vie, on ne peut leur demander rien de plus." L'effort de guerre des poilus sur le front doit être encouragé, galvanisé par les hommes de décision à l'arrière et non pas "trahis" par ces derniers, comme le martèle Clemenceau. La véracité du Tigre demeure sans relâche, au point de faire tomber Jean Malvy, le 7 septembre 1917.

En parallèle, les campagnes défaitistes se poursuivent tandis que les bolcheviques s'imposent en Russie et promettent une paix séparée avec l'Allemagne, synonyme de ralliement des troupes de Ludendorff sur le front ouest. La situation est critique, le président Poincaré, conscient de l'influence de Georges Clemenceau, le convie à l'Élysée le 14 novembre 1917 pour le nommer président du Conseil des ministres. Le 16 novembre, le gouvernement Clemenceau prend forme, le Tigre se voit confier le portefeuille de la Guerre. Une nomination qui fait l'unanimité à travers la presse, même à l'international, en témoignent les propos élogieux tenus par Whyte Williams du NY Times "Il est l'homme vers lequel le pays s'est tourné, à l'heure du besoin, car, malgré ses défauts, il est certainement le plus grand homme d'État français contemporain et, en raison de ses qualités, il se classe parmi les grands Français appartenant à n'importe quelle époque."

"Non je brûle tout, même les meubles"

Clemenceau reste convaincu que l'arrière doit jouer un rôle déterminant dans cette guerre de position. Le commandement doit être à la hauteur des soldats afin de ne pas nuire à leur courage et à leur patience. À sa prise de fonction, Clemenceau désire mettre un terme au mouvement pacifiste. Il forme donc son propre gouvernement en écartant bon nombre de politiciens déjà en poste et entreprend de densifier les effectifs de l'armée française et son potentiel militaire. Il augmente dans un premier temps la main-d'oeuvre en négociant avec le gouvernement italien l'intégration d'un certain nombre d'ouvriers transalpins aux usines de guerre françaises. Ils seront 70 000 fin mars 1918. En parallèle, Clemenceau harcèle l'état-major américain, et notamment le général Pershing qui ne peut lui promettre que l'arrivée de 30 000 soldats par mois. Le contingent américain, fin mars 1918, est de 140 000 hommes. Il tente également de débusquer les "embusqués" afin de les envoyer au front dans l'optique de maintenir sa promesse de guerre intégrale. La traque menée se révèle plus symbolique qu'efficace. Pour finir, le général Mangin lui préconise la mobilisation de la "force noire", qui compte pas moins de 65 000 soldats africains recrutés en 1918.

Les Allemands sont supérieurs en nombre et en matériel. Afin de pallier ce déficit, Clemenceau prend une autre mesure avec la loi du 10 février 1918 qui lui permet de réglementer ou de suspendre par décret "la circulation, la production et la vente" des produits qui servent à la consommation des hommes ou des animaux. Autrement dit, priorité au réarmement, et cette décision va rapidement porter ses fruits puisque canons, chars et avions sont produits en plus grande quantité. Malgré ses nouvelles responsabilités, Clemenceau n'en oublie pas pour autant les soldats en multipliant les visites sur le front. Il n'hésite pas à s'avancer jusque dans les zones de combat sans casque où certains généraux ne vont jamais, les pieds dans la boue afin d'être au plus près de ces valeureux poilus qu'il admire.

Poincaré s'inquiète d'ailleurs de ses trop nombreuses visites sur le front qui semblent, selon lui, éloigner le chef du gouvernement de responsabilités plus urgentes. Homme d'action par excellence, Georges Clemenceau souhaite tout faire par lui-même, alors que certaines tâches ne devraient pas lui incomber comme le souligne Paul Cambon, ambassadeur à Londres, lors d'une réunion du conseil de guerre en mars 1918 : "Il veut tout faire par lui-même et terrorise ses ministres qui ne se permettent point d'agir en dehors de lui et l'encombrent d'affaires dont il ne devrait pas s'occuper."

Clemenceau le décisionnaire

Le 5 octobre, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Turquie demandent l'armistice. Poincaré n'envisage en aucun cas de donner suite à cette requête tant que des troupes ennemies occuperont le territoire français. Le président paraît en totale contradiction avec Clemenceau qui, de son côté, a bien conscience de l'état de fatigue des troupes françaises. Il ne souhaite pas provoquer de massacres supplémentaires si les conditions d'une paix victorieuse sont envisageables : "J'ai fait la guerre à fond pour la faire durer le moins possible." Clemenceau s'avère tellement populaire qu'il fait de l'ombre à Poincaré. Cette popularité se reflète le 6 novembre 1918, à la veille de la victoire finale à travers un discours rancunier : "Pour tout le monde, il est le libérateur du territoire, l'organisateur de la victoire. Seul, il personnifie la France. Foch a disparu ; l'armée a disparu. Quant à moi, bien entendu, je n'existe pas." Les deux hommes avaient déjà connu quelques différends plutôt houleux : en janvier 1917, Charles Ier d'Autriche avait entamé des pourparlers de paix secrets avec Poincaré, ce qui irrita fortement Clemenceau qui refusait catégoriquement une paix négociée et qui voyait en ces négociations un piège et un aveu de faiblesse.

Au sortir de la guerre, des pourparlers ont lieu dans le cadre de la conférence de la paix du 18 janvier au 28 juin 1919. Durant ces négociations, Clemenceau défend avec fermeté les intérêts de la France qui se traduisent par la sécurisation de la frontière franco-allemande, la réintégration de l'Alsace-Lorraine et les réparations de guerre. Clemenceau éprouve un profond antagonisme vis-à-vis de l'Allemagne. Par deux fois au cours de son existence, il a connu l'invasion du territoire français par son voisin. Malgré son intransigeance à l'égard de l'Allemagne et son souhait d'obtenir des garanties de sécurité pour la France dans le cadre du traité de Versailles, Clemenceau suscite l'admiration du kronprinz allemand, Guillaume de Prusse : "La cause principale de la défaite allemande ? Clemenceau. Oui, Clemenceau fut le principal artisan de notre défaite. (...) Si nous avions eu un Clemenceau, nous n'aurions pas perdu la guerre."


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