publié le 06/02/2014 à 09h03 par Laurent Legrand
Escroc et affairiste des années 20, Alexandre Stavisky fut retrouvé mort en février 34. Sa disparition
contribua à plonger la France dans une crise politique.
Émeutes du 6 février 1934 à Paris. Les Ligues font tomber le gouvernement Daladier.
Alexandre Stavisky dit le "beau Sacha", roi de l'entourloupe, profita d'un puissant réseau d'influence issu
de la sphère politique pour perpétuer un nombre incalculable d'escroqueries en tous genres. Une attitude maladive qui plongea le gouvernement Chautemps, puis Daladier, dans
une situation de crise et d'émeute urbaine. Un scandale financier qui devint rapidement le terreau d'un climat xénophobe favorable aux mouvements radicaux d'extrême droite de l'époque.
Son père est sa première victime
Le syndrome de la tromperie n'a pas mis longtemps à gangrener Stavisky. En effet, il n'a pas cherché très
loin la première personne à extorquer, puisqu'il s'agit de son propre père ! Et plus précisément des deux lingots d'or que ce dernier conservait précieusement. La tentation était trop grande pour
le fils Stavisky, qui déroba le précieux trésor de son paternel afin de le mettre en gage auprès d'un
organisme de prêt, le mont-de-piété. Stavisky a mis le pied à l'étrier sous l'oeil attentif de son
grand-père, Abraham, visiblement très intéressé par les qualités de son petit-fils. Vif d'esprit, éloquent et audacieux, Sacha a le profil parfait pour accompagner son grand-père dans la location du théâtre des Folies-Marigny en
1909.
Ne disposant pas du moindre franc, les deux acolytes entreprennent de publier diverses offres d'emploi à travers les colonnes de plusieurs quotidiens. L'objectif était de récolter les douze mille
francs nécessaires à la location du théâtre. L'appel à candidatures porte ses fruits et ils parviennent finalement à récolter la somme requise pour entamer la saison estivale. Cette somme a bien
évidemment été amassée en toute irrégularité, puisqu'elle provient du cautionnement et du paiement par avance des multiples employés. L'affaire tourne rapidement au vinaigre et le récent
"directeur" des Folies-Marigny finit devant les tribunaux sans son grand-père décédé entre-temps. Stavisky,
défendu par Albert Clemenceau lors du procès, s'arrange pour faire durer les procédures tandis que la Grande Guerre éclate et lui offre un sursis pour finalement lui permettre d'être amnistié en
1918.
La chaîne de Ponzi
Stavisky est en quête permanente de liquidités et, pour ce faire, il va créer une banque pour s'enrichir
davantage. Il s'inspirera d'ailleurs du tristement célèbre Charles Ponzi. Cet escroc de Boston avait imaginé dans les années 20 un système de vente pyramidale dont le fonctionnement reposait sur
un processus très simple. Il s'agissait de financer les investissements réalisés par les clients au moyen des dépôts fournis par les nouveaux arrivants. L'acquisition de ces sommes importantes va
permettre à Stavisky d'acquérir des entreprises, d'investir dans l'immobilier en créant notamment la
société foncière phocéenne ou encore de racheter le journal La Volonté et d'y placer à sa tête le chef de la police judiciaire.
Stavisky sait s'entourer, il introduit au sein du conseil d'administration de ses entreprises des
personnalités influentes dont la présence rassure les investisseurs. Néanmoins, la pyramide de Ponzi connaît des limites et s'écroule lorsque les sommes procurées par les nouveaux entrants ne
permettent plus de couvrir les investissements des autres clients. Mais lorsque le bateau commence à tanguer, "l'homme le mieux habillé de Paris" fait intervenir ses avocats et use de son réseau
d'influence pour faire pression sur ses clients et actionnaires révoltés. Il obtient ainsi des délais supplémentaires pour monter de nouvelles escroqueries dans l'optique d'honorer ses créanciers
précédents.
De l'ombre à la lumière
Sacha Stavisky mène une vie de Pacha, entre Rolls-Royce, villa de luxe et casino alors que les plaintes
contre lui augmentent de façon exponentielle. L'usurpateur passe systématiquement à travers les mailles du filet jusqu'au jour où, en avril 1926, il est convoqué par un juge d'instruction pour
une affaire dans laquelle il est accusé d'avoir volé des titres à deux agents de change. Cette fois-ci, il ne parvient pas à faire plier ce juge opiniâtre et persévérant. Il décide donc de
s'enfuir au cours de l'audition pour se réfugier dans sa demeure de Marly-le-Roi. Il est finalement mis en état d'arrestation, puis incarcéré durant dix-sept mois. Il est libéré pour d'obscures
raisons médicales et ne met pas longtemps à se remettre en selle.
Ce séjour à l'ombre n'a pas refroidi les ardeurs du désormais "M. Serge Alexandre". La fraude est viscérale chez Stavisky, et ce frénétique de l'escroquerie va mettre en place un nouveau stratagème. Il décide de monter deux
arnaques, une auprès du crédit municipal d'Orléans, puis de Bayonne, par l'intermédiaire de la complicité du député-maire de la ville, Joseph Garat. Les crédits municipaux émettent des bons de
caisse indemnisables auprès des banques et/ou assurances. Les sommes acquises par le biais des bons de caisse permettent donc à Stavisky d'effectuer des opérations avec des clients. Des personnes en quête de liquidités déposent des objets de
valeur en échange d'une somme d'argent. Il crée la société Alex, spécialisée dans l'achat et la vente de bijoux ainsi que dans le prêt sur gage. La société Alex à Orléans puis le duo
Tissier-Cohen à Bayonne disposent du statut d'"expert" et dévaluent systématiquement l'estimation des objets précieux, remplacent ces derniers par de faux objets pour ensuite vendre les vrais au
prix fort.
Le Parti radical gangrené
L'appât du gain n'a pas de limites chez Stavisky, qui multiplie l'émission de faux bons au point de ne pas
passer inaperçu. Néanmoins, le fruit de ses manigances lui permet d'acheter la compagnie de nombreux hommes politiques issus de la gauche radicale. Les banques et les assurances ne peuvent rien
face aux malversations de Stavisky. L'homme est intouchable. Son argent corrompt et influence une bonne
partie de la sphère politique. S'il tombe, il entraîne de nombreuses personnalités dans sa chute. Les mois passent, l'imposture se précise et provoque une pression judiciaire croissante. Le
parquet dévoile la supercherie, qui se répand à travers une presse déchaînée, qui n'hésite pas à dénoncer toute cette corruption.
Des noms de ministres et de députés sont cités dans la presse. On apprend parallèlement que la justice, des journaux et la police ont été généreusement arrosés par l'argent sale du "beau Sacha".
Stavisky est désormais un homme traqué qui tente de disparaître dans une villa à Chamonix où il pense que l'affaire va s'estomper avec le temps. Mais, très vite, il apprend qu'un mandat d'arrêt a
été lancé contre lui. La police ne met pas longtemps à le retrouver, se présente à son domicile où un coup de feu retentit. Stavisky est retrouvé agonisant sur le sol, une balle en pleine tête. Il est transporté à l'hôpital deux heures
plus tard et meurt dans la nuit.
La théorie du suicide est vivement contestée. En témoignent les propos tenus par Le Canard enchaîné à l'époque qui titra : "Stavisky s'est suicidé d'une balle tirée à trois mètres. Ce que c'est que d'avoir le bras long." Une violente vague
antiparlementaire s'empare du pays et donne lieu à des émeutes sanglantes dans Paris le 6 février 1934. Les répercussions de l'affaire Stavisky sont colossales. Elles servent de prétexte aux mouvements d'extrême droite connus sous le nom des
Ligues, et autres mouvances antiparlementaires. Alors président du conseil, Daladier est obligé de démissionner.