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Mossad

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Le Mossad ( Ha-Mosad le-Modi'in u-le-Tafkidim Meyuhadim, ce qui signifie « Institut pour les renseignements et les affaires spéciales », Mossad signifiant l’« Institut ») est l’une des trois agences de renseignement d’Israël, avec le Shabak (plus connu sous le nom de « Shin Bet » - service de sécurité intérieure) et le Aman (chargé de la sécurité militaire). 

Reuven Shiloah et Isser HarelReuven Shiloah et Isser Harel

Reuven Shiloah et Isser Harel

Le Mossad fait partie des agences de renseignement israéliennes comme, entre autres, l’Aman (renseignement militaire) et le Shabak (sécurité intérieure), mais son directeur ne rend compte qu’au Premier ministre. Le domaine d’action du Mossad recouvre le renseignement, les opérations spéciales et la lutte anti-terroristes, à l’extérieur d’Israël et des territoires palestiniens occupés (qui sont eux de la responsabilité du Shabak, autrefois Shin Beth, service intérieur de contre-espionnage et d’antiterrorisme). Son état-major est basé à Tel Aviv où environ 1 500 personnes seraient employées. Le rôle et la fonction du Mossad sont comparables au Secret Intelligence Service britannique ou à la CIA. Mais il possède aussi ses particularités liées à l’histoire et la politique d'Israël ; il est ainsi, par exemple, chargé de faciliter l’aliyah (retour en Israël) lorsqu’elle est interdite.

 

Le Mossad est né des survivances du SHAY, le service de renseignement de la Haganah, une milice juive clandestine chargée de la sécurité des habitants juifs en terre de Palestine depuis le début du XXe siècle. La Haganah (« défense » en hébreu) a notamment constitué le noyau dur de l’armée israélienne à la suite de la création de l’État d’Israël en mai 1948. En juillet 1949, Reuven Shiloah, un proche collaborateur de David Ben Gourion, propose la création d’une institution centrale pour organiser et coordonner les services de renseignements et de sécurité. Le 13 décembre 1949, Ben Gourion autorise l’établissement de cet institut de coordination s’occupant du département politique et coordonnant les services de sécurité intérieure de renseignement militaires : le Mossad est officiellement né ce jour-là. Il dépend directement du Premier ministre d’Israël.

 

Les départements du Mossad :

Le Mossad se compose de 8 divisions, mais le détail de l’organisation interne de l’agence n’est pas du domaine public.

 

  • L’information : la division de l’Information est la plus importante. Elle est responsable des opérations d’espionnage à l’étranger, à travers ses antennes officielles ou clandestines. Ce département se divise lui-même en bureaux, chacun d’entre eux étant responsable d’une zone géographique, des antennes qui s’y trouvent, et des agents qui y opèrent.
  • Recherche & Étude : la division de la Recherche est responsable de l’interprétation des renseignements. Elle fournit un rapport quotidien, un bulletin hebdomadaire et un carnet mensuel détaillé. Ce département se divise en 15 zones géographiques qui sont les États-Unis, le Canada, l’Europe de l'Ouest, la CEI, la Chine, le continent africain, le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), la Libye, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, la Syrie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran. Un bureau annexe suit l’évolution des projets d’armement des pays voisins.
  • Guerre psychologique : cette division, appelée Loh’ama Psichologit, s’occupe de la guerre psychologique, de la propagande et des opérations de mystification.
  • Technologie & techniques.
  • Planification, coordination & relations internationales : la division des relations internationales s’occupe des relations et des opérations communes avec les agences des pays amis, mais aussi avec les pays n’entretenant pas de relations normalisées avec l’État d’Israël. Dans les antennes de grande importance comme Paris, le Mossad dispose, sous le couvert de l’ambassade, d’un responsable affilié à la division de l’Information, et d’un responsable des Relations Internationales.
  • La division des opérations spéciales : la division des opérations spéciales (METSADA en hébreu) conduit les opérations paramilitaires, de guerres psychologiques, de sabotage et d’assassinat.
  • Formation.
  • Administration

 

Opérations célèbres :

 

Eli Cohen est un célèbre espion israélien, recruté par le Mossad dans les années 1960. Ayant infiltré les hautes sphères du gouvernement syrien, Eli Cohen transmit des informations stratégiques à son pays pendant deux ans avant d’être démasqué. Malgré les protestations internationales, il fut pendu sur la place publique. Un autre agent israélien, Wolfgang Lotz, se lia d’amitiés avec des hauts gradés de l’armée et de la police égyptienne, obtenant ainsi des informations précises sur les sites de missiles et sur le projet de missile balistique développé par des scientifiques allemands. Entre 1962 et 1963, une opération d’intimidation visant les Allemands obtient un grand succès, notamment avec l’assassinat de plusieurs responsables clés du projet égyptien. 

 

En décembre 1969, le Mossad déroba sept vedettes commandées à la France, mises sous embargo par le général de Gaulle. L’opération fut popularisée comme l’affaire des vedettes de Cherbourg. En 1960, le Mossad enlève le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann, à Buenos Aires en Argentine, après plusieurs années de traque dirigées par Rafi Eitan. Eichmann fut conduit en Israël pour y être jugé et condamné à mort. Une opération similaire prévoyait la capture de Joseph Mengele, mais elle échoua. Une autre capture visa à ramener Mordechaï Vanunu en Israël, après qu’il eut révélé à un quotidien anglais l’existence d’ogives nucléaires dans les sous-sols de la centrale nucléaire de Dimona, en plein désert du Néguev (sud d’Israël). Durant les années 1970 sous l’impulsion du Premier ministre Golda Meir, le Mossad assassina plusieurs membres du groupe terroriste Septembre noir, responsable de la prise d’otages et du massacre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. En avril 1988, une unité spéciale envahit une résidence sous surveillance de Tunis et y tue Abou Jihad, bras droit de Yasser Arafat et responsable de la planification d’attentats contre Israël. Gerald Bull, scientifique canadien et concepteur du projet de « Super Gun » (canon à très longue portée) pour l’Irak, est assassiné dans son appartement bruxellois en mars 1990, provoquant ainsi l’abandon du programme.

 

Cependant, le Mossad connut également certains échecs retentissants. Le 7 janvier 1974, à Lillehammer (Norvège), dans le cadre de l’opération Colère de Dieu, le Mossad assassine par erreur Ahmed Bouchiki, un serveur marocain, présentant une ressemblance frappante avec Ali Hassan Salameh, cerveau du massacre de 1972. Les agents impliqués dans cette opération sont arrêtés par la police. Cinq d’entre eux furent reconnus coupables et condamnés à de courtes peines de prison, bien que le gouvernement israélien ait nié avoir une quelconque responsabilité dans cette opération. Cependant en 1996, Israël versa à la famille Bouchiki des dommages-intérêts. Plus récemment, à la suite de la controverse sur la responsabilité des services de renseignements dans l’assassinat d’Yitzhak Rabin en novembre 1995, le directeur général du Mossad, Shabtaï Shavit est poussé à la démission. Le général Danny Yatom lui succède.

 

Pinhas, âgé de 22 ans, Rav Samal « Officier » dans l’armée de Tsahal sera capturé et fait prisonnier en Syrie en 1973 pendant la guerre de Yom Kippour, à sa libération il intègre le mossad y est formé et son rôle sera déterminant dans l’arrestation en 1992 au Liban de deux dirigeants importants du « Hamas ». Le 24 septembre 1997, deux agents passent la frontière jordanienne munis de passeports canadiens, pour injecter un poison à l’un des leaders politiques du Hamas, Khaled Mechaal. Après avoir exécuté leur mission, les deux agents sont découverts. La Jordanie négocie leur libération contre l’antidote du poison, qui permettra au numéro deux du Hamas de survivre, et la libération du fondateur du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine.

Les agents célèbres :
 

  • Michael Ross, ancien de la branche clandestine du Mossad, 1988-2001
  • Tzipi Livni, ancienne ministre des Affaires Étrangères d’Israël - ancienne membre de l’unité d’assassinat du service (Kidon)
  • Eli Cohen, agent d’origine égyptienne, infiltré pendant trois ans en Syrie
  • Zvi Henkine, agent d’origine française, directeur adjoint du Mossad ayant joué un rôle important dans l’affaire des frégates
  • Cheryl Ben Tov, agente qui attira Mordechai Vanunu dans un piège à Rome
  • Wolfgang Lotz, agent d’origine allemande infiltré en Égypte
  • Rafael Eitan, ancien chef des opérations de l’Institut, dont la patte se retrouve dans le kidnapping d’Eichmann, la mort d’Ali Hassan Salameh, l’affaire Pollard, notamment.


Directeurs du Mossad :
 


Directeurs-adjoints du Mossad :
 

  • Shmuel Toledano 1956-1963
  • Yaakov Karoz 1963-
  • Zvi Henkine 1980-1990
  • Ephraim Halevy 1990-1995
  • Aliza Magen 1995-1998
  • Amir Levine 1998-2000

Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR)

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Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, ou POSDR, nommé aussi Parti social-démocrate des Travailleurs de Russie ou Parti social-démocrate de Russie, était une organisation politique marxiste révolutionnaire russe fondée en mars 1898. Le POSDR se divise plus tard en deux factions : les bolcheviks et les mencheviks. Le parti bolchevik devient par la suite le Parti communiste de l'Union soviétique.

LénineKarl Marx et Friedrich Engels se sont intéressés au mouvement révolutionnaire russe dès sa naissance, en particulier à l’analyse des « populistes » (narodniks) qui, rejetant le capitalisme occidental et ses maux, préconisaient le passage direct à un socialisme s'appuyant sur les communautés paysannes (mir, obchtchina). Le Groupe "Libération du Travail" est formé en 1883 par d'anciens populistes (Georgui Plekhanov, Pavel Axelrod, Véra Zassoulitch,...). En mars 1898, lors d'un congrès clandestin réuni à Minsk, pour unifier les diverses organisations révolutionnaires (en l'absence de Lénine, alors en exil en Sibérie ; Pierre Strouvé était l'un des participants), le Congrès réunit des délégués de trois organisations: le groupe de la Rabotchaia Gazeta de Kiev, les Unions de Lutte pour la libération de la classe ouvrière de Saint Pétersbourg, de Moscou et d'Ekaterinoslav et le Bund.

L'unique délégué ouvrier présent au Congrès était un militant du Bund. Ce congrès procéda à l'élection d'un Comité Central composé par trois personnes: Boris Eidelman (de la Rabotchaia Gazeta de Kiev), Arkady Kremer (du Bund) et Stepan Radchenko (de l'Union de lutte de Saint-Petersbourg). Le Congrès adopta un manifeste (dont la rédaction finale fut confiée à P. Strouvé) et fixa des règles de fonctionnement du Parti même si, sur le plan formel, il n'adopta ni programme, ni statuts. Le jeune parti fut durement frappé par la répression tsariste. Peu après sa fondation, des arrestations de masse frappèrent 500 militants et sympathisants. Sept des neuf délégués au Congrès furent emprisonnés. A partir des années trente, l'historiographie officielle soviétique s'est attachée à minimiser l'importance de ce premier Congrès, le seul pourtant à avoir été organisé sur le territoire de la Russie tsariste.

Peu de temps après le congrès de Minsk, les neuf membres du Comité Central sont arrêtés. Le POSDR est créé en opposition au narodnichestvo, le populisme révolutionnaire, la tactique des révolutionnaires qui rejoindront ultérieurement le Parti socialiste-révolutionnaire (SR, эсеры). Le programme du POSDR se base sur le marxisme. Selon son analyse, en dépit de la prédominance de la petite production agricole en Russie, le vrai potentiel révolutionnaire résiderait dans le prolétariat industriel.

Avant le second congrès, un jeune intellectuel nommé Vladimir Ilyitch Oulianov, mieux connu sous le pseudonyme de Lénine (Ленин) rejoint le parti. En 1901, de l'étranger où ils étaient venus rejoindre les anciens immigrés du groupe "Libération du Travail", Lénine et Julius Martov commencent la publication de l'Iskra (L'Etincelle). Ils voulaient grâce à cette publication bâtir un grand parti centralisant, si nécessaire de façon volontariste, les différents groupes socialistes et cercles ouvriers existant en Russie. En 1902, Lénine publie Que faire ?, qui expose sa conception organisationnelle du parti.

Très rapidement se développe à l'intérieur du POSDR l'opposition entre deux tendances : "Iskristes" et "Economistes". Le terme "économistes" désignait les sociaux-démocrates russes qui luttaient plus pour l'amélioration des conditions de vie immédiate des ouvriers que pour la révolution (position logique par rapport à la Deuxième Internationale). Après l'élimination des "économistes", c'est au sein des "iskristes" que des divergences profondes allaient se révéler.

En 1903, le second congrès réunit en Belgique émigrés et intellectuels vivant à l'étranger, pour tenter de constituer une force politique unifiée. Le Bund (l'Union générale des travailleurs juifs), groupe nationaliste juif, ne participera que partiellement aux travaux du congrès. Le parti se scinde en deux factions le 17 novembre: les Bolcheviks (большевик; de bolchinstvo, "majorité"), dirigés par Lénine et regroupés autour de l'Iskra, et les Mencheviks (меньшевик; de Menchinstvo, "minorité"), dirigés par Julius Martov. Le terme de majorité provient du résultat d'un vote effectué au congrès au sujet de questions d'organisation et de stratégie, bien que le parti bolchevik soit resté en minorité politique jusqu'en octobre 1917.

Schématiquement, les bolcheviks rassemblent la tendance en apparence homogène de Lénine, alors que les mencheviks regroupent différentes tendances: sociaux-démocrates traditionnels, tendance plus "à gauche" de Julius Martov, tendance "gauchiste" de Trotsky. La scission est surtout due aux divergences en matière d'organisation. À la conception léniniste du parti de cadres, formé de révolutionnaires professionnels, s'oppose la conception d'un parti de masse, où l'adhésion au parti est ouverte plus largement. Malgré toutes les tentatives de réunification, les deux parties demeurent inconciliables.

Trotsky siège au II° Congrès au titre de délégué de l'Union Sibérienne. Après y avoir combattu durement le Bund, il se retrouve lors de la scission du côté de la "minorité". Il continue alors pour une courte période à collaborer à l'Iskra, contrôlée par les Menchéviks. Pour fournir à ses mandants un exposé de son action lors du congrès, il publie en 1904 le "Rapport de la délégation sibérienne" ou il s'attaque à Lénine, le comparant à Robespierre, l'accusant de mettre le parti "dans un état de siège", de lui "imposer sa poigne de fer", et de transformer "son modeste comité central en comité de salut public".

Tout comme plus tard en février 1917, les évènements de 1905 surprennent toutes les composantes du "mouvement ouvrier" russe, à commencer par celles du POSDR. Fidèles à leurs conceptions, les menchéviks voient dans les évènements de 1905 et l'apparition des soviets le moyen de construire enfin le large et véritable parti social-démocrate, les comités ouvriers étant appelés dans l'avenir à se transformer en syndicats. Les bolchéviks eux tentent de plaquer sur la situation la tactique léniniste développée dans Que Faire ?.

Il s'agit pour eux de "convaincre ces organisations (les soviets) d'accepter le programme du parti social-démocrate comme étant le seul conforme aux vrais intérêts du prolétariat. Après l'acceptation de ce programme, elles doivent évidemment déterminer leur attitude envers le parti social-démocrate, reconnaître sa direction et finalement se fondre dans ce parti. Cette position sera nuancée après l'arrivée de Lénine qui tout en se méfiant de cet organe spontanément apparu, ne répudiait pas à l'idée d'y travailler.

Les sociaux-démocrates boycottent les élections de la première Douma (avril-juillet 1906), mais sont représentés à la seconde Douma (février-juin 1907). Ils détiennent avec les socialistes-révolutionnaires 83 sièges. La seconde Douma est dissoute sous prétexte d'une conspiration de subversion de l'armée. Sous de nouvelles lois électorales, la présence des sociaux-démocrates à la troisième Douma (1907) est réduite à 19. À la quatrième Douma (1912), les sociaux-démocrates sont définitivement divisés. Les mencheviks ont cinq membres et les bolcheviks sept, dont Roman Malinovski, qui se révèlera plus tard être un agent de l'Okhrana.

Les bolcheviks prennent le pouvoir politique lors de la révolution d'Octobre en 1917, qui renverse le gouvernement provisoire de Kerensky (qui avait succédé au régime tsariste après la révolution de Février). En mars 1918, il prend le nom de Parti Communiste de Russie (bolchevik). La faction menchevique est exclue des soviets en 1918, puis interdite après la révolte de Kronstadt en 1921. En janvier 1934, le parti devient le Parti Communiste d'Union Soviétique (bolchevik), puis le Parti communiste de l'Union soviétique en octobre 1952.

Expérimentation médicale nazie

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L’expérimentation médicale nazie désigne les expériences médicales pratiquées en vertu de l'idéologie nazie par des médecins SS sur des déportés dans les camps de concentration et des instituts scientifiques sous l'égide de la société Ahnenerbe - héritage des ancêtres dont Heinrich Himmler était le président. 

August Hirt et Joseph Mengele et Otto BickenbachAugust Hirt et Joseph Mengele et Otto BickenbachAugust Hirt et Joseph Mengele et Otto Bickenbach

August Hirt et Joseph Mengele et Otto Bickenbach

Les médecins nazis sont influencés par l'enseignement prodigué dans les facultés européennes de médecine au XIXe siècle : les promoteurs du racisme biologique, Joseph Arthur de Gobineau et Houston Stewart Chamberlain, construisent le mythe de la pureté de la race qui affirme la supériorité des races pures sur les races dites métissées. Les médecins allemands, dont plus de 50 % sont alors membres du parti nazi (SA et SS), sont influencés par cette idéologie mais empruntent un Sonderweg basé sur l’imaginaire médical de la souillure et l'hygiène raciale allemande développée par le médecin Alfred Ploetz, sur la notion d' espace vital forgée par le pharmacien Friedrich Ratzel puis sur le mythe de la race aryenne prôné par Adolf Hitler.

Suite au Programme Aktion T4 qui euthanasie des handicapés allemands, programme qui est une répétition générale avant ces expérimentations, le régime nazi dispose d'une centaine de spécialistes de la mise à mort issus des six stations d'euthanasie T-4, dont des médecins qui sont envoyés à Odilo Globocnik, chef de la SS et de la police du district de Lublin dans le cadre de l'Opération Reinhard.

Les expériences pratiquées par les médecins nazis se sont déroulées hors des protocoles scientifiques et des codes déontologiques admis et reconnus par la communauté scientifique et médicale internationale, qui n'existaient pas à l'époque. Elles exposaient les cobayes humains à des conditions cruelles voire barbares pour les plus extrêmes d'entre elles avec des apports scientifiques contestables voire inutiles.

Des expériences comme des inoculations de germes mortels (typhus) étaient également pratiquées, ainsi que des expériences sur l'alimentation, sur les gaz de combats, les brûlures au phosphore, des injections intraveineuses de phénol, essais de nouveaux sulfamides, etc. Expériences sur l'hypothermie, l'ingestion d'eau salée, la dépressurisation (les médecins de la Luftwaffe voulant prévenir l'exposition au froid ou à la soif de ses aviateurs lorsqu'ils tombent à l'eau ou qu'ils volent à haute altitude), prise de mescaline.

Camp de Ravensbrück

Expériences sur la reconstitution de l'os sans périoste.

Camp d'Auschwitz

Expériences sur la gémellité, différentes maladies et la reproduction humaine menées par le docteur Josef Mengele : l'un de ses projets porte sur l'étude du noma, maladie qui provoque de graves mutilations faciales et dont il pense qu'elle a un caractère héréditaire, particulièrement fréquent chez les Tziganes : il traite un grand nombre d'enfants souffrant de cette maladie, en leur administrant des vitamines et des sulfamides ; mais dès que les progrès sont suffisants pour attester de l'efficacité du traitement, il interrompt celui-ci et laisse les enfants rechuter. Dans la ligne de son mentor Otmar von Verschuer, il met également en place des programmes de recherche pseudo-scientifiques, portant sur les jumeaux, mais aussi sur les nains, les bossus, les transsexuels.

Camp de Natzwiller

Expériences sur l'ypérite. Ces expériences sont menées par le Dr August Hirt. Expériences sur le typhus. Ces expériences sont menées par le Dr Eugen Haagen. Expériences sur le phosgène. Ces expériences sont menées par le Dr Otto Bickenbach.

Camp de Buchenwald

Expériences de traitements hormonaux sur des homosexuels, expérience sur le paludisme, stérilisations massives, etc.

Les experts militaires chargés d'enquêter sur ces expériences montrèrent que les motivations étaient de deux sortes : les uns foncièrement guidés par l'ambition personnelle de gravir rapidement les échelons dans l'appareil administratif, les autres dans une démarche engagée et idéologique, voulaient contribuer en tant que serviteur sincère et fanatique de l'État national-socialiste, à asseoir la domination du régime nazi sur l'Europe . Les témoignages des rescapés soulignent le caractère pathologique des conditions qui entouraient ces expériences : une véritable folie s'installait dans certains camps (en particulier Buchenwald et Dachau), où tous types d'expériences étaient pratiqués, de la plus inepte à la plus atroce, le plus souvent sur un coup de tête d'un garde SS.

À la fin de la guerre, 23 personnes impliquées dans des expériences sur des humains, dont 20 médecins (dont une femme) et trois officiels nazis, sont jugées au cours d'un procès connu comme le « procès des médecins » qui est le premier de la série des Procès de Nuremberg. Cinq personnes sont acquittées, sept condamnées à mort et les autres à diverses peines de prison. Suite au procès des médecins, en 1947, est élaboré un ensemble de principes, le Code de Nuremberg, qui pose les bases de la bioéthique et de ce qui est tolérable en matière d'expérimentation sur l'humain.

D'un point de vue méthodologique, ces expériences ne sont pas « reproductibles », et d'un point de vue statistique, elles ne sont pas représentatives (panel trop restreint, trop affaibli). En outre, ces expériences n'apprirent rien que l'on ne sache déjà sur l'hypothermie, la mescaline, la consommation d'eau salée, l'évolution des plaies ouvertes ou le déroulé des maladies infectieuses (jusqu'à la mort). Enfin, du point de vue éthique, les expériences de dépressurisation (aviateurs), les essais de stérilisations massives ou les essais de casques ne donnèrent aucun résultat de nature à légitimer les souffrances infligées aux victimes.

Constitution de l'idéologie d'Adolf Hitler

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Les historiens et les biographes notent de la difficulté à attribuer les convictions politiques d'Adolf Hitler

Adolf Hitler

Adolf Hitler

Ses écrits et ses méthodes ont souvent été adaptés aux besoins et aux circonstances mais l'antisémitisme, l'anti-communisme, l'anti-parlementarisme, l'anti-capitalisme, l'expansionnisme allemand, la croyance en la supériorité d'une « race aryenne » et une forme extrême de nationalisme allemand étaient des thèmes stables. Hitler en personne a affirmé qu'il se battait contre le marxisme juif et le capitalisme.

Selon lui, communisme et capitalisme ne sont qu'un complot juif pour prendre le pouvoir dans le monde. Ses vues ont été plus ou moins formées au cours de trois périodes : (1908-1913) : Les années de sa pauvreté comme jeune adulte à Vienne et à Munich avant la Première Guerre mondiale, pendant laquelle il a de la méfiance pour des journaux et des partis politiques.

(1918-1919) : Les derniers mois de la Première Guerre mondiale et l'année suivante, lorsque, l'Allemagne ayant perdu la guerre, Hitler aurait développé son nationalisme extrême et un désir de « sauver » l'Allemagne à la fois de ses ennemis internes et externes. C'est de cette époque que date le premier écrit antisémite d'Hitler, une lettre qu'il a adressée, le 16 septembre 1919, à un certain Adolf Gemlich, sur l'initiative de son supérieur, le capitaine Karl Mayr.

Il y oppose un antisémitisme passionnel qui débouche sur des pogroms à un antisémitisme rationnel visant à l'élimination irrévocable des Juifs en général. Les années 1920, au cours desquelles il commence sa carrière politique et rédige Mein Kampf.

Pie XII

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Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli (Rome, 2 mars 1876 – Castel Gandolfo, 9 octobre 1958), élu pape le 2 mars 1939 sous le nom de Pie XII (en latin Pius XII, en italien Pio XII).

Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli

Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli

Eugenio Pacelli naît à Rome en 1876, dans une famille de la noblesse noire du Saint-Siège fidèle à la papauté pendant la Question romaine (de 1870 à 1929 accords du Latran): son grand-père Marcantonio Pacelli, avait été ministre des finances de Grégoire XVI puis secrétaire à l'Intérieur sous le pontificat de Pie IX de 1851 à 1870, l'un des fondateurs du journal officiel du Vatican, L'Osservatore romano, en 1861 il accompagne le Pape en exil à Gaete.

Son père, Filippo Pacelli (1837-1916), avocat à la Rote romaine puis avocat consistorial se montra également défavorable à l'intégration des États pontificaux au royaume d'Italie après 1870.  Un oncle (Guiseppe Pacelli) est Monsignor (il le baptise), un de ses cousins, Ernesto Pacelli est un conseiller financier de Léon XIII, sa mère, Virginia Graziosi (1844-1920) vient d'une famille distinguée pour ses services rendus au Saint-Siège, enfin, son frère, Francesco Pacelli, docteur en droit canon et juriste du Saint-Siège, allait être l'un des négociateurs des accords du Latran en 1929. Avec son frère Francesco et leurs deux sœurs, Giuseppina et Elisabetta, Eugenio grandit à Rome, va à l'école chez les religieuses puis à partir de 7 ans, au lycée Visconti, établissement public marqué par un certain anticléricalisme populaire.

Eugenio Pacelli annonce dès 12 ans son intention d'être prêtre et non homme de loi, ce qui n'étonne pas sa famille (il était fasciné par Saint Philippe Neri dont le corps était sous l'autel de l'église de la paroisse où il servait comme enfant de chœur). Étudiant dicipliné, sportif (natation, cheval, canot) musicien (violon) s'intéressant à l'archéologie, il commence en 1894 sa théologie à l'Université grégorienne, comme pensionnaire du Collège Capranica. De 1895 à 1896, il effectue son année de philosophie à l'université romaine de La Sapienza. Il visite Paris en 1896 rejoint l'institut Apollinare de l'université pontificale du Latran en 1899, y obtient trois licences, l'une de théologie et les autres in utroque jure (« dans les deux droits », c'est-à-dire droit civil et droit canonique). Au séminaire, pour des raisons de santé, il échappe au lot commun et obtient de rentrer chaque soir au domicile parental. Il est ordonné prêtre à Pâques le 2 avril 1899 par Mgr Francesco di Paola Cassetta, un ami de la famille.

Pacelli est invité à travailler dans les bureaux du Vatican par Monsignor Pietro Gasparri, où domine Mariano Rampolla, le secrétaire d'État du Pape Léon XIII. En 1901, il entre à la Congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires, chargée des relations internationales du Vatican, par la recommandation d'un des frères cardinaux Vannutelli, ami de la famille. Il y devient minutante. Il est choisi par Léon XIII pour porter les condoléances du Vatican après le décès de la reine Victoria Ière. Pacelli assiste,en tant que minutante au conclave d'août 1903, qui voit l'empereur d'Autriche François-Joseph Ier porter la dernière exclusive contre le cardinal Rampolla et aboutit à l'élection de Pie X. En 1904, il est nommé par le cardinal Gasparri secrétaire pour la Commission pour la codification du droit canonique. Il devient également camérier secret, signe de confiance de la part du pape.

Identifié comme un proche de Pie X, pape antimoderniste, il aurait appartenu à la Sapinière « quoique sa position ne [soit] pas intransigeante.[Il était vu comme un] serviteur du Saint-Siège essentiellement étranger aux conflits qui secouaient les milieux du Vatican ». Il publie une étude sur La Personnalité et la territorialité des lois, spécialement dans le droit canon, puis un livret blanc sur la séparation des Églises et de l'État en France où il s'est rendu l'année précédente. Pacelli décline de nombreuses offres de chaires de droit canonique, aussi bien à l'Apollinaire qu'à l'université catholique de Washington.

Il accepte cependant d'enseigner à l'Académie des nobles ecclésiastiques, vivier de la Curie romaine. En 1905, il est promu prélat domestique. Il est nommé Professeur de droit canon à l'université Romaine et de l'université Catholique des États Unis[pas clair] (1908). Nommé représentant du Vatican au congrès International Eucharistique de Londres (1908), il rencontre Winston Churchill et représente le Saint-Siège au couronnement du roi Georges V en 1911. Il est également chapelain des sœurs de l'Assomption.

Sa carrière est une suite de promotions: en 1911, il devient sous-secrétaire aux Affaires ecclésiastiques extraordinaires; puis en 1912, secrétaire adjoint, et secrétaire le 1er février 1914 (il y succède à Gasparri qui vient d'être promu Cardinal secrétaire d'État). Il conclut un concordat avec la Serbie quelques jours avant l'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand d'Autriche. Benoit XV lui conserve ce poste où il promeut la politique pacifiste du pape pendant la Première Guerre mondiale (il est chargé du suivi des prisonniers de guerre). Il tente en particulier de dissuader l'Italie d'entrer en guerre contre les puissances centrales (Autriche-Hongrie et Allemagne): en 1915, lors d'un voyage à Vienne, en collaboration avec le nonce apostolique Mgr Scapinelli, il cherche à convaincre l'empereur François-Joseph à plus patience à l'égard de l'Italie.

Le 20 avril 1917, Benoît XV nomme Pacelli nonce apostolique en Bavière: Munich est alors l'unique représentation pontificale de l'Empire allemand. Trois jours plus tard, il le nomme archevêque in partibus de Sardes et le sacre dans la chapelle Sixtine, le 13 mai 1917 (jour des apparitions de Fatima). Reçu par Louis III de Bavière le 29 mai 1917, il tente en vain de promouvoir la note de Benoît XV du 1er août 1917, demandant la paix, auprès du Kaiser Guillaume II: le Chancelier Bethmann-Hollweg plus intéressé, doit démissionner. Pacelli s'efforce de connaître l'Église catholique allemande, visitant les diocèses et assistant aux principales manifestations catholiques, comme le Katholikentag. Il rencontre son conseiller Robert Leiber et, lors de ses vacances d'été, chez les sœurs à Rorschach au Lac de Constance, il prend à son service l'allemande sœur Pasqualina, alors âgée de 23 ans, qui resta sa gouvernante jusqu'à la fin de sa vie.

Après l'effondrement de l'Allemagne, une révolution spartakiste éclate en Bavière, en 1919, et des révolutionnaires menacent le nonce apostolique de leurs armes pour prendre sa voiture. La République des conseils de Munich nationalise l'immeuble de la nonciature, qui est rendue après la protestation officielle du diplomate; le nonce écrit au Vatican que ce régime - qui dura un mois - est une « très dure tyrannie russo-révolutionaire ».

Le Saint Siège en 1919, reconnaît la nonciature en Bavière compétente pour l'ensemble du territoire allemand; le 23 juin 1920, est établie une nonciature en Allemagne que Pacelli reçoit, en même temps que la nonciature de Prusse, (double poste purement formel puisque le personnel et l'adresse sont les mêmes). Pacelli demeure toutefois en Bavière jusqu'à la conclusion d'un concordat (1924) où il s'inquiète de la montée de la droite Nationaliste: une campagne, en mars 1923, assimile les Jésuites, les Juifs et les protestants à des ennemis de l'Allemagne. Il déconseille à cause de ce risque d'amalgame les rapprochements œcuméniques. Il vit à Munich le putsch manqué Hitler-Ludendorff du 8 et 9 novembre 1923. Il alerte au Vatican le nouveau pape Pie XI (élu en 1922) contre le caractère anticatholique de ce coup d'état et, en mai 1924, il estime que le nazisme est « peut-être la pire hérésie de notre époque ».

Il n'emménage à Berlin (au palais neuf de la nonciature) que le 18 août 1925 et conduit, de 1925 à 1929, les négociations d'un concordat avec la Prusse. L'échec d'un concordat global avec l'Allemagne provient d'une méfiance réciproque avec le gouvernement. Hostile aux communistes, proche du père Kaas, membre du Zentrum, il déconseille une alliance politique du parti catholique avec la coalition socio-démocrate/libérale de la République de Weimar. Il appuie toutefois les efforts diplomatiques de l'Allemagne (demande de modération des réparations de guerre, refus de la sécession du clergé de la Sarre souhaitée par la France, aide à la nomination d'un administrateur papal pour Danzig et réintégration de prêtres de Pologne). En août 1929, au nonce Autrichien, il décrit Adolf Hitler, comme un « "redoutable agitateur politique" », ajoutant :

« "ou bien je me trompe vraiment beaucoup, ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Cet être-là est entièrement possédé de lui-même : tout ce qu'il dit et écrit porte l'empreinte de son égoïsme ; c'est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin - je n'arrive pas à comprendre que tant de gens en Allemagne, même parmi les meilleurs, ne voient pas cela, ou du moins ne tirent aucune leçon de ce qu'il écrit et dit. - Qui parmi tous ces gens, a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu'est Mein Kampf ?"  ».

Son rôle diplomatique déborde le territoire Allemand : en l'absence de nonciature auprès du régime Russe de Lénine, Pacelli prend connaissance des discussions entre le Vatican et l'URSS. En 1926, il consacre évêque le jésuite Michel d'Herbigny, chargé de constituer un clergé en Russie. Il relaie des propositions soviétiques pour l'organisation du catholicisme, jusqu'à leur échec en 1927 (arrêt par Pie XI). Afin de régulariser les relations entre le Saint-Siège et les autres États et d'y défendre les activités catholiques, il négocie plusieurs concordats avec la Lettonie en 1922, avec la Bavière en 1924, avec la Pologne en 1925, avec la Roumanie en 1927 enfin avec la Prusse en 1929.

Son élévation à la dignité de cardinal par Pie XI avec le titre de cardinal-prêtre de Saints Jean et Paul (1929) ne surprend pas. Mais sa nomination comme successeur de Gasparri au poste de cardinal secrétaire d'État crée la stupeur dans la curie, où elle apparaît comme la promotion d'un homme nouveau au service exclusif du pape et « une figure au dessus des partis ». Secrétaire d'État dès février 1930, le cardinal Pacelli devient le principal collaborateur de Pie XI qu'il voit au moins deux fois par semaine.

Tout en poursuivant son ascension dans la curie (archiprêtre de la Basílique Vaticane (1930), grand chancelier de l'Institut Pontifical d'Archéologie Chrétien (1932) et surtout camerlingue de la Sainte Église Romaine en 1935), il conduit la diplomatie, la négociation et la signature de plusieurs concordats, régissant les relations entre l'état signataire et l'Église catholique et permettant à cette dernière de faire fonctionner de nombreux groupes et associations (Bade 1932, Autriche en 1933, Yougoslavie en 1935 et Portugal en 1940). Il est associé à la protestation contre l'attitude du gouvernement Mexicain (1932), il voyage en Argentine (1934), en France, à Lourdes (1935) et à Paris et Lisieux (1937), aux États-Unis à titre privé en 1936, (il y rencontre Franklin Delano Roosevelt, le prélat Spellman et la famille de Joseph Kennedy), et en Hongrie (où il rencontre le régent Miklós Horthy en 1938).

L'ancien nonce en Allemagne continue à négocier en vain avec la république de Weimar un projet global de concordat. Politiquement, il soutient avant 1933 l'idée d'une coalition entre les catholique du Zentrum et le DNVP. Cependant le chancelier Franz von Papen choisit l'alliance avec le NSDAP de Hitler, ce qui entraîne des signes de détente entre le leader nazi parvenu au pouvoir en janvier 1933, le Zentrum et les catholiques: un discours rassurant de Hitler le 23 mars 1933, le retrait du décret des évêques qui avait explicité l'incompatibilité du catholicisme et du national-socialisme (28 mars suivant), l'ordonnance confirmant l'existence du parti catholique Zentrum (23 avril), enfin son auto-dissolution le 5 juillet 1933.

Pie XI et Pacelli profitent de cette phase pour signer le concordat en préparation depuis plusieurs années et qui donne une garantie d'état au Catholicisme Allemand. Du point de vue de Hitler, la signature permet à la fois d'éviter une activité politique éventuelle du clergé, des organismes et des ordres catholiques, et de rassurer l'étranger (en particulier l'Autriche, l'Espagne et l'Italie catholiques) tout en augmentant son prestige international. Le 20 juillet 1933, Pacelli signe avec Franz von Papen, représentant le nouveau chancelier du Reich, Adolf Hitler, un concordat avec l'Allemagne.

L'Allemagne nazie ne respectant pas le concordat, le cardinal Pacelli envoie 55 notes de protestations au gouvernement allemand entre 1933 et 1939 (soit 9 notes par an). En mars 1937, il rédige à la demande du pape, avec le cardinal-archevêque de Munich, Michael von Faulhaber, le texte de l'encyclique Mit brennender Sorge qui renouvelle ces protestations et condamne la divinisation de la race et le paganisme. Entré clandestinement en Allemagne, le texte est lu en chaire dans les églises catholiques le 21 mars; des centaines d'arrestations suivent ; mais le concordat n'est cependant pas dénoncé (il est toujours en vigueur actuellement).

En 1938, après l'approbation de l’Anschluss par l'épiscopat Autrichien, Pie XI fait intervenir Pacelli auprès du cardinal Innitzer, archevêque de Vienne, pour qu'il revienne sur cette position par une déclaration. Le 6 mai, celui-ci s'exécute, écrivant dans l'Osservatore Romano, au nom de tous les évêques d’Autriche : « "La déclaration solennelle des évêques autrichiens […] n’avait pas pour but d’être une approbation de quelque chose qui est incompatible avec la loi de Dieu et que les gestes de sympathie de l'épiscopat autrichien à l'égard du régime hitlérien n'avaient pas été concertés avec Rome ».

En mai 1938, lors de la visite de Hitler à Rome, Pacelli s'absente ostensiblement du Vatican avec le pape Pie XI qui multiplie les prises de positions contre l'alliance entre l'Italie mussolinienne et le nazisme. Pour s'opposer à la législation antisémite italienne, Pie XI déclare ainsi, le 6 septembre 1938 à des pèlerins  : « "Nous, chrétiens, sommes spirituellement des sémites" ». Le pape ordonne aux universités catholiques d'organiser un enseignement contre l'antisémitisme et le racisme, et prépare un discours contre, notamment, le contrôle de l'information par les Fascistes. Pie XI meurt dans la nuit et le texte imprimé est, conformément à l'usage, détruit par Pacelli en tant que camerlingue.

Le pape Pie XI avait laissé entendre qu'il aurait aimé avoir pour successeur le cardinal Pacelli. À la mort de ce pape, des échanges entre les gouvernements français et britannique montrent leur préférence pour le secrétaire d'état Pacelli; l'ambassadeur de France François Charles-Roux intervient activement pour soutenir son élection. L'ensemble des cardinaux français semble lui apporter leur soutien en dehors du Lorrain membre de la curie Eugène Tisserant (lui-même papabile), qui aurait préféré Luigi Maglione qu'il considérait plus ferme vis à vis de l'Allemagne. À l'intérieur de la curie, on souhaite généralement un pape moins rugueux dans son expression que ne l'était Pie XI, ce qui permettrait à la diplomatie Allemande qui venait de réaliser l'Anschluss de l'Autriche catholique de se satisfaire aussi du choix de l'ancien nonce, moins agressif. Ciano et le régime Mussolinien, cependant, semblent s'opposer à un Pacelli « trop ami de la France » et trop politique.

62 cardinaux se réunissent au Vatican. L'élection du camerlingue Eugenio Pacelli ne fait guère de doute. Mais comme on pense que les chances d'un non italien sont meilleures qu'elles ne l'ont jamais été, que les favoris ne sont pas toujours élus (quatre fois depuis 1823 sur 7) et qu'aucun secrétaire d'État n'a été élu depuis 1667 (ni d'ailleurs de Romain depuis 1670), il y a d'autres papabile: le primat de Pologne August Hlond, l'archevêque de Cologne Karl Joseph Schulte , un français, le camérier Eugène Tisserant, l'archevêque de Milan Ildefonso Schuster, la patriarche de Venise Adeodato Giovanni Piazza, l'évêque de Turin Maurilio Fossati et surtout l'évêque de Florence Elia Dalla Costa, favori des Italiens.

Le choix est rapide. Pacelli est élu pape Il aurait reçu 35 votes dès le premier tour et 40 au second, les autres suffrages se portant sur Luigi Maglione, Elia Dalla Costa de Florence, et Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve du Québec; au troisième tour, il aurait reçu une élection par acclamation (61 suffrage) peut être après avoir reçu exactement les deux tiers des voix nécessaires, et demandé un scrutin supplémentaire pour confirmation (Benoit XV avait dû prouver dans les mêmes conditions qu'il n'avait pas contrevenu à l'interdiction de voter pour lui-même. Pacelli abolit cette procédure en 1945 en portant la majorité à deux tiers plus une voix). Le 2 mars 1939, à 17 h 30, la fumée blanche apparaît, (mais elle semble un temps noircir ce qui conduit le secrétaire du conclave Vittorio Santoro à confirmer l'élection à Radio Vatican). Dans la continuité du pontificat précédent et comme l'annonce dans l'habemus papam Camillo Caccia Dominioni devant la foule qui entonne l'hymne Christus Vincit, le nouveau pape choisit le nom de règne de Pie XII (Pius XII). En passant devant sa gouvernante, Sœur Pasqualina, il lui dit « regardez ce qu'ils m'ont fait ! »

Première encyclique (octobre 1939), elle donne le ton de son enseignement socio-politique et explique le rôle de la papauté dans la société moderne, définissant aussi clairement, la position doctrinale de l'église face aux régimes politiques et en particulier aux états totalitaires. Se souvenant de la consécration du genre humain au Sacré-Cœur, Pie XII explique les malheurs des temps par l'abandon dans les sociétés modernes devenues matérialistes de l'inspiration du Christ Roi. Cette déviance les a conduit à idolâtrer, au lieu de la famille humaine faite à l'image de Dieu, soit les faux progrès de la raison libérale sans Dieu, soit un État survalorisant la Nation, l'Ethnie ou la lutte des classes. La guerre montre l'échec de l'illusion du progrès sans Dieu. La solution ne peut venir des armes, la loi juste ne peut venir de la seule démocratie: la solution doit s'appuyer sur l'incarnation divine. Le rôle du pape est de condamner les erreurs et de proclamer depuis la Chaire de Saint Pierre le Christ Roi, non qu'il s'agisse de gouverner le temporel, mais bien de répandre sur la planète l'incarnation du message de Paix et d'Amour. Les laics doivent le relayer en particulier dans l'éducation des familles. L'État ne doit pas les dominer par une éducation sans Dieu.

La généralité de cette conception dogmatique et diplomatique est aussi le cadre de ses prises de position les plus contestées (vis à vis du régime de Vichy, de Franco, de l'alliance avec le communisme...). Dans cette encyclique publiée le 30 septembre 1943, le pape donne à l'exégèse sa norme de liberté en distinguant les différents genres littéraires dans l'Écriture. Le 20 novembre 1947, Pie XII publie l'encyclique Mediator Dei, consacrée à la liturgie qui "se développe selon les circonstances et les besoins des chrétiens". Ce document insiste sur la nature de la liturgie, qui n'est pas seulement un culte public, extérieur, mais surtout un culte intérieur qui s'enracine dans la piété des fidèles (« que ce que nous professons dans nos observances extérieures, s’accomplisse réellement dans notre intérieur »). L'encyclique insiste ainsi sur l'importance de la coopération humaine à l'action divine : « l’Église cherche à faire pénétrer cet esprit dans toute la vie privée, conjugale, sociale et même économique et politique, afin que tous ceux qui portent le nom d’enfants de Dieu puissent plus facilement atteindre leur fin. »

Ce document marque le début d'une entreprise de réforme de la liturgie romaine. Pour le pape Pie XII, un tel mouvement de réforme doit se faire dans le respect d'une certaine continuité, d'une évolution organique de la liturgie ; l'initiative des adaptations doit en outre respecter un principe hiérarchique fort.

Par exemple, le pape n'exclut pas l'usage d'autres langues que le latin : « Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être très profitable au peuple : mais c’est au seul Siège apostolique qu’il appartient de le concéder ». Il s'oppose en revanche à « l'excessive et malsaine passion des choses anciennes » : « il n'est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l'Antiquité ». Il condamne par là l'archaïsme liturgique qui, sous couleur de retour aux sources, est un procédé de rupture avec la tradition.

Pour mettre en œuvre ces idées générales, Pie XII met en place le 28 mai 1948 une commission pontificale pour la réforme liturgique. Cette commission mèna à bien une réforme du rite romain de la Semaine sainte et de la vigile pascale. Elle poursuivit ses travaux au cours des pontificats suivants. Dans cette encyclique publiée le 12 août 1950, Pie XII fait la critique d'un certain nombre de « fausses opinions qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique »

Sans formuler de condamnation précise, il expose ses critiques et mises en garde contre le courant de la Nouvelle Théologie. Il l'accuse de favoriser une forme de relativisme et d'ignorer certains enseignements traditionnels. Le pape expose le point de vue que les théologiens doivent se placer d'abord au service du magistère de l'Église, dans une démarche de développement organique.

L'encyclique évoque également la doctrine de l'évolution : cette théorie n'entre pas en opposition avec la doctrine catholique, « dans la mesure où elle recherche l'origine du corps humain à partir d'une matière déjà existante et vivante - car la foi catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu ». En revanche, le polygénisme est clairement rejeté. Dans cette encyclique publiée en 1956, Pie XII produit une synthèse de référence sur le sens de la spiritualité du Sacré-Cœur. Pie XII y définit le mystère du cœur de Jésus comme le mystère de l'amour miséricordieux du Christ et de la Trinité tout entière, Père, Fils et Saint Esprit, envers l'humanité.

Pie XII a proclamé le dogme de l'Assomption de la Vierge Marie par la constitution apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950. Cette initiative fait suite à un siècle d'intense réflexion théologique sur la Vierge Marie. Elle confirme aussi officiellement la célébration du mystère de l'Assomption, présente depuis des siècles dans l'Église. La proclamation du dogme a aussi été précédée de nombreuses demandes émanant des églises locales. De 1854 à 1945, huit millions de fidèles catholiques ont écrit en ce sens. Lettres auxquelles on peut ajouter les pétitions de 1332 évêques, et de 83 000 prêtres, religieuses et religieux. La proclamation du dogme, clôture l'année jubilaire de 1950 et est accompagnée de célébrations importantes.

Ce dogme se définit ainsi : n'ayant commis aucun péché, Marie est directement montée au Paradis à sa mort, avec son âme et aussi avec son corps. En effet, étant épargnée par le péché originel (c'est le dogme de l'immaculée conception défini en 1854), rien n'oblige son enveloppe charnelle à attendre la résurrection des corps à la fin des temps. « Nous affirmons, Nous déclarons et Nous définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et âme à la vie céleste ». (Pie XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950).

En proclamant le dogme de l'Assomption, Pie XII a exercé, après consultation des évêques du monde entier, son infaillibilité pontificale. C'est la seule fois, depuis la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale en 1870 lors du concile Vatican I, qu'un pape a procédé à une définition dogmatique couverte par son infaillibilité. Contrairement à l'Église anglicane qui autorise la contraception de plus en plus largement depuis la conférence de Lambeth de 1930, Pie XII maintient l'enseignement de l'encyclique Casti Connubii de son prédécesseur Pie XI, sur la chasteté dans le mariage. Toutefois dans son discours au congrès de l'Union catholique italienne d'obstétrique du 29 octobre 1951, il reconnaît officiellement la possibilité du contrôle des naissances en permettant la continence durant la période féconde du cycle menstruel. Cette possibilité avait été en fait déjà reconnue au siècle précédent, mais seulement à l'occasion de questions posées à la Pénitencerie apostolique.

Dans un discours du 8 janvier 1956, il se déclare favorable aux méthodes psychologiques d'accouchement sans douleur, arguant que « tout en punissant Ève, Dieu ne veut pas interdire, et n'interdit pas aux mères, l'utilisation des moyens appropriés pour effectuer l'accouchement plus facile et moins douloureux ». Dans de nombreux discours, Pie XII s'est prononcé sur les aspects moraux de nouvelles techniques médicales disponibles. Ainsi, le 13 mai 1956, il indique que les prélèvements et greffes d'organes sont licites (en précisant des conditions de respect de la dignité humaine). Il affirme également qu'il est « licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d'amoindrir la conscience et d'abréger la vie », ce qui permettra à ses successeurs de considérer légitime l'usage des soins palliatifs.

Dans un discours du 22 novembre 1951 où il fait référence la théorie cosmologique du Big Bang Pie XII déclare : « Il semble en vérité que la science d'aujourd'hui, remontant d'un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat Lux initial. ». Cette position, de type concordiste (qui cherche à faire une synthèse entre la foi et la science) fut corrigée en 1952 par Pie XII, suite à sa rencontre avec le chanoine Georges Lemaître, un des créateurs de la théorie du Big Bang. Pie XII publie la constitution apostolique Exsul familia Nazarethana le 1er août 1952. Inscrite dans le contexte des déplacements de population massifs consécutifs à la seconde guerre mondiale, elle fait un bilan des secours apportés par les Catholiques et le Saint-Siège depuis le début de la guerre.

Surtout, il s'agit du premier document officiel du Saint-Siège qui aborde de manière globale et systématique le problème de l’aide en faveur des migrants. Appliquant le principe de destination universelle des biens, un des éléments-clés de la doctrine sociale de l'Église, il reconnaît un droit naturel des familles à l'immigration : « Il est inévitable que certaines familles soient obligées de se déplacer, à la recherche d'une nouvelle terre d'accueil. Alors - selon l'enseignement de Rerum Novarum - le droit de cette famille à un espace de vie est reconnu. Lorsque cela se produit, la migration atteint son objectif naturel, ainsi que le montre l'expérience. Nous entendons par là la distribution la plus favorable des hommes sur la surface de la Terre cultivée ; cette surface que Dieu a créée et préparée pour l'usage de tous. ».

Pie XII a encouragé l'apostolat des laïcs dans le monde. Comme Pie XI, son prédécesseur, il a soutenu les mouvements de l'Action catholique, alors à son apogée, mais a également encouragé d'autres formes d'apostolat des laïcs comme les instituts de laïcs consacrés, ou instituts séculiers (cf. constitution apostolique Provida mater ecclesia, 1947). Il a aussi stimulé la vocation missionnaire des laïcs, en leur proposant de consacrer plusieurs années de leur vie au service des nouvelles églises locales dans le monde (encyclique Fidei donum, 1957).

S'il a rappelé la place subordonnée des laïcs dans la hiérarchie, il a cependant souligné leur vocation à « collaborer à l'édification et au perfectionnement du corps mystique du Christ » et les a encouragés à être actifs dans l'organisation de la société. Il a ouvert le premier grand congrès mondial de l'apostolat des laïcs, en 1951 qui est suivi d'une seconde édition en 1957. Cette réflexion sur la place des laïcs dans l'Église s'inscrit sur fond d'un débat avec des penseurs catholiques, comme par exemple Jacques Maritain, et préfigure les thèmes discutés lors du Concile Vatican II, durant lequel on assiste à une sensible réhabilitation des théologiens mis à l'écart par Pie XII (Henri de Lubac par exemple).

Pie XII a particulièrement veillé à aider les églises locales fondées récemment, en Afrique notamment. Il a suscité et accompagné la formation d'un clergé autochtone, favorisant l'ordination d'évêques issus de ce clergé local. Il est ainsi le premier pape des temps modernes à avoir ordonné des évêques d'origines africaines, en 1939. L'encyclique aux missions de 1951, Evangeli Praecones, poursuit une évolution favorable à l'indépendance des clergés dans les pays de mission: « L'église doit être fermement et définitivement établie chez les nouveaux peuples et recevoir une hiérarchie propre choisie parmi les habitants du lieu ». Pie XII a soutenu ces églises locales en détachant auprès d'elles des prêtres occidentaux prêtés par leurs diocèses (encyclique Fidei Donum en 1957) et mis à la disposition des évêques africains.

Anticipant la décolonisation, il permit ainsi que l'assimilation entre l'église romaine et le colonisateur ne soit pas systématique. Pie XII a aussi contribué à l'internationalisation de la Curie romaine (en nommant notamment parmi ses conseillers des jésuites allemands et néerlandais, Robert Leiber, le cardinal augustin Bea, et Sebastian Tromp) et du Sacré-Collège, en créant, durant son pontificat, une majorité de cardinaux non-italiens.

Pie XII a mis un terme, en 1953-1954, à l'expérience des prêtres ouvriers. Cette décision a pu être motivée par la crainte du glissement de ces prêtres vers le marxisme. Le pape a sans doute estimé aussi que cette expérience mettait en cause la conception traditionnelle du sacerdoce. La mission des prêtres-ouvriers pouvait occulter « la mise à part » des prêtres en vue du service de l'Église et des fidèles. On risquait aussi de confondre les missions respectives des fidèles laïcs, plus présents dans la société au quotidien, et des prêtres qui doivent rester disponible pour leur ministère et l'annonce explicite de l'évangile. Cette décision du Saint-Siège n'a pas été reçue favorablement par une partie des fidèles, des prêtres et de l'épiscopat français. Ce dernier a alors créé les « missions ouvrières », pour coordonner l'apostolat des fidèles laïcs et du clergé en monde ouvrier. Pie XII use, à la suite de son prédécesseur de la radio. Durant la guerre, il adresse ainsi cinq messages radiophoniques :

 

  • le 1er juin 1941, sur l'anniversaire de Rerum novarum ;
  • à Noël 1941, sur l'ordre international ;
  • à Noël 24 décembre 1942, sur l'ordre intérieur des nations : « …Ce vœu (de retour à la paix), l'humanité le doit à des centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, pour le seul fait de leur nationalité ou de leur origine ethnique, ont été vouées à la mort ou à une progressive extinction »…
  • le 1er septembre 1944, sur la civilisation chrétienne ;
  • à Noël 1944, sur les problèmes de la démocratie.

 

Il est le premier pape à utiliser la télévision. Le 23 décembre 1950, il y annonce la découverte de la tombe de saint Pierre, retrouvée exactement à l'aplomb de la coupole de Michel-Ange (sous l'autel majeur) à la suite de fouilles archéologiques. Filmé de façon régulière, il approuve un film "Pastor Angelicus" ou des reportages photographiques qui le montrent dans les jardins hors de ses apparitions officielles, dont le port maîtrisé voire hiératique et la gestuelle ample, en particulier devant les foules, sont caractéristiques. Une photo de lui, prise sans autorisation alors qu'il est sur son lit de mort, est publiée par Paris Match.

À la fin de son pontificat il précise la vision chrétienne de l'utilisation des médias modernes, qu'il encourage dans l'encyclique Miranda Prorsus sur le cinéma, la radio et la télévision. L'Église doit utiliser ces moyens pour diffuser la vérité et le bien, et doit veiller à s'opposer à la diffusion du mal (matérialisme...). De même que son prédécesseur, Pie XI, avait recommandé aux évêques la création d'offices catholiques permettant d'informer les fidèles de la qualité morale des films (comme par exemple, en France, la Centrale catholique du cinéma fondée en 1927), Pie XII recommande aux évêques la création d'offices analogues pour la coordination des activités des catholiques dans les domaines de la radio et de la télévision. Il demande aux autorités publiques et aux groupes professionnels de veiller au contenu moral des programmes diffusés afin de « sauvegarder la morale publique basée sur la loi naturelle », et d'éviter « l'abaissement du niveau culturel et moral des masses ». L'encyclique s'oppose à « la théorie de ceux qui, malgré les ruines morales et matérielles évidentes causées dans le passé par de semblables doctrines, défendent la « liberté d'expression » [...] comme liberté de diffuser sans aucun contrôle tout ce que l'on veut, fût-ce immoral et dangereux pour les âmes ». Elle insiste, à propos de la télévision, sur la protection de la famille et de l'enfance.

En 1936, Pie XI avait fondé l'Académie pontificale des sciences pour promouvoir le progrès des sciences mathématiques, physiques et naturelles, et l'étude des problèmes qui leur sont liés. Cette académie permet au Saint-Siège, dans un dialogue avec des scientifiques reconnus, d'approfondir la connaissance des découvertes récentes dans différentes disciplines scientifiques, ainsi que leurs enjeux. Pie XII a poursuivi avec intérêt ce dialogue et est intervenu lors des sessions de l'Académie à de nombreuses occasions.

Il prononce 33 canonisations notamment celles de Gemma Galgani en 1940 ; Nicolas de Flue, Louis-Marie Grignion de Montfort et Catherine Labouré en 1947 ; Jeanne de Lestonnac en 1949, Jeanne de France, Émilie de Rodat et Maria Goretti en 1950 ; Dominique Savio et Pie X en 1954. L'arrivée de Pie XII signifie effectivement un changement de style: moins direct dans ses condamnations, il cherche à empêcher la guerre (en particulier après l'invasion de la Tchécoslovaquie, le 15 mars 1939), de maintenir la possibilité au Saint Siège d'être un éventuel médiateur et, en tout cas à rester neutre.

Entre mars et septembre, le nouveau pape donne des signes diplomatiques dans toutes les directions pour essayer d'empêcher la guerre sans donner l'image de se ranger du côté d'une des parties: il envisage une conférence internationale il conseille la modération à la Pologne devant les revendications allemande sur Danzig, nomme le 10 mars le cardinal Luigi Maglione, ancien nonce à Paris réputé francophile, pour le remplacer comme secrétaire d'État (poste que celui-ci occupe jusqu'à son décès le 22 août 1944). Il trouve le soutien de l'ambassadeur britannique Osborne pour une initiative vaticane de paix, il reçoit Sumner Welles (émissaire de Roosevelt) et il conforte ses liens avec Joe Kennedy connu lors de son voyage aux USA, en attente de nouer un lien diplomatique officiels.

Le 31 mars 1939, Pie XII salue la victoire de Franco obtenue avec l’aide de l’Allemagne et de l’Italie dans la guerre civile durant laquelle des religieux avaient été victimes du camp adverse: "Elevant notre âme vers Dieu, Nous Nous réjouissons avec Votre Excellence de la victoire tant désirée de l’Espagne catholique. Nous formons des vœux pour que votre très cher pays, une fois la paix obtenue, reprenne avec une vigueur nouvelle ses antiques traditions chrétiennes qui lui ont donné tant de grandeur. C’est animé par ces sentiments que Nous adressons à Votre Excellence et à tout le noble peuple espagnol Notre bénédiction apostolique.»

En avril, Pie XII relève Charles Maurras et l'interdiction de l'Action française dont l'antisémitisme et l'anticommunisme sont connus. Cherchant à maintenir l'Italie hors du conflit, il reçoit le Roi d'Italie auquel il déclare le 24 août "rien n'est perdu avec la Paix, tout est perdu avec la guerre". Après la déclaration de guerre, Pie XII poursuit ses efforts vers le Roi et Ciano qu'il estime moins bellicistes que Mussolini pour éviter l'entrée en guerre de l'Italie. Après les lois antisémites de Mussolini, le pape engage Roberto Almagia un cartographe exclu de l'université de Rome.

Bien que les archives vaticanes de cette période ne soient publiées qu'en partie (les onze volumes des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale), on peut retracer les prises de positions publiques de Pie XII de 1939 à 1945 en tenant compte de trois éléments: la situation du Vatican, la position doctrinale du pape, et l'estimation des menaces sur les catholiques dans les zones sous domination nazie, en particulier dans le cas Polonais dès le début de la guerre. La politique de Pie XII est de maintenir Le Saint Siège officiellement en tant qu'état neutre, à l'image de l'attitude de Benoit XV lors de la Première Guerre mondiale.

Lorsque la guerre éclate, le Vatican est sous la surveillance policière de l'Italie fasciste, avant d'être sous la menace de l'armée nazie après l'occupation de Rome en 1943. Les valises diplomatiques sont fréquemment fouillées ; les lignes téléphoniques sont mises sur écoute ; l'Osservatore Romano est censuré. Les allées et venues des diplomates et journalistes sont en outre étroitement surveillées. Pie XII s'appuie donc surtout sur Radio Vatican pour se faire entendre. Mais comme celle de Londres, cette radio est brouillée par les Allemands au cours du conflit. Le Vatican anime un centre de renseignement sur les réfugiés et prisonniers de guerre, confié à Giovanni Battista Montini.

Doctrinalement, Pie XII donne le cadre théologique et diplomatique de ses prises de positions dans sa première encyclique (Summi Pontificatus du 20 octobre 1939). Il y confirme les condamnations de Pie XI contre les différentes formes de racisme (et de nationalisme ou de lutte des classes), dénonçant « l'oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d'origine et par l'égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu'ils appartiennent. » Pie XII s'y dresse nettement, mais sans les nommer, contre le nazisme, le fascisme mais aussi le communisme et le libéralisme sans Dieu comme responsables de la guerre, qui n'apportera pas la solution (« l'esprit de la violence et de la discorde verse sur l'humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom. »)

L'encyclique ne nomme ni Hitler ni Staline et Pie XII ne s'exprime pas non plus sur le pacte germano-soviétique de non agression du 23 août 1939 entre l'Allemagne et l'Union soviétique, et ce premier « silence » lui est reproché, en particulier par Mounier qui utilise le premier l'expression « les silences de Pie XII ». Dans un numéro spécial de L'Osservatore Romano du 13 décembre 1981, Michele Maccarrone écrit : « Il est vrai que Pie XII, accusé d'être un pape diplomate, n'a pas pratiqué la grande diplomatie. Il ne s'est pas adressé aux belligérants pour exiger la fin des combats [...], il n'a pas excommunié, il n'a pas prononcé de condamnation solennelle à l'encontre des crimes et des criminels nazis.»

L'Allemagne nazie est toutefois clairement visée par l'encyclique et cela est perçu (le 28 octobre 1939, le New-York Times reproduit l'intégralité de l'encyclique et titre : « Le pape condamne les dictateurs, les violateurs de traités, le racisme et demande d'urgence le rétablissement de la Pologne  »). En France, Albert Lebrun, président de la république, et Edouard Daladier, premier ministre, saluent la publication de l'encyclique. En Allemagne, son impression et sa distribution sont interdites. Mais les forces aériennes françaises en lâchent 88 000 copies sur l'empire allemand.

Dès le début de la guerre en Pologne, en septembre 1939, les nazis s'emploient à éradiquer les élites du pays. Hommes politiques, enseignants, prêtres et hommes de lettres sont assassinés. On estime à 52.000 le nombre de victimes. Des millions de polonais sont également envoyés dans des camps de concentration. Dans l'encyclique Summi Pontificatus, le pape dénonce explicitement ces persécutions contre les civils: « (...) déjà dans des milliers de familles règnent la mort et la désolation, les lamentations et la misère.

Le sang d'innombrables êtres humains, même non combattants, élève un poignant cri de douleur, spécialement sur une nation bien-aimée, la Pologne (...)». Mais il ne se joint pas à la condamnation franco-britannique de l'invasion, (d'après le ministre des affaires étrangères du Reich pour protéger les catholiques allemands). Au représentant de Mussolini qui vient faire pression suite à la condamnation papale de l'invasion, il déclare : « Nous devrions dire des paroles de feu contre ce qui se passe en Pologne, et la seule raison qui Nous retienne de le faire est de savoir que, si Nous parlons, Nous rendrions la condition de ces malheureux encore plus dure. ».

Son message de Noël 1939 réitère sa protestation : « Nous avons dû, hélas ! assister à une série d’actes inconciliables aussi bien avec les prescriptions du droit international qu’avec les principes du droit naturel et même les sentiments les plus élémentaires d’humanité. Ces actes exécutés au mépris de la dignité, de la liberté, de la vie humaine crient vengeance devant Dieu. ». Le 18 janvier 1940, après la mort de 15000 civils polonais, il déclare que « l'horreur et les abus inexcusables commis contre un peuple sans défense sont établis par le témoignage indiscutable de témoins oculaires ». Il condamne parallèlement l'agression de la Finlande par l'Union soviétique le 26 décembre 1939. Le gouvernement d'occupation allemand en Pologne prétexte ces déclarations papales jugées anti-allemande pour renforcer les mesures de coercition et les persécutions: en Pologne, les Nazis tuent 2350 prêtres et religieux et en envoyèrent davantage en camps de concentration. Ainsi, le baraquement des prêtres à Dachau en reçut 2600.

Le refus par Pie XII de condamner nommément l'invasion de la Pologne est considéré comme une « trahison » par une partie des catholiques, prêtres ou membres de la hiérarchie polonaise qui voient dans sa réception de la nomination d'Hilarius Breitinger comme administrateur apostolique du Wartheland en mai 1942 une « reconnaissance implicite » du démembrement de la Pologne, l'opinion du Volksdeutsche, qui regroupait les minorités catholiques allemandes vivant en Pologne étant plus mêlée. Dès 1940, le Saint Siège explicite sa position aux évêques polonais par Mgr Tardini : « Tout d'abord, il ne semblerait pas opportun qu'un acte public du Saint-Siège condamne et proteste contre tant d'injustices. Non pas que la matière manque (…) mais des raisons pratiques semblent imposer de s'abstenir. [Une condamnation officielle du Vatican] accroîtrait les persécutions ».  » Pie XII précise lui-même : « Nous laissons aux pasteurs en fonction sur place le soin d'apprécier si, et dans quelle mesure, le danger de représailles et de pressions, comme d'autres circonstances dues à la longueur et à la psychologie de la guerre, conseillent la réserve — malgré les raisons d'intervention — afin d'éviter des maux plus grands. C'est l'un des motifs pour lesquels nous nous sommes imposé des limites dans nos déclarations. »

Au printemps 1940, le cardinal secrétaire d'État Luigi Maglione reçoit une demande du Grand Rabbin de la Palestine mandataire Isaac Herzog afin que le pape intercède en faveur des juifs lituaniens déportés par les Allemands. Pie XII appelle Ribbentrop le 11 mars et proteste contre le traitement des juifs. La diplomatie Vaticane bénéficie de contacts en Allemagne (ainsi au printemps 1940, un groupe de généraux allemands désireux de renverser Hitler et de faire la paix avec les Anglais approche Pie XII ). Cela lui permet, le 4 mai 1940 de prévenir les Pays-Bas que l'Allemagne va l'attaquer le 10.

Après l'invasion des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg, des États neutres, le pape envoie un message de sympathie à la reine Wilhelmine des Pays-Bas, au roi Léopold III de Belgique et à la grande-duchesse Charlotte de Luxembourg, en ne faisant mention que des malheurs qui accablent ces pays, mais il n'utilise pas le terme « invasion » et ne dénonce ni ne condamne directement l'envahisseur. Quand Mussolini apprend l'existence de ces messages, il accuse le pape de prendre parti contre les alliés des Italiens et il proteste officiellement auprès du Saint-Siège. Le ministre des Affaires étrangères du régime fasciste déclare après l'entrevue que « Pie XII était prêt à être déporté plutôt que de trahir sa conscience » et que « s’il avait un regret à formuler, c’était celui de n’avoir pas parlé avec une clarté suffisante pour condamner la politique nazie contre les Polonais ». À l'inverse, le cardinal de la curie Eugène Tisserant, ancien combattant français, déplore durement la neutralité du Saint Siège. Après la défaite de la France, la secrétairie d'état refait des propositions de paix entre l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni qui refuse.

En avril 1941, Pie XII accorde une audience à Ante Pavelić, nouveau dictateur de Croatie. Cette entrevue provoque une note du Foreign office britannique qui décrit Pie XII comme « le plus grand couard de l'époque ». Cependant, le Vatican ne reconnaît pas le régime croate et s'il ne condamna jamais publiquement les conversions forcées de Serbes par les Croates, il le fait dans une mémorandum confidentiel daté du 25 janvier 1942 et adressé à la légation yougoslave. À cette date, il semble clair que l'information sur l'étendue de l'entreprise d'extermination est parvenue au plus haut de la hiérarchie catholique. En 1941, le cardinal Theodor Innitzer informe ainsi le pape sur les déportations commises à Vienne.

Lorsque l'ambassadeur de l’État français au Vatican, Léon Bérard, s'inquiète de l'avis du Vatican sur le statut des juifs promulgué par le régime de Vichy. Le secrétariat d'État du Vatican confirme que la législation ne s'oppose pas à l'enseignement de l’Église. Le nonce apostolique en France Valerio Valeri, « embarrassé » par ce blanc-seing pontifical accordé à la politique juive du régime de Vichy, vérifie l'information auprès du Vatican. Le secrétaire d'État Maglione confirme que c'est bien la position du Saint-Siège.

En septembre 1941 en revanche, Pie XII s'oppose au code juif slovaque, qui, à l'opposé du statut des juifs français, interdit notamment le mariage mixte. En octobre, Harold Tittman, délégué américain au Vatican demande au pape de condamner les atrocités commises contre les juifs ; la réponse du pape fait état de son souhait de rester « neutre », réitérant par là la position du Vatican exprimée dès septembre 1940. Finalement, en 1942, le pape Pie XII fait officiellement savoir au maréchal Pétain par son nonce en France, Mgr Valerio Valeri, que le Saint-Siège désapprouve totalement les mesures prises par Vichy à l'encontre des Juifs.

Pie XII condamne lors de son message radiodiffusé de Noël 1941 « l'oppression, ouverte ou dissimulée, des particularités culturelles et linguistiques. » des minorités nationales ainsi que « l'entrave et le resserrement de leurs capacités naturelles » avec « la limitation ou l'abolition de leur fécondité naturelle ». Dans le contexte du débat sur l'engagement progressif des États-Unis, Pie XII déclare que la condamnation du communisme exprimée dans Divini Redemptoris par Pie XI n'interdisait pas les catholiques américains de soutenir le prêt-bail accordé par les États-Unis à l'URSS, et de soutenir ainsi sa lutte contre le Reich (puisqu'elle n'est plus l'alliée d'Hitler depuis que celui-ci a envahi l'URSS, le 22 juin 1941).

En mars 1942, Pie XII établit des relations diplomatiques avec l'Empire du Japon, puis avec la Chine nationaliste. Il nomme Hilarius Breitinger comme administrateur apostolique administrator pour le Wartheland en mai 1942 ce qui est perçu comme une reconnaissance implicite du partage de la Pologne. L'ambassadeur polonais Kasimierz Papée s'étonne du reste que le pape ne condamne pas les atrocités commises en Pologne.

En mars 1942, le chargé d'affaires slovaque apprend à Pie XII que le gouvernement slovaque planifie la déportation de "80000 juifs" en Pologne. Le Vatican proteste auprès du gouvernement slovaque en « déplorant ces mesures qui enfreignent le droit des gens, du seul fait de leur race ». Le 18 septembre 1942, le pape reçoit une lettre de Monseigneur Montini (futur pape Paul VI) disant que « les massacres prennent des proportions effrayantes ». En septembre 1942, Myron Taylor, représentant des États-Unis à Rome, et ses homologues anglais, brésilien, uruguayen, belge et polonais préviennent que le « prestige moral » du Vatican est sévèrement compromis par sa passivité face aux atrocités, à quoi le cardinal Maglione répond que les rumeurs ne sont pas vérifiées.

Les représentants des puissances alliées, à l'appui de leur demande, font parvenir au Vatican le rapport qui leur est parvenu du bureau de Genève de l'Agence juive pour la Palestine. Le 17 décembre 1942, toutes les nations alliées, condamnent officiellement l'extermination des juifs par les nazis et annoncent que les responsables n'échapperont pas au châtiment. Le 24 décembre 1942, dans son message de Noël radiodiffusé, Pie XII évoque « les centaines de milliers de personnes, qui sans aucune faute de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur lignage, sont destinées à la mort ou à un dépérissement progressif » et appelle à la paix.

Le 25 décembre 1942, le New York Times publie un éditorial dans lequel il est écrit : « La voix de Pie XII est bien seule dans le silence et l’obscurité qui enveloppe l’Europe ce Noël... Il est à peu près le seul dirigeant restant sur le Continent européen qui ose tout simplement élever la voix". » Juste après Noël 1942, le représentant américain auprès du Vatican fait remarquer au Pape que le message papal de Noël 1942 ne pouvait répondre aux attentes. Le pape lui répond que, d'une part, « il n'aurait pu, en parlant de ces atrocités, mentionner les nazis sans mentionner également les bolchéviques et, qu'à son avis, cela n'aurait sans doute pas plu aux Alliés. [...] et que, d'autre part, « les récits des atrocités sont certes fondés, tout en m'indiquant par son attitude qu'à ses yeux, il y avait quelque peu d'exagération, voulue à des fins de propagande ».


Le pape Pie XII en novembre 1947

 

En décembre 1942, Harold Tittmann suggère à Mgr Maglione de faire une déclaration similaire à la déclaration alliée German Policy of Extermination of the Jewish Race. Mgr Maglione lui répond que le Vatican « ne peut dénoncer publiquement des atrocités particulières ». Le même Harold Tittmann écrira dans ses Mémoires, publiés par son fils en 2004 : « Je ne peux m'empêcher de penser qu'en évitant de parler, le Saint Père a fait le bon choix ; il a ainsi sauvé bien des vies ».

Le 2 juin 1943, dans un discours devant le collège des cardinaux, Pie XII exprime sa sollicitude envers ceux qui, à cause de leur nationalité ou de leur race, sont « livrés à des mesures d'extermination » dont il voudrait fustiger toute l'ignominie par le détail et en des termes plus forts, ainsi qu'il ressort des 124 lettres écrites aux évêques allemands pendant la guerre. Il fait cependant remarquer que « toute parole de notre part à l'autorité compétente, toute allusion publique doivent être sérieusement pesées et mesurées, dans l'intérêt même des victimes, afin de ne pas rendre leur situation plus grave et plus insupportable ». Les évêques néerlandais en avaient fait l'expérience lorsqu'en juillet 1942 ils avaient protesté contre la persécution des Juifs : aussitôt les Nazis avaient organisé une fouille minutieuse des monastères et des couvents, menant à une rafle des très nombreux Juifs cachés là, dont Edith Stein.

Le même jour, le pape ajoute une sortie sur la question polonaise : « le sort tragique du peuple polonais… le silencieux héroïsme de ses souffrances et sa place future dans une Europe refaite sur des bases chrétiennes et dans une assemblée d’États exempte des erreurs et des égarements du passé. » Ce texte est reçu avec ferveur par les Polonais, notamment par le cardinal Adam Stefan Sapieha, archevêque de Cracovie, qui n’en demande pas plus par peur des représailles.

Le 26 juin 1943, Radio Vatican déclare que « Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu. La paix dans le monde, l'ordre et la justice seront toujours compromis tant que les hommes pratiqueront des discriminations entre les membres de la famille humaine. ». C'est une excommunication en règle. Le New York Times cite et acte ce message dans son tirage du jour suivant.

À la suite de l'occupation allemande de l'Italie du Nord, le Pape est directement confronté, à Rome, aux mesures de mises en œuvres de la Shoah par les forces allemandes. Le Vatican passe du stade des déclarations à celui d'actions concrètes, à la portée limitée, tardive et symbolique pour les détracteurs de Pie XII, ou significative pour ses défenseurs. En septembre 1943, à la suite de l'occupation allemande de l'Italie du Nord, l'Église accorde le refuge à 477 Juifs à l'intérieur du Vatican et à 4 238 autres dans des monastères et couvents des environs.

Devant les atrocités commises par la Gestapo et les SS, le pape Pie XII laisse l'Osservatore Romano exprimer l'indignation de l'Église dans son numéro du 25 octobre 1943. Les Allemands font saisir le journal dans les kiosques et menacent de reprendre les perquisitions dans les monastères pour y débusquer les Juifs cachés. Selon l'historien italien Giovanni Miccoli (université de Trieste), "En octobre 1943, lorsque des rafles sont organisées dans Rome, il fait convoquer l'ambassadeur allemand et le menace d'intervenir publiquement. Deux mois plus tard, l'Osservatore Romano publie un article qui incite les catholiques à protéger les Juifs.".

Fin 1943, le commandant des S.S. de Rome ordonne au chef de la communauté israélite de fournir 50 kg d'or dans les 24 heures sous peine de déportation immédiate de 200 autres Juifs (une grande rafle ayant déjà eu lieu le 16 octobre 1943). La collecte n'ayant réuni que 35 kg d'or, le grand rabbin de Rome reçoit du pape Pie XII les 15 kg manquants, réunis grâce à une collecte auprès des catholiques de Rome.

Selon un symposium orgnisé en 2008 par une fondation américaine, Pie XII organisait, avec l'aide du clergé de Rome et des autres pays européens et d'Amérique latine (notamment la République dominicaine du général Trujillo), des réseaux pour faire échapper les Juifs aux Nazis. Par diverses filières, ils pouvaient ensuite gagner des pays neutres ou faisant partie de la conférence des Alliés . En mars 1944, par son nonce apostolique à Budapest, Angelo Rotta, le Vatican unit sa voix à celle du Roi Gustave V de Suède, de la Croix-Rouge, des États-Unis et de Grande-Bretagne pour protester contre les exactions contre les juifs hongrois Pie XII envoie un télégramme le 25 juin au régent Miklós Horthy, lui demandant d'épargner les populations qui souffrent « en raison de leur origine nationale ou raciale ». Les déportations cessent le 8 juillet 1944.

Peu après le débarquement en Normandie, le 30 juin 1944, le général de Gaulle est reçu en audience par Pie XII. Dans ses mémoires il note : «Sous la bienveillance de l'accueil et la simplicité du propos je suis saisi par ce que sa pensée a de sensible et de puissant. Pie XII juge chaque chose d'un point de vue qui dépasse les hommes, leurs entreprises, leurs querelles. Mais il sait ce que celles-ci leur coûtent et souffre avec tous à la fois. (...) Pour lui tout dépend donc de la politique de l'Église, de son action, de son langage, de la manière dont elle est conduite. C'est pourquoi le Pasteur en fait un domaine qu'il se réserve personnellement et où il déploie les dons d'autorité, de rayonnement, d'éloquence que Dieu lui a impartis. Pieux, pitoyable, politique, au sens le plus élevé que puissent revêtir ces termes, tel m'apparaît, à travers le respect qu'il m'inspire, ce pontife et ce souverain».

Fin août 1944, Pie XII lance un appel aux Londoniens et aux Anglais "pour les inviter au pardon des injures et leur demander de ne pas se venger de l'Allemagne des maux que celle-ci leur a infligés". » Le Times publie de nombreuses lettres de protestation. Le 29 novembre 1944, une délégation de 70 rescapés vient, au nom de la United Jewish Appeal (organisme dirigeant du mouvement sioniste mondial), exprimer à Pie XII la reconnaissance des Juifs pour son action en leur faveur.

Le grand rabbin de Rome, Israel Zolli, se convertit à la religion catholique et entre dans l’Église avec sa femme et sa fille, le 13 février 1945, en choisissant pour prénom de baptême Eugenio, c’est-à-dire le propre prénom du pape. Il désire ainsi manifester l’importance qu’a eue le pape dans sa conversion, à commencer par son exemple de charité auprès des Juifs. Après sa conversion, on lui a souvent demandé s'il s'était converti par gratitude envers le pape Pie XII. Il a toujours répondu négativement, ajoutant toutefois:

« On pourrait dire du règne de Pie XII qu'il est inspiré par les paroles du prophète Isaïe : « La paix est l'harmonie, la paix est le salut pour ceux qui sont proches comme pour ceux qui sont loin, je veux tous les guérir » (Is. 57, 19). L'Église catholique aime toutes les âmes. Elle souffre avec tous et pour tous ; elle attend avec amour tous ses enfants sur le seuil sacré de Pierre, et ses enfants sont tous les hommes… Il n'existe pas de lieu de souffrances que l'esprit d'amour de Pie XII n'ait atteint… Au cours de l'histoire, aucun héros n'a commandé une telle armée. Aucune force militaire n'a été plus combattante, aucune n'a été plus combattue, aucune n'a été plus héroïque que celle menée par Pie XII au nom de la charité chrétienne. »

Dans l'après-guerre, Pie XII dénonce les atrocités et les persécutions du régime national-socialiste allemand. Mais il n'évoque pas clairement le génocide, ne nomme ni les Juifs, ni l'antisémitisme dans ses interventions publiques. Cela navre des chrétiens comme Paul Claudel qui écrit à Jacques Maritain, alors ambassadeur de France au Vatican, le 13 décembre 1945 : « Actuellement, rien n'empêche plus la voix du pape de se faire entendre. Il me semble que les horreurs sans nom et sans précédent dans l'histoire commises par l'Allemagne nazie auraient mérité une protestation solennelle du Vicaire du Christ. »

Dans sa correspondance, Jacques Maritain déplore cette absence de prise de position du pape. Il en est de même de François Mauriac qui s'adresse directement au pape : « Nous n'avons pas eu la consolation d'entendre le successeur du Galiléen, Simon-Pierre, condamner clairement, nettement et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables "frères du seigneur". »

Le 14 septembre 1946, le pape Pie XII donna l'audience au rabbin Phillip Bernstein qui avait remplacé le juge Simon Rifkind comme conseiller américain pour les affaires juives sur le théâtre d'opérations européen. Bernstein demanda au pape de condamner les pogroms, mais ce dernier objecta que le Rideau de fer rendait difficiles les communications avec l'Église de Pologne. Plusieurs auteurs ont étudié l'attitude de Pie XII durant la guerre et surtout les raisons pour lesquelles il n'a pas publiquement dénoncé l'extermination des juifs par les nazis.

Le premier historien à se pencher sur l'attitude du pape durant la Seconde Guerre mondiale est Léon Poliakov, auteur de divers travaux sur l'histoire de l'antisémitisme. Selon lui, des sources disponibles accréditent la thèse d'une indécision oscillant entre une opposition prudente et discrète, une neutralité gênée et un double-jeu à la limite de la complicité passive qui tranche pour le moins avec l'opposition nette au régime communiste au pouvoir en Union soviétique. L'information sur l'étendue de l'entreprise d'extermination est parvenue très tôt au plus haut de la hiérarchie catholique et des gouvernements alliés et les condamnations publiques ont été très mesurées. Il note une tension pour Eugénio Pacelli à la fois pape et évêque de Rome : d'une part, son rôle en tant que pape, "Vicaire du Christ", le pousse à prendre en compte avant tout les jeux diplomatiques, les intérêts économiques du Vatican, la crainte d'une victoire du communisme, bref, l'évolution de la guerre à l'échelle mondiale, tandis que sa fonction d'évêque le conduit à intervenir personnellement et à l'échelle locale de son évêché pour les hommes et les femmes dont la vie était en danger.

Dans la préface de son Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les Juifs (1951 dernière réédition en 1993), François Mauriac se désole du silence gardé par le successeur de Pierre durant les sombres années du nazisme. Léon Poliakov y indique que «face à la terreur hitlérienne, les Églises déployèrent sur le plan de l'action humanitaire immédiate, une action inlassable et inoubliable, avec l'approbation ou sous l'impulsion du Vatican » mais que « l'immensité des intérêts dont le Saint Père avait la charge, les puissants moyens de chantage dont disposaient les Nazis à l'échelle de l'Église Universelle, contribuaient sans doute à l'empêcher de prononcer en personne cette protestation solennelle et publique qui, cependant, était ardemment attendue par les persécutés. Il est pénible de constater que tout le long de la guerre, tandis que les usines de la mort tournaient tous fours allumés, la papauté gardait le silence. Il faut toutefois reconnaître qu'ainsi que l'expérience l'a montré à l'échelle locale, des protestations publiques pouvaient être immédiatement suivies de sanctions impitoyables [...] Qu'aurait été l'effet d'une condamnation solennelle prononcée par l'autorité suprême du catholicisme ? La portée de principe d'une attitude intransigeante en la matière aurait été immense. Quant à ses conséquences pratiques, immédiates et précises, tant pour les œuvres et institutions de l'Église catholique que pour les Juifs eux-mêmes, c'est une question sur laquelle il est plus hasardeux de se prononcer ».

À l'appui de ce jugement il cite une note de l'ambassadeur du Troisième Reich auprès du Vatican, Ernst von Weizsäcker, lors de la déportation massive des Juifs en octobre 1943 qui se félicite que « bien que pressé de toutes parts, le Pape ne s'est laissé entraîner à aucune réprobation démonstrative de la déportation des Juifs de Rome [...] Il a également tout fait dans cette question délicate pour ne pas mettre à l'épreuve les relations avec le gouvernement allemand ». Dans son article « Le Vatican et la question juive », Léon Poliakov estime que le pape était plutôt « diplomate » (par opposition à son prédécesseur « militant »). En termes de « protestations publiques et de condamnations de principe, [...] rien de pareil à certaines manifestations de Pie XI (que l'on se souvienne du célèbre “nous sommes tous spirituellement des sémites...”) ne fut entrepris à Rome sous le pontificat de Pie XII. » Ce qui n'a pas empêché Pie XII de tenter certaines actions : « Payant d'exemple, Pie XII mit personnellement plusieurs kilos d'or à la disposition de la communauté juive de Rome, lorsqu'une contribution exorbitante fut exigée de celle-ci en septembre 1943. Et tout au long des neuf mois que dura l'occupation allemande de Rome, des dizaines de Juifs romains trouvèrent abri et protection dans les édifices et bureaux du Vatican. » L'or versé aux nazis n'empêcha pas la déportation mais la pape ne pouvait pas le prévoir...

Saul Friedländer systématise et approfondit les recherches de Léon Poliakov en particulier dans Pie XII et le IIIe Reich (1964 au Seuil) où il « confirme scientifiquement les thèses de Hochhuth ». Dans L'Allemagne nazie et les Juifs, Saul Friedländer, se demandant pourquoi Hitler n'a pas reculé dans ses plans d'extermination du peuple juif comme il l'avait fait pour l'élimination des « aliénés ». S'appuyant surtout sur les documents diplomatiques allemands, il ne trouve « qu'une seule réponse vraisemblable : Hitler et ses acolytes devaient être convaincus que le pape ne protesterait pas. »

Les rapports diplomatiques début 1943 de Bergen l'ambassadeur allemand au Vatican indiquent un entretien au cours duquel le pape s'engage à ne pas se mêler des actions allemandes sauf si des mesures étaient prises qui « le forceraient à parler pour remplir les obligations de sa charge » — Il tolérerait même quelques débordements qui seraient réglés après la fin de la guerre, par crainte d'affaiblir l'Allemagne dans sa lutte contre le bolchévisme. En février-mars 1943, dans son journal intime, le ministre nazi de la propagande, Goebbels, identifie à trois reprises cette opposition entre nazisme et bolchévisme comme un atout dont son gouvernement doit se servir dans ses rapports avec la Curie. Le 5 juillet 1943, à son arrivée au Vatican, le nouvel ambassadeur allemand Weizsäcker confirme que le pape lui réitère « son affection pour l'Allemagne et le peuple allemand, [...] parle de son expérience avec les communistes à Munich en 1919 [...] et condamne la formule absurde [des États-Unis] de « reddition sans condition » exigée [de l'Allemagne]. L'ambassadeur voit dans le discours du pape, selon ses propres mots, "la forme d'une reconnaissance des intérêts communs avec le Reich au moment où a été évoqué le combat contre le bolchévisme". »

Après la chute de Mussolini le 23 juillet 1943 qui entraîne l'arrivée des troupes allemandes en Italie, la peur du communisme grandit au Vatican avec le risque que la résistance communiste prenne de l'ampleur et gagne en popularité puisqu'elle s'oppose désormais à des forces d'occupation étrangères. Weizsäcker informe ses supérieurs qu'il a eu connaissance de trois notes de la curie datée du jour de la chute de Mussolini, où le cardinal Maglione assure que « l'avenir de l'Europe dépend d'une résistance victorieuse de l'Allemagne sur le front russe. L'armée allemande est le seul rempart possible contre le bolchévisme. Si celui-ci s'écroule, le sort de la culture européenne est scellé. » L'ambassadeur discute avec un diplomate bien introduit dans la Curie qui lui affirme que «le pape condamnait tous les plans qui visaient à un affaiblissement du Reich. Un membre de la Curie dit que, de l'avis du pape, une Allemagne forte était absolument essentielle pour l'Église catholique. » À Berlin même, le secrétaire d'État allemand Gustav Adolf Steengracht von Moyland rapporte que le nonce Orsenigo s'est mis à disserter de son propre chef sur la menace que le communisme fait peser sur le monde et sur le fait que seuls le Vatican au plan spirituel et l'Allemagne au plan matériel peuvent la contrer efficacement.

Ces messages constamment répétés, même s'ils sont un peu embellis par les émissaires allemands, conduisent Goebbels et Hitler, au cours d'une discussion qu'ils ont le 7 août 1943, à considérer que Pie XII, bien que véritable Italien et Romain, peut « être considéré à coup sûr comme un bon ami de l'Allemagne » où il a passé quatorze ans, et qu'il est clair qu'il préfère le national-socialisme au bolchévisme. « En tout cas, il n'a pas tenu de propos malveillants contre le fascisme ni contre Mussolini. »

Selon l'historien israélien Pinchas Lapide, l'Église catholique a pu, par son action charitable, sauver d'une mort certaine environ 850 000 Juifs habitant les territoires occupés par le Troisième Reich. Ce chiffre étonnant à première vue s'explique par le fait que Lapide considère en réalité que tous les Juifs qui ont survécu à l'Holocauste l'ont été par la charité chrétienne (des paroissiens, des religieux ou du pape). Il a donc retiré du nombre total de rescapés ceux qui l'ont été dans les terres orthodoxes, ainsi que les « revendications » protestantes, comme il les appelle, pour arriver à ce chiffre ; le 13 décembre 1963, Pinchas Lapide avait pourtant affirmé dans un article du Monde que ce chiffre était de 150 000 à 400 000.

En 2005, paraît l'ouvrage Pie XII et les Juifs. Le mythe du pape d'Hitler écrit par le rabbin David Dalin. On y lit : « Imputer la condamnation qui revient à Hitler et aux nazis à un pape qui s’opposa à eux et était ami des juifs est une abominable calomnie. Quels que soient leurs sentiments vis-à-vis du catholicisme, les juifs ont le devoir de rejeter toute polémique qui s’approprie la Shoah pour l’utiliser dans une guerre des progressistes contre l’Église catholique. » La fiabilité du livre de David Dalin est mise en doute par Menahem Macina qui souligne plusieurs erreurs disqualifiantes pour un historien, et déplore le caractère apologétique de l'ouvrage.

Au début de la guerre, les puissances de l'Axe tentent de lever le drapeau de la croisade contre l'URSS pour légitimer leur action. Mgr Tardini répond que « la croix gammée n'[était] pas précisément celle de la croisade. » En septembre 1944, à la demande de Myron Taylor, il rassure les catholiques américains, inquiets de l'alliance de leur pays avec les Soviétiques. Toutefois, ni le Pape, ni Staline ne profitent de la guerre pour établir des relations diplomatiques.

La fin de la guerre permet la pénétration du communisme en Europe de l'Est. Les rapports, inexistants durant la guerre, empirent. Dès 1945, Moscou reproche au pape ses silences devant les crimes nazis. Les gouvernements liés à Moscou font fermer peu à peu les représentations du Saint-Siège. L'arrestation brutale en 1948 du prince-primat de Hongrie, le cardinal Mindszenty, archevêque d'Esztergom, symbolise la tension entre les régimes communistes et l'Église catholique romaine. De même, Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb et primat de Yougoslavie, subit l'emprisonnement et la torture. Mgr Beran, archevêque de Prague, se voit interdire d'exercer son ministère. Les Églises catholiques de rite byzantin d'Ukraine et de Roumanie sont incorporées de force dans des Églises indépendantes. Les gouvernements communistes accusent en effet le pape d'être le « chapelain de l'Occident ». En 1952, même le maréchal Tito rompt les relations diplomatiques avec le Vatican. Pour l'année 1953, quatre cardinaux et 149 évêques sont touchés par la répression politique.

En Chine, où le Vatican avait établi des relations en 1946 avec le régime nationaliste, dès l'arrivée des communistes au pouvoir en 1949, les catholiques sont inquiétés par le gouvernement qui leur refuse toute relation avec le Vatican, considéré comme une forme de « domination étrangère ». De nombreuses arrestations ont lieu, notamment en 1955, où plusieurs centaines de personnes sont arrêtées avec l'évêque de Shanghaï, Kung, qui passera 30 années en prison. La rupture est consommée en 1957 quand le pouvoir chinois fonde une association nationale, l'Association catholique patriotique de Chine. Les catholiques chinois fidèles au pape doivent entrer dans une forme de clandestinité.

D'un point de vue doctrinal, l'idéologie communiste athée, matérialiste et anticléricale, avait fait l'objet de plusieurs condamnations dont celle de 1937 par l'encyclique Divini Redemptoris, parue quelques jours après celle qui condamnait le national-socialisme. Si Pacelli avait surtout travaillé à Mit Brenender Sorge son expérience personnelle l'avait construit dans un anticommunisme marqué. Il avait vécu la révolution spartakiste en tant que nonce en Bavière en 1919. D'après l'historienne communiste Annie Lacroix-Riz cet anticommunisme est une des clefs de son pontificat, de son attitude pendant et surtout après la guerre; cela expliquerait par exemple une certaine implication dans les filière d'évasion catholiques des criminels de guerre ou des collaborateurs, ou le soutien (sensible) à des prélats compromis dans la collaboration avec des régimes pro-allemand. Ce point reste un débat entre historien.

Dès la fin de la guerre, Pie XII analyse rapidement la fin de la Grande Alliance. Face à la progression des communistes en Europe de l'Est (et aussi en Italie et en France), il balance « entre sa méfiance quasi instinctive à l’égard du communisme athée et l’inclination du diplomate qu’il était resté à préférer toujours le dialogue à l’affrontement. ». Dans la curie, coexistent plusieurs sensibilités qu'on peut les résumer en deux options: l'une veut rassembler « les forces conservatrices au nom de la défense de la chrétienté contre le communisme ». L'autre, voudrait favoriser des « solidarités nouvelles fondées sur une compréhension plus authentique des exigences chrétiennes dans l’ordre politique et social». Ce débat diplomatico-politique est lié à celui sur le rôle des laics.

La première option, "vision hispanique" (allusion au positionnement de l'église dans les dictatures ibériques et sud américaines) privilégie la constitution d'un pouvoir politique autoritaire frontalement anticommuniste ayant une forte composante religieuse pour mobiliser les laïcs (s'appuyant par exemple sur Fatima dans l'anticommunisme). Elle a le soutien de la tradition antimoderniste de la curie.

La seconde option, autour de Montini privilégie l'union des actions catholiques (OIC en 1950), voire des démocraties chrétiennes dans la recherche de contacts, d'échanges avec les communistes, pour rechercher une politique de troisième voie (construction Européenne, doctrine sociale) acceptant l'alliance avec la gauche laique modérée. C'est "la vision française" du cardinal Suhard ou de Maritain qui sépare l'engagement politique des laics de l'obéissance à Rome. Elle reconstitue les options et les réseaux "modernistes" et libéraux (voire gallicans) qui parcourt l'église depuis au moins un siècle et demi.

Ces divergences, ne sont toutefois pas ostensibles: l'autorité du pape est incontestée et c'est à lui seul qu'appartiennent les décisions (il n'a plus de secrétaire d'état depuis le décès de Maglione et ses deux collaborateurs principaux, Montini et le fidèle Tardini, ne reçoivent le titre de proto secrétaire d'état qu'au moment de leur renonciation à la barette de Cardinal). Il déclare "je ne veux pas des collaborateurs mais des exécutants".

Pie XII avait pensé la synthèse entre modernité et tradition en conjuguant une acceptation de la démocratie ("Si l'avenir appartient à la démocratie une part essentielle de son accomplissement devra concerner la religion du Christ et de l'église") et de la modernité scientifique avec une autorité spirituelle papale. Devant la résurgence du modernisme, il opte pour une direction de l'église plus autoritaire. Après plusieurs prises de positions diplomatiques et politiques visant à limiter l'influence communiste (élections en Italie de 1946 et 1948 en particulier), frappé par la répression de l'église à l'Est en 1948/49, par des positions individuelles de clercs qui se disent communistes (au mouvement de la Paix 1948) il réagit: il privilégie en Italie le rassemblement des droites proposé par le professeur Gedda, et le 1er juillet 1949, le Saint-Office excommunie globalement les catholique adeptes ou militants du communisme. Pie XII fait allusion à cette décision dans son discours de béatification d'Innocent XI, affirmant sa mission de « défense de la chrétienté ». Il sanctionne aussi les théologiens et les dominicains français modernistes (1950). Il affirme l'autorité papale en utilisant la procédure de l'infaillibilité pontificale (1950) et en renonçant à l'idée d'un concile prônée particulièrement par Lombardi (1948 et 1952).

Cela condamne la stratégie du dialogue et de l'engagement laïc au côté des communistes, encore tentée jusque vers 1952/54, soit par les églises locales, soit en direction de Moscou. En Pologne, le primat, Mgr Wyszynski, avait signé le 12 janvier 1950 un accord garantissant quelques libertés à l'Église catholique polonaise, en échange de son soutien dans la politique de défense des frontières. Le Vatican se montre réservé face à cet accord, mais propose à Moscou une coexistence fondée sur le respect du droit et des libertés fondamentales (Lettre apostolique aux peuples de Russie du 7 juillet 1952). Le refus de Staline (l'auteur ironique du propos "Le pape, combien de division?") enterre le projet. À l'automne 1953, Mgr Wyszynski est arrêté, avec de nombreux autres hommes d'Église, par le gouvernement polonais pour avoir soutenu une vague de protestations populaires qui secouaient alors le pays.

Dès lors, quoique ne reprenant pas complètement la thèse de l'"état chrétien" prônée par Ottaviani, Pie XII, marque un désaccord plus sensible avec le maritanisme ou la voie de l'ouverture, craignant un risque de laïcisation de l'action catholique. Les marques de ce choix sont nombreuses: la béatification puis la canonisation de Pie X (pape antimoderniste à l'élection duquel il avait assisté), l'ouverture du processus de béatification de Rafael Merry del Val, la condamnation de Conjar, celle des prêtres ouvriers et la mise à l'écart de Montini, non promu comme cardinal. Par contraste, il élève Ottaviani à la barette de Cardinal, ne condamne pas les hiérarchies qui soutiennent les dictatures d'extrême droite, (Portugal, Espagne de Franco, par exemple avec lesquels sont signés des concordats), aide la dictature argentine à enterrer clandestinement, en 1955, le corps d'Eva Perón à Milan. Enfin, lorque Moscou fait une proposition de détente en 1956 dans le contexte de la déstalinisation, il ne répond pas malgré les libérations des évêques polonais par Gomulka: l'écrasement de Budapest en novembre lui confirme qu'il faut refuser toute ouverture, d'où trois encycliques en deux semaines et sa ferme condamnation à la Noël 1956.

D'un point de vue pastoral et doctrinal, les deux dernières années du pontificat portent toutes la marque de ce contexte de défense de l'Église contre le communisme : lancement à Rome de la JOCinternationale qui s'oppose à la propagation dans le monde ouvrier du "poison de doctrines matérialistes, d'attitudes faussées par l'opposition des classes et la haine"; dernières encycliques du pape sur le Sacré Cœur, sur Le Pèlerinage de Lourdes (2 juillet 1957) qui s'expriment clairement contre le matérialisme, comme Miranda Prorsus (8 septembre 1957) au sujet des média, ou surtout Ad Apostolorum Principis (29 juin 1958), sur le communisme et l'Église de Chine ainsi que Meminisse Iuvat (14 juillet 1958), sur les prières pour l'Église persécutée.

Si le début des années cinquante avait été marqué par une activité pastorale importante (question Mariale, jubilé, canonisation de Maria Goretti en présence de sa famille et de son assassin, nombreuses annonces dont la découverte du tombeau de Pierre, prises de position sur l'évolution de l'église -prêtres ouvriers, rôle des laïcs) et diplomatique (soutien à la construction européenne), la santé du pape décline brusquement en 1954 (crise de hoquet mal soignée durant laquelle il envisage l'abdication). De plus en plus diminué par l'arthrose et l'anémie, protégé par la curie et un entourage qui s'opposent (en particulier la sœur Pascalina la "Popessa"" ou son médecin Riccardo Galeazzi-Lisi auteur de nombreuses indiscrétions dont une photo du pape sur son lit de mort), il évite les consistoires et les canonisations, et éloigne certains de ses collaborateurs (en particulier Montini en le nommant archevêque de Milan en 1954). Pour Y-Marie Hilaire "isolé, autoritaire [il] craint de déléguer ses pouvoirs". Il continue de s'exprimer sur des sujets les plus variés (s'inquiétant lui-même d'une "inflation verbale" 119 et 117 messages dans les deux dernières années) en particulier scientifiques pour exprimer la position chrétienne. La centralisation de la décision et une réflexion longue contribuent, avec la maladie à ralentir les décisions et les nominations (en particulier celle des cardinaux). Les jugements des témoins s'en ressentent (pour un diplomate il est "fatigué, pétrifié dans sa gloire"), même si le pape reçoit de nombreux témoignages d'affection et donne des interviews le montrant rétabli.

Dans ses dernières années, il est confronté à des visions, confiées à Mgr Tardini, dont une de Jésus citée par l'Oservatore Romano. Elles rappellent celles d'octobre/novembre 1950, lorsque au moment de la proclamation du dogme de l'assomption, d'après le cardinal Federico Tedeschini Pie XII aurait eu trois fois dans les jardins du Vatican la vision du miracle du soleil de Fatima (30-10/31-10, 1-11 et 8-11 à 16h). D'après Jean Guitton, il aurait dit de lui-même qu’il était "le dernier Pape Pie", l'“ultime chaînon d’une longue dynastie". Il meurt (de ne pas s'être assez ménagé selon son médecin) d'une attaque cérébrale le 9 octobre 1958 à Castel Gandolfo, résidence d'été des papes.

Son successeur, Jean XXIII procède rapidement à un changement d'état d'esprit (par le choix de son nom, divers gestes protocolaires, comme la fin de l'usage de manger seul, l'appel à l'Aggiornamento et au Concile Vatican II, ce qui provoque une surprise dans la curie. Certes, un concile avait été envisagé en 1948 par Pie XII (le précédent concile avait été suspendu en 1870) mais avec un contenu différent, (dogme de l'assomption) et l'idée avait été écartée par Pie XII au profit du magistère de l'infaillibilité. D'après Mgr. Tardini et le Jesuite Riccardo Lombardi Pie XII l'aurait toutefois envisagée pour son successeur.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'action de l'Église contre le nazisme et l'antisémitisme fait l'objet de diverses critiques. C'est l'époque où Jules Isaac s'en prend à "L'enseignement du mépris" par l'Église catholique et obtient de Pie XII lui-même, après la conférence de Seelisberg, que la réforme liturgique de 1955 supprime l'« offense du geste », c'est-à-dire l'omission de l'agenouillement lors de la prière pour les Juifs.

Mais plus tard, d'aucuns accusent le même Pie XII d'avoir cautionné par son « silence » les agissements nazis. Cette polémique arrive sur la place publique en 1963 avec la présentation de la pièce de théâtre Le Vicaire, œuvre du dramaturge allemand Rolf Hochhuth, qui a été produite pour la première fois en Allemagne en 1963. Les thèses défendues par l'auteur portent avant tout sur le fait que le pape aurait pu en faire plus. Jusqu'alors, l'image du pape était relativement préservée mais la pièce a largement contribué à retourner l'opinion publique.

La pièce connut en effet un grand succès international, fut traduite en 20 langues, souleva d'innombrables questions auxquelles le Vatican répondit en annonçant qu'il fallait attendre l'ouverture des archives après cinquante ans. En 2002, le film Amen., du réalisateur gréco-français Costa-Gavras, directement inspiré du Vicaire, relançait la polémique.

Cinq ans plus tard, un officier de la DIE (services d'espionnage roumains) passé à l'Ouest en 1978 et recruté par la CIA américaine, Ion Mihai Pacepa, affirme que le général soviétique Ivan Agayants, chef du service de désinformation du KGB, aurait conçu en 1963 un plan contre Pie XII. L'idée était de produire une pièce de théâtre s'appuyant sur de prétendues archives afin de les discrediter lui et son action anti communiste. L'auteur officiel, Rolf Hochhuth, aurait donc juste repris pour Le Vicaire un script inventé par Agayants sur la base de documents envoyés à Moscou par les renseignements roumains (qui auraient réussi à infiltrer les archives du Vatican en 1960 et 1962) et ne se serait pas inspiré du témoignage de Kurt Gerstein, pourtant personnage central de l'œuvre.

Si le Vatican estime que l'écriture du Vicaire a fortement été influencée par son premier metteur en scène, Erwin Piscator, et plus généralement « par les communistes et les adversaires de l'Église », il met fortement en doute les révélations de Pacepa, qui contiennent des erreurs flagrantes sur la façon dont les services roumains se seraient procuré leur documentation : selon le Vatican, une offre d'arrangement des relations diplomatiques avec les pays de l'Est (voire un arrangement financier) n'aurait pu donner un accès aux archives secrètes du Vatican aux services roumains ; par ailleurs, les documents relatifs à Pie XII n'étaient pas encore aux archives secrètes mais à celles de la Secrétairerie d'État.

Dès 1940, un an après l'élection de Pie XII, Albert Einstein constatait dans le magazine Time la lutte de l'Église pour la liberté et la vérité, qu'il comparait au silence de la presse et des Universités. Au lendemain de la guerre, de nombreux témoignages de reconnaissance lui ont été adressés. Le grand rabbin de Jérusalem, Isaac Herzog, s'est exprimé ainsi en 1944 : « Ce que votre Sainteté et ses éminents délégués (…) font pour nos frères et sœurs (…), le peuple d'Israël ne l'oubliera jamais. »

En 1958, Golda Meir, ministre des Affaires étrangères d'Israël, a déclaré à l'occasion du décès de Pie XII : « Quand le terrible martyre de notre peuple arriva, pendant la décennie de la terreur nazie, la voix du Pape s’ éleva pour les victimes […] Nous pleurons un grand serviteur de la paix ». Elio Toaff déclare : « Les juifs se souviendront toujours de ce que l'Église a fait pour eux sur l'ordre du pape au moment des persécutions raciales. ».

Les documents relatifs au pontificat du pape Pie XII, conservés dans les Archives secrètes du Vatican n'ont, jusqu'ici, jamais été publiés intégralement. En octobre 1999, une commission mixte d'historiens juifs et catholiques a pourtant été chargée d'étudier la période. La polémique avait en effet une nouvelle fois été relancée par le document « Souvenons-nous : Une réflexion sur la Shoah », publié à Rome le 18 mars 1998. Un rapport préliminaire fut remis le 25 octobre 1999, rapport dans lequel les membres de la Commission s'interrogeaient sur des lacunes flagrantes dans les documents d'archives disponibles et invitaient le Vatican à ouvrir l'ensemble de ses archives. Ne voyant pas ses requêtes suivies d'effets réels, la commission annonça le 20 juillet 2001 qu'elle devait suspendre ses travaux car le Vatican refusait d'ouvrir toutes ses archives et empêchait ainsi la rédaction d'un rapport final. Pour sa part, le Vatican a pris note de cet échec, qu'il mit sur le compte des « fuites tendancieuses » dont se seraient rendus coupables des membres juifs de la commission.

Les archives correspondant à l'ensemble du pontificat de Pie XI, c'est-à-dire, jusqu'en 1939, ont été rendues accessibles en 2006. Selon le porte-parole du Vatican, celles correspondant au pontificat de Pie XII, représentant environ 16 millions de feuillets, ne pourraient l'être que vers 2014-2015. En 2007, le représentant du Vatican en Israël, Mgr Antonio Franco, a menacé de boycotter les cérémonies annuelles organisées par le mémorial de Yad Vashem. Il voulait protester contre l'image qui était donnée de Pie XII : au musée du Mémorial figure en effet depuis 2005 une photo de Pie XII parmi « ceux dont on devrait avoir honte pour ce qu'ils ont fait contre les juifs », a-t-il déploré.

Le président du Mémorial, Avner Shalev, a tenu à formuler le communiqué suivant : « Yad Vashem se dédie à la recherche historique et le musée de l'Holocauste présente la vérité historique sur le pape Pie XII telle qu'elle est connue par les chercheurs aujourd'hui. Yad Vashem a dit au représentant du Vatican qu'il était prêt à continuer d'examiner le sujet, en soulignant que si on lui y donne accès, il étudierait avec plaisir les archives de Pie XII, afin de prendre éventuellement connaissance d'éléments nouveaux ». Le nonce est finalement revenu sur sa décision de boycotter la cérémonie.

La cause de Pie XII est introduite sous le pontificat de Paul VI, le 18 novembre 1965, en même temps que celle de Jean XXIII. Le 8 mai 2007, les membres du tribunal de la congrégation pour la Cause des saints votent à l'unanimité le jugement positif et conclusif du procès en vue d'établir «les vertus héroïques» de Pie XII. Toutefois le pape Benoît XVI décide de reporter la signature de ce décret, préférant attendre.

Deux ans plus tard, le 19 décembre 2009, le pape Benoît XVI proclame le décret reconnaissant Pie XII comme vénérable. Cette étape précède celle de la béatification. Cette dernière est maintenant conditionnée à la reconnaissance d'un miracle, ayant eu lieu après la mort de Pie XII, et attribué à son intercession. De plus, le Vatican a laissé entendre, il y a quelques mois, que Pie XII ne serait pas béatifié avant l'ouverture complète des archives de son pontificat, procédure qui requiert des années de travail. L'avancée du processus de béatification provoque une controverse à raison de la passivité prêtée à Pie XII pendant la guerre, à laquelle le Vatican oppose l'aide apportée à divers réseaux clandestins d'aide aux Juifs.

L'historien et avocat Serge Klarsfeld écarte les critiques et soutient la décision de Benoît XVI tout en regrettant que toutes les archives ne soient pas encore ouvertes. Le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy, le 20 janvier 2010, dans un article du Corriere della sera, prend la défense de Pie XII qu'il présente comme un "bouc émissaire" victime de la "désinformation" et parle de lui comme de l'auteur "d'un des manifestes anti nazis les plus fermes et les plus éloquents". Il présente Rolf Hochhuth, auteur de la pièce de théâtre à l'origine de la polémique comme "un négationniste patenté, plusieurs fois condamné comme tel" et s'étonne qu'on accuse Pie XII d'être resté silencieux alors qu'on n'en fait aucun reproche aux chefs d'État de l'époque

Roosevelt Franklin Delano

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Franklin Delano Roosevelt, né le 30 janvier 1882 à Hyde Park, dans l’État de New York, et mort le 12 avril 1945 à Warm Springs, dans l’État de Géorgie, était le trente-deuxième président des États-Unis. Figure centrale du XXe siècle, il fut le seul président américain à être élu à quatre reprises à partir de 1932. Il ne fit qu'entamer son quatrième mandat, emporté par la maladie quelques mois après le début de celui-ci.

Franklin Delano Roosevelt

Franklin Delano Roosevelt

Confronté à la Grande Dépression, Roosevelt mit en œuvre le New Deal, un programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage. Il réforma le système bancaire américain, et fonda la Sécurité sociale. Il créa de nombreuses agences gouvernementales telles que la Works Progress Administration, la National Recovery Administration ou l’Agricultural Adjustment Administration. Il réussit à élaborer un nouveau mode de présidence, plus interventionniste et plus actif grâce à son équipe de conseillers, appelée Brain Trust.

Roosevelt fut l’un des principaux acteurs de la Seconde Guerre mondiale et rompit avec l’isolationnisme traditionnel de son pays. Dès avant l’entrée en guerre des États-Unis, il lança le programme Lend-Lease afin de fournir les pays alliés en matériel de guerre. Après l’attaque de Pearl Harbor, il assuma pleinement ses fonctions de commandant en chef de l’armée américaine et prépara largement la victoire des Alliés. Il tint un rôle de premier plan dans la transformation du monde au sortir du conflit, et inspira notamment la fondation de l'ONU. Critiqué par les uns, admiré par les autres, il a laissé une très forte empreinte dans l'histoire de son pays et celle du monde. Franklin Delano Roosevelt est né le 30 janvier 1882 à Hyde Park, une localité de la vallée de l’Hudson située à environ 160 km au nord de New York. Ses parents appartenaient à deux vieilles familles patriciennes de New York. Son père, James Roosevelt Sr. riche entrepreneur, avait un ancêtre hollandais, Nicholas Roosevelt, installé à la Nouvelle-Amsterdam, dont la descendance donnera un autre président américain Theodore Roosevelt, dont Franklin Delano épousera la nièce Eleanor.

Sa mère, Sara Ann Delano avait des ancêtres franco-luxembourgeois. Son grand-père maternel, Warren Delano Jr., qui avait fait fortune dans le commerce de l’opium avec la Chine, était un descendant de Philippe de La Noye (1602-1681), issu de l'illustre Maison de Lannoy, l’un des passagers du Fortune qui accosta à Plymouth en novembre 1621, rejoignant les premiers colons du Mayflower. La descendance de Philippe de La Noye donna quelques décennies auparavant un autre président aux États-Unis, le général Ulysses S. Grant. Franklin Roosevelt était fils unique ; il grandit sous l’influence d’une mère possessive et eut une enfance heureuse et solitaire. Il passait souvent ses vacances dans la maison familiale de l'île de Campobello située au Canada. Grâce à de nombreux voyages en Europe, Roosevelt se familiarisa avec les langues allemande et française. Il reçut une éducation aristocratique, apprit à monter à cheval, pratiqua de nombreux sports comme le polo, l’aviron, le tennis et le tir.

À l'âge de quatorze ans, il entra dans un établissement privé et élitiste, la Groton School dans le Massachusetts. Pendant ses études, il fut influencé par son maître, le révérend Endicott Peabody, qui lui enseigna le devoir chrétien de charité et la notion de service pour le bien commun. En 1899, Franklin Roosevelt continua ses études à Harvard où il résida dans la luxueuse Adams House. Il entra dans la fraternité Alpha Delta Phi et participa au journal étudiant The Harvard Crimson. Il perdit son père qui mourut en 1900. À cette époque, son cousin lointain et oncle par alliance Theodore Roosevelt accéda à la présidence des États-Unis et devint son modèle en politique. C'était le début de l'ère progressiste (« Progressive Era ») qui remodelait profondément le paysage politique américain, et c'est au sein du Parti démocrate qu'il entra en politique. Il appartenait aussi à la franc-maçonnerie et fut initié à New York le 11 octobre 1911.

En 1902, au cours d’une réception à la Maison Blanche, Franklin Roosevelt fit la connaissance de sa future épouse Anna Eleanor Roosevelt, qui était aussi la nièce du Président Theodore Roosevelt. Eleanor et Franklin Roosevelt avaient un ancêtre commun, le Hollandais Claes Martenzen van Roosevelt qui débarqua à la Nouvelle-Amsterdam (future New York) dans les années 1640. Ses deux petits-fils, Johannes et Jacobus ont fondé les deux branches de la famille, celle de l’Oyster Bay et celle d’Hyde Park. Eleanor et Theodore Roosevelt descendaient de la branche aînée, alors que Franklin Roosevelt était issu de la branche cadette, celle de Jacobus. En 1902, Franklin Roosevelt entra à l’école de droit de l’université Columbia mais abandonna son cursus en 1907 sans diplôme. Il passa avec succès l’examen du barreau de l’État de New York et fut engagé dès 1908 dans un cabinet d’affaires prestigieux de Wall Street, la Carter Ledyard & Milburn.

Franklin Roosevelt épousa Eleanor le 17 mars 1905 à New York, malgré l’opposition de sa mère. Lors de la cérémonie, Theodore Roosevelt remplaçait le père défunt de la mariée, Elliott Roosevelt. Le jeune couple s’installa ensuite sur le domaine familial de Springwood à Hyde Park. Alors que Franklin était un homme charismatique et sociable, sa femme était à cette époque timide et se tenait à l’écart des mondanités pour élever ses enfants :

  • Anna Eleanor (1906 – 1975)
  • James (1907 – 1991)
  • Franklin Delano Jr. (3 mars 1909 – 7 novembre 1909)
  • Elliott (1910 – 1990)
  • Franklin Delano, Jr. (1914 – 1988)
  • John Aspinwall (1916 – 1981)

Franklin Roosevelt eut plusieurs aventures amoureuses pendant son mariage : il entretint dès 1914 une liaison avec la secrétaire de son épouse, Lucy Page Mercer Rutherfurd. En septembre 1918, Eleanor trouva la correspondance écrite des amants dans les affaires de son mari. Elle menaça ce dernier de demander le divorce. Sous la pression de sa mère et de sa femme, Roosevelt s’engagea à ne plus voir Lucy Mercer et le couple sauva les apparences. Eleanore s’établit dans une maison séparée à Valkill, tout en continuant à voir son époux. Les enfants du couple ont eu quant à eux des existences tumultueuses : 19 mariages, 15 divorces et 22 enfants pour l’ensemble des cinq enfants. Les quatre fils ont participé à la Seconde Guerre mondiale comme officiers et ont été décorés pour leur bravoure au combat. Après le conflit, ils ont mené des carrières dans les affaires et la politique. Franklin Delano Roosevelt Jr. a représenté l’Upper West Side au Congrès pendant trois mandats et James Roosevelt pour le 26e district de Californie pendant six mandats.

Roosevelt n'aimait pas particulièrement sa carrière juridique et ne termina pas ses études de droit commencées à l'Université de Columbia . Il se tourna vers la politique à la première occasion. En 1910, il se présenta au poste de sénateur démocrate pour le 26e district de l’État de New York. Il fut élu et entra en fonction le 1er janvier 1911 au Sénat d’Albany. Il prit rapidement la tête d’un groupe parlementaire de réformistes qui s’opposait au clientélisme du Tammany Hall, la « machine » politique du Parti démocrate à New York. Roosevelt devint un personnage populaire parmi les démocrates de l'État et fut réélu le 5 novembre 1912 grâce au soutien du journaliste Louis Howe, avant de démissionner le 17 mars suivant. En 1914, il se présenta aux élections primaires pour le poste de sénateur mais fut battu par le candidat soutenu par le Tammany Hall, James W. Gerard.

En 1913, Roosevelt fut nommé Secrétaire adjoint à la Marine par le président Woodrow Wilson et travailla pour Josephus Daniels, le Secrétaire à la Marine des États-Unis. Entre 1913 et 1917, il s’employa à développer la marine américaine et fonda la United States Navy Reserve. Pendant la Première Guerre mondiale, Roosevelt fit preuve d’une attention particulière pour la marine et milita pour le développement des sous-marins. Afin de parer aux attaques sous-marines allemandes contre les navires alliés, il proposa d’installer un barrage de mines en mer du Nord, entre la Norvège et l’Écosse. En 1918, il inspecta les équipements navals américains en Grande-Bretagne et se rendit sur le front en France. Pendant sa visite, il rencontra Winston Churchill pour la première fois. Après l’armistice du 11 novembre 1918, il fut chargé de superviser la démobilisation et quitta son poste de Secrétaire-adjoint à la Marine en juillet 1920.

En 1920, la convention nationale du Parti démocrate choisit Franklin Roosevelt comme candidat à la vice-présidence des États-Unis, aux côtés du gouverneur de l’Ohio James M. Cox. Dans un discours prononcé à Butte (Montana) le 18 août 1920, il mit en avant son rôle dans la rédaction de la constitution imposée à Haïti en 1915 : « J’ai écrit moi-même la constitution de Haïti, et je pense que cette constitution est plutôt bonne. » Le ticket Cox-Roosevelt fut battu par le Républicain Warren Harding qui devint président. Après cet échec, il se retira de la politique et travailla à New York : il fut vice-président d’une société de vente par actions et directeur d’un cabinet d’avocats d’affaires.

En août 1921, pendant ses vacances à l'île Campobello, Roosevelt contracta une maladie que l’on pensait être à l’époque la poliomyélite. Il en résulta une paralysie de ses membres inférieurs : il avait alors 39 ans. Il ne se résigna jamais à accepter la maladie, fit preuve de courage et d’optimisme. Il essaya de nombreux traitements : en 1926, il acheta une propriété à Warm Springs en Georgie, où il fonda un centre d’hydrothérapie pour les patients atteints de la poliomyélite, le Roosevelt Warm Springs Institute for Rehabilitation, qui est toujours en activité. Le jour de sa première investiture présidentielle, il reçut personnellement des enfants paralytiques. Pendant sa présidence, il participa à la création de la National Foundation for Infantile Paralysis. Roosevelt cacha la dégradation de son état de santé pour pouvoir être réélu. En public, il marchait avec des attelles orthopédiques ou une canne ; en privé, il se déplaçait en fauteuil roulant. Lors de ses apparitions publiques, il était soutenu par l’un de ses fils ou par un auxiliaire. Une étude de 2003 a démontré que Roosevelt n’était pas atteint par la polio mais par le syndrome de Guillain-Barré.

Roosevelt prit bien soin de rester en relation avec le Parti démocrate et s’allia avec Alfred E. Smith, ancien gouverneur du New Jersey. Il se rapprocha du Tammany Hall et fut finalement élu gouverneur de l'État de New York à une courte majorité et dut cohabiter avec un Congrès à majorité républicaine. Il prit sa charge de gouverneur en 1929 et entama aussitôt une politique novatrice et audacieuse pour l'époque : il agit en faveur des campagnes (reboisement, conservation du sol), établit des programmes sociaux comme l'office temporaire des secours d'urgence (Temporary Emergency Relief Administration) qui accordait des aides financières directes aux chômeurs. Deux concepts forts, outre un remarquable pragmatisme, dominaient son action publique. Tout d'abord l'idée qu'il était souvent nécessaire de substituer la liberté collective à la liberté individuelle, mais aussi sa grande méfiance envers l'idée de concurrence sans contrainte (« la coopération doit intervenir là où cesse la concurrence » et celle-ci « peut être utile jusqu'à une certaine limite mais pas au-delà »). C'est ainsi qu'il réduisit la durée du temps de travail pour les femmes et les enfants, lança un programme d'amélioration des hôpitaux, des prisons et renforça l'autorité publique.

Ses détracteurs l'accusèrent d'être « socialiste », dans un sens péjoratif. Roosevelt fit en effet preuve d'une grande tolérance sur les thèmes de l'immigration et de la religion, tolérance qui se manifesta par ses réserves sur la politique des quotas, sur la prohibition et sur les querelles internes au Parti démocrate entre juifs, catholiques et protestants. C'est à cette époque que Roosevelt commença à réunir une équipe de conseillers parmi lesquels Frances Perkins et Harry Hopkins, en prévision de son élection au poste de président. Le principal point faible de son mandat fut la corruption de Tammany Hall à New York. Roosevelt fut réélu en 1930 contre le Républicain Charles Egbert Tuttle pour un deuxième mandat de gouverneur de l'État de New York.

La même année, les Boy Scouts of America (BSA) lui décernèrent la plus haute distinction pour un adulte, la Silver Buffalo Award, en l’honneur de son engagement pour la jeunesse. Roosevelt soutint le premier Jamboree scout et devint président honoraire des BSA. Roosevelt remplaça le catholique Alfred E. Smith à la tête du Parti démocrate de New York dès 1928. La popularité de Roosevelt dans l’État le plus peuplé de l’Union fit de lui un candidat potentiel à l'élection présidentielle de 1932. Ses adversaires à l'investiture, Albert Ritchie, le gouverneur du Maryland et W. H. Murray, celui de l'Oklahoma, étaient des personnalités locales et moins crédibles. John Nance Garner, candidat de l’aile conservatrice du Parti, renonça à la nomination en échange du poste de vice-président, charge qu’il assuma jusqu’en 1941. Roosevelt resta confronté à l'hostilité affichée du président du parti, John Raskob, mais reçut le soutien financier de William Randolph Hearst, de Joseph P. Kennedy, de William G. McAdoo et d’Henry Morgenthau.

L’élection présidentielle se déroula dans le contexte de la Grande Dépression et des nouvelles alliances politiques qui en découlaient. En 1932, Roosevelt avait récupéré physiquement de sa maladie, si ce n'est l'usage de ses jambes, et il n'hésita pas à se lancer dans une épuisante campagne électorale. Dans ses nombreux discours électoraux, Roosevelt s’attaqua aux échecs du président sortant Herbert Hoover et dénonça son incapacité à sortir le pays de la crise. Il s’adressa en particulier aux pauvres, aux travailleurs, aux minorités ethniques, aux citadins et aux Blancs du Sud en élaborant un programme qualifié de New Deal (« nouvelle donne ») : il avait prononcé cette expression lors de la Convention démocrate de Chicago le 2 juillet 1932. Il développa surtout les questions économiques et proposa une réduction de la bureaucratie et une abolition partielle de la Prohibition. Le programme de Roosevelt n'obéissait à aucune idéologie, bien qu'il fut d'inspiration social-démocrate et keynésienne, et n'était pas précis quant aux moyens qui devraient être mis en œuvre pour aider les Américains les plus pauvres.

La campagne de Roosevelt fut un succès pour plusieurs raisons. Tout d'abord le candidat fit preuve de pédagogie et sut convaincre les Américains par ses talents d’orateur. Il parcourut près de 50 000 kilomètres à travers tout le pays pour convaincre ses électeurs. De plus, Roosevelt avait mûri politiquement sous l'influence de personnalités comme Louis Howe, l'un de ses associés, ou Josephus Daniels, son ministre de tutelle à la Marine. Il ne faut pas négliger non plus le rôle des conseillers du gouverneur qu'il fut, tels Raymond Moley, Rexford Tugwell, Adolf Berle, tous les trois chercheurs et universitaires, généralement de Columbia, pressentis par Samuel Rosenman le rédacteur des discours de Roosevelt. Ces hommes, avec Bernard Baruch, un financier ancien chef du War Industries Board durant la Première Guerre mondiale, ou encore Harry Hopkins, son confident, qui constituèrent ensuite le célèbre « Brain Trust » du président. Mais le succès de Roosevelt fut surtout dû à l'extrême impopularité du président Hoover et de sa politique de « laisser-faire » ayant largement aggravé la crise de 1929.

Le 8 novembre 1932, Roosevelt recueillit 57 % des voix et le Collège électoral lui était favorable dans 42 États sur 48. Le Congrès était acquis au Parti démocrate. Les États de l’Ouest, du Sud et les zones rurales le plébiscitèrent. Les historiens et les politologues considèrent que les élections de 1932-1936 ont fondé une nouvelle coalition autour des Démocrates et le 5e système de partis. Le 15 février 1933, Roosevelt échappa à un attentat alors qu’il prononçait un discours impromptu depuis l'arrière de sa voiture décapotable à Bayfront Park à Miami en Floride. L’auteur des coups de feu était Joseph Zangara, un anarchiste d’origine italienne dont les motivations étaient d’ordre personnel. Il fut condamné à 80 ans de réclusion, puis à la peine de mort, car le maire de Chicago Anton Cermak mourut des blessures reçues pendant l’attentat.

Lorsque Franklin Roosevelt prit ses fonctions de Président de États-Unis le 4 mars 1933, le pays était plongé dans une grave crise économique : 24,9 % de la population active, plus de 12 millions de personnes étaient alors au chômage et deux millions d’Américains étaient sans-abri. Entre 1930 et 1932, 773 établissements bancaires firent faillite. Lors de son discours inaugural, Roosevelt dénonça la responsabilité des banquiers et des financiers dans la crise ; il présenta son programme directement aux Américains par une série de discussions radiophoniques connues sous le nom de fireside chats (« causeries au coin du feu »). Le premier cabinet de l'administration Roosevelt comprenait une femme pour la première fois de l'histoire politique américaine : il s'agissait de Frances Perkins, qui occupa le poste de Secrétaire au travail jusqu'en juin 1945.

Au début de son mandat, Roosevelt prit de nombreuses mesures pour rassurer la population et redresser l’économie. Entre le 4 mars et le 16 juin, il proposa 15 nouvelles lois qui furent toutes votées par le Congrès. Le premier New Deal ne fut pas une politique socialiste et Roosevelt gouverna plutôt au centre. Entre le 9 mars et le 16 juin 1933, période de Cent Jours qui correspond à la durée de la session du Congrès américain, il fit passer un nombre record de projets de loi qui furent facilement adoptés grâce à la majorité démocrate, au soutien de sénateurs comme George Norris, Robert F. Wagner ou Hugo Black, mais aussi grâce à l’action de son Brain Trust, l'équipe de ses conseillers issus pour la plupart de l'Université Columbia. Pour expliquer ces succès politiques, les historiens invoquent également la capacité de séduction de Roosevelt et son habileté à utiliser les médias.

Comme son prédécesseur Herbert Hoover, Roosevelt considérait que la crise économique résultait d’un manque de confiance qui se traduisait par une baisse de la consommation et de l’investissement. Il s’efforça donc d’afficher son optimisme. Au moment des faillites bancaires du 4 mars 1933, son discours d'investiture, entendu à la radio par quelque deux millions d'Américains, comportait cette déclaration restée célèbre : « The only thing we have to fear is fear itself » (« la seule chose que nous ayons à craindre, c’est la crainte elle-même »). Le jour suivant, le président décréta un congé pour les banques afin d’enrayer la panique causée par les faillites, et annonça un plan pour leur prochaine réouverture.

Le 9 mars 1933 passe l'Emergency Banking Act (approximativement "Loi de secours bancaire") au Congrès, suivi le 5 avril de l'Ordre exécutif présidentiel 6102 requérant des possesseurs de pièces d'or de le retourner au Trésor américain. En trente jours, un tiers de l'or en circulation est retourné au Trésor. Le 28 aout le Président Roosevelt publie une autre ordonnance enjoignant à tout possesseur d'or d'enregistrer ses avoirs auprès du Trésor public.

Roosevelt poursuivit le programme de Hoover contre le chômage placé sous la responsabilité de la toute nouvelle Federal Emergency Relief Administration (FERA). Il reprit également la Reconstruction Finance Corporation pour en faire une source majeure de financement des chemins de fer et de l’industrie. Parmi les nouvelles agences les plus appréciées de Roosevelt figurait le « corps de préservation civile » (Civilian Conservation Corps - CCC -), qui embaucha 250 000 jeunes chômeurs dans différents projets locaux. Le Congrès confia de nouveaux pouvoirs de régulation à la Federal Trade Commission et des prêts hypothécaires à des millions de fermiers et de propriétaires. En outre, le 19 avril, les États-Unis abandonnaient l’étalon-or, ce qui eut pour effet de relancer l’économie.

Les réformes économiques furent entreprises grâce au National Industrial Recovery Act (NIRA) de 1933. Cependant la cour suprême le déclara anticonstitutionnel par une décision du 27 mai 1935. Le NIRA établissait une planification économique, un salaire minimum et une baisse du temps de travail ramené à 36 heures hebdomadaires. Le NIRA instaurait également plus de liberté pour les syndicats.

Roosevelt injecta d'énormes fonds publics dans l’économie : le NIRA dépensa ainsi 3,3 milliards de dollars par l’intermédiaire de la Public Works Administration sous la direction de Harold Ickes. Le Président travailla avec le sénateur républicain George Norris pour créer la plus grande entreprise industrielle gouvernementale de l’histoire américaine, la Tennessee Valley Authority (TVA) : celle-ci permit de construire des barrages et des stations hydroélectriques, de moderniser l’agriculture et d’améliorer les conditions de vie dans la vallée du Tennessee. En avril 1933, l'abrogation du Volstead Act qui définissait la prohibition, permit à l’État de lever de nouvelles taxes.

Roosevelt essaya de tenir ses engagements de campagne sur la réduction des dépenses publiques : mais il souleva l’opposition des vétérans de la Première Guerre mondiale en diminuant leurs pensions. Il fit des coupes sévères dans le budget des armées ; il baissa le salaire et le nombre des fonctionnaires par l'Economy Act le 20 mars 1933. Il réduisit également les dépenses dans l’éducation et la recherche.

Le relèvement de l’agriculture fut l’une des priorités de Roosevelt comme en témoigne le premier Agricultural Adjustment Administration (AAA) qui devait faire remonter les prix agricoles. Son action fut critiquée car elle imposait de détruire les récoltes alors qu'une partie de la population était mal nourrie. Par ailleurs, le Farm Credit Act fut voté pour réduire l'endettement des agriculteurs. À la suite des rigueurs de l’hiver 1933-1934, la Civil Works Administration fut fondée et employa jusqu’à 4,5 millions de personnes ; l'agence engagea des travailleurs pour des activités très diverses telles que des fouilles archéologiques ou la réalisation de peintures murales. Malgré ses réussites, elle fut dissoute après l’hiver. À partir de 1934, la politique de Franklin Roosevelt s’orienta à gauche avec la création de l’État-providence (Welfare State).

Les élections législatives de 1934 donnèrent à Roosevelt une large majorité aux deux chambres du Congrès. Le président put continuer ses réformes afin de relancer la consommation et de faire baisser le chômage. Cependant, le taux de chômage restait à un niveau très élevé (12,5 % en 1938). Le 6 mai 1934, le Président crée l'Administration chargée de l'avancement des travaux (Works Progress Administration), dirigée par Harry Hopkins. Elle employa jusqu'à 3,3 millions de personnes en 1938 sur des chantiers divers : réalisation de routes, de ponts, de bâtiments publics… Les professeurs enseignaient la langue anglaise aux immigrants, les acteurs jouaient des pièces de théâtre jusque dans les petites villes, les peintres comme Jackson Pollock recevaient des commandes. L'Administration nationale de la jeunesse (National Youth Administration) fut fondée en juin 1935 pour faire baisser le chômage des jeunes et les encourager à faire des études. L'Administration pour la réinstallation (Resettlement Administration), créée en avril 1935, fut placée sous la direction de Rexford Tugwell pour réduire la pauvreté des agriculteurs. Elle fut remplacée par l'Administration pour la sécurité agricole (Farm Security Administration) en 1937.

Le 28 mai 1934, Roosevelt rencontra l’économiste anglais Keynes, entrevue qui se passa mal, ce dernier estimant que le président américain ne comprenait rien à l'économie. Le 6 juin 1934, le Securities Exchange Act permit la création de la Securities and Exchange Commission (Commission des titres financiers et des bourses) qui règlementait et contrôle les marchés financiers. Roosevelt nomma Jospeh P. Kennedy, le père de John F. Kennedy, comme premier président de la SEC. Le Social Security Act prévoyait pour la première fois à l’échelon fédéral la mise en place d’une sécurité sociale pour les retraités, les pauvres et les malades. La loi sur les retraites fut signée le 14 août 1935. Le financement devait reposer sur les cotisations des employeurs et des salariés pour ne pas accroître les dépenses de l'État fédéral.

Le sénateur Robert Wagner rédigea le Wagner Act, qui fut ensuite adopté sous le nom de National Labor Relations Act. Cette loi signée le 5 juillet 1935 établissait le droit au niveau fédéral pour les travailleurs d’organiser des syndicats, d’engager des négociations collectives. Elle fondait le Bureau national des relations au sein du travail (National Labor Relations Board) qui devait protéger les salariés contre les abus des employeurs. Le nombre de syndiqués augmenta fortement à partir de ce moment.

Le deuxième New Deal fut attaqué par des démagogues tels que le père Coughlin, Huey Long ou encore Francis Townsend. Mais il suscita également l’opposition des démocrates les plus conservateurs emmenés par Al Smith. Avec l’American Liberty League, ce dernier critiqua Roosevelt et le compara à Karl Marx et Lénine. Le 27 mai 1935, la Cour suprême des États-Unis s'opposa à l’une des lois du New Deal, donnant au gouvernement fédéral des pouvoirs sur les industriels. Elle décréta unanimement que le National Recovery Act (NRA) n'était pas constitutionnel car il donnait un pouvoir législatif au président. Ce fut un premier échec pour Roosevelt mais aussi pour le gouvernement fédéral face aux États et aux intérêts individuels. Le monde des affaires se montra également hostile au « type de la Maison-Blanche ». Enfin, Roosevelt était critiqué pour avoir creusé le déficit du budget fédéral, qui passa de 2,6 milliards de dollars en 1933 à 4,4 milliards de dollars en 1936.

Favorable à la retraite par répartition, Roosevelt déclara à un journaliste qui lui suggérait de financer les retraites par l’impôt : « Je suppose que vous avez raison sur un plan économique, mais le financement n’est pas un problème économique. C’est une question purement politique. Nous avons instauré les prélèvements sur les salaires pour donner aux cotisants un droit légal, moral et politique de toucher leurs pensions […]. Avec ces cotisations, aucun fichu politicien ne pourra jamais démanteler ma sécurité sociale. »

Après quatre ans de présidence, l'économie avait progressé mais restait encore fragile. En 1937, 7,7 millions d'Américains étaient au chômage soit 14 % de la population active. Aux élections présidentielles de novembre 1936, Roosevelt fut confronté à un candidat républicain sans réelle envergure, Alfred Landon, dont le parti était désuni. Il réussit à réunir sous sa bannière l'ensemble des forces opposées « aux financiers, aux banquiers et aux spéculateurs imprudents ». Cet ensemble électoral multi-ethnique, multi-religieux essentiellement urbain devint ensuite le réservoir de voix du Parti démocrate. Roosevelt fut réélu pour un deuxième mandat. Sa victoire écrasante dans 46 États sur 48, obtenue avec un écart de 11 millions de voix, contredisait tous les sondages et les prévisions de la presse. Elle indiquait un fort soutien populaire à sa politique de New Deal et se traduisit par une majorité démocrate dans les deux Chambres du Congrès.

Par rapport à la période de son premier mandat, peu de grandes législations furent adoptées lors du second mandat : ainsi l’United States Housing Authority qui faisait partie du New Deal (1937), un deuxième ajustement pour l’agriculture ainsi que le Fair Labor Standards Act (FLSA) de 1938 qui créa un salaire minimum. Lorsque l’économie se détériora à nouveau fin de l’année 1937, Roosevelt lança un programme agressif de stimulation de celle-ci en demandant au Congrès 5 milliards de dollars pour lancer des travaux publics dans le but de créer 3,3 millions d’emplois en 1938.

La Cour suprême des États-Unis était l’obstacle principal empêchant Roosevelt de réaliser ses programmes. Roosevelt étonna le Congrès en 1937 en proposant une loi lui offrant la possibilité de nommer cinq nouveaux magistrats. Cette demande fut accueillie par une large opposition comprenant même des membres de son propre parti dont le Vice-Président John Nance Garner car il semblait aller à l’encontre de la séparation des pouvoirs. Les propositions de Roosevelt furent ainsi rejetées. Des décès et des départs à la retraite de membres de la Cour suprême permirent néanmoins à Roosevelt de nommer assez rapidement de nouveaux magistrats avec peu de controverse. Entre 1937 et 1941, il nomma huit magistrats libéraux à la Cour suprême.

Roosevelt Franklin Delano

Le marché boursier connut une rechute dans l'été 1937, la production s'effondra et le chômage grimpa à 19 % de la population active en 1938. En 1938, le Président réagit en demandant une rallonge financière au Congrès, en présentant une loi sur l'aide au logement, en aidant les agriculteurs (deuxième AAA en février 1938). Le 25 juin 1938 fut votée la loi sur les salaires et la durée du travail (Fair Labor Standards Act). La durée hebdomadaire du travail fut abaissée à 44 heures puis à 40 heures. Roosevelt obtint le soutien des communistes américains et de l’union des syndicats qui connaissaient alors une forte progression mais ceux-ci se séparèrent suite à des querelles internes au sein de l'AFL et du CIO mené par John L. Lewis. Ces querelles affaiblirent le parti lors des élections de 1938 à 1946.

Le deuxième mandat de Roosevelt a été marqué par la montée des oppositions. Ces dernières s'exprimèrent d'abord dans les contre-pouvoirs, la Cour suprême et le Congrès, y compris dans les rangs démocrates, mais aussi dans les journaux où les caricatures et les éditoriaux n'hésitaient pas à critiquer l'action présidentielle. La presse fit état des scandales qui touchaient la famille du président. Les conservateurs l'accusaient d'être trop proche des communistes et attaquèrent la WPA. Les groupuscules et leaders fascistes tels que le Front chrétien du père Coughlin, lancèrent une croisade contre le Jew Deal mais qui trouva peu d'écho.

Déterminé à surmonter l’opposition conservatrice chez les démocrates du Congrès (pour la plupart en provenance des États du sud), Roosevelt s’impliqua lui-même lors des primaires de 1938 en apportant son soutien aux personnes favorables à la réforme du New Deal. Roosevelt ne réussit qu'à déstabiliser le démocrate conservateur de la ville de New York. Il dut préserver l'équilibre politique pour pouvoir conserver sa majorité et ménagea les Démocrates du Sud du pays en ne remettant pas en cause la ségrégation contre les Noirs.

Lors des élections de novembre 1938, les démocrates perdirent sept sièges au sénat et 71 sièges au Congrès. Les pertes se concentraient chez les démocrates favorables au New Deal. Lorsque le Congrès fut réuni en 1939, les républicains menés par le sénateur Robert Taft formèrent une coalition conservatrice avec les démocrates conservateurs du sud du pays ce qui empêchait Roosevelt de transformer ses programmes en lois. La loi de 1938 sur le salaire minimum fut ainsi la dernière réforme du New Deal à être entérinée par le Congrès.

Il n’y a aucune preuve que le New Deal eut une quelconque efficacité dans la lutte contre la crise, qui perdura jusqu’à ce que l’Amérique mobilise son économie pour la Seconde Guerre mondiale. Son succès fut en revanche indéniable au niveau social. La politique menée par le président Franklin Roosevelt a changé le pays par des réformes et non par la révolution. Sur le plan économique, la situation était meilleure qu'en 1933 qui avait constitué le moment le plus difficile de la crise : la production industrielle avait retrouvé son niveau de 1929. En prenant comme base 100 la situation de 1929, le PNB en prix constants était de 103 en 1939, 96 pour le PNB/hab. Cependant, le chômage était toujours massif : 17 % de la population active américaine se trouvait au chômage en 1939 et touchait 9,5 millions de personnes. Ils recevaient une allocation chômage, ce qui représentait un progrès par rapport à l'avant New Deal. La population active avait augmenté de 3,7 millions de personnes entre 1933 et 1939.

Le New Deal inaugurait en outre une période d'interventionnisme étatique dans de nombreux secteurs de l'économie américaine : bien qu'il n'y avait pas eu de nationalisations comme dans la France du Front populaire, les agences fédérales avaient développé leurs activités, employé davantage de fonctionnaires issus de l'université. Ainsi, les mesures du New Deal ont posé les bases de la future superpuissance américaine. Sur le plan politique, le pouvoir exécutif et le cabinet présidentiel avaient renforcé leur influence, sans pour autant faire basculer le pays dans la dictature. Roosevelt avait su instaurer un lien direct avec le peuple, par les nombreuses conférences de presse qu'il avait tenues, mais aussi par l'utilisation de la radio (« causeries au coin du feu ») et ses nombreux déplacements. Le New Deal a permis une démocratisation de la culture et la réconciliation des artistes avec la société.

L'esprit du New Deal a imprégné le pays : le cinéma et la littérature s'intéressaient davantage aux pauvres et aux problèmes sociaux. La Works Projects Administration (1935) mit en route de nombreux projets dans le domaine des arts et de la littérature, en particulier les cinq programmes du fameux Federal One. La WPA permit la réalisation de 1 566 peintures nouvelles, 17 744 sculptures, 108 099 peintures à l’huile et de développer l'enseignement artistique. À la fin du New Deal, le bilan était mitigé : si les artistes américains avaient été soutenus par des fonds publics et avaient acquis une reconnaissance nationale, cette politique culturelle fut interrompue par la Seconde Guerre mondiale et la mort de Roosevelt en 1945.

Entre l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et l'entrée en guerre des États-Unis, Roosevelt dut prendre position sur les différentes questions internationales en tenant compte du Congrès et de l'opinion américaine. Il fut partagé entre l'interventionnisme défini par le président Wilson et l'isolationnisme qui consistait à tenir son pays en dehors des affaires européennes. La politique étrangère de Roosevelt fit l'objet de nombreuses controverses. Franklin Delano Roosevelt connaissait bien l'Europe, l'Amérique latine et la Chine. Au début de sa carrière politique, il fut d'abord partisan de l'interventionnisme et soucieux de l'influence américaine à l'étranger : dans les années 1920, il était favorable aux idées wilsonniennes. En 1933, il nomme Cordell Hull Secrétaire d'État et celui-ci est contre le protectionnisme économique et le repli des États-Unis. Le 16 novembre 1933, le gouvernement américain reconnut officiellement l’Union soviétique et établit des relations diplomatiques avec ce pays.

Cependant, Roosevelt changea rapidement de position sous la pression du Congrès, du pacifisme ou du nationalisme de l'opinion publique, et fit entrer les États-Unis dans une phase d'isolationnisme, tout en condamnant moralement les agressions des dictatures fascistes. Le président inaugura la « politique de bon voisinage » (Good Neighbor policy) avec l'Amérique latine et s'éloigna de la doctrine Monroe qui prévalait depuis 1823. En décembre 1933, il signa la Convention de Montevideo sur les Droits et Devoirs des États, et renonça au droit d'ingérence unilatérale dans les affaires sud-américaines. En 1934, il fit abroger l'amendement Platt qui permettait à Washington d'intervenir dans les affaires intérieures de la République de Cuba. Les États-Unis abandonnaient le protectorat sur Cuba issu de la Guerre contre l’Espagne. La même année, les Marines quittèrent Haïti et le Congrès vota la transition vers l’indépendance des Philippines qui ne fut effective que le 4 juillet 1946. En 1936, le droit d'intervention au Panama fut aboli, mettant au fin au protectorat américain sur ce pays.

Face aux risques de guerre en Europe, Roosevelt eut une attitude qui a pu paraître ambigüe : il s'évertua officiellement à maintenir les États-Unis dans la neutralité, tout en faisant des discours qui laissaient entendre que le Président souhaitait aider les démocraties et les pays attaqués.

Le 31 août 1935, il signa la loi sur la neutralité (Neutrality Act) des États-Unis au moment de la seconde guerre italo-éthiopienne : elle interdisait les livraisons d'armes aux belligérants. Elle fut appliquée à la guerre entre l’Italie et l’Éthiopie, puis à la guerre civile en Espagne. Roosevelt désapprouvait cette décision car il estimait qu'elle pénalisait les pays agressés et qu'elle limitait le droit du Président américain d'aider les États amis. La loi de neutralité fut reconduite avec davantage de restrictions le 29 février 1936 (interdiction des prêts aux belligérants) et le 1er mai 1937 (clause Cash and Carry - « payé – emporté » - qui autorisait les clients à venir chercher eux-mêmes les marchandises aux États-Unis et à les payer comptant). En janvier 1935, Roosevelt proposa que les États-Unis participassent au Tribunal permanent de justice internationale ; le Sénat, pourtant majoritairement démocrate, refusa d'y engager le pays.

Face à l'isolationnisme du Congrès et à sa propre volonté d'intervenir qui brouillaient la politique étrangère américaine, Roosevelt déclara : « Les États-Unis sont neutres, mais personne n'oblige les citoyens à être neutres. » En effet, des milliers de volontaires américains ont participé à la guerre d'Espagne (1936-1939) contre les Franquistes dans la brigade Abraham Lincoln ; d'autres se sont battus en Chine dans l'American Volunteer Group qui formaient les « Les Tigres volants » de Claire Chennault et plus tard les volontaires de la Eagle Squadron au sein de la RAF dans la bataille d'Angleterre. Lorsque la guerre sino-japonaise (1937-1945) se déclencha en 1937, l’opinion publique favorable à la Chine permit à Roosevelt d’aider ce pays de plusieurs façons.

Le 5 octobre 1937 à Chicago, Roosevelt prononça un discours en faveur de la mise en quarantaine de tous les pays agresseurs qui seraient traités comme une menace pour la santé publique. En décembre 1937, au moment du massacre de Nankin en Chine, les avions japonais coulèrent la canonnière américaine Panay sur le Yang-tseu-Kiang. Washington obtint des excuses mais la tension monta rapidement entre les États-Unis et l'Empire du Soleil Levant. En mai 1938, le Congrès vota des crédits pour le réarmement. Le président américain fit publiquement part de son indignation face aux persécutions antisémites en Allemagne (nuit de cristal, 1938). Il rappela son ambassadeur à Berlin sans fermer la représentation diplomatique. À partir de 1938, l'opinion américaine se rendit progressivement compte que la guerre était inévitable et que les États-Unis devraient y participer. Roosevelt prépara dès lors le pays à la guerre, sans entrer directement dans le conflit. Ainsi, il lança en secret la construction de sous-marins à long rayon d’action qui auraient pu bloquer l’expansionnisme du Japon.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale se déclencha en septembre 1939, Roosevelt rejeta la proposition de neutralité du pays et chercha des moyens pour aider les pays alliés d’Europe. Il fit du 11 octobre 1939 le Pulaski Day en soutien des Polonais. Le 4 novembre 1939, Roosevelt obtint l'abrogation de l'embargo automatique sur les armes et les munitions. Il commença aussi une correspondance secrète avec Winston Churchill pour déterminer le soutien américain au Royaume-Uni.

Roosevelt se tourna vers Harry Hopkins qui devint son conseiller en chef en temps de guerre. Ils trouvèrent des solutions innovantes pour aider le Royaume-Uni comme par exemple l’envoi de moyens financiers à la fin de 1940. Le Congrès se ravisa petit à petit en faveur d’une aide aux pays attaqués et c’est ainsi qu’il alloua une aide en armements de 50 milliards de dollars à différents pays dont la République de Chine et la Russie entre 1941 et 1945. Contrairement à la Première Guerre mondiale, ces aides ne devaient pas être remboursées après la guerre. Toute sa vie, un des souhaits de Roosevelt était de voir la fin du colonialisme européen. Il se forgea d’excellentes relations avec Churchill qui devint Premier ministre du Royaume-Uni en mai 1940.

Au mois de mai 1940, l’Allemagne nazie envahit le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, et la France en laissant seul le Royaume-Uni face au danger d’une invasion allemande. Très vite, on se mit d’accord pour agrandir l’enveloppe des dépenses pour l’aide aux pays attaqués en sachant que le pays risquait d’entrer en guerre contre l'Allemagne à cause de cette aide. Roosevelt mit au pouvoir deux chefs républicains Henry L. Stimson et Frank Knox comme secrétaire de guerre et secrétaire de la Navy. La chute de Paris choqua l’opinion américaine et le sentiment d'isolationnisme tomba. Tout le monde se mit d’accord pour renforcer l’armée américaine mais certaines réticences à l’entrée en guerre eurent la dent dure encore un moment. Roosevelt demanda au Congrès de faire la première conscription de troupes en temps de paix du pays en septembre 1940.

Il recommença en 1941. Roosevelt usa de son charisme pour que le public fût favorable à une intervention militaire du pays. Le pays devait devenir l’arsenal de la démocratie. Au mois d’août 1940, Roosevelt viola ouvertement l’acte de neutralité avec l’accord Destroyers for Bases Agreement qui devait donner 50 bateaux destroyers des États-Unis au Royaume-Uni en échange de terres appartenant à ce pays dans les Caraïbes. Cet acte fut précurseur des aides massives qui suivirent en mars 1941 envers le Royaume-Uni, la Chine et la Russie.

Le 29 décembre 1940, Roosevelt évoqua dans un discours radiodiffusé la conversion de l'économie américaine pour l'effort de guerre : le pays devait devenir « l'arsenal de la démocratie » (The Arsenal of Democracy). Le 6 janvier 1941, il prononça son discours sur les Quatre libertés présentées comme fondamentales dans son discours sur l'état de l'Union : la liberté d'expression, de religion, de vivre à l'abri du besoin et de la peur. Le lendemain, le président créa le Bureau de la gestion de la production (Office of Production Management) ; d'autres organismes furent fondés par la suite pour coordonner les politiques : Bureau de l’administration des prix et des approvisionnements civils (Office of Price Administration and Civilian Supply), Bureau des priorités d’approvisionnement et des allocations (Supplies Priorities and Allocation Board) dès 1941 ; Service de la mobilisation de guerre (Office of War Mobilization) en mai 1943. Le gouvernement fédéral renforça ainsi ses prérogatives ce qui suscita des réactions parmi les Républicains, mais aussi dans le propre camp de Roosevelt : ainsi, en août 1941, le sénateur démocrate Harry Truman rendit un rapport sur les gaspillages de l'État fédéral.

Le programme Lend-Lease (programme prêt-bail en français) devait fournir les Alliés en matériel de guerre sans intervenir directement dans le conflit. La loi Lend-Lease fut signée le 11 mars 1941 et autorisa le Président des États-Unis à « vendre, céder, échanger, louer, ou doter par d'autres moyens » tout matériel de défense à tout gouvernement « dont le Président estime la défense vitale à la défense des États-Unis. »

Le 7 juillet 1941, Washington envoya quelque 7 000 marines en Islande pour empêcher une invasion allemande. Les convois de matériel à destination de l’Angleterre furent escortés par les forces américaines.

En août 1941, Roosevelt rencontra le Premier Ministre britannique Winston Churchill lors de la conférence de l'Atlantique, tenue à bord d'un navire de guerre au large de Terre-Neuve. Les deux hommes signèrent la Charte de l'Atlantique le 14 août 1941, qui reprenait et complétait le Discours des quatre libertés de Roosevelt, « entreprend de jeter les fondements d'une nouvelle politique internationale. »

Le 11 septembre 1941, Roosevelt ordonna à son aviation d’attaquer les navires de l’Axe surpris dans les eaux territoriales américaines. Cinq jours plus tard, le service militaire obligatoire en temps de paix était instauré. Le 27 octobre 1941, après le torpillage de deux navires de guerre américains par des sous-marins allemands, Roosevelt déclara que les États-Unis avaient été attaqués. À la différence de la Première Guerre mondiale, les États-Unis avaient eu le temps de se préparer au conflit. Il ne restait qu'à attendre l'étincelle qui déclencherait l'entrée en guerre : elle vint du Japon et non de l'Allemagne nazie comme le pensait Roosevelt.

Le 26 juillet 1941 les forces militaires philippines, encore sous contrôle américain, furent nationalisées et le général Douglas MacArthur fut nommé en charge du théâtre Pacifique. Les relations avec le Japon commençaient à se détériorer. En mai 1941, Washington accorda son soutien à la Chine par l’octroi d’un prêt-bail. Suite au refus du Japon de se retirer de l'Indochine et de la Chine, à l'exclusion du Manchukuo, les États-unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas décrétèrent l’embargo complet sur le pétrole et l’acier ainsi que le gel des avoirs japonais sur le sol américain.

Le 7 décembre 1941, les forces japonaises bombardèrent Pearl Harbor à Hawaii, la plus grande base navale américaine dans l'océan Pacifique. L'attaque fit 2 403 morts et 1 178 blessés. De nombreux navires et avions de guerre furent anéantis. Les forces japonaises attaquèrent aussi ce même jour non seulement Honk-Hong et la Malaisie, mais aussi Guam, les îles de Wake et des Philippines. Au matin du 8 décembre, les Japonais lancèrent aussi une attaque contre Midway. Les Japonais firent une déclaration de guerre officielle mais à cause de divers contretemps, elle ne fut présentée qu'après l'attaque. Le 8 décembre 1941, le président Roosevelt déclara à la radio : « Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera dans l'Histoire comme un jour d’infamie, les États-Unis d'Amérique ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l'empire du Japon ».

Le Congrès américain déclara la guerre au Japon à la quasi unanimité et Roosevelt signa la déclaration le jour même. Le 11 décembre, l’Allemagne et l’Italie déclaraient la guerre aux États-Unis. Avec la loi sur la conscription du 20 décembre 1941, la mobilisation s'élargit à tous les Américains entre 20 et 40 ans. Le 22 décembre 1941 débuta la conférence Arcadia au cours de laquelle Churchill et Roosevelt décidèrent d'unir leurs forces contre l'Allemagne nazie. La Déclaration des Nations unies du 1er janvier 1942 prévoyait la création de l'ONU. L'entrée en guerre des États-Unis marquait un tournant dans la mondialisation du conflit.

Une thèse très controversée affirme que Roosevelt était au courant de l'attaque sur Pearl-Harbor et qu'il laissa faire pour provoquer l'indignation de la population et faire entrer son pays dans la guerre. Cette théorie fut d'abord avancée par les officiers déchus par les commissions d'enquête : Husband Kimmel se dit victime d'un complot visant à cacher la responsabilité du gouvernement et de l'état-major. Il diffusa cette idée dans ses Mémoires parues en 1955. Cette thèse fut ensuite reprise par les adversaires de Roosevelt et de sa politique extérieure. Plus tard, plusieurs historiens américains, tels que Charles Beard et Charles Tansill ont essayé de prouver l'implication du président.

Les faits cités à l'appui de cette théorie sont notamment l'absence supposée providentielle des trois porte-avions en manœuvre le jour de l'attaque et qui ne furent donc pas touchés, le fait que les nombreux messages d'avertissement aient été ignorés et enfin les négligences locales. Certains soupçonnent le gouvernement américain d'avoir tout fait pour ne recevoir la déclaration de guerre japonaise qu'après le bombardement. Les partisans de cette thèse sont convaincus que Roosevelt a poussé les Japonais à la guerre tout au long des années 1930 afin de convaincre le peuple américain partisan de la neutralité.

Il est cependant difficile d'imaginer que Roosevelt ait laissé détruire autant de bâtiments de la marine juste pour engager son pays dans la guerre. En effet, la valeur tactique des porte-avions était méconnue en 1941, même si d'évidence, compte-tenu des investissements réalisés, les Japonais et les Américains fondaient de gros espoirs sur cette nouvelle unité marine. C'était encore le cuirassé qui faisait figure de navire principal dans les flottes de guerre et même l'amiral Yamamoto envisageait la confrontation finale entre les deux pays sous la forme d'un combat entre cuirassés. Dès lors, tout officier au courant de l'attaque aurait fait en sorte de protéger les cuirassés qui seraient alors partis au large en sacrifiant les porte-avions.

Par conséquent, rien ne permet d’affirmer que Roosevelt était au courant de l'attaque sur Pearl Harbor, même s'il fait peu de doute qu'il a accumulé les actes contraires à la neutralité durant les années 1930. Cependant, les sanctions économiques visaient avant tout les Allemands et le président américain donnait la priorité au théâtre d’opérations européen comme le montre par exemple la conférence Arcadia, et la guerre contre le Japon ne fut jamais sa priorité. Si Roosevelt et son entourage étaient conscients des risques de guerre provoqués par la politique de soutien au Royaume-Uni, à l'URSS et à la Chine, il n'y a pas d'indication qu'il ait souhaité l'attaque de Pearl Harbor. Le désastre fut provoqué par la préparation minutieuse des Japonais, par une série de négligences locales et par des circonstances particulièrement défavorables aux Américains.

La tradition d'une limite maximale de deux mandats présidentiels était une règle non écrite mais bien ancrée depuis que George Washington déclina son troisième mandat en 1796. C'est ainsi que Ulysses S. Grant et Theodore Roosevelt furent attaqués pour avoir essayé d'obtenir un troisième mandat (non consécutif) de président. Franklin Delano Roosevelt coupa pourtant l'herbe sous les pieds des secrétaires d'État Cordell Hull et James Farley lors de l'investiture démocrate aux nouvelles élections. Roosevelt se déplaça dans une convention de Chicago où il reçut un fervent support de son parti. L'opposition à FDR était mal organisée malgré les efforts de James Farley. Lors du meeting, Roosevelt expliqua qu'il ne se présenterait plus aux élections sauf s'il était plébiscité par les délégués du parti qui étaient libres de voter pour qui ils souhaitaient. Les délégués furent étonnés un moment mais ensuite la salle cria « Nous voulons Roosevelt... Le monde veut Roosevelt ! » Les délégués s'enflammèrent et le président sortant fut nommé par 946 voix contre 147. Le nouveau nommé pour la vice-présidence était Henry A. Wallace, un intellectuel liberal qui devint plus tard Secrétaire à l'Agriculture.

Le candidat républicain, Wendell Willkie, était un ancien membre du Parti démocrate qui avait auparavant soutenu Roosevelt. Son programme électoral n'était pas véritablement différent de celui de son adversaire. Dans sa campagne électorale, Roosevelt mit en avant son expérience au pouvoir et son intention de tout faire pour que les États-Unis restent à l'écart de la guerre. Roosevelt remporta ainsi l'élection présidentielle des États-Unis d'Amérique de 1940 avec 55 % des votes et une différence de 5 millions de suffrages. Il obtint la majorité dans 38 des 48 états du pays à l'époque. Un déplacement à gauche de la politique du pays se fit sentir dans l'administation suite à la nomination de Henry A. Wallace comme vice-président en lieu et place du conservateur texan John Nance Garner qui était devenu un ennemi de Roosevelt après 1937.

Si dans les institutions américaines, le président est le chef des armées, Roosevelt ne se passionnait pas pour les affaires strictement militaires. Il délégua cette tâche et plaça sa confiance dans son entourage, en particulier George Marshall et Ernest King. Une agence unique de renseignements fut mise en place en 1942 (Office of Strategic Services) qui fut remplacée par la CIA en 1947. Le président créa par la suite l’Office of War Information (Bureau de l’information de guerre) qui mit en place une propagande de guerre et surveilla la production cinématographique. Il autorisa le FBI à utiliser les écoutes téléphoniques pour démasquer les espions. Le 6 janvier 1942, Roosevelt annonça un « Programme de la Victoire » (Victory Program) qui prévoyait un effort de guerre important (construction de chars, avions).

Enfin, Roosevelt s'intéressa au projet Manhattan pour fabriquer la bombe atomique. En 1939, il fut averti par une lettre d'Albert Einstein que l'Allemagne nazie travaillait sur un projet équivalent. La décision de produire la bombe fut prise en secret en décembre 1942. En août 1943, à Québec, fut signé un accord anglo-américain de coopération atomique. Selon le Secrétaire à la Guerre Henry Stimson, Roosevelt n’a jamais hésité sur la nécessité de la bombe atomique. Mais ce fut son successeur Harry Truman qui prit l'initiative des bombardements nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki, plusieurs mois après la mort de Roosevelt.

Dès avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt avait dénoncé l’oppression et les lois de Nuremberg. Pourtant, il considérait également qu'il ne pouvait intervenir directement dans les affaires internes de l'Allemagne. Il ne fit pas pression sur le Congrès pour augmenter l'accueil des réfugiés juifs. Pendant la guerre, le président américain n'a pas cherché à aider les Juifs d'Europe, considérant que le principal objectif devait être l'écrasement du régime nazi. Malgré la pression des Juifs américains, de sa femme et de l'opinion publique américaine, le président ne dévia pas de cette direction. Il ne fut pas mis au courant des projets de bombardements d’Auschwitz ou des voies ferrées.

Roosevelt fut l'un des principaux acteurs des conférences inter-alliées et tenta d'y défendre les intérêts des États-Unis tout en faisant des compromis. En 1942, il donna la priorité au front européen tout en contenant l'avancée japonaise dans le Pacifique. Il subit la pression de Staline qui réclamait l'ouverture d'un second front à l'ouest de l'Europe, alors que Churchill n'y était pas favorable et préférait la mise en œuvre d'une stratégie périphérique. Roosevelt eut le grand mérite, bien que l'implication de son pays dans cette guerre ait résulté avant tout de l'attaque japonaise, d'orienter prioritairement la riposte américaine en direction de l'Europe, une fois le conflit équilibré sur le front du Pacifique par la victoire aéronavale des Îles Midway.

Son évaluation à sa juste mesure de l'énormité du danger hitlérien et de la nécessité d'empêcher l'URSS de sombrer justifiait certes ce choix. Mais il dut néanmoins pour l'imposer surmonter les préférences post-isolationnistes de la majorité des Américains pour lesquels l'ennemi principal était le Japon. C'est ainsi que fut mise sur pied une vigoureuse entrée en ligne des États-Unis aux côtés des Britanniques, d'abord vers l'Afrique du Nord par l'opération Torch, puis vers l'Europe par les débarquements successifs en Italie et en France.

À la Conférence d'Anfa (Casablanca, janvier 1943), Roosevelt obtint d'exiger la reddition sans condition des puissances de l'Axe. Les Alliés décidèrent d'envahir l'Italie. Les 11-24 août 1943, Roosevelt et Churchill se rencontrèrent au Canada pour préparer le débarquement en France prévu au printemps 1944. Au cours de la conférence de Téhéran (novembre 1943), plusieurs décisions majeures furent prises : organisation d'un débarquement en Normandie, rejet par Staline et Roosevelt du projet britannique d’offensive par la Méditerranée et les Balkans. Sur le plan politique, Staline accepta le principe de la création d'une organisation internationale, proposé par Roosevelt. Les Trois Grands s'entendirent également sur le principe d'un démembrement de l’Allemagne. Ils ne fixèrent pas précisément les nouvelles frontières de la Pologne, car Roosevelt ne voulait pas heurter les millions d'Américains d’origine polonaise. Entre le 1er et le 22 juillet 1944, les représentants de 44 nations se réunirent à Bretton Woods et créèrent la Banque mondiale et le FMI (Fonds monétaire international). La politique monétaire de l’après-guerre fut fortement affectée par cette décision. À la conférence de Dumbarton Oaks (août-octobre 1944), Roosevelt réussit à imposer un projet auquel il tenait beaucoup : les Nations Unies.

La Conférence de Yalta Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Staline

La Conférence de Yalta Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Staline

Ce fut à l'initiative de Roosevelt que se tint de la conférence de Yalta en février 1945. Le président arriva dans la station balnéaire de Crimée très fatigué et malade. Il dut faire d'importantes concessions à l'URSS car il avait besoin de Moscou pour vaincre les Japonais. Roosevelt faisait alors confiance à Staline. « Si je lui donne (à Staline), estima-t-il, tout ce qu'il me sera possible de donner sans rien réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d'annexer quoi que ce soit et travaillera à bâtir un monde de démocratie et de paix. ».

Les Alliés reparlèrent également de l'ONU et fixèrent le droit de veto du conseil de sécurité, le projet auquel tenait beaucoup Roosevelt. Ils s'entendirent sur la tenue d'élections libres dans les États européens libérés, l’entrée en guerre de l'Union soviétique contre le Japon après la défaite de l'Allemagne, la division de l'Allemagne en zones d'occupation, le déplacement de la Pologne vers l'ouest. Après la conférence de Yalta, Roosevelt s'envola pour l'Égypte et rencontra le roi Farouk ainsi que l'empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié Ier à bord de l'USS Quincy. Le 14 février, il s'entretint avec le roi Abdulaziz, fondateur de l'Arabie saoudite.

De la situation complexe de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt écrivit à Churchill qu'elle était leur « mal de tête commun ». Sa politique étrangère fut largement contestée et soumise aux pressions du Département d'État et par ses diplomates Leahy et Murphy. Dans un premier temps, le président américain garda des contacts diplomatiques avec l'État français : il pensait ainsi éviter que la flotte française ne tombât aux mains des nazis et avoir des renseignements sur la France. Il refusait de reconnaître l'autorité et la légitimité de Charles De Gaulle. Au début de 1942, il s'opposait à ce que la France libre participât aux Nations unies avant les élections en France. Dès 1941 pourtant, une partie des Américains protesta contre la complaisance du Département d’État envers le régime de Vichy. La presse américaine était également favorable à la France libre.

Mais en avril 1942, le retour de Laval au pouvoir entraîna le départ de l'ambassadeur américain. Washington ouvrit alors un consulat à Brazzaville. Mais la méfiance vis-à-vis de De Gaulle ne se dissipa pas : pour le département d’État, le personnage n'était qu'« apprenti-dictateur » et Roosevelt était persuadé que les gaullistes divulgueraient les opérations secrètes des armées alliées. Roosevelt soutint successivement François Darlan, puis Henri Giraud, malgré leur maintien du Régime de Vichy en Afrique libérée (1942-1943), et il tenta de bloquer l'action du Comité français de la Libération nationale d'Alger, puis de placer la France libérée sous occupation militaire américaine (AMGOT).

De Gaulle ne fut mis au courant du débarquement en Normandie qu'à la dernière minute. Roosevelt ne reconnut le GPRF qu'en octobre 1944. La France ne fut pas invitée à la conférence de YaltaChurchill insistait pour que la France fût en charge d'une zone d'occupation de l'Allemagne. Mais le président américain se rendit compte que De Gaulle était l'homme qui contrerait la menace communiste en France. Profondément anticolonialiste, il souhaitait que l'Indochine française fût placée sous la tutelle des Nations unies, mais il dut finalement abandonner cette idée sous la pression du Département d'État, des Britanniques et de De Gaulle.

Sur le plan économique, Roosevelt prit des mesures contre l'inflation et pour l'effort de guerre. Dès le printemps 1942, il fit accepter la loi du General Maximum visant à augmenter l'impôt sur le revenu, à bloquer les salaires et les prix agricoles pour limiter l'inflation. Cette politique fiscale fut renforcée par le Revenue Act en octobre 1942. La conversion de l'économie se fit rapidement : entre décembre 1941 et juin 1944, les États-Unis produisirent 171 257 avions et 1 200 navires de guerre, ce qui entraîna la croissance du complexe militaro-industriel. Cependant, les produits de consommation courante et d'alimentation furent insuffisants, sans que la situation fût aussi difficile qu'en Europe. Une économie mixte, alliant capitalisme et intervention de l'État fut mise en place pour répondre aux nécessités de la guerre. Sur le plan social, les campagnes connurent un exode rural et une surproduction agricole. Les Afro-américains du Sud migrèrent vers les centres urbains et industriels du Nord-Est. Dans le monde ouvrier, la période fut agitée par de nombreuses grèves à cause du gel des salaires et de l'augmentation de la durée du travail. Le chômage baissa à cause de la mobilisation et le taux d'emploi des femmes progressa.

Les discriminations à l'égard des Afro-américains persistèrent jusqu'au sein de l'armée, malgré l'ordre exécutif 8802 qui les interdisaient dans les usines de défense nationale. Après l'attaque de Pearl Harbor, le sentiment anti-japonais prit de l'ampleur. Dans ce contexte, 110 000 Japonais et citoyens américains d'origine japonaise furent rassemblés et surveillés dans des camps d'internement (War Relocation Centers). Le 14 janvier 1942, Roosevelt signa un décret de fichage des Américains d’origine italienne, allemande et japonaise soupçonnés d'intelligence avec l’Axe. Le décret présidentiel 9066 du 19 février 1942 fut promulgué par Roosevelt et concerna l'ouest du pays où se concentraient les populations japonaises, regroupés dans des camps surveillés.

Le 7 novembre 1943, Franklin Roosevelt se présenta à la Présidence avec le soutien de la quasi-totalité de son parti. Il fut de nouveau opposé à un candidat républicain, Thomas Dewey, dont le programme n'était pas en contradiction totale avec la politique de Roosevelt. Ce dernier, malgré son âge et sa fatigue, mena campagne en demandant aux Américains de ne pas changer de pilote au milieu du gué. Roosevelt fut réélu pour un quatrième mandat avec une courte majorité de 53 % (25 602 505 voix) mais plus de 80 % du vote du collège électoral (432 mandats).

Mercer-Rutherfurd LucyLors de son discours devant le congrès le 1er mars 1945, Roosevelt apparut amaigri et vieilli ; il partit pour Warm Springs le 30 mars pour prendre du repos avant la conférence des Nations Unies. Le 12 avril 1945, il s'écroula se plaignant d'un terrible mal de tête alors qu'Elizabeth Shoumatoff était en train de peindre son portrait. Il mourut à 15h35 à l'âge de 63 ans d'une hémorragie cérébrale.

Lucy Mercer Rutherfurd, l'ancienne maîtresse du président, était présente aux côtés de Roosevelt et partit rapidement pour éviter le scandale. Eleanore Roosevelt prit le premier avion pour se rendre à Warm Springs. Le corps du président fut transporté en train jusqu'à la capitale : des milliers de personnes, notamment des Afro-américains, se rassemblèrent le long de la voie ferrée pour lui rendre hommage.

Le cercueil fut déposé à la Maison Blanche puis dans la maison familiale de Hyde Park. Les fils de Franklin Roosevelt étant mobilisés, ils ne purent assister à la cérémonie funèbre sauf Elliott. Le président fut enterré au Franklin D. Roosevelt National Historic Site le 15 avril 1945.

La mort de Roosevelt souleva une grande émotion dans le pays et à l'étranger. Son état de santé avait été caché par son entourage et par les médecins de la Maison Blanche. Roosevelt était président depuis plus de 12 ans, une longévité jamais égalée par aucun président américain. En URSS, le drapeau soviétique fut bordé de noir et les dignitaires assistèrent à la cérémonie à l’ambassade. Staline pensait que le président américain avait été empoisonné. Le président du conseil italien décréta trois jours de deuil. En Allemagne, la nouvelle rendit Goebbels joyeux, on ne connaît pas la réaction d’Hitler. Conformément à la constitution américaine, le vice-président Harry Truman devint le 33e président des États-Unis alors qu'il avait été tenu à l’écart des décisions politiques et qu'il ne s'était pas rendu à Yalta. Truman dédia la cérémonie du 8 mai 1945 à la mémoire de Roosvelt.

Première Guerre mondiale

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Conflit qui, de 1914 à 1918, opposa l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, rejointes par la Turquie (1914) et la Bulgarie (1915), à la Serbie, à la France, à la Russie, à la Belgique et à la Grande-Bretagne, alliées au Japon (1914), à l'Italie (1915), à la Roumanie et au Portugal (1916), enfin aux États-Unis, à la Grèce, à la Chine et à plusieurs États sud-américains (1917). 

 

Poilus durant le Première Guerre mondiale

Poilus durant le Première Guerre mondiale

Août 1914. L'Europe entière prend feu ; un conflit s'ouvre dont le développement inaugurera dans l'histoire des hommes le tragique phénomène de la guerre totale et mondiale. Totale, elle le deviendra fatalement par sa durée, qui exigera l'engagement de plus en plus global des peuples ; mondiale, elle le sera rapidement aussi en raison du poids que pèse l'Europe dans le monde au début du xxe s. et qui entraînera automatiquement les autres continents dans le conflit.

Pour la génération de 1914-1918, la Grande Guerre signe un changement d'époque, la disparition de l'ordre ancien, la véritable fin du xixe siècle. Dans bien des domaines, la guerre apporte brutalement son lot d'innovations – technologie militaire, place des femmes et des ouvriers dans la société, intervention étendue de l'État – et de bouleversements, avec la révolution prolétarienne, en Russie. La nouveauté tient aussi au fait qu'elle est, tout entière, la guerre des nations, ces nations que le xixe siècle a consolidées et qui ont investi dans ce conflit leur identité et leur honneur. Elle fut tout autant la guerre des patriotes, comme l'atteste l'ampleur des effectifs et des pertes subies.

Origines du conflit

Guillaume II d'AllemagneFace à ce cataclysme et à ses 9 millions de morts, l'assassinat de l'archiduc héritier François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo par le jeune nationaliste serbe Gavrilo Princip, le 28 juin 1914, apparaît aujourd'hui comme un simple fait divers qui ne peut évidemment rendre compte des origines de cette guerre. Celles-ci sont beaucoup plus à rechercher dans l'état de tension croissant de la situation internationale. Depuis les crises de Tanger (1905, provoquée par une déclaration de Guillaume II en faveur de l'indépendance du Maroc) et d'Agadir (1911, mécontente des résultats de la conférence d'Algésiras, l'Allemagne y envoie une canonnière Panther pour « protéger les intérêts de ses nationaux »), le climat s’est dégradé entre la France et l'Allemagne, puissances coloniales qui se disputent l'Afrique.

D’autre part, chaque pays a engagé une véritable course aux armements et au renforcement de ses effectifs militaires. Ainsi, la Grande-Bretagne, dans le domaine naval, fait face à la montée en puissance de la flotte de guerre allemande de l'amiral von Tirpitz, laquelle doit être l'instrument de la Weltpolitik (« politique mondiale ») de Guillaume II. Ainsi, la France fait passer le service militaire à trois ans, en 1913. Cependant, le caractère limité des crises de Tanger et d'Agadir montre que l'Europe n'est pas prête à entrer en guerre uniquement pour le partage de l'Afrique. Certes, des enjeux proprement impérialistes existent en arrière-fond, tel l'antagonisme anglo-allemand sur les mers et dans l'Empire ottoman, qui détermine le choix britannique de l'Entente cordiale avec la France, en 1904.

Triple-Alliance et Triple-Entente

En fait, le premier conflit mondial est déclenché par le jeu mécanique des alliances, l'explosion de vitalité et d'appétits du IIe Reich allemand (1871-1918) ayant conduit, en réplique à la fameuse Triple-Alliance (qu'il a conclue avec l'Autriche-Hongrie et l'Italie en 1882), à la formation du bloc assez hétérogène de la Triple-Entente (formée en 1907) entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Ces alliances ont été contractées dans le double contexte de l'antagonisme franco-allemand issu de la guerre de 1870 et de la rivalité austro-russe dans les Balkans. La France était demeurée isolée dans le système diplomatique élaboré par Bismarck jusqu'à ce que la Russie, frustrée par le congrès de Berlin des fruits panslavistes de sa victoire de 1878 contre les Turcs, en vienne à considérer comme irréductible la divergence entre ses intérêts et ceux de l'empire des Habsbourg.

Le rapprochement franco-russe de 1891 résulte logiquement de l'échec de Bismarck à arbitrer et à équilibrer les expansionnismes autrichien et russe dans l'espace politique balkanique, où l'influence de l'Empire ottoman recule depuis un siècle – Moscou cherchant notamment à s'assurer la maîtrise des Détroits et une ouverture sur la Méditerranée. Les guerres balkaniques de 1912-1913 ont rendu l'initiative à la Russie, par le biais de la domination exercée pendant cet épisode par son allié serbe sur les petits pays de la région. Après l’attentat de Sarajevo – la Bosnie et l'Herzégovine sont alors sous administration autrichienne –, Vienne accuse immédiatement les services secrets serbes.

L'ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie (23 juillet 1914)

Bethmann-Hollweg Theobald vonAu début de juillet 1914, rien n'apparaît pourtant irrémédiablement perdu, et le président Poincaré part, comme prévu, accomplir en Russie une visite officielle (ce qui a néanmoins pour effet d'aggraver en Allemagne le sentiment d'un encerclement fatal). Seule s'affirme la volonté de l'Autriche de profiter de l'occasion pour se débarrasser de la trop remuante Serbie. Cette attitude est aussitôt encouragée par Berlin, qui, dès le 5 juillet (c'est là sa grande part de responsabilité), promet à Vienne son soutien, dût-il en résulter un conflit avec la Russie.

Le 23 juillet, un ultimatum autrichien à la Serbie, inacceptable dans sa forme, est remis à Belgrade. En dépit de tardives initiatives de médiation anglaises, il déclenchera le mécanisme des alliances, puis, au cours de la tragique semaine du 28 juillet au 5 août, celui des mobilisations et des déclarations de guerre : l'Allemagne, après avoir déclaré la guerre à la Russie le 1er août 1914, la déclare à la France le surlendemain. Le 4 août, la violation de la neutralité belge par le Reich entraînera l'intervention de la Grande-Bretagne et de son empire, qui allait aussitôt étendre le conflit à l'ensemble des océans.

Cruelle surprise pour Guillaume II et le chancelier Bethmann-Hollweg, lequel s'indigne qu'une nation parente puisse entrer en guerre pour « un chiffon de papier » (le traité de 1839 garantissait la neutralité de la Belgique). À cette déconvenue s'ajoute leur immense déception de constater les défections de l'Italie, qui, bien que membre de la Triple-Alliance, déclare sa neutralité dès le 27 juillet, et de la Roumanie, gouvernée par un roi Hohenzollern.

La parole aux militaires

Un mois après Sarajevo, les gouvernements s'en remettent aux états-majors, dont les armées se mobilisent et se concentrent dans un enthousiasme général.  Pour chaque peuple, l'enjeu de la guerre est pleinement accepté : pour les Français, il s'agit de reprendre Metz et Strasbourg ; pour les Allemands, d'obtenir dans le monde « la part légitime de tout être qui grandit » ; pour tous, cependant, le risque apparaît limité : chacun est persuadé que la puissance et le coût des armes modernes obligent la guerre à être très courte…, 6 mois, hasardent les plus pessimistes. Hanté depuis l'alliance franco-russe par le problème de la guerre sur deux fronts, l'état-major allemand – suivant le célèbre plan Schlieffen élaboré en 1905 – « joue » sa victoire sur la rapidité et l'ampleur de sa manœuvre enveloppante à travers la Belgique. Visant à abattre définitivement l'armée française avec la quasi-totalité de ses forces, ce plan accepte le risque d'une invasion des Russes en Prusse-Orientale, qui n'est défendue que par une dizaine de divisions.

Chez les Français, le commandant des armées du Nord et du Nord-Est, Joffre, qui croit que l’aile droite allemande ne dépassera pas le couloir de la Sambre, dispose ses 5 armées de Belfort à Hirson, prolongées au nord vers Maubeuge par les 6 divisions britanniques de French. Quant aux Russes, il est simplement entendu qu'ils attaqueront en Prusse-Orientale dès que possible avec le maximum de forces. Le rapport des forces en présence est très favorable à l'Entente, dont la population est le double de celle des Empires centraux (238 millions d'habitants contre 120). L'Entente peut aligner 167 divisions d'infanterie contre 147, et 36 divisions de cavalerie contre 22.

La bataille des frontières (août 1914)

Après avoir résisté pendant 10 jours, du 6 au 16 août, Liège (→ camp retranché de Liège) tombe entre les mains des Allemands, qui entament le 14 la marche en avant de leurs deux armées d'aile droite, commandées par Kluck et Karl von Bülow. Le 20, ils sont à Bruxelles, à Namur et à Neufchâteau, tandis que les Belges se replient sur Anvers. Au même moment, de terribles combats s'engagent en Alsace, où les Français atteignent Mulhouse ; en Lorraine, où Castelnau et Foch doivent renoncer à Morhange, mais résistent victorieusement en avant de Nancy et, enfin, dans les Ardennes, où, le 22 août, Français et Allemands se heurtent en aveugles dans les sanglantes batailles de rencontre de Neufchâteau et de Virton.

C'est pourtant en Belgique que se joue l'action principale. Sourd aux appels du général Lanrezac, qui seul voit clair dans le jeu allemand, Joffre tarde à porter sa Ve armée sur la Sambre. Elle y parvient seulement le 22, pour se faire bousculer à Charleroi (→ bataille de Charleroi) par les forces conjuguées de Kluck, de Bülow et de Hausen, tandis que French essuie un grave échec à Mons. Le 25, Joffre lance son ordre de repli général sur la Somme et l'Aisne.

Septembre 1914 : échec à l'ouest du plan de guerre allemand

À la fin du mois, l'euphorie règne à Berlin : « L'ennemi en pleine retraite n'est plus capable d'offrir une résistance sérieuse », proclame le communiqué allemand du 27 août. Le 9 septembre, le projet de traité de paix, qui prévoit l'organisation d'une Europe allemande, est approuvé par le chancelier Bethmann-Hollweg. Mais, alors que le commandant en chef allemand Moltke croit tenir la décision, les Français vont redresser la situation. Joffre et le commandant britannique French profitent d'une initiative hasardeuse de l'aile droite allemande du général Kluck (négligeant Paris, elle cherche à couper la retraite de l'armée française, présentant ainsi le flanc à l'armée couvrant la capitale) pour lancer une contre-offensive : c'est la fameuse bataille de la Marne (24 août-13 septembre), où, après plusieurs jours de combats acharnés, le général en chef allemand Moltke est contraint d'ordonner un repli général, qui reporte le front 70 km plus au nord, sur l'Aisne, et entérine l'échec du plan de bataille allemand.

Tannenberg et les fronts orientaux

Alarmé le 21 août par les appels au secours de von Prittwitz, qui doit reculer en Prusse-Orientale sous la violence des attaques russes de Rennenkampf, Moltke doit y dépêcher deux corps. Il confie la direction du front de l'est au général Hindenburg, auquel il donne Ludendorff comme adjoint. Ceux-ci brisent aussitôt l'effort des armées russes en détruisant celle de Samsonov dans la mémorable bataille de Tannenberg (26 août).

Au sud, toutefois, la brillante offensive du grand-duc Nicolas chasse les Autrichiens de Lvov (3 septembre) et les refoule sur la frontière allemande de Silésie, qui ne sera dégagée que par une nouvelle et remarquable contre-offensive de Hindenburg et de Mackensen sur Łódź (novembre). Plus au sud encore, les Autrichiens subissent un grave échec en Serbie, où la petite armée du voïvode Radomir Putnik réussit à rentrer victorieuse à Belgrade le 13 décembre.

Noël 1914, une guerre d'un type entièrement nouveau

À la fin de 1914, le conflit prend un visage réellement imprévu ; tous les plans des états-majors se sont effondrés et, pour chacun, tout est à recommencer. C'est chez les Allemands que la déception a été la plus vive, entraînant dès le 14 septembre le remplacement de Moltke à la direction suprême de l'armée par le jeune ministre de la guerre prussien, le général Erich von Falkenhayn (1861-1922). Ce dernier cherche, en reportant ses forces vers l'ouest, à déborder de nouveau l'aile gauche française au-delà de Compiègne. Mais, cette fois, Joffre répond aussitôt à sa manœuvre en transférant des forces de Lorraine en Picardie et en Artois , où, en octobre, se constitue un front, prolongé bientôt jusqu'à la mer (→ batailles de l'Artois).

En novembre, Falkenhayn tente un suprême effort sur Calais, qui échoue au cours de la sanglante mêlée des Flandres, où Foch coordonne l'action des forces britanniques, belges (repliées d'Anvers) et françaises (→ la Course à la merbataille de l'Yserbatailles d'Ypres). Dans les deux camps, les munitions manquent, et un front continu s'établit dans les tranchées sur 750 km, de Nieuport à la frontière suisse… Deux belligérants nouveaux sont entrés en lice : dès le 23 août, le Japon s'engage aux côtés des Alliés avec la volonté d'affirmer sa situation en Extrême-Orient. Au cours de l'été, en dépit de l'arrivée des croiseurs allemands Goeben et Breslau dès le 10 août à Constantinople, la Turquie hésite encore et ne rompra avec les Alliés que le 3 novembre.

Sur le plan militaire, tout est donc à repenser, mais le premier souci des belligérants est alors de « durer » en remettant en marche administrations et industries de guerre pour permettre aux populations de vivre et aux armées de combattre. Si l'Allemagne, qui a définitivement écarté l'invasion de son territoire, bénéficie de l'organisation moderne et puissante de son économie, la France se trouve au contraire gravement handicapée : ses départements les plus riches sont envahis par l'ennemi et soumis à un très rude régime d'occupation ; leur potentiel représente 95 hauts-fourneaux sur 123, 90 p. 100 du minerai de fer et 40 p. 100 du charbon français… Quant aux Anglais, ils découvrent avec le ministre de la Guerre Kitchener que leur engagement militaire les entraînera beaucoup plus loin qu'ils ne le pensaient, mais ils fondent tous leurs espoirs sur le contrôle de la liberté des mers, qu'ils viennent de rétablir à leur profit et qui leur permet de jouer désormais à fond l'arme du blocus.

1915, la politique reprend ses droits

Au lendemain des hécatombes des Flandres et de Pologne, l'impuissance du facteur opérationnel à résoudre à lui seul les problèmes posés par le conflit s'avère flagrante. Aussi, dans les réactions des belligérants, la politique reprend-elle partout ses droits. Chez les Allemands, qui, seuls, disposent avec le grand état-major d'une véritable direction de la guerre, l'année va être dominée – outre un souci constant d'organisation économique pour pallier les effets du blocus – par la volonté d'obtenir de gré ou de force une paix séparée avec la Russie. Chez les trois « grands » de l'Entente, en dépit de l'engagement solennel mais assez négatif de Londres (5 septembre 1914) de ne conclure aucune paix séparée avec l'Allemagne, on ne prendra encore en 1915 que des décisions plus juxtaposées que coordonnées. Elles traduiront la volonté anglaise exprimée par le jeune ministre Churchill de retrouver une stratégie indirecte chère aux Britanniques.

Pour les Français seuls, le problème numéro un demeure celui de la libération du territoire : joint au souci de soulager le front russe, durement pressé, il entraînera sur le front occidental une activité offensive soutenue sans répit malgré de terribles pertes. Au mois d'avril, l'Entente reçoit cependant un très sérieux renfort : après de nombreuses hésitations, l'Italie déclare le 23 mai la guerre à l'Autriche-Hongrie, qui se voit obligée d'ouvrir un nouveau front à sa frontière des Alpes. Les buts de guerre italiens, dûment enregistrés par l'Entente, sont le rattachement des terres irrédentes (le Trentin et l'Istrie restés sous la domination de l'Autriche-Hongrie en 1866) et du littoral dalmate, mais l’Italie a aussi des visées sur l'Albanie. L'Italie ne rompra avec l'Allemagne que le 27 août 1916.

L'effort allemand sur la Russie

« Il est absolument nécessaire d'en venir à une paix séparée avec la Russie », écrit le Kronprinz Frédéric-Guillaume le 6 février 1915 au grand-duc de Hesse, frère de la tsarine. Pour appuyer les démarches allemandes à Petrograd, Falkenhayn, dont le QG passe en avril de Mézières à Pless ([aujourd'hui Pszczyna] Silésie), décide d'engager une grande offensive sur le front des Carpates. Déclenchée le 2 mai à Gorlice par Mackensen, elle conduit en octobre les forces austro-allemandes, après une avance de 200 à 500 km à travers la Pologne, sur une ligne allant des portes de Riga à la frontière roumaine. Les Allemands sont accueillis sans déplaisir, voire très favorablement, par les populations des zones conquises, que ce soient les quatre millions de juifs polonais persécutés par le tsarisme, ou les Ukrainiens, dont ils flattent les aspirations à l'indépendance.

L’avance des troupes ennemies provoque une telle consternation à Petrograd que le tsar Nicolas II prend lui-même la tête de ses armées, tandis que les échos de la conférence socialiste de Zimmerwald, en Suisse, où l'on réclame une paix « sans annexion ni contribution », ont une grande résonance dans la classe ouvrière russe, représentée au congrès par Lénine, Trotski et Georgi Rakovski. Le plan allemand échoue pourtant devant la fidélité du tsar à ses alliés, qui n'a d'égal que son aveuglement devant la situation intérieure de l'empire. Par trois fois, Nicolas II refuse les propositions de paix allemandes et signe ainsi son arrêt de mort. En décembre, Berlin se décide, « pour faire exploser la coalition de l'Entente », à jouer avec Lénine la carte de la révolution en Russie. Mais, à la grande déception de Falkenhayn, les armées russes sont toujours debout.

Les Balkans en guerre : Dardanelles, Serbie, Bulgarie

Après avoir rallié Paris à ses vues, Churchill engage en février une action franco-britannique sur les Détroits ; son but est de tendre la main aux Russes et, en enlevant Constantinople, d'abattre la Turquie, qui vient de faire très peur à Londres en réussissant un raid sur Suez (février 1915). La France et la Grande-Bretagne ont par ailleurs promis secrètement à la Russie le contrôle des deux rives des Détroits en cas de victoire contre les Ottomans. Plus que les attaques turques dans le Caucase et contre les ports de la mer Noire, c'est le blocage des Détroits qui met en difficulté la Russie, l'empêchant d'exporter son blé et de recevoir le ravitaillement allié. Après l'échec des escadres alliées de l'amiral de Robeck à Çanakkale contre les ouvrages turcs des Dardanelles (mars), des unités franco-anglaises débarquent le 25 avril à Seddülbahir, mais, malgré leurs efforts, ne parviennent pas à déboucher de leur tête de pont. L’opération est un cuisant échec avec la perte de nombreux navires et de 145 000 hommes (→ expédition des Dardanelles).

À la fin de l'été, l'attention des alliés est attirée par les Balkans, où les Allemands réussissent à engager la Bulgarie (14 octobre) à leurs côtés pour liquider la résistance de la Serbie et garantir leur liaison terrestre avec Constantinople. De plus, la Bulgarie souhaite récupérer la Dobroudja et la Macédoine. L'armée serbe, conduite par le vieux roi Pierre Ier Karadjordjević, doit se replier et, après une mémorable retraite, est recueillie à Durrësi par la marine française. Pour répondre à ce coup de force, une armée alliée d'Orient, confiée à Sarrail, est constituée en octobre à Salonique, où les Franco-Anglais replient leurs unités des Dardanelles, dont ils décident l'évacuation (décembre). Cependant, l'attitude de la Grèce, dont le roi Constantin Ier est le beau-frère de Guillaume II, demeurera longtemps équivoque en dépit des efforts de Venizélos, plusieurs fois Premier ministre durant la période, pour entraîner son pays dans les rangs de l'Entente.

Offensives françaises en Artois et en Champagne

La volonté offensive du commandement français, tendue vers la percée du front et la libération du territoire, donne lieu à deux types d'opérations différents. Un peu partout, et notamment dans les Vosges, aux Éparges, en Argonne et dans les Flandres (où les Allemands inaugurent l'emploi des gaz en avril), se déroule une série de combats locaux d'infanterie aussi meurtriers que stériles. En même temps, de grandes opérations sont conduites par Joffre, d'abord séparément en Champagne (février) et en Artois (mai), puis simultanément sur ces deux secteurs du front lors de la grande offensive du 25 septembre. Le seul résultat tangible de ces actions fut de soulager le front russe en obligeant Falkenhayn à rameuter ses réserves sur le front occidental, où Haig, qui remplace French en décembre, dispose, grâce aux « volontaires » suscités par Kitchener, d'une trentaine de divisions britanniques.

La coopération entre les Alliés a nettement progressé, et la conférence réunie par Joffre en décembre à Chantilly organise la convergence des actions à entreprendre vers l'été de 1916 par les Franco-Anglais sur le front de la Somme et par les Russes sur celui de Pologne. Elle décide en outre la liquidation des colonies allemandes d'Afrique, où seul le territoire de l'Est-Africain (→ Afrique-Orientale allemande) résistera grâce à l'énergie de son chef, le colonel Paul von Lettow-Vorbeck (1870-1964), jusqu'en novembre 1918.

Occupation allemande et résistance dans les territoires envahis

C'est en 1915 que s'installe l'occupation allemande dans les territoires occupés de Belgique et de France. Pour Falkenhayn, ceux-ci doivent être exploités au maximum pour procurer au Reich de l'argent, du ravitaillement et de la main-d'œuvre. Aussi l'administration allemande se fait-elle chaque jour plus tracassière : contrôles incessants, transferts de main-d'œuvre, déportation des suspects, contributions de guerre, confiscation des objets rares (or, cuir, laine), mise en régie des entreprises (mines du Nord, textiles de Roubaix, etc.).

La population supporte mal ce régime d'exception, admirant la « résistance » de ses notables : le cardinal Mercier, archevêque de Malines ; le préfet Trépont et le maire Delesalle à Lille ; le bourgmestre Max à Bruxelles. De nombreux patriotes mènent la lutte contre l'occupant, tels Eugène Jacquet et Léon Trulin, fusillés à Lille, Édith Cavell, dont l'exécution, le 11 octobre 1915, souleva l'indignation du monde, Louise de Bettignies, Léonie Vanhoutte, Louise Thuliez et la princesse de Croÿ, qui rivalisèrent d'héroïsme au service de leur pays.

1916, l'année de Verdun

À peine conclus, les accords de Chantilly sont soumis à rude épreuve. Refusant en effet de s'engager plus loin dans le problème russe, Falkenhayn se décide, pour atteindre l'ennemi numéro un qu'est pour lui la Grande-Bretagne, à détruire l'armée française – son « épée » sur le continent – par épuisement de ses effectifs. Dans ce dessein, il déclenchera avec le maximum de violence et aussi longtemps que nécessaire une offensive sur un point, en l'occurrence Verdun, que les Français seront psychologiquement obligés de défendre.

Cette stratégie inédite sera complétée par une relance de la guerre sous-marine sans restriction, expérimentée avec succès en 1915. L'amirauté estime maintenant possible de couler en 6 mois le tiers du tonnage marchand indispensable au ravitaillement de la Grande-Bretagne. Guillaume II et Bethmann-Hollweg hésitent pourtant à se lancer dans cette aventure, ce qui provoquera le 6 mars la démission tapageuse de l'amiral Tirpitz, chef de l'amirauté de Berlin.

Verdun, la Somme et l'offensive Broussilov

Le 21 février éclate, comme un coup de tonnerre, l'offensive allemande sur Verdun. Après avoir bousculé les défenses françaises de la rive droite puis de la rive gauche de la Meuse, la marée allemande est bloquée en juillet sur les pentes de Souville avant d'être refoulée par les soldats de Pétain, de Nivelle et de Mangin au cours des deux batailles du 24 octobre et du 15 décembre. Toutefois, si l'armée française s'y use considérablement, l'échec de la stratégie allemande est patent puisque, « malgré Verdun », Joffre et Haig déclenchent, le 1er juillet, l'offensive prévue sur la Somme. Menée par 26 divisions anglaises et 14 françaises, l'attaque alliée, entretenue durant quatre mois, portera un coup très rude au front allemand dans la région de Péronne et obligera l'adversaire à diminuer la pression sur Verdun. Pour autant, au-delà des succès initiaux de juillet, l'engagement sur la Somme s’est transformé en boucherie, s'est essoufflé dès le 14 juillet et a tourné court en novembre (→ batailles de la Somme, bataille de Verdun).

À l’est, depuis le 4 juin, le front s'est remis en mouvement : quatre armées russes, conduites par Broussilov, ont enfoncé les lignes autrichiennes en Volhynie et capturé 500 000 hommes. Les Russes menacent maintenant la frontière hongroise, et les Allemands sont contraints de l'étayer pour prévenir l'effondrement du front austro-hongrois.

Intervention roumaine et crise allemande

Au moment où le général Franz Conrad von Hötzendorf, chef de l'état-major autrichien, appelle l'Allemagne à son secours, le Reich subit un terrible coup par la déclaration de guerre de la Roumanie (28 août 1916), dont l'intervention aux côtés des Alliés compromet le ravitaillement de l'Allemagne en blé et en pétrole. Cette fois, l'opinion publique, déjà durement touchée par les restrictions consécutives au blocus, s'émeut, et le Kaiser, constatant la faillite de la stratégie d'épuisement de Falkenhayn, le remplace au commandement suprême par la populaire équipe des vainqueurs de l'Est, Hindenburg et Ludendorff (29 août).

Ceux-ci font preuve aussitôt d'une étonnante activité et arrêtent les mesures qu'exige la gravité de la situation militaire. Après avoir imposé à Conrad von Hötzendorf le commandement unique à leur profit des forces de la « Quadruplice » (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie, Bulgarie), ils décident de passer aussitôt sur la défensive sur le front français ; bien plus, ils en prévoient le raccourcissement par un repli à opérer entre Arras et Soissons qui économisera une quinzaine de divisions. Pour parer au danger venant de Bucarest, ils chargent Falkenhayn, qui n'a pas su conserver le blé roumain, d'aller le reconquérir à la tête d'une nouvelle armée (la IXe), créée le 9 septembre. En trois mois, ses forces, appuyées par celles de Mackensen, débouchant de Bulgarie, conquièrent la Roumanie jusqu'au Siret, et, le 6 décembre, les Allemands font leur entrée à Bucarest.

Guerre au Moyen-Orient et problème arabe

Animées par des états-majors allemands, les forces ottomanes s'opposent aux Britanniques en Mésopotamie et en Palestine et aux Russes sur le front du Caucase, où le grand-duc Nicolas a remporté deux brillants succès à Erzurum (janvier) et à Trébizonde (avril). Pour les Anglais, au contraire, l'année 1916 a été difficile : le 28 avril, en Mésopotamie, la garnison de Kut al-Amara a dû capituler devant les assauts des Turcs, qui, en août, ont lancé un deuxième raid contre Suez. C'est alors que débute, en milieu arabe, l'action du jeune Lawrence d'Arabie, qui, ayant gagné la confiance d'Abdullah et de Faysal, fils d'Husayn, roi du Hedjaz, organise avec eux la libération de la « nation arabe » du joug ottoman. Et cela au moment même où, à l'insu de Lawrence, Paris et Londres concluent en mai un accord partageant l'Empire ottoman en deux zones d'influence politique et économique : l'une, française, incluant la Syrie et le Liban, l'autre, anglaise, comprenant la Palestine, l'Iraq et la Transjordanie (→ accord Sykes-Picot). Singulière équivoque, qui pèsera lourdement dans les rapports futurs de l'Occident avec l'islam.

La situation des belligérants à la fin de 1916

Dans les deux camps, l'année a été très rude, et l'usure des belligérants s'affirme en tous domaines. La Grande-Bretagne, qui entretient maintenant 70 divisions, se voit contrainte, pour la première fois dans son histoire, d'adopter progressivement la conscription. La situation économique y est encore aisée, et, en dépit de la déception que cause à Londres le demi-succès de la bataille navale du Jütland et la menace permanente de la guerre sous-marine, la maîtrise de la mer demeure aux Alliés. En décembre, le cabinet Asquith cède la place au gouvernement d'Union nationale de Lloyd George. En France, où toute l'année a été vécue sous le signe de Verdun, l'Union sacrée présente des failles, le Parlement s'agite, l'économie s'essouffle et le déficit budgétaire n'est comblé que par les emprunts anglais et américains. En décembre, Joffre est abandonné par Briand, qui choisit Nivelle comme commandant en chef.

En dépit des succès éclatants de Broussilov, la Russie est au bord de la révolution : l'assassinat de Raspoutine (29 décembre) traduit la révolte de la classe nobiliaire et de la bourgeoisie libérale contre l'aveuglement du tsar. À Vienne, la mort du vieil empereur François-Joseph entraîne l'avènement du jeune Charles Ier, lucide et généreux. Marié à une princesse d'ascendance française, Zita de Bourbon-Parme, il voudrait prendre ses distances vis-à-vis de Berlin, mais se heurte à une situation politique rendue inextricable par le réveil des nationalités qui composent l'ensemble disparate et suranné de la double monarchie.

Quant aux Allemands, qui vivent depuis un an sous le régime de la carte d'alimentation, ils viennent avec Ludendorff de trouver un chef qui s'affirme peu à peu comme le dictateur du IIe Reich. Pour lui, qui juge lucidement la situation difficile de son pays, toute la politique doit désormais être subordonnée au seul impératif de gagner la guerre. C'est dans cet esprit que, au risque de provoquer l'intervention américaine, il se rallie en novembre à la thèse de la guerre sous-marine. Pour inciter l'adversaire à se dévoiler, Guillaume II, profitant de l'entrée de ses troupes à Bucarest, lance le 12 décembre une offre de paix spectaculaire. Rejetée par les Alliés, elle est relevée par Wilson, qui vient d'être réélu président des États-Unis et qui, en réponse, demande à tous les belligérants de lui faire connaître leurs buts de guerre.

La guerre navale de 1914 à 1916

En 1914, la Grande-Bretagne est encore la reine des océans : sa flotte marchande représente 48 % du tonnage mondial, sa marine de guerre surclassera largement sa rivale allemande en tonnage (2,2 millions de tonnes contre 1,05) et en qualité (24 dreadnoughts contre 13). Aussi, sur les mers, dont les belligérants vont découvrir l'importance, l'intervention anglaise confère-t-elle au conflit une dimension mondiale. Par les combats du cap Coronel et des îles Falkland (novembre-décembre 1914), l'amirauté de Londres, que dirige le vieux lord Fisher, élimine d'abord la marine allemande des mers lointaines (→ bataille navale des Falkland). Dès octobre, elle applique en outre un rigoureux blocus de la mer du Nord, auquel l'amiral allemand Tirpitz réplique en déclenchant la guerre sous-marine. Celle-ci se développe au début de 1915, mais est suspendue en septembre après la protestation américaine qui suit le torpillage du paquebot anglais Lusitania où, le 7 mai, périssent 118 passagers américains.

Avec les Dardanelles, la guerre navale s'est étendue à la Méditerranée, confiée depuis 1914 à la garde de l'armée navale française dont le chef est l'amiral Boué de Lapeyrère . Les sous-marins allemands et autrichiens qui dominent l'Adriatique y mènent la vie dure aux Alliés, dont les bases principales sont celles de Malte, de Moudros (Moúdhros) et de Corfou. En dehors de leur rencontre fortuite du Dogger Bank (24 janvier 1915), les flottes de haute mer allemande et anglaise ne s'affronteront qu'en 1916, lors de la mémorable bataille navale du Jütland (31 mai-1er 1916). Au cours d'une lutte d'artillerie de douze heures, 100 bâtiments allemands, conduits par les amiraux Reinhard Scheer (1863-1928) et Franz von Hipper (1863-1932), s'attaqueront aux 150 navires de la Grand Fleet britannique de l'amiral Jellicoe, secondé par Beatty. Après avoir coulé 14 bâtiments anglais (112 000 t), Scheer, dont les pertes ne dépassent pas 60 000 t, utilise la nuit pour se dérober. Succès tactique des Allemands, le Jütland confirmait toutefois l'incapacité de leur flotte à dominer son homologue anglaise. Aussi Scheer en conclut-il que seul l'emploi massif des sous-marins pouvait être décisif pour amener la ruine de la Grande-Bretagne.

1917, guerre sous-marine, intervention américaine, révolution russe

Wilson Woodrow

Wilson ne sera pas un médiateur : le 31 janvier, Washington reçoit en effet de Berlin notification de la zone dans laquelle, à compter du lendemain, tout navire marchand sera torpillé sans avertissement. Vient s'ajouter à ce climat la crise diplomatique provoquée en mars par l'interception du télégramme Zimmerwald, dans lequel le ministre des Affaires étrangères du Reich enjoint à son chargé d'affaires à Mexico de pousser le Mexique à entrer en guerre contre les États-Unis. Cette fois, c'en est trop, et, après avoir rompu le 3 février les relations diplomatiques, les États-Unis déclarent le 2 avril la guerre à l'Allemagne. Entendant toutefois conserver leur liberté, ils se déclarent seulement « associés » (et non alliés) aux adversaires du Reich. Cette intervention entraîne celle assez symbolique de la Chine et de plusieurs États d'Amérique latine.


Avec près de 900 000 tonneaux de pertes marchandes alliées, le mois d'avril 1917 établit un record qui ne sera pas même atteint durant la Seconde Guerre mondiale. L'objectif était d'affamer le Royaume-Uni, dont les réserves céréalières étaient faibles, en interdisant la navigation commerciale atlantique. Le risque de rupture diplomatique avec les États-Unis était connu et avait été accepté. La victoire des sous-marins allemands (130 en service, dont la moitié à la mer) se prolonge jusqu'à l'automne sans réussir à abattre la Grande-Bretagne, qui résiste grâce au système des convois escortés par des navires de guerre. Pour les Alliés, l'intervention américaine apporte une aide immédiate sur les plans naval, économique et financier, mais l'armée américaine compte à peine 200 000 hommes, et, dans le domaine militaire, tout est à faire.

En Russie, la crise qui éclate en janvier à Petrograd se termine par l'abdication du tsar (15 mars), approuvée par tout le haut commandement russe. Sympathique aux Alliés, le gouvernement du prince Lvov éveille chez eux l'espoir de voir la Russie coopérer plus activement à la guerre. Mais les progrès de la révolution paralysent bientôt l'armée, dont la dernière offensive lancée par Kerenski en juillet se termine en débandade, tandis que le parti bolchevique de Lénine propage son programme de paix. L'échec de l'offensive Kerenski permet aux Allemands de se réinstaller en Bucovine et d'y menacer le front roumain reconstitué avec l'aide de la France. Après la faillite du gouvernement Kerenski, les bolcheviques prennent enfin le pouvoir le 7 novembre (révolution dite « d'octobre »). Lénine entame aussitôt la procédure de l'armistice, qui est signé à Brest-Litovsk le 15 décembre, 6 jours après celui de Focşani, conclu avec les Roumains.

À la fin de l'année, Ludendorff, qui, depuis la chute de Bethmann-Hollweg (juillet), est devenu le véritable dirigeant du Reich, disposera de toutes ses forces pour lancer un ultime coup de boutoir sur le front français avant l'arrivée des Américains. En réalité, l'Allemagne ne pourra atteindre cet objectif, car elle devra maintenir à l'est une forte proportion de ses troupes pour contenir les velléités d'indépendance de la Pologne et des Baltes, et surtout pour occuper l'Ukraine, dont les livraisons agricoles lui sont indispensables.

Bataille du Chemin des Dames et crise française

En France, où le front allemand est volontairement replié le 27 février entre Arras et Soissons (dans le dessein d'économiser des effectifs), l'année s'ouvre dans un immense courant d'optimisme. Nivelle a en effet rallié les Anglais à l'idée d'une grande et définitive offensive : « Nous romprons le front allemand quand nous voudrons », affirme-t-il le 13 janvier. Précédée d'une attaque anglaise en Artois, l'offensive des armées Mangin et Mazel débouche le 16 avril sur le Chemin des Dames, complétée le 17 par une action de l'armée Anthoine en Champagne.

Après un brillant départ et le premier engagement des chars français Schneider à Berry-au-Bac, l'assaut se heurte à une muraille de feu infranchissable, et l'immense espoir des poilus se transforme en une dramatique désillusion. À Paris, le moral s'effondre : le président du Conseil Painlevé décide d'arrêter l'opération, et, le 15 mai, remplace Nivelle par Pétain.

La tâche du nouveau généralissime est redoutable, car la déception de l'armée dégénère en révolte : dans une cinquantaine de divisions, des mutineries éclatent (→ crise des mutineries). Ces mouvements, qui ne vont jamais jusqu'à la fraternisation avec l'ennemi, sont d'abord l'expression d'une exaspération devant la conduite de la guerre et le mépris des généraux pour la vie des soldats. Les chefs y voient le résultat de la propagande ennemie, voire de celle d'agitateurs pacifistes d'extrême gauche.

La répression est sévère : Pétain, qui vient de remplacer Nivelle, fait condamner à mort 554 mutins dont 75 seront exécutés, mais il a aussi l'habileté d'introduire des améliorations dans l'organisation des permissions et du cantonnement et rend confiance à l'armée en lui faisant réaliser à Verdun (août), puis à la Malmaison (octobre), deux opérations à objectifs limités qui seront de véritables succès. Sa tâche est facilitée par les Britanniques de Haig, qui, de juin à décembre, fixent les Allemands par une série d'offensives très coûteuses menées dans les Flandres autour d'Ypres (→ batailles d'Ypres) et à Cambrai, où, pour la première fois, une masse de chars (378 blindés) est engagée le 20 novembre.

Parallèlement à cette crise militaire, la France, usée par la guerre, connaît une grave crise morale que trois gouvernements successifs (Briand, Ribot et Painlevé) s'efforcent malaisément de conjurer. Faisant écho à la révolution russe et à l'agitation parlementaire, des grèves éclatent qui traduisent l'aggravation de la situation économique (carte de sucre et de charbon) et le niveau très bas des salaires. Une propagande pacifiste se développe dans la presse (le Bonnet rouge), où l'on retrouve la main et l'argent des agents allemands. Pour réagir, Poincaré décide le 14 novembre d'appeler au gouvernement Clemenceau, qui, avec une extraordinaire énergie, choisit comme unique programme : « Je fais la guerre. » Après avoir stigmatisé Louis Malvy (ancien ministre de l'Intérieur), il fait arrêter Caillaux, accusés tous deux d'abusives complaisances envers les « défaitistes ».

Les tentatives de paix et leur échec

Au cours de cette « année trouble » (Poincaré), on peut croire que l'usure des belligérants allait imposer la fin du conflit, et, en effet, plusieurs tentatives furent faites pour trouver le chemin d'une paix de compromis. À côté des efforts du pape Benoît XV, qui, le 1er août, lance un appel aux belligérants, l'entreprise la plus sérieuse fut menée par l'empereur Charles Ier d'Autriche, qui savait que la situation politique, économique et militaire de son pays se dégradait de jour en jour. Une négociation secrète fut conduite en son nom par ses deux beaux-frères, Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, auprès de la France. Elle fut mise en échec par les Allemands, qui en eurent connaissance, et aussi par les exigences formulées vis-à-vis de Vienne par l'Italie auprès de la France et de la Grande-Bretagne à la conférence de Saint-Jean-de-Maurienne (19 avril 1917).

Italie, Moyen-Orient et Grèce

Inquiets des tractations de l'empereur Charles, les Allemands se décident, pour relancer l'Autriche-Hongrie dans la guerre, à lui faire cadeau d'une victoire. Le 24 octobre, 7 des meilleures divisions allemandes, conduites par le général Otto von Below, enfoncent à Caporetto le front italien, qu'elles refoulent jusqu'à la Piave. Cadorna, le généralissime italien (bientôt remplacé par Diaz), appelle les Alliés au secours. Foch et Robertson, suivis de dix divisions franco-anglaises, arrivent à Rapallo, où s'ébauche le premier et timide organe de commandement interallié (6 et 7 novembre 1917).

Conscients de l'importance politique et économique grandissante du Moyen-Orient, les Britanniques lui consacrent en 1917 des moyens considérables. Ils leur permettront de conjuguer leurs efforts en Mésopotamie, où ils reprennent Kut al-Amara et entrent à Bagdad (11 mars), et en Palestine, où le général Allenby déclenche en octobre une puissante offensive qui lui ouvre, le 9 décembre, les portes de Jérusalem. C'est à cette occasion que la Grande-Bretagne, qui entend jouer à la fois la carte sioniste et la carte arabe, affirme sa volonté « de créer après la guerre un foyer national juif en Palestine » (→ déclaration Balfour, 2 novembre 1917).

En Orient, l'année se termine sur une note optimiste pour les Alliés : ceux-ci viennent en outre de clarifier l'équivoque situation de la Grèce en provoquant l'abdication du roi Constantin Ier au profit de son fils Alexandre (12 juin). Ce dernier confie le pouvoir à Venizélos, qui déclare la guerre à l'Allemagne et à ses alliés (29 juin).

1918, le dénouement

L'année s'ouvre par une importante initiative américaine : répondant à l'appel à la paix lancé par Lénine, Wilson précise le 8 janvier 1918 dans son discours au Congrès (8 janvier 1918) les « Quatorze points » qui doivent à son avis servir de base à l'ordre nouveau. Précédés de principes de droit international (liberté des mers, réduction des armements, etc.), ils abordent ensuite les problèmes cruciaux tels que la restitution de l'Alsace-Lorraine, l'indépendance de la Belgique, la résurrection de la Pologne, l'autonomie des peuples d'Autriche-Hongrie.

Ce programme fera choc et indique de quel poids pèsent déjà les États-Unis, alors que leur présence militaire est encore quasiment nulle dans le camp des Alliés. Chez ces derniers, qui souffrent d'une grave crise d'effectifs, l'organisation d'un commandement unique se limite à celle d'un comité exécutif dirigé à Versailles par Foch (1er février) et chargé de préparer les décisions des gouvernements.

L'aventure allemande en Russie

Conscient de la précarité de la situation économique du Reich, qui impose une décision à court terme, Ludendorff entend l'emporter par une action militaire massive conduite avec le renfort des 700 000 hommes transférés du front de l'Est sur celui de France. Menée à base d'artillerie lourde et d'obus à gaz sous forme de coups de boutoir successifs, elle doit faire éclater le front occidental avant l'arrivée des forces américaines, c'est-à-dire avant l'été de 1918. Le calendrier étant impératif, Ludendorff presse les politiques, conduits par le ministre des Affaires étrangères Richard von Kühlmann, de conclure au plus vite la paix avec la Russie.

L'entreprise se révèle difficile, car, dans les négociations de Brest-Litovsk, les Russes, dirigés par Trotski, résistent aux exigences allemandes. Le 9 février, les Allemands imposent un traité distinct à l'Ukraine, qui la sépare de la Russie. Toutefois, il faudra une nouvelle action militaire qui, à partir du 19 février, portera les armées allemandes à Narva (135 km de Moscou), à Pinsk et à Kiev pour contraindre Lénine à signer le 3 mars le terrible traité de Brest-Litovsk (il arrache à la Russie 60 millions d'habitants et 25 % de son territoire). La Courlande et l'ensemble de la zone balte tombent sous influence allemande, ainsi que le nouvel État ukrainien, tandis que les deux Empires centraux se partagent la tutelle de la Pologne.

En mai, la Roumanie doit accepter la paix allemande de Bucarest, tandis que, forgeant des plans grandioses d'exploitation économique de l'Ukraine, les Allemands étendent leur occupation à Odessa, à Kharkov et à Rostov-sur-le-Don (7 mai). Attirés ensuite par les richesses du Caucase, ils s'engagent dans une folle aventure, encouragent la Géorgie à se proclamer indépendante (26 mai) et poussent jusqu'à Tbilissi. « Quelle importance, écrit Guillaume II le 8 juin, si nous réussissons à placer le Caucase sous notre influence, comme porte vers l'Asie centrale et menace vers la position anglaise des Indes ! » Singulière démesure qui absorbera jusqu'à la fin de la guerre une trentaine de divisions qui, fort heureusement pour les Alliés, manqueront à Ludendorff sur le front français.

Coups de boutoir de Ludendorff sur le front français (mars-juillet 1918)

Le 21 mars, 6 200 canons allemands ouvrent le feu à 4 h 40 sur le front de 60 km tenu par les armées Below, Marwitz et Hutier entre Arras et l'Oise. À 9 h 40, l'infanterie en petites colonnes, appuyée par 1 000 avions de combat, s'élance derrière le barrage roulant. Le secteur, tenu par les IIIe (Byng) et Ve (Gough) armées de Haig, a été judicieusement choisi : l'objectif de Ludendorff (qui sera repris en 1940) est d'« enrouler » l'aile droite des Anglais pour les rejeter à la mer en se couvrant seulement au sud vis-à-vis des Français, dont le front commence à l'Oise.

En 48 heures, l'armée Gough est submergée, tandis que, pour ébranler le moral de l'arrière, Paris reçoit le 23 les premiers obus de la Bertha. La veille, Pétain a engagé ses réserves sur l'Oise au secours des Anglais, mais, l'avance allemande se poursuivant vers Montdidier, les Français ont tendance à couvrir Paris, alors que les Anglais se replient sur Amiens et les ports : une brèche de 20 km s'ouvre entre les armées alliées. La situation est grave ; aussi, le 26, les envoyés de Lloyd George et Clemenceau confient-ils, à Doullens, le commandement suprême à Foch, dont l'autorité s'impose aussitôt à Haig et à Pétain. Trente divisions françaises aux ordres de Fayolle sont acheminées entre Oise et Somme : l'avance allemande est bloquée, et Amiens, objectif immédiat de l'ennemi, est sauvé. Le 5 avril, Ludendorff suspend l'offensive de Picardie, mais, dès le 9, porte un nouveau et terrible coup aux Anglais sur la Lys, qui est aussitôt paré par Foch grâce à l'intervention des Français au mont Kemmel.

Pour fixer une bonne fois les réserves de PétainLudendorff décide alors, avant d'en finir avec les Anglais dans les Flandres, de porter un grand coup sur le front français du Chemin des Dames. L'assaut qui lui est donné le 27 mai est encore une brillante victoire pour les Allemands, qui, en quatre jours, atteignent la Marne à Château-Thierry, à 70 km de Paris. Pour élargir son action, que Micheler, Maistre et Degoutte freinent sur les monts de Champagne et dans la forêt de Villers-Cotterêts, Ludendorff attaque le 9 juin sur le Matz, où il est stoppé par une soudaine contre-offensive de Mangin, qui sauve Compiègne.

Grâce à l'étonnante activité de Clemenceau, qui se prodigue aux armées autant qu'à Paris, et à la solidité du commandement français, qu'animent les fortes personnalités de Foch et de Pétain, la France tient bon. Aussi, lorsque, le 15 juillet, Ludendorff lance son ultime assaut de part et d'autre de Reims, ses troupes sont aussitôt arrêtées par le remarquable dispositif défensif organisé par la IVe armée Gouraud) en Champagne (→ batailles de Champagne, bataille de Château-Thierry).

La victoire de Foch (juillet-novembre)

18 juillet : alors que les Allemands cherchent en vain à progresser au sud de Dormans, 27 divisions des armées Mangin et Degoutte, appuyées par 500 chars et 800 avions, débouchent de la forêt de Villers-Cotterêts. Chez les Allemands, la surprise est totale, et, dès le 3 août, la poche de Château-Thierry est entièrement résorbée. La guerre, cette fois, vient de changer de signe, la chance de Ludendorff est révolue ; c'est à Foch qu'appartient désormais l'initiative des opérations. Il en a les pouvoirs (son autorité confirmée le 16 avril s'étend depuis le 2 mai au front italien) et les moyens. Les forces américaines, dont la 1re division a débarqué en France à la fin de juillet 1917 et qui atteignent maintenant 16 divisions, sont rassemblées le 10 août en une Ire armée commandée par Pershing, qui reçoit l'appoint de 3 000 canons, 500 avions et 200 chars français.

Le 24 juillet, Foch s'est décidé à passer partout à l'offensive : le 8 août, une puissante attaque est déclenchée par Haig (aidé de Debeney) sur la poche de Montdidier. Pour la première fois, l'armée allemande fait preuve d'une telle lassitude que Ludendorff, constatant la faillite de son plan, déclare aux ministres allemands stupéfaits qu'une décision militaire est devenue désormais impossible et qu'il faut « terminer la guerre au plus tôt ». Mais, devant l'ampleur du succès de Haig, Foch engage par sa directive du 3 septembre la totalité de ses forces de la mer du Nord à la Meuse. Le 12, les Américains attaquent à Saint-Mihiel et, à la fin du mois, trois grandes offensives sont déclenchées :

 

  • le 26 par Gouraud et Pershing en Champagne et en Argonne,
  • le 27 par Haig entre Lens et La Fère à l'assaut de la position fortifiée allemande (ligne Siegfried, → ligne Hindenburg),
  • le 28 par le groupe d'armées des Flandres que commande le roi des Belges Albert Ier en direction de Bruges et de Courtrai.


Au début d'octobre, tandis que la brillante victoire de Franchet d'Espèrey provoque la capitulation de la Bulgarie, la décision militaire est pratiquement acquise sur le front français, où Foch dispose maintenant de 212 divisions alliées face aux 180 de Hindenburg. Le 9 octobre, les Canadiens libèrent Cambrai, et, le 17, les Anglais sont à Lille ; le 25, le roi Albert Ier entre à Bruges, tandis que les Allemands s'accrochent encore à leur ligne Hunding, qui est forcée par ManginGuillaumat et Gouraud en liaison avec les Américains.

Dans les premiers jours de novembre, l'Escaut est franchi entre Gand et Tournai, les Alliés dépassent Valenciennes, Maubeuge et Stenay. Pour les Allemands, qui ont reculé de 100 à 200 km, la catastrophe est imminente, et la grande offensive préparée par Castelnau avec Mangin en Lorraine est devancée par l'armistice, signé le 11 novembre à Rethondes par les délégués de Hindenburg et du maréchal Foch (→ armistice de Rethondes).

Victoires alliées dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Italie

Dans les deux camps, la primauté du front français, où se joue l'ultime décision de la guerre, laisse d'abord peu de place aux fronts extérieurs dans les préoccupations des belligérants. Tout changera quand, au cours de l'été, le fléau de la balance aura penché définitivement du côté des Alliés, qui chercheront alors à relancer les fronts extérieurs pour accélérer leur victoire et garantir leurs positions politiques et économiques.

Dans les Balkans, Guillaumat, qui a remplacé Sarrail à Noël 1917, se consacre à la réorganisation des forces assez disparates des armées alliées d'Orient. Rappelé en France après la percée allemande du Chemin des Dames pour diriger la défense de Paris, il a pour successeur Franchet d'Espèrey, qui, dès son arrivée le 19 juin, prépare l'offensive dont il attend la rupture du front germano-bulgare. Déclenchée le 15 septembre au Dobro Polje, elle contraint les Bulgares à déposer les armes dès le 29. Exploitant aussitôt sa victoire, Franchet d'Espèrey lance ses troupes sur Sofia, occupée le 16 octobre, Belgrade, où les Serbes font leur rentrée triomphale le 1er novembre. L'Autriche et l'Allemagne du Sud sont menacées, tandis que Berthelot, qui avait été le chef de la mission française en Roumanie, fonce sur Bucarest, qu'il atteint le 1er décembre (→ campagnes de Macédoine).

Alors que Clemenceau ne croyait guère à la valeur stratégique des Balkans, Lloyd George était au contraire convaincu de celle du Moyen-Orient, où il entendait assurer à son pays une solide position politique et économique. Aussi a-t-il consacré à ce théâtre d'importants moyens militaires. Ils permettent aux Anglais de relayer en Iran la présence russe défaillante et de tenter en outre un raid sur Bakou. Mais l'essentiel de ces forces est confié en Palestine au général Allenby, qui, le 19 septembre, bouscule les troupes germano-turques de Liman von Sanders. Un détachement français entre à Beyrouth le 7 octobre, et, le 25, les Britanniques sont à Alep. Le 1er octobre, les Arabes de Faysal et de Lawrence avaient libéré Damas, où Husayn s'était proclamé « roi des pays arabes », tandis que les forces de Mésopotamie fonçaient vers le nord et entraient à Mossoul le 4 novembre. Depuis cinq jours, le feu avait cessé sur les fronts du Moyen-Orient. Dans un immense désarroi, le gouvernement turc venait, en effet, d'obtenir un armistice qui avait été signé le 30 octobre par les seuls Britanniques « au nom des Alliés » dans la rade de Moudros (ou Moúdhros). Le 13 novembre, une escadre alliée arrivait à Istanbul.

En Italie, enfin, où la défaite de Caporetto avait finalement donné un coup de fouet au pays, un immense effort de redressement moral, économique et militaire a été accompli. En juin, Diaz repousse brillamment une offensive autrichienne sur la Piave, mais attend son heure pour frapper le grand coup que lui demande Foch avec insistance. L'édifice disparate de l'armée austro-hongroise, dont les diverses nationalités sont en train de proclamer leur indépendance, donne des signes certains de désagrégation. Le 20 octobre, les Hongrois se mutinent dans le Valsugana ; le 24, Diaz lance son offensive sur Vittorio Veneto ; le 3 novembre, les Italiens sont à Trente et à Trieste. Dans la soirée du même jour, un armistice est signé par les Autrichiens dans la villa Giusti, près de Padoue ; le 25 octobre, la Hongrie avait réclamé son indépendance, c'est-à-dire la rupture avec Vienne.

L'effondrement du IIe Reich

Le 14 août, au conseil de la Couronne de Spa, la faillite de la politique allemande était apparue au grand jour. À l'échec militaire de Ludendorff s'ajoutait maintenant la menace – devenue réalité le 29 septembre pour les Bulgares – de l'effondrement des alliés de l'Allemagne. Le 3 octobre, Guillaume II remplace le chancelier Georg von Hertling par le prince Maximilien de Bade, qui prend aussitôt contact avec Wilson pour tenter d'obtenir sa médiation sur la base des Quatorze points. Après plusieurs échanges de notes, Wilson signifie le 23 octobre à Berlin son désir de traiter avec un pouvoir « démocratique ».

Dès lors, la situation politique va se dégrader très rapidement. Le 26, Ludendorff est congédié et remplacé par le général Groener ; le 3 novembre éclatent à Kiel les premières mutineries de la flotte, qui se propagent à Hambourg, à Cologne et à Berlin (→ spartakisme). Le 7, la république est proclamée à Munich. La veille, à la demande instante de Hindenburg, une délégation d'armistice avait quitté Berlin ; elle franchit les lignes françaises le 8 et signe le 11 l'armistice à Rethondes. Entre-temps, Guillaume II avait abdiqué, et la république avait été proclamée à Berlin par Scheidemann, tandis que Maximilien de Bade transmettait ses pouvoirs à Ebert.

La fin politique du IIe Reich était consommée, et les conditions imposées par Foch pour l'arrêt provisoire des hostilités étaient sévères. Dans les 15 jours, les Allemands devaient évacuer les territoires envahis et l'Alsace-Lorraine ; dans les 31 jours, la rive gauche du Rhin ainsi que Cologne, Coblence et Mayence, avec une tête de pont de 30 km sur la rive droite de ces villes. Les traités de Brest-Litovsk et de Bucarest sont annulés, l'Afrique-Orientale allemande sera évacuée, les troupes allemandes qui sont en Russie regagneront le Reich quand les Alliés jugeront le moment venu, « compte tenu de la situation de ce territoire ». Tous les sous-marins seront livrés aux Alliés, la flotte de haute mer sera internée à Scapa Flow (où elle se sabordera le 21 juin 1919) ; le blocus naval et économique sera maintenu, les Alliés envisageant de ravitailler l'Allemagne « dans la mesure reconnue nécessaire ».

Conclu pour 36 jours, l'armistice du 11 novembre sera renouvelé trois fois jusqu'à l'établissement de la paix. Entre-temps, l'Empire austro-hongrois s'est effondré sous les coups des mouvements nationalistes. À la fin de 1918 et au début de 1919, ils triomphent à Prague avec Masaryk et Beneš, fondateurs de la Tchécoslovaquie, à Belgrade, où naît le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (future Yougoslavie). À Varsovie, l'effondrement de l'Allemagne et de l'Autriche, l'absence de la Russie permettent à la Pologne de ressusciter. Seuls subsistent de la double monarchie les deux petits États de Hongrie et d'Autriche, celui-ci tellement amoindri que l'Assemblée de Vienne a demandé le 12 novembre 1918 son rattachement à l'Allemagne. La conférence de la Paix, ouverte à Paris le 18 janvier 1919 devant les représentants de 27 nations alliées ou associées, aura fort à faire pour remodeler la carte d'une Europe exsangue et ruinée. Elle sera définie par les traités de paix, dont le premier et le plus important sera signé avec l'Allemagne à Versailles le 28 juin 1919.

Le traité de Versailles 28 juin 1919

Le traité de Versailles, signé après les longues et complexes délibérations du conseil des Quatre (WilsonLloyd GeorgeClemenceau et Orlando), attribuait à l'Allemagne la responsabilité morale de la guerre et lui imposait de dures conditions, sans discussion possible. Sur le plan frontalier d'abord, le traité prenait acte du rattachement de l'Alsace-Lorraine à la France (→ Alsace). La Sarre demeurait pour quinze ans sous régime international, tout en étant économiquement unie à la France, avant de choisir son avenir par plébiscite.

C'est à l'Est qu'on opéra un véritable démembrement pour constituer une Pologne indépendante avec un accès à la mer, tel que l'avaient promis les Français et les Quatorze points de Wilson : l'Allemagne dut subir d'importantes amputations, de la Posnanie à la Baltique – la création du corridor de Dantzig (déclarée ville libre en 1920) isolant la Prusse-Orientale –, et plus tard l'humiliation du plébiscite qui, en 1921, coupera en deux la haute Silésie. Le traité comprenait aussi des garanties de sécurité : l'armée était réduite à 100 000 hommes, la Rhénanie démilitarisée sur une profondeur de 50 km sur la rive droite du Rhin. Le traité fixait enfin le principe des réparations, dont il n'établissait d'abord qu'un plancher (120 milliards de marks-or), et qui devaient empoisonner toutes les relations internationales de l'après-guerre.

Les traités de Saint-Germain-en-Laye, Neuilly, Trianon

Dans les zones balkaniques, le démantèlement de l'Autriche-Hongrie, jugé irrémédiable, donna lieu à un partage territorial où le principe wilsonien des nationalités ne fut que très partiellement respecté. Les traités de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919, avec l'Autriche), de Neuilly (27 novembre 1919, avec la Bulgarie), de Trianon (4 juin 1920, avec la Hongrie) laissaient de part et d'autre des motifs de mécontentement.

L'Italie obtenait le Trentin et le Haut-Adige autrichiens, mais pas Fiume, et presque rien sur le littoral dalmate (pour ne pas frustrer le nouvel État yougoslave), en dépit des promesses du traité secret de Londres de 1915. Le nouvel État tchécoslovaque était constitué dans la partie nord de l'empire des Habsbourg, avec l'ancienne Bohême et une longue frange du royaume de Hongrie (→ Sudètes). La Roumanie récupérait la partie est de l'Empire, la Bucovine, mais aussi toute la Transylvanie hongroise.

Frustrations et divisions : les germes d'un futur conflit

La sanction que subissaient les ex-Empires centraux était lourde de menaces pour l'avenir : dès 1920, un système de pactes d'assistance mutuelle, la Petite-Entente, s'établit entre les nouveaux pays d'Europe centrale (Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie), pour prévenir les risques d'ambitions revanchardes de la Hongri

Traité de Versailles

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Le traité de Versailles de 1919 est le traité de paix entre l'Allemagne et les Alliés de la Première Guerre mondiale. Élaboré au cours de la conférence de Paris, le traité fut signé le 28 juin 1919, dans la galerie des Glaces du château de Versailles et promulgué le 10 janvier 1920. Il annonce la création d'une Société des Nations et détermine les sanctions prises à l'encontre de l'Allemagne. Celle-ci, qui n'était pas représentée au cours de la conférence, se vit privée de ses colonies et d'une partie de ses droits militaires, amputée de certains territoires et astreinte à de lourdes réparations économiques.

Signature du traité dans la galerie des Glaces du château de Versailles

Signature du traité dans la galerie des Glaces du château de Versailles

Le choix du lieu de signature du traité marque pour la France l'occasion de laver symboliquement l'humiliation de sa défaite de la guerre de 1870. C'est en effet dans la même galerie des Glaces, au château de Versailles, qu'avait eu lieu la proclamation de l'empire allemand, le 18 janvier 1871. On convia des représentants de territoires du monde entier à la conférence de paix mais aucun responsable des États vaincus et de la Russie, qui avait quitté la guerre en 1917. Certaines personnalités eurent une influence déterminante. On en retient habituellement les dirigeants de quatre des principales puissances victorieuses : Lloyd George, Premier ministre britannique, Vittorio Orlando, président du Conseil italien, Georges Clemenceau, son homologue français et Woodrow Wilson, le président des États-Unis.

Chaque représentant est libre de travailler à la rédaction du traité, mais les positions de ces hommes divergent. Le président américain veut mettre en place la nouvelle politique internationale dont il a exposé les principes directeurs dans ses Quatorze points. Pour lui, la nouvelle diplomatie doit être fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et sur la collaboration entre États. Il dispose d'un grand prestige. Il cherche à ménager l'Allemagne pour éviter qu'un esprit revanchard ne s'y développe. Les responsables anglais tiennent aussi à laisser à l'Allemagne une certaine puissance. Fidèles à leur théorie d'équilibre entre les puissances, ils tiennent à empêcher la France d'acquérir une hégémonie en Europe continentale. Clemenceau, au contraire, cherche à imposer de lourdes indemnités pour limiter la puissance économique et politique de l'Allemagne, et pour financer la reconstruction de la France.

Les compromis trouvés ne pouvaient pleinement satisfaire personne. Le traité voté est souvent critiqué : « Tout a été vite réglé, mal réglé par des hommes qui n'avaient pas vécu l'atroce réalité de la guerre » ou « De cette paix imposée grandira une nouvelle haine » ou encore « Le traité ne comprend aucune rénovation économique pour l'Europe ». La signature du traité fut retardée de plusieurs mois par le coup de force de Gabriele D'Annunzio qui s'empara de la ville de Fiume. Il fallut attendre l'intervention de la marine italienne en décembre 1920 pour que le traité de Rapallo, instaurant l'État libre de Fiume, puisse s'appliquer et permettre la proclamation officielle du traité de Versailles.

La première partie établit une charte pour une Société des Nations. Elle reprend l'idéal wilsonien d'une diplomatie ouverte, et régulée par un droit international. La treizième partie pose les principes du Bureau International du Travail. Le reste du traité est essentiellement consacré aux conditions de la paix en Europe. Un principe, énoncé à l'article 231, structure l'ensemble : l'Allemagne et ses alliés sont déclarés seuls responsables des dommages de la guerre. Ce principe justifie les exigences très lourdes des vainqueurs à l'égard de l'Allemagne. Les principales dispositions du traité sont :

 

  • la récupération par la France de l'Alsace-Moselle (art. 27) ;
  • l'intégration à la Belgique des cantons d'Eupen et de Malmedy, dont la Vennbahn (art. 27) ;
  • la possibilité pour le Danemark de récupérer certains territoires du Nord de l'Allemagne où se trouvent des populations danoises. La décision doit être soumise à un vote de la population locale. (art. 109 à 111). Le référendum est mené en 1920. Les villes d'Aabenraa, Sønderborg et Tønder, et leurs environs passent alors au Danemark
  • Le Territoire du Bassin de la Sarre est placé sous administration internationale pour 15 ans. Son statut définitif doit être soumis à référendum.
  • D'importants territoires qui se trouvaient dans l'est de l'Allemagne sont attribués au nouvel État polonais (art.28). Dans certaines régions, le statut définitif n'est pas décidé. Il doit être déterminé par une commission ou par un référendum dans la zone concernée (art 87 à 93). Dantzig devient une ville libre, ce qui garantit l'accès de la Pologne à la mer mais a aussi pour effet de séparer la Prusse orientale, restée allemande, du reste de l'Allemagne.

 

La seconde partie du traité définit les frontières de l'Allemagne, mais dans plusieurs régions, le tracé définitif est remis à plus tard. L'indépendance des nouveaux États de Pologne et de Tchécoslovaquie est également affirmée. L'indépendance de l'Autriche est également protégée : il est interdit à l'Allemagne de l'annexer (art. 80). L'Allemagne se voit amputée de 15% de son territoire et de 10% de sa population au profit de la France, de la Belgique du Danemark, et surtout de la Pologne, nouvellement recréée. De nombreuses mesures sont prises pour limiter le pouvoir militaire de l'Allemagne, et protéger ainsi les États voisins. Les clauses militaires forment la cinquième partie du traité.

 

  • L'Allemagne doit livrer 5 000 canons, 25 000 avions, ses quelques blindés et toute sa flotte (qui se sabordera dans la baie écossaise de Scapa Flow).
  • Son réarmement est strictement limité. Elle n'a plus droit aux chars, à l'artillerie et à l'aviation militaire.
  • Son armée sera limitée à un effectif de 100 000 hommes et le service militaire aboli.
  • La rive gauche du Rhin, plus Coblence, Mayence et Cologne, est démilitarisée
  • Suite aux dommages de guerre causés pendant toute la durée de la guerre dans le Nord de la France et en Belgique, l'Allemagne - considérée comme seule responsable de la guerre -, devra payer de fortes réparations à ces deux pays. Le montant à payer est fixé par une commission en 1921. Il s'élève à 132 milliards de marks-or, une somme très élevée. Le montant total des dommages causés par la guerre aux alliés était toutefois estimé à 150 milliards de marks-or.
  • Plusieurs sanctions commerciales et des livraisons en nature complètent ce volet économique : l'Allemagne perd la propriété de tous ses brevets (l'aspirine de Bayer tombe ainsi dans le domaine public). Les fleuves Rhin, Oder et Elbe sont internationalisés et l'Allemagne doit admettre les marchandises en provenance d'Alsace-Moselle et de Posnanie sans droits de douane. En outre, le pays doit livrer aux Alliés du matériel et des produits.

 

Dans la quatrième partie du traité, l'Allemagne, toujours à titre de compensations, est sommée de renoncer à son empire colonial. C'est ainsi que, au sein des Alliés, les puissances coloniales riveraines des possessions allemandes en Afrique (Grande-Bretagne, France, Belgique et Union sud-africaine) se partageront ces dernières : le Cameroun, le Togo, l'Afrique-Orientale allemande (actuels Tanzanie, Rwanda et Burundi) et le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie). Cette dernière colonie allemande avait déjà été conquise militairement en 1914-1915 par l'Union sud-africaine, qui la recevra en mandat par la SDN en 1920. Dans la foulée, l'Allemagne devra également renoncer à ses intérêts commerciaux (ses comptoirs et ses conventions douanières) de par le monde (Chine, Siam, Maroc, Égypte, Turquie, etc.).

 

Des traités annexes au traité de Versailles furent signés séparément avec chacun des vaincus. Les traités de Saint-Germain-en-Laye puis du Trianon avec l'Autriche-Hongrie qui est dépecée en :

 

  • une Autriche réduite au territoire occupé par des germanophones ;
  • un État hongrois indépendant ;
  • la Tchécoslovaquie, État principalement binational (Tchèques et Slovaques), mais avec une forte minorité germanophone (Sudètes) et d'autres minorités : polonaise, hongroise, ruthène.
  • d'autres morceaux de son territoire vont à : la Roumanie (la Transylvanie avec de fortes minorités hongroise et germanophone) ; l'Italie (les provinces germanophone de Bolzano et italienne de Trento, la ville de Trieste), pour récompenser la Serbie, une fédération des Slaves du sud est créée : la Yougoslavie (dite alors officiellement Royaume des Serbes, Croates et Slovènes), comportant Serbie, Monténégro, Croatie et Slovénie, plus la Bosnie-Herzégovine, région multinationale et une minorité hongroise.

 

Le traité de Versailles a été soumis à de multiples critiques. Les frustrations qu'il a fait naître, ainsi peut-être que les déséquilibres qu'il a engendrés, ont eu un rôle certain dans la politique européenne des décennies suivantes. Le Sénat des États-Unis refuse de le ratifier et donc empêche les États-Unis d'entrer à la Société des Nations, ce qui d'emblée réduisit la portée de cette organisation. La France, qui est pourtant une des principales bénéficiaires des traités (retour de l'Alsace et de la Lorraine dans le giron français, démilitarisation de l'ouest de l'Allemagne, dépeçage de l'Empire austro-hongrois et obtention d'un énorme montant pour les réparations financières), n'est pas encore satisfaite car elle aurait voulu obtenir l'occupation permanente de la rive gauche du Rhin. En Savoie, l'article 435 du traité de Versailles fait que certaines dispositions d'annexion du traité de Turin (1860) ne sont plus respectées. Cet article supprime les zones neutres et franches présentes en Savoie et liées aux conditions d'annexion.

La France fut condamnée par la Cour internationale de justice de La Haye en 1932 pour la violation du traité de Turin. Le ressentiment est particulièrement fort encore en Italie. On a parlé de « victoire mutilée », car les Alliés n'ont pas respecté les promesses faites durant le conflit concernant l'attribution des provinces de l'Istrie, de la Dalmatie et du Trentin. Les fascistes italiens sauront exploiter cette trahison et y trouveront un terreau propice à l'exaltation d'un nationalisme virulent. La République de Chine, bien que mentionnée parmi les parties contractantes, refuse de signer le traité, qui prévoit la cession à l'Empire du Japon des droits allemands sur le Shandong. Les prétentions japonaises entraînent en Chine une agitation nationaliste et anti-japonaise connue sous le nom de mouvement du 4 mai.

Le paiement de réparations représentait une lourde charge pour la République de Weimar. En proie à de graves difficultés financières, elle se révèle vite incapable d'y faire face. Les alliés demandent alors des livraisons en nature. Face aux retards de livraison allemands, la France et la Belgique envahissent la Ruhr en 1923, ce qui aggrave encore la déstabilisation économique de l'Allemagne. Toutefois, les difficultés ne sont pas réglées. Sous la direction américaine, le plan Dawes est alors élaboré. Il facilite les conditions de remboursement pour l'Allemagne. Toutefois, la charge apparaît encore trop lourde ce qui conduit à l'élaboration d'un nouveau plan, le plan Young, en 1929. Les dettes allemandes sont diminuées et rééchelonnées de manière considérable. En Allemagne, les réparations font tout au long de la période l'objet de vives contestations politiques, et alimentent un vif ressentiment. En 1929, une pétition aboutit, contre l'avis du gouvernement, à soumettre à référendum une proposition de loi qui annule le paiement de dettes. Cependant, la participation au référendum fut très faible et la loi fut rejetée à près de 95%.

Selon les termes du plan Young, le paiement des réparations devait s'échelonner jusqu'à 1988, mais avec la Grande Dépression, les versements furent interrompus (moratoire Hoover en 1931). En 1933, les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne, ils rejettent toute idée de paiement des réparations. Les paiements sont définitivement arrêtés tandis que l'annexion de l'empire colonial allemand sera maintenu jusqu'à l'accession à l'indépendance des peuples africains concernés au début des années 1960, à l'exception de la Namibie qui n'accèdera à l'indépendance qu'en 1990. L'original du traité a disparu en 1940 et on ignore s'il a été détruit. Face à l'avancée des troupes allemandes vers Paris, il devait être mis à l'abri à l'Ambassade de France aux États-Unis, mais ce n'est qu'une version préparatoire qui y est parvenue. On a longtemps cru qu'il se trouvait à Moscou, mais l'ouverture progressive des archives depuis 1990 n'a pas permis de le retrouver. La seule certitude est que les Allemands ont mis la main sur la ratification française du traité, qui avait été cachée au Château de Rochecotte.


IIIème Reich

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Le Troisième Reich est un terme désignant l'État allemand nazi dirigé par Adolf Hitler de 1933 à 1945. La République n'étant pas abrogée en droit durant l'année 1933, le terme Deutsches Reich continue d'être le nom officiel donné à l’État allemand, dans l'ensemble des documents administratifs et politiques produits par cet État jusqu'en 1945. 

Adolf Hitler

Adolf Hitler

Toutefois, à partir de l'automne 1943, le terme « Grossdeutsches Reich » lui est préféré par un certain nombre de représentants de ce même État. Hitler était chef du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei en allemand, aussi appelée NSDAP). Le mot nazisme est un acronyme représentant la doctrine définie par Hitler et le régime politique qu'il dirigea ; il est tiré de lettres du nom de cette doctrine, devenu nom du parti : national-sozialismus, national étant prononcé nazional en allemand.

Ce régime dura douze ans, de la nomination de Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933 à la capitulation sans condition du Reich vaincu le 8 mai 1945, suivie de l'arrestation le 23 mai du dernier gouvernement nazi de Karl Dönitz. La propagande nazie destinait le Troisième Reich à durer « mille ans ». Il en dura douze, la République de Weimar n'ayant d'ailleurs jamais été formellement abrogée par les nazis. État policier et de type totalitaire, reposant avant tout sur le « pouvoir charismatique » absolu exercé par son Führer Adolf Hitler, le Troisième Reich est responsable du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe, pendant laquelle il perpétra, entre autres crimes de masse, le génocide des Juifs (Shoah) et des Tsiganes (Porajmos) d'Europe, la mise à mort systématique des handicapés, poursuivit tous les opposants potentiels et laissa l'Allemagne en ruines.

Bien que n'ayant obtenu qu'un tiers des voix aux élections libres de novembre 1932, et bien qu'Hitler ait été battu à la présidentielle par Paul von Hindenburg, le NSDAP arrive au pouvoir quand son Führer est appelé à la Chancellerie le 30 janvier 1933. Beaucoup d'industriels et d'hommes de droite, réunis autour de Franz von Papen et d'Alfred Hugenberg, pensaient ainsi « lever l'hypothèque » nazie et se servir de Hitler pour ramener l'ordre dans l'Allemagne en crise, avant de s'en séparer dès qu'il n'y aurait plus besoin de lui. De fait, le gouvernement Hitler ne comporte que trois nazis : Adolf Hitler chancelier du Reich, Hermann Göring, chargé en particulier de la Prusse, et Wilhelm Frick à l'Intérieur. Or loin de se laisser instrumentaliser par les conservateurs, Hitler parvient en quelques mois à mettre l'Allemagne au pas (Gleichschaltung). Le démantèlement de la République de Weimar au profit de la dictature nazie permet l'avènement et la proclamation du Troisième Reich dès le 15 mars 1933, lors d'une grandiose cérémonie de propagande tenue à Potsdam, sur le tombeau de Frédéric II de Prusse.

Adolf HitlerDès le 1er février, Hitler fait dissoudre le Reichstag par Hindenburg. Pendant la campagne électorale, la SA et les SS, milices du parti nazi, reçoivent des pouvoirs d'auxiliaires de la police. Les réunions du Parti communiste (KPD), du Parti social-démocrate (SPD) et des autres partis d'opposition sont marquées par de nombreux décès. Des opposants sont déjà brutalisés ou torturés. Dans la nuit du 27 au 28 février survient l'énigmatique incendie du Reichstag. D'après les historiens actuels, tels Ian Kershaw, les nazis s'en sont servi, mais ne l'ont pas provoqué eux-mêmes comme il était traditionnellement supposé. Saisissant l'occasion, Hitler fait adopter par Hindenburg un « décret pour la protection du peuple allemand » qui suspend toutes les libertés garanties par la Constitution de Weimar. Un autre décret institue la Schutzhaft ou « détention de protection » préventive, qui permet d'arrêter et d'emprisonner sans aucun contrôle ni limite de temps. La terreur s'accélère. En deux semaines, Göring fait ainsi arrêter 10 000 communistes en Prusse, dont le chef du KPD, Ernst Thälmann, le 3 mars. En avril, près de 30 000 arrestations ont lieu dans la seule Prusse. À l'été, la Bavière compte 4 000 internés, la Saxe 4 500. Entre 1933 et 1939, un total de 150 000 à 200 000 personnes sont internées, et entre 7 000 et 9 000 sont tuées par la violence d’État. Des centaines de milliers d'autres devront fuir l'Allemagne.

De nombreuses figures de la gauche littéraire et scientifiques s'exilent, comme Thomas Mann, Bertolt Brecht et Albert Einstein dès le 28 février 1933. D'autres sont jetées en prison comme le pacifiste Carl von Ossietzky. Les nazis condamnent l'« art dégénéré » et les « sciences juives », et détruisent ou dispersent de nombreuses œuvres des avant-gardes artistiques. Les premiers camps de concentration provisoires apparaissent, où sont emprisonnés militants communistes, socialistes, et sociaux-démocrates. Dès le 20 mars 1933, Heinrich Himmler ouvre le premier camp permanent à Dachau, près de Munich. Il sera suivi en 1937 de Buchenwald et en 1939 de Ravensbrück pour les femmes. Le 5 mars 1933, les nazis obtiennent 43,9 % des voix aux élections législatives. Dans tous les Länder d'Allemagne, les nazis s'emparent par la force des leviers locaux du pouvoir. Le 23 mars 1933, Hitler obtient des deux tiers des députés le vote des pleins pouvoirs pour quatre ans. Le 2 mai, les syndicats sont dissous et leurs biens saisis. Les ouvriers sont enrôlés dans l'organisation corporatiste du Deutsche Arbeitsfront (DAF). Le 10 mai, le ministre de la Propagande Joseph Goebbels préside à Berlin à une nuit d'autodafé pendant laquelle des milliers de « mauvais livres » d'auteurs juifs, marxistes, démocrates ou psychanalystes sont brûlés pêle-mêle en public par des étudiants nazis ; la même scène se tient dans les autres grandes villes. Le KPD est officiellement interdit en mai, le SPD en juin5. Les autres partis politiques se sabordent ou se rallient. Le 14 juillet, la loi contre la formation de nouveaux partis fait du NSDAP le parti unique en Allemagne. Les jeunes Allemands sont obligatoirement embrigadés dans les Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend), seul mouvement de jeunesse autorisé à partir du 1er décembre 1936.

Les SA de Ernst Röhm exigent que la « révolution nationale-socialiste » prenne un tour plus anticapitaliste et rêvent de prendre le contrôle de l'armée. Hitler fait massacrer une centaine de leurs chefs le 30 juin 1934 au cours de la nuit des Longs Couteaux. Le IIIe Reich s'oriente dès lors vers un « État SS » (Eugen Kogon). Les nazis liquident aussi à cette occasion plusieurs dizaines de personnalités diverses, ainsi le docteur Klausener, dirigeant de l'Action catholique. Après la mort de Paul von Hindenburg le 3 août 1934, Hitler est à la fois chancelier et chef de l'État. Il est entouré d'un culte de la personnalité intense qui le célèbre comme le sauveur messianique de l'Allemagne, et fait prêter un serment de fidélité à sa propre personne, notamment par les militaires. Le Führerprinzip devient le fondement de toute autorité. Mouvement antichrétien, le nazisme tente de soumettre les Églises, et certains de ses dirigeants tels Martin Bormann rêvent même d'éradiquer le christianisme à long terme. Le pouvoir provoque ainsi une scission au sein des protestants allemands, par la mise sur pied de l'Église dite des « chrétiens allemands », qui professe sans réserves le racisme et le culte du Führer. Il combat aussi l'Église confessante des pasteurs résistants Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer, déportés.

En 1933, le puissant parti catholique, le Zentrum, s'était sabordé en échange de la signature d'un concordat entre l'ADO (en allemand, Ausland Deutsches Organisation) et le Vatican. Mais en 1937, le pape Pie XI dénonce dans l'encyclique Mit brennender Sorge les violations répétées du concordat, les tracasseries contre des hommes d'Églises, le racisme d'État et l'idolâtrie entourant le Reich et son chef. Son texte est interdit de lecture et de diffusion en Allemagne et ses exemplaires en circulation détruits par la Gestapo. Cependant, dans l'ensemble, « les Églises allemandes n'ont pas activé tout leur potentiel de résistance » (Jacques Sémelin), et le successeur de Pie XI, Pie XII, ancien nonce en Allemagne, évitera pendant la guerre de dénoncer les atrocités nazies, notamment par peur d'attirer des représailles sur l'Église allemande qu'il connaît bien. Au printemps 1938, Hitler accentue la prédominance nazie dans le régime. Il évince les chefs d'état-major Werner von Fritsch et Werner von Blomberg et soumet la Wehrmacht en plaçant à sa tête les serviles Alfred Jodl et Wilhelm Keitel. Le conservateur Konstantin von Neurath est remplacé par le nazi Joachim von Ribbentrop aux Affaires étrangères, et Göring prend en main l'économie autarcique aux dépens du Dr Hjalmar Schacht. La franc-maçonnerie est mise hors la loi et ses membres pourchassés par une section spéciale de l'appareil policier. Les Témoins de Jéhovah, objecteurs de conscience, refusent par principe le service militaire et le travail dans l'industrie de guerre, tout comme le salut nazi et tout signe d'allégeance à l'idolâtrie entourant le Führer. Près de 6 000 d'entre eux sont enfermés en camp de concentration.


Dès février 1933, la persécution contre les juifs se déchaîne. Une loi permet à Hitler de faire révoquer 2 000 hauts fonctionnaires et 700 universitaires juifs. Le boycott des magasins juifs est lancé le 1er avril par les SA. Des Juifs sont humiliés en public, des couples mixtes promenés dans les rues avec des pancartes insultantes autour du cou. La contribution juive à la culture allemande est niée : la musique de Mendelssohn ou de Meyerbeer est interdite, et le célèbre poème de Heinrich Heine, la Lorelei, n'a officiellement plus d'auteur. Les lois de Nuremberg, en 1935, retirent la citoyenneté allemande aux Juifs et interdisent tout mariage mixte. La liste des métiers interdits s'allonge sans fin, toute vie quotidienne normale leur est rendue impossible. Cependant, si plusieurs dizaines de milliers de Juifs s'exilent, beaucoup persistent à rester malgré les brimades, pensant qu'Hitler apaisera son courroux et parce qu'ils devaient abandonner toutes leurs richesses pour quitter le pays. Le pogrom de la nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, annonce leur élimination physique ainsi que leur spoliation systématique (aryanisation). À partir de 1941, ils doivent porter une étoile jaune, puis sont déportés dans les ghettos de Pologne et les camps de la mort.

Seuls sont provisoirement épargnés les Mischlinge, ou les Juifs mariés à des Allemandes « aryennes », tels Victor Klemperer. Les Mischling sont des personnes dont un des parents n'est pas de religion juive. Cette qualification était codifiée par les lois de Nuremberg. En 1943, en plein Berlin, des conjointes de Juifs manifesteront dans la Rosenstrasse pour empêcher la déportation de leurs époux. En juillet 1933, le régime adopte une loi sur la stérilisation forcée, conforme à son objectif de « purifier la race aryenne ». Des dizaines de milliers de personnes en sont victimes. Elle concerne surtout les malades mentaux, mais aussi des Tziganes, ou encore des Noirs[réf. nécessaire] : en 1937, Hitler ordonne de stériliser les 400 enfants nés dans les années 1920 de soldats noirs français et de femmes allemandes. Des milliers de femmes tsiganes ne survivent pas à la stérilisation. Les homosexuels sont condamnés à la stérilisation ou à la déportation en camp en vertu du paragraphe 175 du code pénal : 25 000 condamnés sont dénombrés en deux ans (J.M. Argelès).

Alors que la Gestapo n’a que seulement 6 000 hommes en 1938, et 32 000 en 1944, toute opposition organisée au nazisme a pratiquement disparu après 1934. La police politique ne pourrait donc avoir autant d'efficacité sans l'aide de nombreux délateurs, mouchardant pour régler des comptes personnels, par peur ou par adhésion idéologique. Il n'est pas rare non plus que des enfants, soumis à l'embrigadement intense des Jeunesses hitlériennes, finissent par dénoncer leurs parents. Les rares groupes constitués de la résistance allemande au nazisme émergent à nouveau à partir de 1938. Ils sont très isolés, surtout lorsqu'après l'entrée en guerre, les résistants à Hitler sont assimilés par l'opinion à des traîtres à leur pays. Ce qui amène les historiens allemands au concept d'une « résistance sans le peuple ». Dans l'ensemble, la société allemande s'est vite accommodée du régime national-socialiste du moment qu'il mettait fin à l'instabilité politique et économique, et entreprenait de déchirer le Diktat du traité de Versailles. Les réalisations sociales du régime, les cérémonies grandioses de propagande comme lors des Congrès du NSDAP à Nuremberg, la peur, l'indifférence ou le conformisme ont entraîné de nombreux Allemands à céder à la « fascination du nazisme » (Peter Reichel).

Environ 11 millions de citoyens allemands ont adhéré au NSDAP, dont beaucoup de carriéristes et d'opportunistes, soit une part considérable de la population adulte. Quelque 100 000 Allemands, selon Annette Wieviorka, ont pris part activement au génocide des Juifs. L'historien de la Wehrmacht Omer Bartov (L'Armée de Hitler, 1999) a montré qu'une bonne part des combattants allemands avaient intégré le discours nazi, et que nombre d'entre eux furent, avec leurs officiers et leurs généraux, à peine moins compromis que les SS dans les tueries à l'Est. L'historien britannique Paul Johnson (Une Histoire des Juifs, 1986) souligne que les Autrichiens, intégrés au Grand Reich en 1938, sont surreprésentés dans les instances supérieures du régime (outre Hitler lui-même, il peut être cité Adolf EichmannErnst KaltenbrunnerArthur Seyss-Inquart ou Hans Rauter) et qu'ils ont en proportion beaucoup plus participé à la Shoah que les Allemands. Un tiers des tueurs des Einsatzgruppen étaient ainsi autrichiens, tout comme quatre des six commandants des principaux camps d'extermination et près de 40 % des gardes des camps. Sur 5 090 criminels de guerre recensés par la Yougoslavie en 1945, 2 499 Autrichiens sont dénombrés.

L'historiographie allemande distingue depuis Martin Broszat la résistance organisée au nazisme (Widerstand) et des formes de dissidence civiles (Resistenz), sans ambition de contestation politique, mais démontrant une certaine réticence envers l'embrigadement et l'idéologie officiels. Par exemple, des groupes de jeunes gens (les Edelweiss) se réunissaient en pleine guerre pour écouter la musique swing proscrite par le régime, et adoptaient un habillement et une coiffure qui défiaient l'ordre moral officiel. De nombreuses Allemandes bravèrent les interdictions officielles des relations amoureuses avec les travailleurs étrangers occidentaux ou slaves. Des centaines d'Allemands furent exécutés pour avoir écouté la BBC, ou proféré des paroles méprisantes ou sceptiques contre le régime et sur l'issue de la guerre. Certains tentèrent discrètement de venir en aide à des Juifs, ou eurent du moins le courage de gestes et de paroles de sympathie. D'autres se débrouillèrent pour ne jamais faire le salut nazi. En Bavière catholique, un mouvement d'opinion empêcha le régime néo-païen de retirer les crucifix des classes.

Clemens August von Galen, évêque de Münster, relaya une vague d'indignation contre l'euthanasie des handicapés mentaux, protesta en chaire contre celle-ci, et obtint ainsi l'arrêt officiel théorique de l'aktion T4 (août 1941). Dans les années 1930, les Églises ont également souvent résisté aux ingérences du régime et aux tracasseries de ses agents mais leurs hiérarchies n'ont fait porter leurs refus que sur des points matériels et confessionnels, et, comme au temps de l'empire wilhelminien, se défendaient toujours de « faire de la politique ». Excepté Konrad von Preysing, évêque catholique d'Eichstätt, les Églises, en tant que telles, n'ont condamné ni les guerres d'agression, ni la politique raciale, ni les crimes contre l'humanité dans les pays occupés, dont des échos parvenaient pourtant en Allemagne.

La loi sur les pleins pouvoirs, votés à la suite de l'incendie du Reichstag, suspend la constitution, mais ne l'abroge pas, donc "le Reich allemand est une république", selon l'article 1er de la constitution de 1919, mais le gouvernement dispose des pleins pouvoirs en matière de police et de justice. À partir de 1933, tous les partis, syndicats, mouvements de jeunesse ou associations non-nazis ont été dissous ou absorbés, les opposants exilés ou envoyés dans des camps de concentration, les Églises exposées à des tracasseries, les autonomies régionales supprimées au profit du premier État centralisé qu'ait connu l'Allemagne, la population soumise à la surveillance étroite de la Gestapo, certes relayée par une multitude de délateurs. La justice a pareillement été soumise au régime, le sinistrement célèbre Tribunal du Peuple (Volksgerichtshof) présidé notamment par Roland Freisler ayant prononcé des milliers de condamnations à mort au cours de parodies de justice n'essayant même pas de respecter les apparences élémentaires. Plus de 30 000 condamnés à mort furent guillotinés, pendus, voire décapités à la hache sous le IIIe Reich, souvent pour de simples paroles d'hostilité ou de mécontentement. Il n'était pas rare que la Gestapo arrête des gens acquittés ou ayant fini leur peine, et les déporte à sa guise.

À la différence de l'Italie fasciste, les rôles ne sont pas aussi répartis entre le parti et les institutions traditionnelles. En effet, les institutions héritées des périodes précédentes continuent d'exister, mais certaines sont progressivement noyautées par des structures du parti, ou plus simplement, elles ne sont plus opérantes, à l'image des Länder, par exemple, redécoupés en Gaue, circonscription territoriale du NSDAP. Ce maintien des classes dirigeantes traditionnelles, donc la mise en place d'un condominium sur le pays, géré par le NSDAP et les anciennes classes dirigeantes amende nettement la vision totalitaire. [réf. nécessaire]Cette alliance est appelée à se fissurer à la période des échecs militaires (il suffit de faire une biographie des principaux conjurés du complot du 20 juillet 1944, pour s'en convaincre: des militaires, décorés et honorés par le régime (Rommel), un chef de corps d'armée durant la campagne de France, fait maréchal par Hitler (Witzleben), des généraux anciennement proches de Hitler (Hoeppner), un homme qui a voté les pleins pouvoirs en 1933 (Goerdeler)...).

En outre, à côté de cette alliance entre les conservateurs et les nazis, se met en place ce que Broszat appelle "anarchie totalitaire", se mettent en place des structures ayant les mêmes compétences dans un domaine donné, qui finissent par jouer les unes contre les autres: Warlimont, dans ses mémoires, évoque une anecdote au sujet de camions de la marine, mais dont l'armée a un besoin vital: le représentant de la marine refuse de les mettre à disposition de l'armée de terre, sous prétexte que beaucoup de camions ont déjà été donnés à l'armée de terre; à l'issue de plusieurs heures de débat, Hitler ne tranche pas, renvoyant le problème à plus tard, trop tard. Au vu de ces considérations, l'historiographie allemande caractérise donc traditionnellement le IIIe Reich comme un « État de non-droit » (Unrechtsstaat). En juin 1934, le célèbre juriste Carl Schmitt, penseur de « l'état d'exception », approuve le massacre des SA lors de la nuit des Longs Couteaux et théorise publiquement que la simple parole du Führer a force de loi, et qu'elle prime sur le droit.

L'école historique allemande dite des « intentionnalistes » insiste sur la primauté de Hitler dans le fonctionnement du régime. La forme extrême de pouvoir personnel et de culte de la personnalité autour du Führer ne serait pas compréhensible sans son « pouvoir charismatique ». Cette notion importante est empruntée au sociologue Max Weber : Hitler se considère et est considéré sincèrement comme investi d'une mission providentielle. Sans l'idéologie (Weltanschauung, ou vision du monde) redoutablement cohérente qui animait Hitler et ses fidèles, le régime nazi ne se serait pas engagé dans la voie de la guerre et de l'extermination de masse, ni dans le reniement des règles juridiques et administratives élémentaires régissant les États modernes. Par exemple, sans son pouvoir charismatique d'un genre inédit, Hitler n'aurait pas pu autoriser l'euthanasie massive des handicapés par quelques simples mots sur papier à en-tête de la chancellerie (opération T4, 3 septembre 1939), et encore moins déclencher la Shoah sans rédiger un seul ordre écrit. Aucun exécutant du génocide des Juifs ne demanda jamais, justement, à voir un ordre écrit : le simple mot de Führerbefehl (ordre du Führer) était suffisant pour faire taire toute question.

Comme l'a démontré l'école rivale des « fonctionnalistes » (conduite par Martin Broszat), le IIIe Reich n'a jamais tranché entre le primat du pouvoir du parti unique et celui du pouvoir de l'État, d'où des rivalités de compétence incessantes entre les hiérarchies doubles du NSDAP et du gouvernement du Reich. Surtout, l'État nazi apparaît comme un singulier enchevêtrement de pouvoirs concurrents aux légitimités comparables. C'est le principe de la « polycratie ». Or, entre ces groupes rivaux, Hitler tranche rarement et décide peu. Fort peu bureaucratique, travaillant de façon irrégulière (sauf dans la conduite des opérations militaires), le Führer, « dictateur faible » ou « paresseux » selon M. Broszat, laisse chacun libre de se réclamer de lui, et attend seulement que les individus marchent dans le sens de sa volonté. Dès lors, a démontré son biographe Ian Kershaw, dont les travaux font la synthèse des acquis des écoles intentionnalistes et fonctionnnalistes, chaque individu, chaque clan, chaque bureaucratie, chaque groupe fait de la surenchère et essaye d'être le premier à réaliser les projets nazis fixés dans leurs grandes lignes par Adolf Hitler. C'est le cas en particulier dans le domaine de la persécution antisémite, qui s'emballe et passe ainsi graduellement de la simple persécution au massacre, puis au génocide industriel. Ce qui explique que le IIIe Reich obéisse structurellement à la loi de la « radicalisation cumulative », et que le système ne puisse en aucun cas se stabiliser.

Ce « pouvoir charismatique » explique aussi que beaucoup d'Allemands soient spontanément allés au-devant du Führer. Ainsi, en 1933, les organisations d'étudiants organisent d'elles-mêmes les autodafés de livres honnis par le régime, tandis que les partis et les syndicats se rallient au chancelier et se sabordent d'eux-mêmes après avoir exclu les Juifs et les opposants au nazisme. L'Allemagne se donne largement au Führer dans lequel elle reconnaît ses rêves et ses ambitions, plus que ce dernier ne s'empare d'elle. Selon Kershaw, le Führer est l'homme qui rend possible les plans caressés de longue date à la « base » : sans qu'il ait besoin de donner d'ordres précis, sa simple présence au pouvoir autorise par exemple les nombreux antisémites d'Allemagne à déclencher boycotts et pogroms, ou les médecins d'extrême-droite à pratiquer les expériences pseudo-médicales et les opérations d'euthanasie dont l'idée préexistait à 1933.

Ce qui explique aussi, toujours selon Ian Kershaw et la plupart des fonctionnalistes, la tendance du régime à l'« autodestruction » (Selbstzerstörung). Le IIIe Reich, retour à l'« anarchie féodale » (Kershaw) se décompose en une multitude chaotique de fiefs rivaux. C'est ainsi qu'en 1943, alors que l'existence du Reich est en danger après la bataille de Stalingrad, tous les appareils dirigeants du IIIe Reich se disputent pendant des mois pour savoir s'il faut interdire les courses de chevaux, sans trancher.[réf. nécessaire] Le régime substitue aux institutions rationnelles modernes le lien d'allégeance personnelle, d'homme à homme, avec le Führer. Or, aucun dirigeant nazi ne dispose du charisme d'Hitler. Le culte de ce dernier existe dès les origines du nazisme et est consubstantiel au mouvement, puis au régime. Chacun ne tire sa légitimité que de son degré de proximité avec le Führer. De ce fait, en l'absence de tout successeur (« En toute modestie, je suis irremplaçable »), la dictature de Hitler n'a aucun avenir et ne peut lui survivre. La mort du IIIe Reich et celle de son dictateur se sont d'ailleurs pratiquement confondues.

L'arrivée d'Hitler au pouvoir marque brutalement la fin de la diversité culturelle qu'avait apportée la République de Weimar pour l'Allemagne. De nombreux autodafés ont même lieu, surtout des livres d'auteurs juifs, communistes, etc. Tous les livres de Marx, de Sigmund Freud, d'Einstein et d'auteurs célèbres à cette époque finissent brûlés en place publique. La culture est prise en main : Hitler met en place un contrôle total de la presse écrite par le parti nazi, choisit les films qui passent au cinéma… La propagande passe par ces moyens de communication ; tout a pour but de mettre en avant le parti. L'organisation des jeux olympiques d'été de 1936 sera instrumentalisée pour consolider l’image de marque du régime hitlérien sur la scène internationale. Les ouvrages scolaires sont également expurgés. Pour ne pas renoncer aux poèmes d'Heinrich Heine, quelques-uns les attribuent à un auteur inconnu de langue allemande.

De nombreux artistes, écrivains et savants doivent fuir d'emblée l'Allemagne nazie en raison de leurs origines juives, et/ou de leurs convictions politiques pacifistes, de gauche, antinazies, ou encore de la nature avant-gardiste de leur art. Parmi eux les écrivains Erich Maria Remarque, Adrienne Thomas, Thomas Mann et son frère Heinrich Mann, ainsi que Bertolt Brecht, Alfred Döblin, Kurt Tucholsky, ou encore Lion Feuchtwanger, Walter Benjamin, Arthur Koestler. Il en va de même pour les metteurs en scène berlinois Max Reinhardt et Erwin Piscator. Sont aussi notamment proscrits les philosophes Husserl, Hannah Arendt ou Wilhelm Reich, la théologienne Edith Stein (juive convertie et religieuse carmélite, gazée en 1942 à Auschwitz), les peintres d'avant-garde Paul Klee, l'architecte Walter Gropius, le physicien Albert Einstein. En 1938, l'annexion de l'Autriche oblige le vieux fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud, à partir pour Londres - sa famille entière sera exterminée. L'écrivain viennois Felix Salten rejoint la Suisse et s'installe à Zurich. Stefan Zweig, qui a dû fuir les nazis autrichiens dès 1934, se suicide en 1942.

Quelques artistes pourtant sondés par Goebbels font choix de partir par acte de résistance au régime, ainsi le cinéaste Fritz Lang ou l'actrice Marlene Dietrich. Un certain nombre d'artistes et d'écrivains restés en Allemagne, comme Emil Nolde (qui adhère au parti nazi en 1935), se voient interdire de peindre ou d'écrire, et sont placés sous surveillance policière. Les Juifs sont exclus de la presse, du cinéma, du monde du spectacle. Les œuvres d'auteurs juifs (comme celles de Heine ou Mendelssohn) ne peuvent plus être jouées ou interprétées, et Goebbels devra intervenir contre certains fanatiques de son propre parti qui souhaitaient interdire Mozart parce que franc-maçon. L'autodafé spectaculaire des livres interdits, le 10 mai 1933, permit à beaucoup de commentateurs de rappeler la célèbre phrase de Heinrich Heine : « là où on brûlera des livres, on brûlera des hommes ». En 1937, une « exposition d'art dégénéré » très visitée sillonne l'Allemagne pour tourner en dérision les œuvres de plusieurs artistes d'avant-garde (parmi lesquels Emil Nolde), taxées de « bolchevisme culturel » ou de « gribouillages juifs et cosmopolites » par Hitler. Beaucoup de ces œuvres sont ensuite dispersées ou détruites par les nazis.

Un nombre non négligeable d'esprits se rallient toutefois plus ou moins durablement au régime hitlérien. Le philosophe Martin Heidegger prend sa carte au NSDAP et d'après Victor Farias (Heidegger et le nazisme) il paiera ses cotisations jusqu'en 1945. Il accepte quelques mois les fonctions de recteur à Fribourg; avant de s'opposer fondamentalement au national socialisme en déclarant : " le national socialisme est un principe barbare". Le théoricien du droit Carl Schmitt devient le juriste nazi officiel. Nombre de musiciens et d'interprètes entretiennent des relations très cordiales avec le régime et ses plus hauts dirigeants, acceptant ou sollicitant les commandes officielles : ainsi les compositeurs Carl Orff et Richard Strauss, la cantatrice Elisabeth Schwarzkopf, ou les chefs d'orchestre Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan. Dans le domaine de l'art populaire, les internationalement réputés Comedian Harmonists sont obligés de se dissoudre.

Joseph GoebbelsDès 1933, Goebbels impose la création des Reichskulturkammer, organisation corporatiste des métiers de la culture. Nul ne peut publier ou composer s'il n'en est membre. Les cérémonies nazies récupèrent particulièrement la musique de Richard Wagner et celle de Anton Bruckner, favorites du Führer. Un « art nazi » conforme aux canons esthétiques et idéologiques du pouvoir se manifeste au travers des œuvres de Arno Breker en sculpture, de Leni Riefenstahl au cinéma ou de Albert Speer, confident de Hitler, en architecture. Relevant souvent de la propagande monumentale, comme le stade olympique de Berlin destiné aux Jeux de 1936, ces œuvres au style très néo-classique développent aussi souvent l'exaltation de corps « sains », virils et « aryens ».

Le Führer confia à Albert Speer le projet pharaonique (et inabouti) de reconstruction de la capitale Berlin. Celle-ci aurait dû prendre le nom de Germania et se couvrir de monuments néoclassiques au gigantisme démesuré : la coupole du nouveau Reichstag aurait été 13 fois plus grande que celle de St-Pierre de Rome, l'avenue triomphale deux fois plus large que les Champs-Élysées et l'Arche triomphale aurait pu contenir dans son ouverture l'Arc de triomphe parisien (40 m de haut). Le biographe de Speer, Joachim Fest, décèle à travers ces projets mégalomanes une « architecture de mort ». En pleine guerre, Hitler se réjouira que les ravages des bombardements alliés facilitent pour l'après-guerre ses projets grandioses de reconstruction radicale de Berlin, Hambourg ou Linz.

Les jeux olympiques d'été de 1936 furent un jalon non négligeable dans la consolidation de l’image de marque du régime hitlérien sur la scène internationale, cela en dépit de son caractère notoirement raciste et ouvertement belliqueux. Les attitudes des gouvernements occidentaux qui, en faisant confiance à Hitler et à ses promesses en faveur des Juifs et de la non-discrimination raciale en général, entamaient une série de capitulations dont les Accords de Munich seront l’apothéose. Le Comité international olympique lui-même a été accusé d'avoir une part de responsabilité dans l’édification de l'image positive de l’hitlérisme.

La Grande dépression de 1929 s'était traduite par une montée importante du chômage dans les pays développés. En Allemagne, il y avait environ 3 500 000 chômeurs en 1930. Les historiens et économistes (Maury Klein, Daniel Cohen, Joseph Stiglitz entre autres) reconnaissent que la crise de 1929 a eu un impact majeur sur la montée du nazisme conséquence directe du retrait des capitaux américains d’Allemagne. Robert Ley, adhérant du parti nazi dès 1923, et élu député au Reichstag en 1932, fut chargé de l'élimination des syndicats, qui furent remplacés par le Deutsche Arbeitsfront en 1933, organisation de type corporatiste. Liée au DAF, la Kraft durch Freude (Force par la Joie) fut chargée d'offrir aux classes populaires des loisirs de masse étroitement encadrés. Elle offrit par exemple à des milliers d'ouvriers des croisières en mer Baltique sur ses deux paquebots.

À la fois anticapitaliste et antimarxiste, et soucieux de se rallier la classe ouvrière, le régime nazi voulut comme tout fascisme expérimenter une troisième voie entre libéralisme et collectivisme. L'État nazi intervint ainsi largement dans l'économie. Il mena une politique de grands travaux (essor du réseau autoroutier), lança un programme ambitieux de logements sociaux, de réfection des cantines ouvrières, ou de loisirs de masse. En 1936, Hitler fit concevoir par Ferdinand Porsche les premières Volkswagen ou « voiture du peuple », censées être accessibles aux Allemands les plus modestes – en réalité, peu seront construites sous le IIIe Reich, leurs usines de montage étant vite affectées à la construction de chars. Mais aussi, le régime imposa la planification et une stricte autarcie, obligeant les industriels et les particuliers à remplacer par des ersatz de moindre qualité les produits interdits d'importation.

Dès l'origine, l'économie du Troisième Reich s'est orientée vers la remilitarisation de l'Allemagne, puis la préparation de la guerre. Cette politique s'est appuyée dès 1933-1934 sur une série de lois économiques qui favorisèrent la réorganisation complète de l'industrie, puis fut accentuée à partir de 1936 avec le lancement du plan de Quatre Ans confié à Hermann Göring. Celui-ci constitua le tout-puissant cartel des Hermann-Göring Reichswerke, devenu très vite l'une des plus grosses entreprises d'Allemagne puis, après la mise sous tutelle des industries des pays conquises, une des plus grosses du monde. Le développement de l'industrie de l'armement fut grandement facilité par la technologie de la mécanographie et de la carte perforée Hollerith, fournie par la Dehomag. Les méthodes de comptabilisation, qui permettaient de connaître avec précision la nature du travail effectué par les ouvriers, orientèrent l'industrialisation dans ce sens. À partir de 1941, l'état-major SS a entériné le programme d'exploitation de travailleurs forcés et de prisonniers de guerre, dans des conditions extrêmes pour les dits « travailleurs ». Très fréquemment, ces travaux étaient d'ailleurs simplement une manière « économiquement efficace » de liquider les ennemis du régime en maximisant leur utilité économique. Littéralement, on les tuait à la tâche. Le camp Auschwitz-Birkenau n'est qu'un exemple parmi d'autres.

Les entreprises IG Farben, Krupp Ag, BMW, Mercedes-Benz, Volkswagen ont toutes participé à ce système, mais également des entreprises étrangères, telles Fordwerke, filiale allemande du groupe Ford, et Opel, filiale du groupe General Motors. Henry Ford notamment participa activement à la constitution de l'arsenal de la Wehrmacht avant l'entrée en guerre de l'Allemagne, et accepta en 1939, la même année que Mussolini, la plus grande décoration que Hitler pouvait décerner à un étranger, la grand-croix de l’Ordre de l'Aigle allemand. Adolf Hitler avait résolu le problème du chômage par une économie de plein emploi mais pour une proportion importante dans l'industrie de l'armement et par la xénophobie. Il y avait 3 500 000 chômeurs en 1930, alors qu'il n'y en avait plus que 200 000 en 1938. En comparaison avec les États-Unis ou l'Angleterre, ces chiffres sont très flatteurs, sur le papier. Mais, outre le surendettement de l'État qu'impliquait la politique de militarisation et de plein emploi, il faut ajouter que : « Cette performance apparente fut obtenue au moyen de mesures de plus en plus attentatoires aux libertés. Ainsi, le 22 juin 1938, une ordonnance ouvrit le droit pour les autorités de réquisitionner la main-d'œuvre pour une tâche précise. Le 1er septembre 1939, c'est la fin de toute liberté en matière de choix d'un emploi. La militarisation de la classe ouvrière s'était esquissée dès avant la guerre. La ligne Siegfried (Westwall ou « mur de l'Ouest ») fut construite au moyen de la réquisition de 400 000 ouvriers (22 juin 1938). » - (Source : Alfred Wahl, L'Allemagne de 1918 à 1945, Paris, Armand Colin, 1993, - page 136)

À partir de 1933, la société allemande est profondément remodelée sous l'action d'une vision totalitaire. Brisant un certain nombre de cadres hérités de la période précédente, le nouveau pouvoir rebat les cartes des rapports sociaux, définissant, au sein de la société allemande, des groupes sociaux qui subissent le régime et des catégories sociales qui bénéficient du régime. Cependant, malgré l'emploi d'une rhétorique misant sur l'harmonie des rapports sociaux redéfinis dans la communauté du peuple, les conflits inhérents à une société industrielle n'ont pas disparu, et à partir de 1936, des revendications salariales, conséquence du plein-emploi, réapparaissent. En effet, dès les premiers mois d'installation du gouvernement de coalition entre les nazis et les conservateurs, se dessinent les contours des groupes qui perdent, par rapport à la période précédente, ce qui avait été conquis ou octroyé : les salariés, en dépit de nombreuses proclamations, les femmes et les Juifs, bien entendu.

Dans un contexte de chômage de masse, la destruction des syndicats entraîne le durcissement des conditions de vie des salariés, touchant aussi bien les rémunérations que les conditions de travail : la loi du 4 avril 1933 autorise le licenciement de tout employé communiste, de représentant social-démocrate ou de tout militant syndical sans préavis : tout salarié mal vu peut à partir de la mise en application de cette loi être licencié de façon arbitraire sans aucun moyen de défense. Par delà la rhétorique mise en avant (chaque entreprise serait une communauté au sein de laquelle chacun aurait des droits et des devoirs), les dirigeants d'entreprise voient leurs pouvoirs renforcés. Les salariés, après la dissolution des syndicats, doivent être inscrits au Front du Travail. Cette institution regroupe à la fois les salariés et leurs employeurs, régit les relations au travail, et se trouve placée sous la tutelle du ministère du travail du Reich. Confiées à des commissaires aux compétences territoriales élargies, les relations sociales sont dorénavant régies par le Führerprinzip, dans une rhétorique néoféodale, insistant sur la relation de dépendance du salarié envers son employeur.

À cela, s'ajoute le fait que l'indice des salaires (100 en 1932) était retombé à 97 en 1938. En 1937, le niveau des salaires était à peu près celui de 1929. Le pouvoir d'achat de la classe ouvrière est inférieur en 1939 à celui de 1933. À partir de juin 1938, les salaires sont fixés d'autorité. Les paysans, nombreux à avoir voté pour les nazis, ne voient pas l'exode rural s'arrêter (il a même tendance à s'accélérer) ni leur situation s'améliorer réellement. Les petits commerçants et artisans menacés par la modernisation économique, et qui avaient fourni de gros bataillons aux SA, sont aussi pareillement floués : au nom de l'efficacité économique et par souci de préparer la guerre, le gouvernement encourage légalement la concentration des petites entreprises, dont plus de 400 000 disparaissent entre 1933 et 1939. Enfin, en raison de la conception que les nazis avaient de la femme, celles-ci furent peu à peu cantonnées à leur rôle traditionnel. Dès 1933, les femmes sont poussées hors de la fonction publique, ne peuvent plus être directrices dans l'enseignement, n'ont plus le droit d'être avocates, ni juges. Les ouvrières sont poussées vers l'agriculture. Les ouvrières célibataires de moins de 25 ans furent ainsi contraintes à faire une année dans les champs. 1,3 million de femmes supplémentaires furent employées dans l'agriculture entre 1933 et 1939. La politique vis-à-vis des femmes s'est cependant un peu assouplie à l'approche de la guerre.

Si des groupes sociaux ont été floués ou matés en 1933-1934, d'autres, part contre, ont su tirer parti du nouveau cadre politique et institutionnel. En effet, après quelques incertitudes, notamment en raison d'actions violentes de la SA, le décret du 31 mai 1933, préparé lors d'une rencontre entre Hitler et des représentants des industriels allemands, lève toute ambiguïté sur la place dévolue au représentants de l'industrie et des services dans la réorganisation nationale-socialiste. De plus, dès le 30 janvier, les intérêts privés, représentés par Hugenberg sont fortement présents dans le gouvernement du Reich; ils se voient renforcés par la nomination du Dr Schmitt, directeur général des assurances Allianz, et non d'un cadre du parti, au gouvernement. Dans le même temps, les représentants de l'industrie lourde jouent un rôle accru au sein du NSDAP et de l’État, à l'image de Fritz Thyssen, nommé par Goering conseiller d'État à vie en Prusse, jouant de ce fait un rôle important de conseiller économique dans les Gaue de Rhénanie. Ainsi, la loi sur les cartels du 15 juillet 1933, qui donne aux ministères de l'économie et de l'agriculture un pouvoir sur la constitution de cartels et de contrôle de ces derniers, renforce les intérêts des cartels déjà existants, en rendant théorique le contrôle étatique sur ces institutions. De plus, la lutte contre la corruption est considérablement allégée à partir de mai 1933.

Dans le même temps, la direction du NSDAP, Hitler en tête, écarte tous les militants susceptibles de remettre en cause ces nouveaux choix économiques, illustrés par la nomination de membres éminents du patronat allemand à des postes clés de la direction de l'économie: ainsi, les décrets du printemps 1933 annulent les plaintes déposées par le parti à l'encontre des industriels pour corruption. Carte des agressions nazies avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale : l'Allemagne procède à des annexions de terres où vivent des germanophones, au mépris de la SDN; le régime confortant ainsi sa popularité auprès de l'opinion publique allemande (l'utopie nationaliste de la Grande Allemagne remonte au XIXe). La justification de l’expansionnisme nazi se trouve déjà dans Mein Kampf (1926). Le régime nazi se réclame du fascisme, défini par Mussolini comme un régime militariste et anti-pacifiste. Il nourrit le culte de la virilité et de la violence guerrière, et vit dans le souvenir permanent de l'expérience de la Grande Guerre. Enfin, Hitler viole constamment le traité de Versailles, imposé à l’Allemagne en 1919. Méprisant les institutions internationales, posant le primat de la force sur le droit, il traite les traités internationaux conclus en "chiffons de papier". D'emblée Hitler se met à bafouer ouvertement le traité de Versailles, dont il ne reste plus grand chose dès 1938-1939. Le 14 octobre 1934, l'Allemagne quitte la Société des Nations tout en proposant des discussions bilatérales sur la sécurité.

En janvier 1935, les Sarrois votent massivement leur rattachement à l'Allemagne. Cette victoire améliore l'image des nazis à l'étranger. La conscription est réintroduite le 16 mars 1935, en violation ouverte du traité de Versailles. Les effectifs de la Wehrmacht sont portés à 550 000 hommes. En même temps, Hitler négocie avec les Britanniques. Le 18 juin 1935, un accord anglo-germanique autorise l'Allemagne à se doter d'une flotte équivalente à 35 % de celle du Royaume-Uni. En fait, les Allemands cherchent à dessiner un nouveau partage du monde qui leur réserverait l'Est de l'Europe. Le projet nazi reprend en partie les vieux thèmes du pangermanisme. Selon Hitler, la réunification du « sang allemand » est un impératif moral, même si cette communauté se révélait nuisible sur le plan économique. Il revendique donc des territoires qui étaient allemands avant la Première Guerre mondiale, et invoque la communauté de sang et de culture pour annexer d'abord l’Autriche, puis la Région des Sudètes en 1938. À partir de 1939, Adolf Eichmann est aussi chargé de « rapatrier » les minorités allemandes dispersées depuis des siècles à travers toute l'Europe centrale et orientale.

Mais au désir de regrouper tous les Allemands s'ajoute l'idée que les Aryens, "Race des Seigneurs" (Herrenvolk) auraient besoin d’un espace vital (Lebensraum) pour survivre, et que celui-ci, potentiellement illimité, doit être conquis par la force à l’Est (Drang nach Osten). Considérant les Slaves comme une race inférieure (des « sous-hommes », Untermenschen), le projet nazi ambitionne donc de conquérir l’Europe orientale et de réduire ses populations en esclavage, voire de les éliminer. La Tchécoslovaquie, jeune démocratie abritant une population allemande, est le premier pays démantelé par les Allemands. La Pologne, qui abrite une large population juive, est particulièrement visée par le Troisième Reich.

Le Führer prépare la société allemande à la guerre. Dans les Jeunesses hitlériennes, organisations obligatoires (à partir de 1936) pour les adolescents, l’entraînement physique et moral doit former des hommes nouveaux, courageux jusqu’à l’extrême et capables de tuer sans éprouver la moindre pitié. Habillés en uniformes, les jeunes allemands apprennent à être fidèles à Hitler. L’économie est militarisée et tournée vers la production d’armes. Hitler prend lui-même le commandement de l’armée en 1938. Le 7 mars 1936, la Wehrmacht entre en Rhénanie, démilitarisée depuis le traité de Versailles. La Grande-Bretagne et la France condamnent cette action mais n'interviennent pas37 alors qu'Hitler avait prévu de reculer s'il rencontrait une résistance. L'inaction des démocraties conforte la volonté d'Hitler de réaliser la grande Allemagne et en protestant publiquement de son pacifisme. Hitler ensuite multiplie les pressions sur le chancelier autrichien Schuschnigg pour qu'il cède le pouvoir au nazi Arthur Seyss-Inquart. Sans soutien extérieur, le chancelier cède et le 12 mars 1938, Hitler entre en Autriche. Il annonce le rattachement du pays au Reich et obtient 99 % de oui de la part des Autrichiens au plébiscite d'avril. L’Anschluss ne rencontre aucune opposition internationale. Après les accords de Munich, le Royaume-Uni et la France laissent Hitler s’emparer des Sudètes.

Les deux pays sont mis devant le fait accompli lorsque la Bohême-Moravie, Memel et Dantzig sont annexés en 1939. À la fin des années 1930, les démocraties européennes sont dans une situation difficile. La Grande Crise de 1929 n'est pas entièrement résolue. Le pacifisme est extrêmement puissant dans les opinions publiques. La spécificité du nazisme est rarement perçue, et beaucoup persistent longtemps à voir en Hitler un nationaliste allemand comme les autres. La SDN n’a pas de réel pouvoir et les États-Unis sont isolationnistes. Une grande partie de l’Europe est aux mains de dictatures autoritaires (Espagne, Portugal, Autriche…) fascistes (Italie) ou communistes (URSS). L’Allemagne a conclu une série d’alliances qui la renforce : Axe Rome-Berlin puis pacte d'Acier avec l’Italie, enfin, en août 1939, pacte germano-soviétique avec l’URSS de Staline. Franco, que Hitler a aidé activement à arriver au pouvoir pendant la guerre civile espagnole par l'envoi de la Legion Condor, est l'allié moral du Reich. Les États des Balkans, qui ont conclu des accords commerciaux de clearing avec le Reich, sont sous l'influence économique voire diplomatiques de Berlin. La Belgique et les Pays-Bas se replient dans des neutralités frileuses. La France et le Royaume-Uni sont isolées et vivent dans le spectre de la Grande Guerre.

Malgré l’alliance qui les unit à la Tchécoslovaquie, la France et le Royaume-Uni se gardent bien d’intervenir lorsque Hitler déclare son intention de rattacher les Sudètes. Les accords de Munich de 1938 marquent l'ultime tentative de conciliation des démocraties devant les prétentions territoriales nazies : elles laissent Hitler s’emparer des Sudètes en octobre 1938. À cette époque, beaucoup de partisans de l’« apaisement » avec l'Allemagne nazie croient qu'Hitler s'en tiendra à démolir les dispositions les plus humiliantes du traité de Versailles et aux traditionnels projets pangermanistes. Pour le Premier ministre britannique Neville Chamberlain, l'annexion de l'Autriche n'est ainsi qu’« une affaire entre Allemands », et la Tchécoslovaquie "un petit pays dont nous ne savons presque rien". Mais le 15 mars 1939, Le Reich s'empare de Prague et détruit l'État tchécoslovaque, absorbant donc des populations slaves et nullement allemandes. Les opinions occidentales basculent, les gouvernements comprennent que le IIIe Reich nourrit des ambitions hégémoniques illimitées.

Lorsque les armées allemandes pénètrent en Pologne, elles ne peuvent plus reculer et doivent déclarer la guerre. Toutefois, les démocraties n'entreront pas en Allemagne, alors qu'elles auraient pu tirer profit de la division de l'armée allemande pendant la campagne de Pologne. Le 1er septembre 1939 à 04:45 du matin, le Reich envahit la Pologne sans déclaration de guerre, déclenchant la Seconde Guerre mondiale. L'occupation militaire allemande de la plus grande partie du continent européen a lieu rapidement et, jusqu'en 1941, le territoire contrôlé par les nazis va du Cercle Polaire et de la Manche jusqu'à l'Afrique du Nord et aux portes de Moscou. Dans tous les pays, le IIIe Reich trouve des forces de collaboration pour l'assister, mais sa domination est combattue par les mouvements de résistance. La Grande-Bretagne cependant refuse de se retirer de la guerre même après la défaite de la France et l'armistice du 22 juin 1940. Elle est le seul adversaire du Reich entre juin 1940 et juin 1941, quand Hitler envahit brusquement l'Union soviétique, violant le pacte de non-agression et s'ouvrant un autre front de bataille. Celui-ci signe par ailleurs un pacte d'amitié avec la Turquie le 18 juin 1941.

Or, à partir de la défaite devant Moscou (6 décembre 1941), Hitler perd l'espoir d'une guerre courte. Trois gigantesques potentiels humains et industriels sont désormais alliés contre lui : l'URSS, l'empire britannique et les États-Unis, auxquels, après l'agression japonaise sur Pearl Harbor, il a déclaré la guerre le 11 décembre 1941, sans bénéfice aucun pour l'Allemagne. Se résignant à proclamer la mobilisation totale voulue par Goebbels et SpeerHitler accentue le pillage des pays occupés et met en œuvre la guerre totale. À partir de début 1942, la production d'armements s'accroît, et elle est encore supérieure en février 1945 à ce qu'elle était en 1942, malgré des attaques aériennes massives des Alliés contre les cibles civiles et industrielles.

Le totalitarisme nazi se renforce encore avec la guerre. Sous la direction de Himmler (1900-1945), l'appareil policier développe des pouvoirs illimités. Se radicalisant sans fin, le IIIe Reich perpètre sur son territoire et à travers les pays occupés, surtout à l'Est, des crimes contre l'humanité : le lancement du génocide industriel des Juifs est entériné par la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 ; l'extermination s'abat aussi sur les handicapés mentaux allemands, les Tziganes, les Polonais et les Slaves, sujets au Generalplan Ost ; d'innombrables résistants de toute l'Europe affluent dans les camps de concentration en territoire allemand, tandis que la Wehrmacht et les SS perpètrent à l'extérieur massacres et tortures. En juillet 1942, au cours d'une cérémonie au Reichstag, Hitler se fait donner officiellement droit de vie et de mort sur tout citoyen allemand. Le putsh du 20 juillet 1944, mené par des résistants allemands, est réprimé dans le sang : plus de 5 000 personnes sont suppliciées après des procès aux verdicts connus d'avance, leurs familles déportées en vertu du principe totalitaire de la responsabilité collective (Sippenhaft).

À partir de novembre 1944, tous les Allemands sont appelés à servir dans la Volkssturm, une milice sous-équipée : les derniers défenseurs du IIIe Reich seront souvent des vieillards et des pré-adolescents armés de vieux fusils. Dans les ruines de Berlin et de Vienne assaillies par l'Armée rouge, les SS pendront encore en public tous ceux qui parlent de cesser un combat sans espoir. Au printemps 1945, le Troisième Reich, bombardé quotidiennement, sillonné de millions de réfugiés fuyant l'avancée soviétique, et assailli de toutes parts se trouve en ruines. Déclarant que le peuple allemand ne mérite pas de lui survivre puisqu'il ne s'est pas montré le plus fort, Hitler donne l'ordre en mars 1945 d'une politique de terre brûlée d'une radicalité jamais égalée : il s'agit de détruire non seulement les usines et toutes les voies de communication, mais aussi les centrales thermiques et électriques, les stations d'épuration, et tout ce qui est indispensable à la vie des Allemands. Dans la pratique, toutefois, ces ordres furent peu appliqués sur le terrain.

Au cours du mois d'avril 1945, le Reich se désintègre et le pouvoir se fragmente : le pouvoir central se trouve d'avantage chaque jour en incapacité de transmettre ses ordres à ses représentants locaux ou régionaux, selon le constat de Goebbels au début du mois, tandis qu'une répression féroce, menée par les Gauleiter, la SS et la police, s'abat sur la population. Au mois d'avril, les autorités centrales de Berlin ne peuvent plus communiquer de façon efficace avec le Sud du Reich, un service de courriers à moto est alors mis en place, et transmet le flot des directives de Bormann, une « paperasse inutile » que plus personne ne prend alors le temps de lire. Hitler se suicide le 30 avril 1945 quand l'Armée rouge arrive à quelques centaines de mètres du bunker berlinois du dictateur. Son successeur, l'amiral Karl Dönitz ne peut que capituler sans conditions le 8 mai 1945. Il est arrêté avec le dernier vestige de gouvernement allemand, le 23 mai 1945, à Flensburg. Le 20 septembre, plusieurs mois après la défaite militaire totale de l'Allemagne nazie, la loi no 1 du Conseil de contrôle allié, issue d'un accord entre les gouvernements des Alliés, abroge l'ensemble des lois d'exceptions constituant la base législative du régime hitlérien. L'Allemagne est ensuite soumise au processus dit de dénazification, destiné à effacer toute trace du régime hitlérien et à garantir le rétablissement de la démocratie.

Mise au pillage des pays conquis: en 1942, 40 % de la Trésorerie du Reich est faite de tributs financiers prélevés sur les vaincus. La France du maréchal Pétain dut ainsi payer 400 millions de Francs par jour de « frais d'occupation », de quoi en réalité entretenir une armée de plus de 10 millions d'hommes. Les Allemands ne furent pas soumis au rationnement avant fin 1944 grâce aux prélèvements agricoles massifs dans les pays occupés, condamnés aux privations, à la disette voire à la famine (Grèce, URSS). Bien des Allemands reçurent aussi des dépouilles de l'aryanisation (spoliation des biens juifs) effectuée sur le territoire du Reich ou à l'étranger. Hermann Göring et Alfred Rosenberg dérobèrent à grande échelle les trésors artistiques de l'Europe occupée, collections juives en tête, remplissant pour des centaines de trains de chefs-d’œuvre et d'objets d'art.

De même, pour compenser la mobilisation de millions d'ouvriers sur le front de l'Est, le gauleiter Fritz Sauckel transféra de force 8 millions de travailleurs civils en Allemagne, sans compter les millions de prisonniers de guerre mis au travail: la moitié de l'emploi agricole et le tiers de l'emploi industriel du IIIe Reich était assumé par des travailleurs étrangers en 1944 . La Gestapo surveillait étroitement ces derniers, soumis à de multiples discriminations. Ainsi les ouvriers polonais et soviétiques devaient porter l'insigne P ou Ost bien visible sur la poitrine; ils touchaient généralement un salaire misérable correspondant à peine au minimum physiologique indispensable ; ils n'avaient pas le droit de prendre le tram ou de monter à bicyclette, ni d'entrer dans une église allemande ; les relations sexuelles avec une Allemande étaient punies de mort pour l'homme, et la femme humiliée en public puis déportée en camp. La police pratiquait régulièrement des rafles qui emmenèrent des dizaines de milliers en camp de concentration au moindre geste déviant.

Germanisation forcée de territoires annexés au IIIe Reich pendant la guerre, ainsi l'Alsace-Lorraine, le Luxembourg, une partie de la Pologne. Des dizaines de milliers de "Malgré-Nous", enrôlés par la contrainte dans la Wehrmacht et la Waffen-SS, périrent sur le front de l'Est. Des centaines de milliers d'enfants européens « germanisables » furent arrachés à leurs familles et transférés dans les Lebensborn ouverts par Martin Bormann. Dans ces foyers, véritables « haras pour SS », il s'agissait aussi d'étudier l'amélioration de la « race aryenne ». Euthanasie de 150 000 handicapés allemands, surtout entre 1939 et 1941. Les techniciens nazis de "l'aktion T4" furent ensuite affectés au gazage massif des Juifs dans les camps d'extermination. Extermination de 50 000 membres des élites polonaises par les SS à partir de 1939 - aristocrates, militaires, prêtres. Les lycées, les universités, les séminaires furent fermés, ainsi que les théâtres. Le but avoué était de transformer les Polonais en peuple de "sous-hommes". Trois millions de Polonais catholiques, autant de Polonais juifs furent exterminés par les nazis (20 % de la population totale).

Extermination de plus de 3 millions de prisonniers de guerre soviétiques dans des camps en Allemagne. L'historien de la Wehrmacht Omer Bartov estime qu'en URSS même, 600 000 autres prisonniers furent assassinés par les troupes allemandes, et 1 400 000 autres laissés délibérément mourir de faim. Le « décret des commissaires » (mai 1941), préparé dès avant l'agression de l'URSS, ordonnait de fusiller tous les commissaires politiques communistes capturés. Affamement délibéré de la ville de Leningrad assiégée, qui fit 700 000 morts (1941-1944). Hitler avait interdit qu'on enlève d'assaut la ville qui avait vu naître le bolchevisme haï. Une commission d'experts mise en place par Göring pour planifier la future exploitation méthodique de l'URSS avait conclu dès mai 1941 que « nos projets devraient entraîner la mort d'environ 10 millions de personnes » ; cette planification porta le nom de Generalplan Ost par la suite.

Massacre de nombreux otages à travers l'Europe occupée (Châteaubriant, Mont-Valérien, Fosses Ardéatines) ; destruction et massacre de villages entiers (Oradour, Lidice, Marzabotto); emploi systématique de la torture et des fusillades de masse contre les résistants, les suspects et les civils ; inauguration des bombardements terroristes sur les populations civiles (Guernica, Rotterdam, Coventry). L'insurrection de Varsovie, écrasée par Himmler, fut châtiée par la destruction de la ville à 90 % et fit 200 000 morts. 1 500 000 résistants, persécutés, droits communs, Témoins de Jéhovah, homosexuels, ou Juifs de toute l'Europe ont été soumis à l'extermination par le travail forcé dans les camps de concentration de Buchenwald, Dachau, Mauthausen, Dora, Sachsenhausen, Ravensbrück, etc. et leurs centaines de kommandos dispersés à travers tout le territoire du Reich. Les mauvais traitements des kapo, les exécutions sommaires, la sous-alimentation, la volonté des SS de déshumaniser complètement leurs victimes avant de les réduire en cendres ont fait de ces camps un enfer d'une barbarie rarement égalée. 40 % des déportés français ne survécurent pas à leur séjour en camp.

Expériences pseudo-médicales perpétrées sur des détenus des camps de concentration par les médecins nazis tels Carl Clauberg ou Josef Mengele. À Auschwitz et Ravensbrück, le Reich fit étudier sur des cobayes humains un programme de stérilisation massive des femmes slaves. Génocide de 5,5 millions de Juifs (Shoah). Entre 1941 et 1945 les nazis firent périr les trois quarts des Juifs de l'Europe occupée. Le génocide fut pratiqué selon des méthodes industrielles et bureaucratiques sans précédent dans l'histoire humaine ; ce fut aussi la première fois qu'un génocide visa à éliminer jusqu'au dernier enfant ou vieillard un peuple désarmé, lié à aucun État, dispersé sur tout un continent, n'occupant aucun territoire disputé, et ne représentant aucune menace militaire ou politique sinon dans l'imagination des bourreaux. Ce génocide fut opéré par la faim dans les ghettos de Pologne (où furent déportés aussi de nombreux Juifs allemands et autrichiens, prélude à leur extermination), par balles sur le front de l'Est par les unités mobiles de tuerie des Einsatzgruppen, par le travail forcé dans les camps de concentration, ou dans les chambres à gaz des camps d'extermination.

Le seul camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau vit périr un million de Juifs entre 1942 et fin 1944. Les autres centres de mise à mort furent Chelmno, Sobibor, Treblinka, Belzec, Maïdanek, où des centaines de milliers de Juifs étaient gazés dès leur arrivée. Des fours crématoires faisaient ensuite disparaître toute trace des victimes. Les nazis récupéraient leurs bagages et leurs vêtements, mais aussi les chevelures et les dents en or des cadavres, et faisaient du savon à partir des cendres. Conséquences de la guerre voulue par le IIIe Reich, les bombardements et les batailles de rue dans les villes du IIIe Reich amenèrent la destruction de nombreuses villes allemandes à plus de 50, 75 ou 90 %. Ainsi Berlin, Dresde, Hambourg, Cologne ou Breslau. Une part considérable du patrimoine artistique fut perdue.

La défaite finale du IIIe Reich laisse l'Allemagne en ruines et soumise à un régime d'administration militaire par les Alliés. Elle disparaît tant qu'État indépendant jusqu'en 1949, date à laquelle sont proclamées, à quelques mois d'intervalle et dans le cadre de la Guerre froide, la RFA à l'ouest sur les zones d'occupation américaine, britannique et française et la RDA à l'est sur la zone d'occupation soviétique. L'Allemagne, divisée en deux États politiquement rivaux, cesse d'exister en tant que pays unifié jusqu'à sa réunification en 1990. 5 millions de soldats allemands sont morts au front et 3 millions de civils sous les bombes. 11 millions d'Allemands présents depuis des siècles sont chassés des pays d'Europe centrale et orientale en représailles aux exactions du IIIe Reich. L'actuel territoire de la République fédérale d'Allemagne est inférieur d'un tiers à celui du Reich de 1914.

Eichmann AdolfAprès leur capture, les 16 plus hauts dirigeants du IIIe Reich encore vivants sont jugés au procès de Nuremberg en 1946, lequel déclare également organisation criminelle plusieurs piliers du régime : le NSDAP, la SS, la Gestapo et le cabinet du Reich. Plusieurs chefs nazis se sont suicidés, tels Adolf Hitler, Heinrich Himmler, Joseph Goebbels. D'autres, en fuite, seront traqués et retrouvés, tels Adolf Eichmann, jugé et pendu à Jérusalem en 1962. D'autres sont morts libres après s'être réfugiés en Amérique du Sud (Josef Mengele) ou dans le monde arabe. La dénazification imposée à l'Allemagne après 1945, ainsi qu'une série de procès et de révocations, n'a pas empêché de très nombreux serviteurs du IIIe Reich de faire de bonnes carrières administratives, économiques ou politiques après la guerre, sans être jamais inquiétés, même lorsque très compromis. Tout comme les Russes, les Américains recyclèrent des agents gestapistes, tels Klaus Barbie, entré au service de la CIA, ou des scientifiques compromis tels Wernher von Braun.

Adolf Hitler et Staline ont brisé la continuité historique de leur pays ; de surcroît, la "catastrophe allemande" ne s'est pas produite dans un pays arriéré aux mœurs traditionnellement brutales. Les Nazis accèdent au pouvoir légalement, dans l'un des pays les plus développés et les plus cultivés du monde, célèbre pour son abondance de philosophes, d'artistes et de savants. Dès lors la question de la "culpabilité" du peuple allemand dans l'avènement du IIIe Reich et de son degré d'adhésion à ses actes (Schuldfrage) n'a cessé de hanter la conscience nationale depuis la fin de la guerre. Elle a longtemps pesé lourdement sur l'image de l'Allemagne et des Allemands à l'étranger, et sur sa place en Europe et dans le monde. Pendant la guerre froide, RFA et RDA se renvoyèrent l'accusation d'être les continuateurs du IIIe Reich. Des personnalités comme le philosophe Martin Heidegger ou le chef d'orchestre Herbert von Karajan ont traîné toute leur vie comme un boulet le fait d'avoir adhéré au parti nazi et de s'être montrés incapables de s'expliquer clairement sur cette adhésion.

En dépit de ce passé, quelques nostalgiques, ainsi que les néo-nazis ou les négationnistes, vantent encore aujourd'hui la grandeur du IIIe Reich, prétendant par exemple que « le procès de Nuremberg [c'] est celui de l'homme blanc, que les chambres à gaz n'ont jamais existé, elles sont tout droit sorties du néant ». Ces individus, parfois apparentés au mouvement skinhead nazi, sont ultra-minoritaires et guère médiatisés, et ce sont surtout leurs frasques violentes qui les mettent en lumière, comme en Angleterre avec le paki bashing, ou encore dans certaines tribunes de supporters de football dites ultras.

Du fait de l'ampleur inédite de ses crimes, le IIIe Reich est reconnu aujourd'hui comme l'un des épisodes les plus noirs et les plus traumatisants de l'histoire de l'Allemagne et de celle de l'humanité. Ses emblèmes et son apologie sont interdits dans la plupart des pays occidentaux. Certains ont aussi adopté des lois contre les négateurs de ses crimes contre l'humanité, comme en France, en Autriche ou en Allemagne même. Sans équivalents même dans l'URSS stalinienne, sa « violence congénitale », son idéologie raciste et ses volontés expansionnistes et génocidaires, et surtout la spécificité radicale amplement établie de la Shoah, singularisent communément le IIIe Reich comme un régime intrinsèquement criminel. Il pose de ce fait à l'historiographie mais aussi à la conscience universelle des angoisses et des interrogations jamais totalement résolues.

Seconde Guerre mondiale

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Conflit planétaire qui, de 1939 à 1945, opposa les puissances démocratiques alliées (Pologne, Grande-Bretagne et pays du Commonwealth, France, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Belgique, Yougoslavie, Grèce, puis URSS, États-Unis, Chine, et la plupart des pays de l'Amérique latine) aux puissances totalitaires de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon et leurs satellites, Hongrie, Slovaquie, etc.).

Joseph Staline, Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill

Joseph Staline, Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill

La Seconde Guerre mondiale, qui coûta la vie de plus de 40 millions de personnes, a duré six ans, du 1er septembre 1939, date de l'agression allemande contre la Pologne, au 2 septembre 1945, jour où le Japon capitula. Circonscrite à l'origine à l'Europe, elle devient véritablement mondiale avec l'entrée dans la guerre, en 1941, de l'URSS, du Japon et des États-Unis.Le nombre des belligérants, la nature et la puissance des moyens mis en œuvre, le caractère idéologique du conflit donneront plus d'ampleur encore à cet affrontement qu'à celui de 1914-1918. On y distinguera deux immenses théâtres d'opérations. Le premier, centré sur l'Europe, va de l'Atlantique inclus à la Volga et de l'océan Arctique à l'Afrique équatoriale ; le second, axé sur le Japon, englobe le Pacifique, l'Inde, la Chine et le Sud-Est asiatique. En dehors de quelques États d'Amérique latine et de quelques îlots européens (Espagne, Portugal, Suède, Suisse), toutes les nations du monde et leurs dépendances entreront peu à peu dans la guerre. Si quelques « têtes » dominent particulièrement ce conflit (→ Churchill, Hitler, Roosevelt, Staline), ils le doivent évidemment à leur forte personnalité, mais aussi à l'importance des ressources humaines, économiques, scientifiques et techniques que leur pays mettra à leur disposition.

Les historiens s'accordent à discerner deux parties dans le déroulement de cette guerre. La première, qui s'étend jusqu'à la fin de 1942, est marquée par le flux conquérant des puissances de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon). Un terme y sera mis dans le Pacifique par l'échec naval japonais de l'archipel des Midway, en Afrique par la bataille d'El-Alamein et le débarquement allié au Maroc et en Algérie, en URSS par le désastre de la Wehrmacht à Stalingrad. Dans une seconde partie, les Alliés reprennent l'initiative et la direction du conflit, puis, refoulant systématiquement le Japon dans le Pacifique et débarquant en Europe, contraindront d'abord l'Italie (1943), puis l'Allemagne et le Japon (1945) à la capitulation.

À l'issue de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles de 1919 a été considéré par l’Allemagne comme un diktat, qui la condamne à reconnaître sa responsabilité unilatérale dans le déclenchement de la guerre, à payer au titre de « réparations » pour les dommages causés aux personnes et aux biens (une somme qui implique des versements échelonnés jusqu'en 1988), à subir des amputations de territoires à l'est et une limitation de sa souveraineté à l'ouest (démilitarisation de la Rhénanie). Mais on ne peut imputer aux seuls excès du traité la responsabilité de cette nouvelle guerre. Sans doute, l'épuisement économique et démographique des vainqueurs de 1918, leurs divisions (et notamment la crainte de l'Angleterre de voir la France trop puissante), l'éclatement de l'Europe danubienne en de nouveaux États aux frontières contestables et contestées, l'impuissance d'une Société des Nations (SDN) imposée mais aussitôt refusée par les États-Unis, la crise économique mondiale de 1929, enfin, constitueront autant de facteurs accentuant la fragilité du nouvel équilibre international.

Hitler AdolfIl n'empêche que c'est d'abord à l'Allemagne d'Adolf Hitler qu'appartient la responsabilité fondamentale de ce conflit. Soulevé par la mystique du national-socialisme, Hitler est installé en 1933 au pouvoir par le président Hindenburg dans un pays rongé par le chômage et les conséquences économiques et sociales d'une inflation catastrophique. Son objectif est d'effacer le diktat de Versailles et d'assurer à l'Allemagne l'« espace vital » nécessaire à son expansion démographique : le réarmement va donc lui servir à la fois à préparer les conditions d'un changement politique et à remédier à la crise.

Quelques années plus tard commencera la folle aventure de ses coups de force, auxquels la faiblesse et les illusions de l'Angleterre et de la France ne répondront que par autant de renoncements. En particulier, leur absence de riposte à la réoccupation de la rive gauche du Rhin par la Wehrmacht – en violation du traité de Versailles –, le 7 mars 1936 retirait aux démocraties occidentales tout moyen de coercition à l'égard de l'Allemagne nazie.

Le rapprochement de Mussolini vers l'Allemagne nazie

En Italie, Mussolini a pris le pouvoir dès 1922, dans un pays qui s'estime lésé par les traités de 1919 et de 1920 : les accords avec l'Autriche-Hongrie et la Yougoslavie ne répondent pas aux promesses faites par les Alliés le 26 avril 1915 (traité de Londres), lorsqu'ils avaient détaché l'Italie de la Triplice. Pourtant, lors de la conférence de Stresa (avril 1935), Mussolini conclut avec la Grande-Bretagne et la France une entente qui stipule que les trois pays s'opposeront à toute modification des traités. Mais, contré par la Grande-Bretagne et la France lors de l'affaire éthiopienne (→ campagnes d'Éthiopie, octobre 1935), Mussolini se rapproche de Hitler et dénonce les accords de Stresa.

L'expansionnisme nippon

Au même moment s'affirmaient en Extrême-Orient les visées expansionnistes de l'empire japonais. Ayant imposé son protectorat à la Mandchourie, occupé la province chinoise de Jehol et quitté la SDN (1933), le Japon entre en 1937 en guerre avec la Chine ; il occupe rapidement Shanghai, Nankin et les principaux ports du Sud-Est (1939), refoulant à Chongqing Tchang Kaï-chek. L'extension de l'influence nippone dans le Pacifique ne provoque aucune réaction des États-Unis, alors entièrement absorbés par le redressement de leur économie et qui n'interviendront pratiquemen pas dans la crise internationale d'où sortira la Seconde Guerre mondiale.

Mais c'est dans la vieille Europe que les exigences démesurées du dictateur allemand, encouragé par la démission des démocraties occidentales, allumeront le conflit. Après s'être habilement assuré à l'automne de 1936 du soutien politique du Japon par la signature du → pacte Antikomintern, dirigé contre l'URSS, et de l'alliance de l'Italie fasciste par la constitution de l'Axe Berlin-Rome, Hitler annexe l'Autriche en mars 1938 (Anschluss). La guerre est évitée de justesse par les accords de Munich (septembre), qui, en acceptant l'incorporation au Reich du territoire des Sudètes, amorcent le démembrement de la Tchécoslovaquie. Dès mars 1939, ces accords sont violés par Hitler, dont les troupes entrent à Prague, tandis que Mussolini, un mois plus tard, annexe l'Albanie, puis signe avec Hitler le 22 mai 1939 le pacte d'Acier (→ traité de Berlin), qui enchaîne inconditionnellement l'Italie à l'Allemagne.

Cette fois, Paris et Londres décident enfin de résister. Aussi, quand Berlin somme brusquement Varsovie, le 25 mars 1939, de soumettre à un aménagement le statut de Dantzig et du corridor (→ Gdańsk), Londres prépare-t-il avec diligence un traité d'alliance avec la Pologne, et Paris confirme le sien. Les deux capitales étendent leurs garanties à la Roumanie et à la Grèce le 13 avril. Un accord semblable est conclu entre la Grande-Bretagne, la France et la Turquie, le 19 octobre, après la cession à Ankara du sandjak d'Alexandrette (aujourd'hui Iskenderun), détaché de la Syrie alors sous protectorat français.

Le pacte germano-soviétique

À l'approche de l'été de 1939, la seule inconnue qui demeure dans les données initiales d'un conflit désormais inéluctable est l'attitude de l'URSS. Sans doute la France et l'Angleterre espèrent-elles encore que l'inconnue de Moscou empêchera Berlin de se lancer dans une guerre générale. Le 11 août, une mission militaire franco-britannique est dépêchée en URSS pour tenter d'obtenir l'appui de l'Armée rouge contre les nouveaux appétits de l'Allemagne nazie. Aussi est-ce avec stupeur que Paris et Londres apprennent la signature dans la nuit du 23 au 24 août 1939 d'un pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, dont la négociation avait été tenue rigoureusement secrète (→ pacte germano-soviétique).

Les grandes purges qui, de 1936 à 1938, avaient bouleversé le monde soviétique, décimé les cadres de l'État et du parti et décapité l'Armée rouge de son haut commandement avaient sans doute mis l'URSS hors d'état d'intervenir en Europe. En changeant son ministre des Affaires étrangères (Molotov remplace Litvinov), Staline prenait le parti d'éloigner la guerre de son pays au prix d'une aide politique, économique et militaire à l'Allemagne, mais aussi en échange de substantiels profits : l'annexion de la Pologne orientale, des pays Baltes et de la Bessarabie était prévue par une annexe secrète au pacte du 23 août.

L'invasion de la Pologne

Ayant chassé le spectre de toute menace à l'est, Hitler a désormais les mains libres pour réaliser le Grand Reich. Dès le 29 août 1939, il lance à la Pologne un ultimatum inacceptable et, à l'aube du 1er septembre, la Wehrmacht franchit sans déclaration de guerre la frontière germano-polonaise. Cette fois, Hitler ne peut ignorer qu'il va se heurter à la résistance des alliés occidentaux : le 25 août, la Grande-Bretagne avait garanti publiquement et inconditionnellement les frontières de la Pologne. Aussi, après l'échec des derniers appels à la paix du pape Pie XII et du président Roosevelt, Hitler refusant de retirer ses troupes de Pologne, la Grande-Bretagne (bientôt suivie par les dominions) et la France déclarent-elles le 3 septembre 1939 la guerre à l'Allemagne. Arguant de sa faiblesse militaire, l'Italie demeure provisoirement « non belligérante », tandis que les États-Unis proclament leur neutralité armée, confirmée le 3 octobre par la déclaration de neutralité des républiques latino-américaines.

Presque aussi timoré que ses homologues alliés, l'état-major allemand s'est vu imposer par Hitler l'audacieuse doctrine de la guerre éclair menée par le couple char-avion, expérimentée de 1936 à 1939 lors de la guerre civile d'Espagne et des invasions de l'Autriche et de la Tchécoslovaquie. La Pologne disposait aux ordres du maréchal Rydz-Śmigłi d'une vingtaine de divisions et de 10 brigades de cavalerie soutenues par 447 avions et 280 chars anciens. La Wehrmacht attaque concentriquement, à partir de la Prusse-Orientale, de la Silésie et de la Slovaquie avec 63 divisions, dont 7 Panzer, soit environ 2 000 blindés et près de 2 000 avions. Surprise en cours de mobilisation, mal déployée, l'armée polonaise, bousculée et rapidement tronçonnée, résiste jusqu'au 27 septembre. Dix jours avant, elle a reçu le coup de grâce : alors que Varsovie venait d'être investie, les forces soviétiques, conformément aux accords du 23 août, franchissaient la frontière orientale polonaise et marchaient à la rencontre de la Wehrmacht.

Conquise en vingt-six jours, la Pologne est, le 28 septembre à Moscou, l'objet d'un quatrième partage. Il fixe la ligne du Bug comme frontière germano-soviétique, en échange de quoi l'URSS obtient de s'installer dans les États baltes, y compris en Lituanie. Quant à l'Allemagne, elle annexe Memel, Dantzig et son corridor (→ Gdańsk), la Posnanie et la Silésie polonaise. Les régions de Varsovie et de Cracovie, où est concentrée la population, forment un Gouvernement général placé sous administration allemande : le terme même de Pologne a disparu. Pour en savoir plus, voir l'article campagnes de Pologne.

« Drôle de guerre » à l'ouest

Sur le front français, les opérations sont très limitées durant l'hiver 1939-1940. Sur mer, elles sont marquées par le torpillage du cuirassé anglais Royal Oak dans la rade de Scapa Flow (14 octobre) et le sabordage du cuirassé allemand Graf von Spee devant Montevideo (17 décembre) ; la Kriegsmarine (marine de guerre) ne dispose alors que de 22 sous-marins de haute mer, et la guerre sous-marine n'en est qu'à ses débuts. Les gouvernements alliés se sont organisés pour la guerre. À Londres, Churchill prend la tête de l'amirauté, et Eden devient ministre des dominions ; à Paris, Daladier, déjà président du Conseil et ministre de la Défense nationale, s'approprie les Affaires étrangères et dissout les organisations communistes qui, à l'image de Moscou, condamnent la guerre. Il obtient les pleins pouvoirs du Parlement, tandis que le général Gamelin est reconnu généralissime du front occidental.

La stratégie demeure défensive à l'abri de la ligne Maginot et se cantonne dans un blocus dont les Alliés attendent la décision ou au moins le temps nécessaire pour réduire le retard de leurs armements. Les forces allemandes sont supérieures à celles des Alliés dans tous les domaines, sauf la Marine : 127 divisions terrestres contre un peu plus d'une centaine ; 5 200 avions contre 1 200 pour la France et 1 700 pour la Royal Air Force ; 3 croiseurs et 3 cuirassés contre 3 croiseurs et 10 cuirassés britanniques, et une vingtaine de croiseurs lourds et 3 cuirassés à la France. Le nombre des sous-marins allemands n'est pas supérieur à celui des Français : 120 contre 130.

Une offre de paix de Hitler (6 octobre) est repoussée, comme la médiation du roi Léopold III de Belgique, et de la reine Wilhelmine des Pays-Bas. Au printemps de 1940, un voyage d'information en Europe du secrétaire d'État adjoint américain Sumner Welles, révèle l'impossibilité d'un compromis.

Campagne de Finlande (30 novembre 1939-12 mars 1940)

Au même moment, les états-majors alliés envisagent, pour parfaire le blocus, des actions aériennes périphériques sur les pétroles roumains comme sur les mines de fer scandinaves. Ces projets prennent corps au moment où l'URSS attaque la Finlande (30 novembre), ce qui lui vaut d'être exclue de la Société des Nations (SDN). La résistance de l'armée finnoise étonne le monde jusqu'en février 1940, date où les Russes finissent par forcer la ligne Mannerheim, qui barre l'isthme de Carélie. Par le traité de Moscou du 12 mars 1940, l'URSS annexe la Carélie finlandaise et s'empare de la presqu'île de Hanko (Hangö en suédois).

Occupation du Danemark, campagne de Norvège (avril-mai 1940)

Le 16 février 1940, le cargo allemand Altmark est arraisonné dans les eaux norvégiennes par un destroyer anglais, et, le 8 avril, les Alliés annoncent le minage des eaux territoriales de la Norvège pour empêcher le Reich de se ravitailler par Narvik en minerai de fer suédois. Dès le lendemain, Hitler devance ces projets en occupant le Danemark et en envahissant la Norvège. Les Alliés répondent en débarquant au nord et au sud de Narvik du 13 au 20 avril. La flotte anglaise attaque ce port avec succès, mais la supériorité de la Luftwaffe (armée de l'air) contraint les Alliés à concentrer dans cette seule région leur action terrestre : la prise de Narvik le 28 mai par les Français de Béthouart ne sera qu'un succès éphémère, précédant de peu le rembarquement des troupes alliées imposé par l'offensive allemande sur la France.

Par cette nouvelle victoire, Hitler s'assure aussi bien les portes de la Baltique que la côte norvégienne et contrôle ainsi les débouchés vers l'ouest de l'économie suédoise. Dès le 9 avril, un gouvernement Quisling, aux ordres des Allemands, a été installé à Oslo, forçant le roi de Norvège Haakon VII à gagner l'Angleterre (juin). Au Danemark, le roi Christian X décide de demeurer avec son peuple, mais l'Islande, où débarquent les troupes anglaises (10 mai 1940), puis américaines (7 juillet 1941), proclame son désir de dénoncer son union avec le Danemark.

Guerre éclair aux Pays-Bas, en Belgique et en France

La guerre éclair en Europe et l'avance des troupes de l'Axe vers Stalingrad et le CaucaseLa guerre éclair en Europe et l'avance des troupes de l'Axe vers Stalingrad et le Caucase. Le remplacement de Daladier par Reynaud à la tête du gouvernement français le 22 mars 1940 accentue l'engagement de la France dans la guerre : le 28, elle signe avec l'Angleterre une déclaration où les deux nations s'interdisent de conclure toute paix séparée.

La débâcle

Le 10 mai, la Wehrmacht envahit les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Entre le 10 et le 12 mai, le front français est percé sur la Meuse ; le 14, tandis que l'armée néerlandaise dépose les armes, les Allemands percent de nouveau le front français près de Sedan (→ percée de Sedan) et, par la brèche ainsi ouverte entre Sedan et Namur, les divisions allemandes foncent en direction de l'Oise et de la Somme. Le 27, remontant vers le nord, les Allemands atteignent Calais et encerclent les forces franco-britanniques, qui sont mises hors de combat ; le 28, tandis que les franco-britanniques évacuent Dunkerque dans des conditions dramatiques, l'armée belge, à son tour, capitule. L'avance allemande a jeté sur les routes civils et militaires en un exode qui désorganise les communications et rend impossibles les manœuvres de rétablissement du commandement allié.

Cet enchaînement de catastrophes pose au gouvernement français de redoutables problèmes politiques, au moment où, le 10 juin, l'Italie lui déclare la guerre. Le 11, au Conseil suprême interallié de Briare, le général Weygand (successeur de Gamelin et soutenu par Pétain), que Paul Reynaud a appelé le 18 mai dans son gouvernement, évoque à mots couverts la possibilité d'un armistice, tandis que l'amiral Darlan s'engage, vis-à-vis de Churchill, à ce que la flotte française ne tombe jamais aux mains de l'Allemagne.

L'armistice

L'avance de la Wehrmacht se poursuit, et Reynaud, qui préconisait la continuation de la lutte en Afrique du Nord, démissionne le 16 juin. Appelé par le président Lebrun, Pétain lui succède comme chef du gouvernement et demande aussitôt l'armistice : il est signé le 22 juin à Rethondes avec l'Allemagne et le 24 à Rome avec l'Italie. La défaite française est à l'époque une énorme surprise, d'autant que les forces en présence n’étaient pas disproportionnées. Elle s'explique, entre autres, par l'incapacité du commandement, qui s'est cantonné dans la conception d'une guerre défensive et qui n'a su ni prévoir ni parer une attaque utilisant massivement les forces combinées de l'aviation et des blindés (les Français n'avaient que 3 divisions blindées à opposer aux 12 Panzerdivisionen allemandes).

Les clauses de l'armistice, qui, jusqu'à sa libération en 1944, vont peser sur la France, sont particulièrement sévères. Son gouvernement perd en effet le contrôle des trois cinquièmes du territoire national – soit toute la région nord-est du pays, Paris, la Bretagne et une bande côtière allant jusqu'à la frontière espagnole – qui seront occupés par l'Allemagne. Il est convenu que les deux millions de prisonniers le resteront jusqu'à la paix, et que la France paiera l'entretien des troupes d'occupation allemandes. Elle conserve toutefois son Empire colonial, sa marine (à peu près intacte), une armée de 100 000 hommes et une zone non occupée où, le 2 juillet, Pétain installe à Vichy son gouvernement (→ gouvernement de Vichy).

L'appel du 18 juin 1940

Le jour même où le vieux maréchal demande l'armistice, le 17 juin, le général de Gaulle, membre depuis le 5 juin du gouvernement de Paul Reynaud, rallie Londres et proclame le lendemain son refus de l'armistice et son appel à continuer la lutte aux côtés de l'Angleterre (→ appel du 18 juin). Tandis qu'ainsi naît la France libre, Pétain reçoit le 10 juillet de l'Assemblée nationale le pouvoir constituant et se proclame chef de l'État. Son autorité s'étend sur l'ensemble de l'Empire sauf l'Afrique-Équatoriale française, les établissements de l'Inde, Tahiti et la Nouvelle-Calédonie, qui, au cours de l'été, se rallient au général de Gaulle (→ État français).

L'Angleterre seule

La soudaineté inattendue de l'effondrement français ne pouvait manquer de bouleverser les rapports franco-anglais. Malgré les assurances réitérées de Darlan, Churchill, dans sa crainte de voir les bâtiments de la marine française utilisés par l'Allemagne, n'hésite pas à attaquer, le 3 juillet, ceux de Mers el-Kébir (où 1 300 marins trouvent la mort) et, le 8 juillet, le cuirassé Richelieu à Dakar, provoquant ainsi la rupture des relations diplomatiques entre Vichy et Londres. Ce manque de confiance et de sang-froid s'explique par l'isolement subit de la Grande-Bretagne, désormais seule en guerre contre une Allemagne qui apparaît invincible.

Hitler, pourtant, espérait encore amener son adversaire à composition, et, le 19 juillet, il lui fait au Reichstag une ostentatoire offre de paix. C'était compter sans la résolution de Churchill, Premier ministre depuis le 10 mai, et du peuple britannique, qui ont accueilli à Londres – ainsi promue capitale de la résistance au nazisme – les gouvernements tchèque, norvégien, néerlandais, belge et polonais. De Gaulle, qui a échoué dans sa tentative de ralliement de Dakar à la France libre (23 septembre), constitue également à Londres, le 27 octobre, un Conseil de défense de l'Empire français.

La bataille d'Angleterre

C'est alors que commence la fameuse bataille d'Angleterre, dont le succès eût sans doute consacré pour de longues années la victoire allemande. Occupant toutes les côtes de Narvik (Norvège) à Hendaye, Hitler se trouve dans une position exceptionnelle pour conquérir l'Angleterre. L'offensive aérienne déclenchée le 10 août par la Luftwaffe sur la Grande-Bretagne se heurte toutefois à une telle réaction de la Royal Air Force qu'à la mi-octobre Hitler renonce à l'opération et par là même au débarquement qui devait la suivre.

Pour les Anglais, la menace la plus immédiate se trouve ainsi écartée. Au cours de l'automne, sans renier de Gaulle ni le mouvement de la France libre, Churchill reprend secrètement contact avec Vichy. Les accords Chevalier-Halifax établissent un modus vivendi entre les deux pays : Pétain renonce à reconquérir les territoires français ralliés à de Gaulle et renouvelle ses assurances sur la flotte, mais Churchill s'engage en contrepartie à ne plus rien tenter contre les autres possessions françaises et à ne pas s'opposer aux relations maritimes entre celles-ci et la métropole.

L'effort de guerre britannique

En cette période dramatique, la chance de l'Angleterre est d'avoir à sa tête Winston Churchill, qui incarnera, durant ces six années, la résistance au nazisme. Excentrique, autoritaire, d'un courage indomptable, il est le chef incontesté de la stratégie comme de l'effort de guerre britannique, auquel le Commonwealth est directement associé (les Premiers ministres des dominions font partie du cabinet de guerre britannique).

Dans l'immédiat, c'est de soldats que la Grande-Bretagne a le plus besoin. En dehors de ceux qu'elle a rembarqués à Dunkerque, Churchill ne dispose que de 30 000 à 40 000 hommes en Afrique. Aussi l'apport des dominions, dont les armées sont en 1940 quasi inexistantes, sera-t-il essentiel. Malgré la tiédeur des Canadiens français, le Premier ministre Mackenzie King parviendra à mobiliser au Canada tous les hommes de 21 à 24 ans. L'Australie et la Nouvelle-Zélande fourniront 5 divisions, qui arriveront juste à temps en Égypte à la fin de 1940. L'Afrique du Sud est, elle aussi, en guerre, mais il est entendu que ses troupes ne serviront pas hors d'Afrique. En Inde, les partis nationalistes (→ Congrès et Ligue musulmane) cherchent à monnayer leur appui contre un statut de dominion et donc l'indépendance. Le refus de Churchill, attaché à l'Empire colonial britannique, freinera l'emploi de cet immense réservoir d'hommes. Huit divisions indiennes seront envoyées en Égypte à partir de février 1941, mais l'Angleterre devra laisser des troupes en Inde pour y maintenir l'ordre.

C'est évidemment à la Grande-Bretagne elle-même qu'il revient de fournir le plus gros effort. Plus mal préparée encore que la France (en 1938, 7 % seulement de son revenu sont consacrés au réarmement), elle ne réquisitionne sa flotte marchande qu'en janvier 1940, et, cinq mois plus tard, a encore un million de chômeurs. Un an après, 40 % de la population active (dont les femmes de 20 à 30 ans) sont mobilisés dans l'armée ou l'industrie. La production monte aussitôt (626 chars par mois en 1941, 717 en 1942), mais plafonne rapidement (2 000 avions par mois contre 2 300 prévus en 1942). Les résultats atteints resteront considérables jusqu'à la fin de la guerre grâce à l'esprit civique des Anglais, à une inflation jugulée au prix d'une baisse du niveau de vie de 14 % par rapport à 1938 et d'un gros effort de justice sociale : le plan Beveridge de 1942 pour l'assurance nationale sera, après 1945, le modèle des systèmes de sécurité sociale.

Dès la fin de l'été de 1940, le président Roosevelt, en avance sur l'opinion publique américaine, oriente sa politique vers un appui de la Grande-Bretagne. Passés le 2 septembre de l'état de neutralité à celui de non-belligérance, les États-Unis prêtent 50 destroyers aux Anglais en échange de la location de leurs bases de Terre-Neuve, des Antilles et de Guyane. Le 16 septembre, ils adoptent le service militaire obligatoire. La loi du prêt-bail du 11 mars 1941 ouvre à l'Angleterre un crédit financier illimité.

La guerre en Afrique et au Moyen-Orient

Après l'élimination militaire de la France, c'est en Libye que se situe le seul front terrestre de la guerre. En septembre 1940, les forces italiennes – 200 000 hommes aux ordres de Graziani – attaquent la petite armée britannique d'Égypte (36 000 hommes commandés par Wavell). Après leur éphémère succès de Sidi-Barrani, les Italiens sont refoulés au-delà de Benghazi par une vigoureuse contre-attaque de Wavell (décembre 1940-février 1941). C'est alors que Hitler, inquiet de la défaillance italienne, envoie en Libye Rommel et deux divisions blindées (Afrikakorps) qui, en avril 1941, reconquièrent la Cyrénaïque et assiègent Tobrouk, dont la garnison restera investie jusqu'au 27 novembre. Ce succès allemand ne compensera pourtant pas la perte par les Italiens de leur Empire d'Afrique orientale, totalement conquis par les Britanniques : le 10 avril 1941, ceux-ci occupent Addis-Abeba en Éthiopie, où rentrera le négus Hailé Sélassié, tandis que le duc d'Aoste, vice-roi d'Éthiopie, devra capituler le 19 mai à Amba Alagi.

Au même moment éclate en Iraq un soulèvement dirigé contre la Grande-Bretagne par Rachid Ali. Pour l'appuyer, le Führer exige de Vichy, au cours de son entrevue avec Darlan le 12 mai 1941, l'usage, pour la Luftwaffe, des aérodromes français du Levant. Mais les Anglais étouffent la révolte et, avec le concours d'un contingent des forces françaises libres du général Catroux, attaquent le 8 juin les troupes françaises de Syrie aux ordres du général Dentz, fidèle au maréchal Pétain. Celles-ci résisteront énergiquement durant un mois, puis cesseront le combat et négocieront avec les Britanniques à Saint-Jean-d'Acre un armistice et leur rapatriement en France (14 juillet 1941).

L'instauration du nouvel ordre européen

Ayant les mains libres à l'ouest, Hitler peut entamer la construction de la nouvelle Europe destinée à remplacer l'édifice périmé mis en place par le traité de Versailles. Pour accentuer l'isolement de l'Angleterre, il tente vainement d'entraîner dans la guerre l'Espagne de Franco. Mais le Caudillo, qu'il voit à Hendaye le 23 octobre 1940, fait la sourde oreille. À son retour, le 24, Hitler rencontre Pétain à Montoire, où est évoquée en présence de Laval la possibilité d'une collaboration entre la France de Vichy et le IIIe Reich. Cette entrevue n'apporte aucun changement au dur régime de l'Occupation et notamment au fardeau que représente pour la France l'indemnité de 400 millions de francs par jour qui permet au Reich d'« acheter l'économie française avec l'argent des Français ». La Belgique et la Hollande connaissent le régime de l'administration allemande directe ; les vrais « collaborateurs » du type norvégien de Quisling se font rares.

C'est en Europe centrale et orientale que s'ébauche la nouvelle Europe, qui se présente d'abord comme un compromis germano-soviétique. Dans le cadre du pacte du 23 août 1939, l'URSS annexe en août 1940 les pays Baltes, la Bessarabie et la Bucovine roumaines. Il n'y a plus d'État polonais. La Slovaquie « indépendante » de Monseigneur Tiso est dominée par l'Allemagne, qui contrôle directement le protectorat de Bohême et de Moravie. Le 29 août 1940, Hitler rend à Vienne une sentence arbitrale qui achève de dépouiller la Roumanie en donnant à la Bulgarie la Dobroudja méridionale, à la Hongrie les deux tiers de la Transylvanie et en faisant occuper par la Wehrmacht ce qui restait de ce malheureux pays.

Ce nouvel ordre est consacré par la signature à Berlin le 27 septembre 1940 du pacte tripartite – Allemagne, Italie, Japon – dirigé contre la Grande-Bretagne et les États-Unis et auquel les États satellites du Reich sont invités à adhérer, recevant en retour le « bienfait » de la protection et de l'occupation allemandes. Deux principes guident l'administration de l'Europe conquise : elle doit nourrir l'effort de guerre, en fournissant hommes et produits ; elle doit préparer l'avènement d'un nouvel ordre européen. Dans cette « Nouvelle Europe », dominée par l'Allemagne, la position de chaque peuple sera déterminée par sa place sur l'échelle des races établie par la doctrine hitlérienne : les peuples de langue germanique seront associés au Reich, les Latins maintenus dans une position subordonnée, les Slaves déportés ou anéantis, afin de permettre l'expansion allemande vers l'est, de même que les Juifs. Les difficultés de l'arbitrage entre ces deux impératifs expliquent la diversité des formes de l'Occupation nazie. Quatre types principaux d'administration des territoires soumis se dégagent :

 

  • La Pologne occidentale, l'Alsace, la Moselle, la Slovénie, le Luxembourg sont annexés et germanisés. Une partie des populations non germaniques est expulsée, la mise en valeur des terres devenues vacantes est confiée à des colons allemands. L'administration échoit à des fonctionnaires venus du Reich. La loi du Reich et l'usage de la langue allemande sont imposés.
  • Le reste de la Pologne et les territoires pris sur l'URSS sont administrés directement par l'État allemand : soumis à un pillage en règle, ils seront le cadre d'une exploitation sans pitié des populations locales. Les déclarations de Himmler aux chefs SS en 1943 illustrent l'esprit de cette occupation : « Peu m'importe que 10 000 femmes russes meurent pour creuser un fossé antichar si le fossé est creusé. ».
  • Le nord de la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique sont également placés sous administration allemande, soit pour préparer leur annexion, soit parce que les nazis n'ont pu y recruter de collaborateurs locaux qui les satisfassent. L'exploitation y est cependant moins brutale, même si les opposants et les Juifs sont impitoyablement pourchassés.
  • Plusieurs pays, dont la France de Pétain, la Serbie de Nedić, la Slovaquie de Tiso, conservent une administration nationale. Leur situation n'est cependant pas très éloignée de la précédente, à cette différence que l'existence d'un gouvernement propre légitime leur exploitation. Le sort des alliés de l'Allemagne – Hongrie, Roumanie, Bulgarie, voire Italie – se rapprochera de plus en plus de celui de ces pays, au fil des difficultés rencontrées par l'Axe.


De l'alliance à la guerre germano-soviétique

Le pacte germano-soviétique de 1939 fut suivi de l'accord commercial du 11 février 1940, qui, pour Berlin, atténua de façon importante les effets du blocus britannique. Les Allemands obtiennent de payer en 27 mois ce qu'ils reçoivent en 18 : cuivre, nickel, tungstène, céréales, coton et produits pétroliers ; l'URSS accorde une réduction de tarif de 50 % aux marchandises transitant par le Transsibérien. Tandis que les services de propagande nazis et soviétiques continuaient à converger contre l'impérialisme anglais, de sérieuses divergences se manifestaient lors de la venue en novembre 1940 de Molotov à Berlin. En offrant à Moscou l'Iran et l'Inde, Hitler tente de diriger vers l'Orient la politique soviétique, mais Staline entend affirmer sa position en Europe et exige la révision du régime des détroits turcs des Dardanelles et des détroits danois. Ces prétentions confirment Hitler dans sa volonté d'abattre l'URSS : il prescrit à son état-major d'accélérer le plan Barbarossa d'attaque contre la Russie, lequel, confié au général Paulus, est adopté le 5 décembre 1940. L'attaque est fixée au printemps suivant, mais la décision en reste secrète, et, jusqu'au dernier jour, des trains soviétiques alimenteront largement l'économie allemande.

Pendant ce temps, la diplomatie de Berlin s'efforce d'isoler l'URSS : des avantages économiques sont concédés à la Finlande, un pacte d'amitié est négocié avec la Turquie (il sera signé le 18 juin 1941), et c'est sans doute pour tenter un compromis avec Londres que Rudolf Hess s'envole pour l'Écosse le 10 mai 1941. Le déclenchement de l'agression contre l'URSS exige que l'Allemagne ait préalablement éliminé toute difficulté pouvant surgir des Balkans. Or, Mussolini, refusant le rôle de parent pauvre de la nouvelle Europe, avait décidé, sans en avertir Hitler, de conquérir la Grèce. Le 28 octobre 1940, les troupes italiennes passent à l'attaque, mais les forces grecques, refoulant leurs agresseurs, occupent bientôt le tiers de l'Albanie ; les Anglais décident alors d'appuyer la Grèce, où ils débarquent des troupes en mars 1941. Parallèlement, des éléments antiallemands commencent à s'agiter à Belgrade.

Hitler décide alors d'intervenir : huit jours après qu'un coup d'État chassant le régent Paul de Yougoslavie a porté au pouvoir le roi Pierre II, la Wehrmacht envahit brutalement le 6 avril 1941 la Yougoslavie et la Grèce. Dès le 17, les forces yougoslaves doivent capituler, et, le 27 avril, les Allemands entrent à Athènes, chassant de Grèce les unités britanniques ; celles-ci rembarquent au début de mai en direction de l'Égypte, où se réfugie le roi Georges II. Du 20 au 30 mai, les parachutistes allemands du général Student conquièrent la Crète.

Ce nouveau succès de la guerre éclair, auquel se sont associées la Bulgarie et la Hongrie, entraîne l'éclatement de la Yougoslavie. La Slovénie est partagée entre l'Allemagne et l'Italie, qui crée une Croatie « indépendante » dont un prince italien est proclamé roi. La Bulgarie reçoit la majeure partie de la Macédoine et de la Thrace, tandis que le Monténégro reconstitué est soumis à l'Italie. Le retard apporté par ces opérations au déclenchement de l'attaque allemande contre l'URSS sera lourd de conséquences.

L'invasion de l'Union soviétique

Quelques heures après le franchissement de la frontière soviétique par la Wehrmacht, l'ambassadeur de Staline à Berlin est informé de l'ouverture des hostilités, tandis que Hitler proclame par radio sa « volonté » d'assurer la sécurité de l'Europe… et de « sauver le monde ». Appuyées par 2 000 avions et secondées par 50 divisions « alliées » (finlandaises, roumaines, italiennes, hongroises), 145 divisions allemandes, dont 19 blindées (3 300 chars), articulées du nord au sud dans les trois groupes d'armées de Leeb, Bock et Rundstedt, se lancent à l'assaut de l'URSS. L'Armée rouge compte 140 divisions, dont 24 de cavalerie à cheval et 40 brigades blindées réparties en quatre grands fronts aux ordres de Vorochilov, Timochenko, Boudennyï et Meretskov.

Malgré les avertissements des Américains et des Anglais, et les multiples violations aériennes du territoire russe par la Luftwaffe, il semble bien que Staline se soit laissé surprendre. Tandis que Leeb conquiert les Pays baltes et marche sur Leningrad, investie le 8 septembre, Bock gagne la grande bataille pour Smolensk (8 juillet-5 août). Mais, contre l'avis de son état-major, qui voulait centrer tout son effort sur l'axe Smolensk-Moscou, Hitler envoie Rundstedt conquérir l'Ukraine. Ses troupes sont à la fin d'août sur la ligne Jitomir-Ouman-Odessa et livrent avec les groupements blindés Kleist et Guderian une nouvelle bataille d'encerclement du 13 au 26 septembre autour de Kiev. Ce n'est qu'au début d'octobre, après la prise de Viazma et d'Orel, que les chars allemands de Guderian sont rameutés sur Toula et Moscou. Le 1er novembre, les avant-gardes allemandes atteignent Mojaïsk, à 90 km de Moscou. Le 5 décembre, elles sont à 22 km au nord de la capitale, dont Hitler et le monde entier attendent la chute avant Noël.

Mais, le 6 décembre, une brutale contre-offensive soviétique dirigée par Joukov dégage Toula, reconquiert Kline et Kalinine, sauve Moscou et bloque définitivement la Wehrmacht, à bout de souffle et incapable de tenir tête aux rigueurs d'un hiver où le thermomètre descend jusqu'à −50 °C. Ce premier et retentissant échec de la guerre éclair entraîne dans la Wehrmacht une grave crise. Le Führer chasse plusieurs chefs de l'armée (Brauchitsch, Rundstedt et Guderian) et assume désormais directement le commandement des forces terrestres. Alors que Hitler se lançait dans une aventure qui scellera sa perte, Staline bénéficiait aussitôt de l'assistance des alliés occidentaux. Le 10 juillet 1941, Churchill s'engage à ne conclure avec l'Allemagne aucun armistice ni paix séparée. Roosevelt décide en septembre de faire bénéficier l'URSS de la loi du prêt-bail : elle recevra de 1942 à 1945 du matériel de guerre américain dont la valeur s'élèvera à 11 milliards de dollars.

En juillet 1941, les troupes américaines relèvent les Britanniques en Islande, et, le 14 août, Churchill et Roosevelt se rencontrent en mer ; ils proclament la charte de l'Atlantique, affirmant leur unité de vues sur les principes qui doivent guider le rétablissement d'une paix fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces principes seront réaffirmés le 1er janvier 1942 par la déclaration des Nations unies signée à Washington par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'URSS et vingt-trois pays en guerre avec l'Axe.

Japon et États-Unis : la rupture et l'entrée en guerre

Si les États-Unis s'engagent ainsi sur le théâtre occidental, leur vigilance est attirée plus encore en Extrême-Orient par l'attitude du Japon. En 1940, pour interdire les fournitures d'armes à Tchang Kaï-chek, Tokyo, profitant de la défaite française, avait imposé en juin la fermeture du chemin de fer du Yunnan et obtenu de l'Angleterre en juillet celle de la nouvelle route de Birmanie. Au moment de la signature du pacte tripartite avec l'Allemagne et l'Italie (septembre), le prince Konoe annonce un « ordre nouveau » en Extrême-Orient, qui, pour lui, comprend la Mandchourie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique (y compris l'Australie) et le Pacifique. La pression du Japon s'accroît sur l'Indochine française, qui doit accepter la présence de ses troupes, d'abord au Tonkin (juillet 1940), puis, après l'arbitrage imposé par Tokyo au conflit franco-thaïlandais, en Cochinchine (juillet 1941).

À cette attitude, Roosevelt répond d'abord par des mesures économiques, mettant l'embargo sur les expéditions américaines à destination du Japon (notamment le pétrole), puis bloque le 26 juillet 1941 les avoirs japonais aux États-Unis. Cependant, le Japon hésite encore à se lancer dans la guerre : au mois de mars, le ministre Matsuoka entreprend un voyage en Europe, où, après s'être arrêté à Rome et à Berlin, il signe, le 13 avril, à Moscou, un pacte d'amitié avec l'URSS. Mais, après l'échec de nouvelles négociations nippo-américaines (Hull-Nomura), le cabinet Konoe démissionne le 16 octobre 1941 et est remplacé par celui du général Tojo Hideki, qui personnifie le parti militaire, résolu à s'assurer par la force les richesses (pétrole, étain, caoutchouc) du Sud-Est asiatique.

Le 7 décembre 1941, la flotte combinée japonaise de l'amiral Yamamoto surprend et détruit en deux heures l'escadre américaine de Pearl Harbor (Hawaii). Le 8, le Japon déclare la guerre aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à ses dominions ; le 11, Berlin et Rome sont en guerre avec les États-Unis : le conflit est alors devenu mondial, à la seule et essentielle réserve près de la neutralité maintenue jusqu'en 1945 entre l'URSS et le Japon. Son principal adversaire étant provisoirement maîtrisé, l'état-major nippon, qui, seul, détient le pouvoir à Tokyo, lance aussitôt ses forces à l'attaque. Le 10 décembre 1941, elles torpillent deux grands bâtiments de la flotte britannique d'Extrême-Orient, le Prince of Wales et le Repulse ; à Noël, elles ont occupé la Thaïlande, Hongkong, débarqué aux Philippines, conquis Guam.

La vague déferle ensuite sur Bornéo, la Malaisie, les Célèbes, la Nouvelle-Bretagne et la Nouvelle-Guinée ; Singapour capitule le 15 février 1942. En mars, l'Indonésie et la Birmanie sont complètement conquises, puis c'est le tour des Philippines avec les capitulations de Bataan (9 avril) et de Corregidor (7 mai). Au début de l'été, une ultime avance pousse les Japonais aux îles Aléoutiennes (juin), dans les îles Salomon (Guadalcanal, 4 juillet) et en Nouvelle-Guinée (juillet-août). Leurs avions, qui ont bombardé l'Australie (février) et Ceylan (5 avril), attaquent maintenant l'Alaska et l'île canadienne de Vancouver (20 juin). Ainsi, le rêve des impérialistes nippons semble réalisé : en huit mois, Tokyo s'est rendu maître de la moitié du Pacifique et contrôle plus de 90 % de la production mondiale du caoutchouc, 75 % de celle de l'étain et une immense réserve de pétrole.

Dès le printemps de 1942, toutefois, la réaction des États-Unis se fait sentir, infligeant à la marée japonaise ses premiers coups d'arrêt par les deux victoires de la flotte américaine du Pacifique, commandée par l'amiral Nimitz dans la mer de Corail (4-8 mai) et aux îles Midway (4-5 juin). Mais c'est aux Salomon que l'état-major américain a décidé de constituer la base de sa contre-offensive : celle-ci débutera le 7 août par un débarquement de vive force à Guadalcanal, qui amorce le retournement de la situation stratégique en Extrême-Orient. À la fin de 1942, au moment où l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont atteint le zénith de leur puissance expansive, leurs forces subissent en Russie, en Afrique et dans le Pacifique des coups d'arrêt que l'avenir révélera décisifs. La victoire de l'armée soviétique devant Moscou est suivie dans les deux camps par une période de relative accalmie, mise à profit par l'URSS pour réorganiser ses armées et transférer de nombreuses usines de guerre en direction de l'Oural, en Sibérie et au Turkestan.

Le 5 avril 1942, Hitler fixe à la Wehrmacht les objectifs de sa prochaine offensive, qui visera la Volga, le Caucase et son pétrole. Retardée par une action de l'Armée rouge au sud de Kharkov (mai), elle débouche le 28 juin en direction de Voronej, pivot à la boucle du Donets, tandis que capitule Sébastopol après un siège de 250 jours. Le front russe est percé sur 500 km, et, après la chute de Rostov (23 juillet), les Allemands se lancent vers le Caucase, entrent à Maïkop, plantent le drapeau à croix gammée au sommet de l'Elbrous (21 août) ; ils sont bloqués dans la région du Terek à 120 km de la Caspienne, mais à 600 km de Bakou. Au même moment, la VIe armée (→ Paulus) franchit le Don à Kalatch, atteint la Volga (20 août) et conquiert du 1er au 15 septembre une grande partie de la ville de Stalingrad. Alors que Hitler croit tenir la victoire, débouche le 19 novembre la contre-offensive soviétique qui, encerclant l'armée de Paulus, la contraint à capituler le 2 février 1943.

Cette première grande défaite allemande a un énorme retentissement : toute une armée a été détruite après avoir perdu 250 000 hommes à cause de l'entêtement du Führer, ce qui a pour effet de dresser contre lui nombre de chefs militaires. L'Armée rouge a pris l'initiative des opérations ; elle ne l'abandonnera plus jusqu'à Berlin. En Libye, l'année 1942 marque également la dernière avance africaine des forces de l'Axe. Après son offensive de janvier, qui l'avait porté à proximité de Tobrouk (10 février), Rommel déclenche le 27 mai une nouvelle attaque. Elle est d'abord retardée par la résistance de Bir Hakeim, tenu du 27 mai au 11 juin par les Français libres du général Kœnig qui permet aux Britanniques de se replier vers l'Égypte. Mais, après avoir pris Tobrouk le 21 juin, l'Afrikakorps de Rommel franchit la frontière égyptienne et contraint la VIIIe armée britannique à se replier au début de juillet sur la position d'El-Alamein, à 130 km d'Alexandrie, qui marque le point extrême de l'avance allemande en direction du canal de Suez.

Après avoir vainement tenté de rompre le front adverse, Rommel est surpris le 23 octobre par une brutale contre-offensive de Montgomery (nommé en août à la tête de la VIIIe armée), et doit à son tour rompre le combat le 2 novembre. Six jours plus tard, les Américains débarquent au Maroc. Six mois après, la Wehrmacht sera chassée d'Afrique. D'autre part, la guerre sous-marine a pris un développement considérable. Dans l'Atlantique, l'année a été désastreuse pour les Alliés : 3 millions de tonnes de navires coulés de janvier à juillet, 700 000 en novembre. Mais là aussi la situation tend à se renverser : en octobre 1942, les pertes des sous-marins allemands atteignent en nombre celui des submersibles construits, et, grâce à l'effort prodigieux des chantiers américains, le tonnage allié construit dépassera, au début de 1943, celui qui est coulé par les sous-marins de l'Axe. Dans le Pacifique, les sous-marins américains détruisent en 1942 un million de tonnes de navires nippons, chiffre à peine inférieur à celui des prises de guerre et constructions neuves du Japon.

L'effort de guerre allemand

Dans l'ensemble, l'Allemagne réussira à financer par ses propres ressources la moitié de son imposant effort de guerre. L'autre moitié sera fournie par les territoires occupés et singulièrement (40 %) par la France. Anarchique jusqu'à la mort de Fritz Todt (février 1942), la production allemande d'armement, placée sous la haute autorité de Göring, directeur du plan, est pour l'ensemble des années 1941 et 1942 nettement inférieure à celle de la Grande-Bretagne pour les avions (24 000 contre 31 000) et à peine supérieure pour les chars (14 500 contre 13 400). Le successeur de Todt, Albert Speer, sait planifier cette production sans trop diminuer jusqu'à la fin de 1943 la consommation allemande. Un effort considérable est accompli dans la fabrication de carburants et huiles synthétiques (3,8 millions de tonnes en 1943), mais, dès 1942, c'est le problème de la main-d'œuvre, confié au Gauleiter Fritz Sauckel, qui devient primordial.

Le problème de la main-d'œuvre

En 1943, 11 millions d'hommes servent dans la Wehrmacht, dont les pertes (tués, blessés, disparus et prisonniers) sont alors de 4 millions. Pour y remédier, les Allemands enrôlent à titre d'auxiliaires (dits « Hilfswillige ») de nombreux Russes, si bien que, compte tenu de leurs « alliés », les effectifs sur le front est comprennent 25 % d'étrangers. La main-d'œuvre civile comprend 30 millions de personnes, dont 8 dans l'industrie. En 1944, Sauckel aura ramené dans le Reich, au titre du Service du travail obligatoire (STO), 6,3 millions d'ouvriers étrangers (dont 723 000 Français). Leur travail s'ajoute à celui de plus de 2 millions de prisonniers de guerre et aussi à celui des déportés des camps de concentration.

Aussi Speer réussit-il à faire passer la fabrication des chars de 9 400 en 1942 à 19 800 en 1943 et à 27 300 en 1944, et celle des avions de 13 700 en 1942 à 22 000 en 1943 et à 36 000 en 1944. Ces résultats sont obtenus alors que les bombardements aériens de la Royal Air Force et de l'US Air Force atteignent des proportions écrasantes : 48 000 tonnes de bombes en 1942, 207 000 t en 1943, 915 000 t en 1944. Cet effort de guerre se poursuivra jusqu'à la fin avec une étonnante efficacité : 7 200 avions sont encore construits dans les quatre premiers mois de 1945, ce qui porte la production totale allemande de 1939 à 1945 à environ 100 000 avions, chiffre un peu supérieur à la production anglaise (88 000 avions). Il permettra notamment l'engagement, à la fin de 1944, de nouvelles armes, tels les avions à réaction « Me 262 » (produits à 1 200 exemplaires) et les fusées de type V1 et V2, mises au point au centre de recherche de Peenemünde sous la direction de Wernher von Braun.

L'effort de guerre soviétique

La direction de la guerre en Union soviétique est confiée à un organisme nouveau, le Comité d'État pour la défense, présidé par Staline, qui étend son autorité sur tous les organismes de l'État et du parti. Il dirige la production et l'économie, mais aussi les forces armées, avec le concours de la Stavka (l'état-major), que commande de 1937 à novembre 1942 un militaire de grande classe, le maréchal Chapochnikov, auquel succédera le maréchal Vassilevski. L'intelligence de Staline le conduit à mettre l'accent sur le patriotisme et les traditions militaires russes (restauration des ordres de Souvorov, d'Alexandre Nevski) ; les insignes de grades des officiers réapparaissent, l'Internationale cesse d'être l'hymne national, et le Komintern est supprimé (15 mai 1943).

Du fait de l'invasion allemande, la production industrielle globale baisse en septembre 1941 de plus de 50 %. La situation s'aggrave encore en 1942, où la production du charbon baisse de 142 à 75 millions de tonnes, celle de la fonte de 18 à 5, celle de l'acier de 13,8 à 4,8… Mais, au même moment, les Soviétiques évacuent 1 300 entreprises de grandes dimensions, ainsi que 10 millions de personnes (dont 2 de la région de Moscou), qui vont s'installer dans l'Oural, en Sibérie occidentale et en Asie centrale, où de nouvelles usines sortent de terre. À la fin de 1942, la situation est redressée : la production de matériel de guerre dépasse celle de 1941, et les livraisons anglo-américaines, qui ont débuté dès octobre 1941, arrivent alors par Arkhangelsk, par l'Iran et par Vladivostok (elles comprennent notamment 22 000 avions, 12 184 chars, 2,6 millions de tonnes d'essence, 4,5 millions de tonnes de vivres).

Cependant, l'URSS manque de main-d'œuvre : 27 millions de travailleurs en 1945 contre 30 millions en 1940 (9,5 millions contre 11 dans l'industrie). Tous les congés sont supprimés et on s'efforce de moderniser et rationaliser la production (3 700 heures de travail pour fabriquer un char « T 34 » en 1943 contre 8 000 en 1941 ; 12 500 pour un avion de chasse contre 20 000). Aussi, en 1942, l'URSS peut-elle produire 25 400 avions, 24 600 chars et près de 30 000 canons de campagne (contre 15 400, 9 300 et 12 000 en Allemagne) ; en 1944, ces chiffres s'élèvent à 40 000 avions, 29 000 chars et 122 000 canons pour une armée de plus de 400 divisions qui, en 1945, engage 6,5 millions d'hommes sur un front de 2 400 km, soutenus par 13 000 chars, 108 000 canons et 15 000 avions (production globale 1941-1945 : 142 800 avions, 102 500 blindés, 490 000 canons). Les investissements soviétiques, concernant surtout l'industrie lourde, passent de 48,2 milliards de roubles de 1941 à 1943, à 73,7 de 1943 à 1945, date à laquelle les productions de houille, de fonte et d'acier seront remontées à environ 150, 9 et 12 millions de tonnes.

L'effort de guerre américain

En 1939, l'armée américaine compte 190 000 hommes, dont 50 000 outre-mer avec 330 chars. L'industrie d'armement n'occupe que 2 % de la main-d'œuvre, et il y a 7 millions de chômeurs. Six ans après, les États-Unis ont près de 11 millions de soldats ou de marins, dont près de la moitié combattent à plusieurs milliers de kilomètres : 2,7 millions en Extrême-Orient, 2,3 millions en Europe. Doublant leur production, ils auront fourni plus de la moitié des armes de la coalition contre l'Axe, livrant, de 1940 à 1945, 96 000 chars, 61 000 canons, 2 300 000 camions, 21 millions de tonnes de munitions, 296 000 avions. La standardisation des constructions navales, la création en 1941 de 140 nouveaux chantiers ont permis la construction de plus de 5 000 navires, dont 2 700 « Liberty ships ».

Au moment de l'institution du service militaire obligatoire (septembre 1940), l'US Army compte 23 divisions ; en 1943, il y en a 91 (dont 3 aéroportées et 16 blindées), recrutées et instruites avec l'aide d'un service de sélection ajustant l'offre à la demande par l'emploi de tests psychotechniques. En 1945, l'US Navy compte 3,3 millions d'hommes ; l'US Air Force, 2,3 millions d'hommes avec environ 100 000 avions. Dans le cadre de la loi du prêt-bail de mars 1941, les États-Unis doivent en outre fournir ses Alliés, qui reçoivent à ce titre 16 % de la production de guerre américaine. Les principaux bénéficiaires sont la Grande-Bretagne, qui reçoit 1 000 chars et 5 200 avions en 1941, 4 400 chars et près de 7 000 avions en 1942. La part de l'URSS est également considérable (14 795 avions et 7 000 chars). À partir de 1943, l'armée française d'Afrique du Nord reçoit aussi son lot, pour une valeur de 3 milliards de dollars, soit 8 % du prêt-bail (1 400 avions, 5 000 blindés, 3 000 canons, etc.).

Pour soutenir cet effort, l'économie américaine doit sacrifier au dirigisme. Elle le fait d'une manière très pragmatique : chaque problème est confié à une Agency, organisme nouveau créé à cet effet sous le seul signe de l'efficacité et dirigé par un industriel ou un technicien habillé ou non en général. L'orientation et le contrôle de ces organismes relèvent, à l'échelon du président, d'un Office of War Mobilization, dirigé par Donald Wilson. Mais, dès le début de 1944, les Américains préparent la reconversion de leur économie de guerre pour le temps de paix. L’effort de guerre passe par le recours aux chômeurs puis aux femmes : ainsi, la population active américaine comprendra 36 % de femmes en 1945, alors qu'elle n'en comptait que 25 % en 1941. Les besoins en main-d'œuvre sont aussi couverts en faisant appel aux Noirs, jusqu'alors surtout employés dans l'agriculture : le nombre de Noirs travaillant dans l'industrie double au cours de la guerre. Comme dans le cas des femmes, leur participation à l'effort de guerre les conduira à remettre en cause leur infériorité sociale.

L'émergence de la Résistance

En Europe, l'occupation allemande s'est faite d'autant plus lourde que la Gestapo a étendu partout son appareil de terreur – et notamment le système concentrationnaire – qui reçoit désormais mission de fournir au Reich une main-d'œuvre dont il a un impérieux besoin. Aussi, un peu partout, à mesure que le contrôle politique, policier et économique se resserre, les populations des territoires occupés passent-elles de l'attentisme à la résistance. À Prague, le « protecteur du Reich » Heydrich, chef SS aussi connu comme le « boucher de Prague », est assassiné le 27 mai par des résistants tchécoslovaques. En Serbie, le combat contre l'Allemagne se double rapidement d'une guerre civile entre Partisans communistes de Tito et les nationalistes de l'armée régulière, les Tchetniks), commandés par le général Draža Mihailović.

En France, où les Allemands ont imposé le rappel de Laval le 18 avril 1942, l'odieux système des otages, l'occupation totale de la France à partir du 11 novembre 1942 et l'instauration (février 1943) d'un Service du travail obligatoire (STO), au profit du Reich, contribueront à renforcer le courant antiallemand. Le fait qui domine la seconde partie de la guerre est la reprise de l'initiative par les adversaires de l'Axe, qui adoptent partout une attitude résolument offensive. Mais la coordination de leurs actions n'interviendra que très progressivement. L'URSS attend avant tout de ses alliés anglo-saxons l'ouverture d'un second front en Europe qui allège la pression de la Wehrmacht sur le front russe. C'est ce que Molotov dit à Churchill en signant à Londres le 26 mai 1942 un traité d'alliance anglo-soviétique, et surtout à Roosevelt, qui le reçoit le surlendemain à Washington. Mais, tandis que Staline est tendu vers un unique objectif, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont engagés, souvent conjointement, dans le monde entier sur de multiples théâtres d'opération où ils entendent d'abord mener une stratégie commune.

La direction de guerre anglo-américaine

C'est en 1942 que la direction anglo-américaine s'organise par la volonté commune de Churchill et de Roosevelt, qui établissent entre eux un contact quasi permanent. Leur instrument est le Comité mixte anglo-américain des chefs d'état-major (Combined Chiefs of Staff), créé à Washington dès Noël 1941, où Londres est représenté par sir John Dill, mais où domine la forte personnalité du général américain George Marshall. Les ressources des deux pays sont mises en commun : en janvier 1942 est constitué le Combined Shipping Adjustment Board, qui gère le pool de leurs navires marchands et pétroliers (95 millions de tonnes en 1944), indispensable à la conduite d'opérations qui se déroulent à des milliers de kilomètres de leurs territoires. Si la priorité finale est reconnue au théâtre européen, Churchill s'oppose à toute tentative prématurée en France (en 1942, seuls deux raids expérimentaux sont lancés, l'un en février à Bruneval, l'autre en août à Dieppe). Conscient de l'importance de la Méditerranée, il convainc Roosevelt de s'y assurer d'abord des bases solides en débarquant en Afrique du Nord (opération Torch).

Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord

Le 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent à Casablanca, Oran, Alger. Du 9 au 12 novembre, les Allemands débarquent à Tunis, d'où ils prendront liaison avec les forces germano-italiennes refoulées d'Égypte par Montgomery suite à sa victoire d'El-Alamein (2 novembre). Décidée en juillet 1942, l'opération Torch est la première entreprise américaine sur le théâtre occidental. Déclenchée le 8 novembre aux ordres du général Eisenhower, elle fut précédée de multiples contacts avec des éléments français se réclamant du général Giraud (récemment évadé d'Allemagne), et bénéficia de la présence fortuite à Alger de l'amiral Darlan, successeur désigné de Pétain. L'autorité de Darlan comptera aussi bien pour faire cesser le 11 novembre les résistances locales (Casablanca, Oran) des troupes françaises aux Américains que pour leur prescrire, le 13, de reprendre en Tunisie le combat contre les Allemands qui venaient d'y débarquer.

Le 22, Darlan, devenu, à la stupeur des gaullistes l'interlocuteur des Américains, signe avec le général Clark un accord organisant la rentrée en guerre de tous les territoires français d'Afrique, et notamment de ceux d'Afrique-Occidentale. La riposte allemande est brutale : dès le 11 novembre 1942, la Wehrmacht envahit la zone non occupée de la France, tandis que les Italiens se saisissent de Nice et de la Corse ; le 27, l'armée française d'armistice est dissoute, et la flotte de Toulon se saborde suivant les engagements pris en juin 1940 pour ne pas tomber aux mains du Reich. Le 23 janvier 1943, les Britanniques sont à Tripoli en Libye, où les rejoint la colonne française du général Leclerc, venue du Tchad ; le 4 février, ils entrent en Tunisie et passent aux ordres d'Eisenhower, dont les forces franco-anglo-américaines, qui ont débouché d'Algérie, en décembre, menacent Tunis. Sous les attaques conjuguées des deux groupements alliés, les forces germano-italiennes d'Afrique doivent capituler le 13 mai 1943 au cap Bon, abandonnant 250 000 prisonniers.

À la conférence de Casablanca (ou d'Anfa), du 14 au 27 janvier 1943, Roosevelt et Churchill tirent ensemble les conséquences de leur succès. Affirmant leur volonté d'exiger une capitulation sans condition de l'Italie, de l'Allemagne et du Japon, ils établissent leur plan pour 1943 : débarquement en Sicile, attaque aérienne systématique du potentiel économique allemand pour préparer l'ouverture du second front, laquelle est ajournée à 1944. Roosevelt et Churchill tentent aussi, au cours de leur rencontre à Anfa, de rapprocher de Gaulle de Giraud, qui a pris à Alger la succession de Darlan, assassiné le 24 décembre. Le 3 juin 1943, les deux généraux installent à Alger, sous leur coprésidence, un Comité français de libération nationale (CFLN), unique pouvoir politique représentant désormais la France en guerre. Après avoir dirigé la libération de la Corse par les troupes françaises, Giraud abandonne le 27 septembre sa coprésidence, et de Gaulle devient le seul maître à Alger.

L'élimination de l'Italie (juillet 1943-juin 1944)

Dès le 10 juillet 1943, Eisenhower lance ses forces sur la Sicile, qu'elles conquièrent en un mois (→ débarquement de Sicile). Cette victoire accélère la désagrégation du régime fasciste italien : dans la nuit du 24 au 25 juillet, Mussolini est destitué au cours d'une dramatique réunion du Grand Conseil fasciste et arrêté sur ordre du roi, qui confie le pouvoir au maréchal Badoglio. Tout en cherchant à rassurer les Allemands (qui ont des troupes en Italie), ce dernier prend en août des contacts secrets avec les Alliés et signe le 3 septembre à Syracuse un armistice impliquant la capitulation sans condition de toutes les forces italiennes. Les Alliés ne l'annoncent que le 8, alors qu'ils ont déjà débarqué le 3 en Calabre et s'apprêtent à le faire le 9 à Salerne. Hitler réagit aussitôt : le 12 septembre, il fait libérer Mussolini, qui fonde la république sociale italienne ou république de Salo pour continuer la lutte aux côtés du Reich, auquel le gouvernement de Badoglio, réfugié à Brindisi, déclare la guerre le 13 octobre.

Au même moment, les Allemands réussissent à se retrancher au sud de Rome sur une forte position, la ligne Gustav, à laquelle se heurtent les forces anglo-américaines du général Alexander, rejointes en décembre 1943 par le corps expéditionnaire français du général Juin. Alors commence une très rude campagne, marquée notamment par la violente bataille de Cassino : c'est seulement le 11 mai 1944 que les Français de Juin réussiront la percée de la ligne Gustav et permettront l'entrée des Alliés à Rome, le 4 juin 1944.

La Wehrmacht refoulée de la Volga au Dniestr (1943-1944)

Si, en 1943, les alliés anglo-saxons ont obtenu des résultats décisifs en Afrique et en Italie, ils n'y ont immobilisé qu'une très faible partie de la Wehrmacht. Les trois quarts du potentiel militaire allemand s'appliquent encore au front soviétique, où, au cours de la même année, la victoire va aussi définitivement changer de camp. Au nord, la prise de Schlüsselburg par les Russes (12 janvier) dégage Leningrad ; celles de Viazma et de Rjev (mars) refoulent la Wehrmacht à 250 km de Moscou, mais c'est au Sud qu'ont lieu les actions décisives. Au lendemain du désastre de Stalingrad (février 1943), les Allemands, chassés du Caucase comme de la boucle du Don, doivent abandonner Rostov, Koursk et Kharkov (qui est reconquis en mars par Manstein). Le 5 juillet 1943, l'échec de la double offensive blindée allemande (Manstein-Kluge) sur le saillant de Koursk signifie la perte désormais irréversible de l'initiative par la Wehrmacht sur le front de l'Est.

Le 12, l'offensive soviétique de Rokossovski sur Orel est la première d'une série de coups de boutoir sur Kharkov, Briansk et Smolensk qui mènent à la fin de septembre l'Armée rouge sur le Dniepr : il sera largement franchi en novembre, malgré la réaction de Manstein à Jitomir. Refusant tout répit à Hitler, Staline déclenche dès le 18 décembre 1943 la campagne d'hiver : au Nord, la Wehrmacht est refoulée de 200 km sur Narva et Pskov (janvier 1944) ; au Sud, Vatoutine, Koniev, Malinovski et Tolboukhine portent leurs forces sur le Boug (février) et le Dniestr (mars), tandis que Joukov entre en Galicie polonaise, atteint Tchernovtsy et Kovel et menace Lvov. Le 15 avril, après la prise d'Odessa et de Ternopol, le front se stabilise : l'Ukraine est totalement libérée, les Russes sont à la porte des Balkans ; Sébastopol tombe le 9 mai ; seuls les pays Baltes et la Russie blanche (actuelle Biélorussie) sont encore aux mains de la Wehrmacht.

L'URSS et ses Alliés : conférence de Téhéran (novembre 1943)

Sur le plan diplomatique, où elle connaît une intense activité, l'année 1943 est dominée par le problème du second front, que Staline, qui se refuse à considérer comme tel l'étroit champ de bataille italien, ne cesse de poser aux Alliés. De nombreuses réunions se tiennent à Washington en mars et en mai, à Québec en août, où Roosevelt, Churchill et le Canadien Mackenzie King se concertent avec T. V. Soong, ministre de Tchang Kaï-chek, sur la lutte contre le Japon. En octobre, pour dissiper la méfiance existant entre les Alliés et l'URSS, qui se soupçonnent mutuellement de prendre des contacts secrets avec Berlin, le secrétraire d'État américain Cordell Hull, le ministre des Affaires étrangères britannique Eden et le Soviétique Molotov préparent à Moscou une rencontre des « trois Grands », Roosevelt, Churchill et Staline.

Après que les deux premiers ont conféré avec Tchang Kaï-chek au Caire, la conférence a lieu le 28 novembre 1943 à Téhéran. Il y est confirmé que le second front serait réalisé, non comme le souhaitait Churchill dans les Balkans, mais en France. Les trois conviennent publiquement qu'ils garantiront l'intégrité de l'Iran et secrètement que l'Allemagne serait démembrée et que les frontières de la Pologne seraient reportées à l'Ouest jusqu'à l'Oder et à l'Est jusqu'à la ligne Curzon. Staline promet d'attaquer le Japon dès que cela lui sera possible. Les problèmes de l'après-guerre sont aussi évoqués, et les bases jetées d'une « Organisation des Nations unies » où le maintien de la paix relèvera essentiellement des trois Grands et de la Chine : leurs représentants se réuniront à Dumbarton Oaks d'août à octobre 1944 (→ plan de Dumbarton Oaks). Seul contre Roosevelt et Staline, qui, comme lui, ont reconnu le Comité français de libération nationale (CFLN) de de Gaulle le 26 août 1943, Churchill a affirmé sa volonté de voir la France se reconstituer après la guerre.

Le reflux japonais en Extrême-Orient (1943-1944)

Alors qu'en Afrique comme en URSS la retraite des forces de l'Axe revêt un caractère spectaculaire, le renversement de la situation en Extrême-Orient connaît un rythme plus lent. L'immensité des distances, le caractère spécial des forces aéronavales et amphibies qu'il leur faut constituer exigent des Américains près d'un an après leur attaque de Guadalcanal (août 1942) pour qu'ils puissent développer à fond le poids de leur puissance offensive. L'hiver de 1942 est dominé par la dure conquête de Guadalcanal, qui ne s'achève que le 8 février 1943, et par la défense victorieuse des Australiens en Nouvelle-Guinée, qui écarte de leur pays la menace d'une invasion nippone. Les îles Aléoutiennes sont reconquises dans l'été 1943, mais c'est des bases de Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides que le commandement américain lance deux offensives décisives en direction des Philippines. L'une, essentiellement aéronavale, sera conduite par l'amiral Nimitz sur les îles Gilbert et Mariannes, l'autre, à dominante amphibie, sur la Nouvelle-Guinée et les Moluques, sera dirigée par le général MacArthur, commandant des forces alliées dans le sud-ouest du Pacifique.

La campagne s'ouvre par une série d'actions limitées sur les îles Salomon (Bougainville) et Gilbert, de juin à décembre 1943. En 1944, Nimitz lance ses forces à l'assaut des Marshall (janvier), des Carolines (8 février) et des Mariannes, où la conquête de Saipan et de Guam (juin-août), à 2 300 km de Tokyo, permet à l'US Air Force de prendre sous ses feux la capitale nippone ; l'événement, durement ressenti au Japon, provoque la démission du cabinet Tojo (18 juillet). En même temps, les divisions de MacArthur atteignent la côte nord-ouest de la Nouvelle-Guinée et débarquent aux Moluques (septembre). Finalement, les deux grandes offensives américaines convergent sur l'île de Leyte (Philippines), où la flotte japonaise subit, du 24 au 26 octobre 1944, un véritable désastre dont elle ne se relèvera pas (→ bataille de Leyte).

Face à l'ampleur de l'offensive américaine, l'état-major japonais décide de consolider sa position en Chine. Depuis la conquête de la Birmanie en 1942, Tchang Kaï-chek, qui maintient 300 000 hommes dans le Shanxi pour y surveiller les forces communistes de Mao Zedong, n'a d'autre contact avec ses alliés occidentaux qu'une liaison aérienne par l'Inde. Si, en 1943, les Japonais ont échoué dans leur raid sur Chongqing, ils lancent en mai 1944 une offensive sur la Chine du Sud pour ravitailler leurs forces de Birmanie et de Malaisie, avec lesquelles la liaison par mer est devenue trop précaire. La prise de Changsha au Hunan le 18 juin 1944 leur permet de relier Hankou à Canton, d'éliminer les bases aériennes américaines installées dans cette région et d'établir ainsi une grande ligne de communication terrestre de la Mandchourie au Tonkin et pratiquement jusqu'à Singapour.

En Birmanie, toutefois, l'action qu'ils tentent au printemps 1944 contre la voie ferrée indienne de Calcutta à Ledo se heurte à l'offensive des forces de l'amiral Mountbatten, commandant suprême allié dans le Sud-Est asiatique. Parties de Ledo, les unités du général américain Stilwell font au cours de l'été 1944 près de Bhamo, en haute Birmanie, leur jonction avec les forces chinoises. La construction d'une route (dite « route Stilwell »), raccordée au secteur nord de la route de Birmanie, rétablit la liaison terrestre avec la Chine. Tandis que les Britanniques prennent Akyab (janvier 1945), Américains et Chinois, descendant l'Irrawaddy, chassent de Birmanie les Japonais ; ceux-ci, pour garantir leur retraite, s'assureront par leur coup de force du 9 mars 1945 le contrôle total de l'Indochine française. Le 3 mai, les Alliés entrent à Rangoon.

Prélude au second front

C'est en 1943, aux conférences de Washington (mai) et de Québec (août), que Roosevelt et Churchill décident que le débarquement en France serait réalisé en 1944 par deux opérations, l'une, principale (Overlord), prévue pour mai en Normandie, l'autre, secondaire (Anvil ou Dragoon), en Provence, 70 jours après. Ce programme, confirmé à Staline lors de la conférence de Téhéran, débute par l'installation à Londres, à Noël 1943, du général Eisenhower, nommé commandant suprême des forces d'invasion en Europe. Sa mission, précisée le 12 février 1944, est de « pénétrer sur le continent […], puis de viser le cœur de l'Allemagne […] et la destruction de ses forces armées ». Le 11 janvier a commencé la préparation aérienne d'Overlord, destinée à détruire en profondeur tout le système de défense allemand. La victoire alliée dans la guerre sous-marine de l'Atlantique permet de concentrer en Angleterre de 3,5 millions d'hommes (75 divisions) et de 20 millions de tonnes de matériel.

L'opération, qui mettra en jeu 4 500 navires et 13 000 avions, est d'une ampleur encore inconnue dans l'histoire. Elle s'appliquera à une Europe très éprouvée par l'occupation allemande, mais où les mouvements de Résistance ont acquis partout une force importante, notamment en Yougoslavie, où Tito commande une véritable armée, et en France, où les maquis passent à l'action militaire (→ plateau des Glières, février 1944). Sur le plan politique, la certitude de la défaite allemande rassemble les éléments les plus divers qui entendent participer à la libération de leur pays et à la construction d'une nouvelle Europe. Leur action est cependant limitée par la brutalité de la répression allemande. Cette répression, orchestrée par Himmler, vise la liquidation physique des Juifs et des résistants dans les sinistres camps de la mort. Elle s'exerce aussi par des actions « spéciales » de représailles destinées à répandre la terreur comme à Lidice (après l'assassinat de Heydrich à Prague en 1942), à Varsovie (où le ghetto est sauvagement détruit en avril 1943) ou à Oradour-sur-Glane (plus de 600 Français massacrés le 10 juin 1944).

Seul le besoin considérable de main-d'œuvre, exigé par l'immense effort de guerre soutenu jusqu'au bout par le Reich, freine cette entreprise de destruction humaine. En Allemagne même, la population est durement éprouvée par les pertes de la Wehrmacht en Russie (2 millions d'hommes en 1943) et par les bombardements quasi quotidiens de l'aviation alliée sur Berlin, la Ruhr et les grandes villes (Hambourg). Courageusement, certains hommes tentent autour de Carl-Friedrich Goerdeler de mettre fin au cauchemar en supprimant Hitler. Leur mouvement aboutira au putsch du 20 juillet 1944, dont l'échec déclenchera de cruelles représailles.

Libération de l'Europe occidentale (juin 1944-février 1945)

Le 6 juin 1944 à l'aube, les forces alliées débarquent en Normandie, où elles surprennent les défenses allemandes du mur de l'Atlantique, que commande Rommel. La bataille pour les plages est gagnée dès le 11. Du 14 a

La Conférence de Yalta

La Conférence de Yalta

Problèmes politiques : la conférence de Yalta (février 1945)

En quelques mois, la Wehrmacht a donc dû évacuer presque toutes ses conquêtes à l'Est et à l'Ouest et se trouve enserrée entre les deux grands fronts. Au Sud, elle a dû aussi se replier en Italie sur la ligne gothique (août 1944), au nord de Florence, et abandonner la Grèce, où les Anglais, débarquant en octobre 1944, trouvent un pays affamé et déchiré entre les fractions rivales de la résistance.

Dans une situation économique souvent désastreuse pour l'ensemble des pays impliqués surgissent en Europe libérée d'épineux problèmes politiques. En Belgique, dès le retour de Londres à Bruxelles du gouvernement Pierlot (8 septembre 1944) se pose la « question royale ». L'attitude de Léopold III pendant la guerre étant très critiquée, son frère, le prince Charles, est proclamé régent par le Parlement. Par ailleurs, une union douanière est conclue entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg (Benelux).

La tardive reconnaissance du GPRF

En France, le Comité français de libération nationale (CFLN) s'est proclamé le 3 juin Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). De Gaulle s'est installé à Paris dès le 31 août et a inclus dans son gouvernement des personnalités de la Résistance (Bidault aux Affaires étrangères). Mais la méfiance de Roosevelt fait retarder sa reconnaissance par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'URSS jusqu'au 23 octobre 1944. Le 11 novembre, la France est admise à la Commission consultative européenne de Londres, et, le 10 décembre, Bidault et Molotov signent à Moscou un traité d'alliance franco-soviétique.

Le problème le plus grave qui divise les trois Grands est celui de la Pologne. Depuis la découverte par les Allemands, en avril 1943, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, des restes de 4 500 officiers polonais, exécutés en 1940 par les Soviétiques (→ massacre de Katyn), l'URSS, qui refuse d'endosser cette responsabilité, a rompu toute relation avec le gouvernement polonais de Londres (25 avril 1943). Or l'Angleterre et les États-Unis ne reconnaissent que ce dernier – dirigé alors par Mikołajczyk – de qui relèvent les troupes polonaises du général Anders, qui se battent aux côtés des Anglo-Américains. Mais un Comité de libération, soutenu par l'URSS, s'est installé à Lublin à la fin de juillet 1944. Le 5 janvier 1945, il est reconnu par Staline comme gouvernement de la Pologne et s'installe à Varsovie dès l'entrée de l'Armée rouge dans la capitale (18 janvier).

De Gaulle CharlesLe problème polonais est l'un des principaux abordés par la conférence qui réunit à Yalta (Crimée), du 4 au 11 février 1945, Staline, Churchill et Roosevelt. Churchill est très méfiant à l'égard de Staline, et Roosevelt (réélu pour la quatrième fois en novembre 1944 président des États-Unis) s'intéresse surtout à la victoire contre le Japon et à l'Organisation des Nations unies – de plus, il est très malade, comme l'est aussi son premier conseiller Harry Lloyd Hopkins (1890-1946). Et pourtant, c'est à Yalta que sont prises les décisions qui conditionneront pour de longues années l'avenir du monde. En Extrême-Orient, Roosevelt obtient par un accord secret l'engagement de Staline d'entrer en guerre contre le Japon, trois mois après la défaite allemande, moyennant la cession à l'URSS de la moitié de Sakhaline, des îles Kouriles, de Port-Arthur et du chemin de fer de Dairen.

En Europe, les trois Grands proclament leur volonté d'« aider les peuples libres à former des gouvernements provisoires largement représentatifs de tous les éléments démocratiques qui s'engageront à établir par des élections libres des gouvernements correspondant à la volonté des peuples ». Il est admis que les frontières de la Pologne incluront le sud de la Prusse-Orientale (moins Königsberg, annexé par l'URSS.[→ Kaliningrad]) et suivront à l'est la ligne Curzon et à l'ouest les cours de l'Oder et de la Neisse. Il est prévu que le gouvernement polonais de Lublin ne sera reconnu par Londres et Washington qu'après s'être élargi. En Allemagne, ce sont les trois Grands qui détiendront l'« autorité suprême » sous la forme d'un Conseil de contrôle, auquel la France sera invitée à participer. La répartition des zones d'occupation des armées (convenue à Québec en septembre 1944) est confirmée, mais une zone prise sur celle des Anglais et des Américains sera confiée à la France.

L'organisation de la paix sera le fait d'une conférence des Nations unies convoquée à San Francisco le 25 avril 1945 (→ conférences de San Francisco). Mais les décisions de son Conseil de sécurité exigeront un vote affirmatif de chacun de ses cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS). C'est l'origine du droit de veto, qui limitera beaucoup son efficacité.

La capitulation de l'Allemagne

Au lendemain des accords de Yalta (4-11 février 1945) commence la dernière bataille, qui, à l'est comme à l'ouest, se livre en territoire allemand.
 

  • À l'ouest, Eisenhower dispose de 93 divisions – 60 américaines, 14 britanniques, 5 canadiennes et 14 françaises (dont 4 bouclent les poches allemandes de Dunkerque, Lorient et Royan) – et de 4 brigades alliées (belge, hollandaise, polonaise et tchèque).
  • À l'est, l'Armée rouge est répartie en huit fronts : quatre d'entre eux joueront un rôle capital, celui de Malinovski, axé sur Vienne, celui de Rokossovski, sur la Poméranie, ceux de Joukov et de Koniev, sur Berlin. Ce dernier, qui a franchi l'Odra les 11 et 24 février, fait sa jonction avec Joukov en basse Silésie, tandis que Malinovski, entré à Budapest le 13 février, pénètre en mars en Autriche.
  • Au même moment, à l'ouest, les Alliés percent la ligne Siegfried et foncent sur le Rhin, qu'ils franchissent à Remagen (7 mars), à Oppenheim et près de Wesel (23-24 mars). Le 25 mars, la totalité de la rive gauche du Rhin est aux mains des forces d'Eisenhower.
  • La Hollande est isolée par les Britanniques, qui arrivent le 19 avril sur l'Elbe. Le 1er avril, les Américains ont encerclé la Ruhr (où 18 divisions capitulent) et marchent aussitôt sur l'Elbe en direction de Magdebourg et de Leipzig, tandis que Patton, entré à Francfort le 29 mars, pénètre en Thuringe et s'arrête sur ordre le 18 avril à Plzeň (90 km de Prague).
  • Au sud, du 19 au 29 avril, les Américains atteignent Nuremberg, Ratisbonne et Munich ; le Français de Lattre pénètre en Forêt-Noire et au Wurtemberg, atteint Ulm (24 avril) et s'engage en Autriche ; le 4 mai, la division Leclerc prend Berchtesgaden.


Le suicide de Hitler

Le 13 avril, les Russes sont entrés à Vienne et, remontant le Danube, prennent liaison avec les Américains en aval de Linz. Du 16 au 20 avril, Joukov et Koniev rompent le front allemand de l'Oder et atteignent Berlin, conquis le 2 mai par l'Armée rouge. Le 30 avril, Hitler s'est suicidé après avoir désigné l'amiral Dönitz pour lui succéder. Des contacts s'établissent entre l'Armée rouge et les forces anglo-américaines, notamment à Torgau (Hodges-Koniev, le 25 avril) et près de Wismar (Dempsey-Rokossovski, le 3 mai). Malinovski et Koniev font leur jonction à Prague du 6 au 9 mai.

L'élimination de Mussolini

En Italie, le groupe d'armées Alexander débouche le 9 avril de la ligne gothique en direction du Pô. Ses troupes prennent liaison le 29 près de Turin avec l'armée française des Alpes, le 1er mai près de Trieste avec les forces yougoslaves de Tito et le 4 mai avec celles d'Eisenhower qui ont franchi le Brenner. Le 29 avril, le commandement allemand a signé à Caserte la capitulation de ses armées en Italie, en Autriche, en Styrie et en Carinthie. La veille, Mussolini a été exécuté par des partisans près du lac de Côme.

La reddition de la Wehrmacht

Le 4 mai, les troupes allemandes des Pays-Bas et du nord de l'Allemagne ont capitulé à Lüneburg entre les mains de Montgomery ; le 7 mai, l'amiral Dönitz mandate le général Jodl pour signer à Reims la reddition inconditionnelle de l'ensemble de la Wehrmacht aux armées alliées et soviétiques. Elle est confirmée le lendemain à Berlin par le maréchal Keitel en présence des généraux Joukov, Tedder, Spaatz et de Lattre. Le 22 mai, les Alliés font prisonniers tous les membres du gouvernement fantôme de Dönitz à Flensburg : l'Allemagne vaincue a ainsi perdu toute existence politique.

La défaite et la capitulation du Japon

Après le désastre subi en octobre 1944 par la marine japonaise près de l'île de Leyte (Philippines), les Américains mettent deux mois à en chasser les troupes nippones. Ils doivent désormais faire face aux kamikazes, les avions-suicides. En janvier 1945, MacArthur attaque Luzon – la plus grande des Philippines – et entre à Manille après trois semaines de combats, le 25 février. Sans s'attarder à la conquête de Mindanao, il entame aussitôt la bataille pour les avancées du Japon. Le 19 février, l'amiral Nimitz débarque à Iwo Jima, et, le 1er avril, à Okinawa, où, à 600 km du Japon, une furieuse bataille s'engage pour la conquête de l'île, achevée le 21 juin.

Le Japon acculé

Le 5 avril, la dénonciation par Staline du traité de neutralité nippo-soviétique du 13 avril 1941 provoque à Tokyo la démission du cabinet du général Koiso. Son successeur, l'amiral Suzuki, tente vainement d'obtenir une médiation soviétique. Mais, le 26 juillet, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine exigent, par un ultimatum, une capitulation sans condition qui est repoussée par Suzuki. Le Japon, dont les troupes sont chassées de Birmanie et se replient en Chine, est dans une situation désespérée : sa flotte n'existe plus, et le pays est soumis depuis juillet à une violente offensive aérienne alliée qui ne rencontre plus aucune opposition. C'est alors que, voulant précipiter la fin de la guerre, le président Harry S. Truman, qui a succédé à Roosevelt, décédé le 12 avril, décide d'employer contre le Japon la bombe atomique expérimentée en grand secret par les États-Unis le 16 juillet 1945. Le 6 août, une première bombe détruit Hiroshima, et une deuxième Nagasaki le 9.

La capitulation du Japon

Entre-temps, le 8 août, l'URSS a déclaré la guerre au Japon, et, le 14, signe à Moscou un traité d'alliance avec la Chine. Les troupes soviétiques aux ordres du maréchal Vassilevski entrent aussitôt en Corée (9 août) et en Mandchourie, où elles prennent Moukden (aujourd'hui Shenyang) le 15. Dès le 10, le gouvernement japonais fait savoir qu'il accepte les termes de l'ultimatum du 26 juillet, et, le 14, capitule sans condition. Le 16, l'empereur japonais donne à toutes ses forces l'ordre de cesser le combat. Dix jours plus tard, les Américains débarquent au Japon. Le 2 septembre, l'acte solennel de capitulation est signé en rade de Tokyo, devant le général MacArthur, sur le cuirassé américain Missouri (le général Leclerc y représente la France).

Dernière réunion des trois Grands : Potsdam, 17 juillet – 2 août 1945

Si la vigueur de la résistance allemande a maintenu jusqu'à la capitulation du IIIe Reich l'unité d'action de ses vainqueurs, leurs relations, depuis Yalta (février 1945), n'ont cessé de se détériorer. Sans se soucier des engagements qu'il avait signés, Staline entend profiter aussitôt de sa victoire en installant des gouvernements communistes dans tous les pays libérés par l'Armée rouge, qui doivent devenir des États vassaux de l'URSS. Ainsi que l'écrit Churchill en mai 1945, « un rideau de fer s'est abattu derrière le front soviétique ». Si les Américains, puis les Anglais parviennent à se faire admettre à Berlin le 3 juillet, leurs troupes se sont repliées dans les limites des zones d'occupation et, suivies d'une immense foule de réfugiés allemands, ont évacué à cette date la ligne de l'Elbe, la Saxe, le Mecklembourg et la Thuringe, tandis que les Soviétiques s'avancent jusqu'à Erfurt et Eisenach, à 150 km du Rhin.

Mais c'est encore le problème polonais qui cristallise la crise entre les vainqueurs. En juin 1945, Staline, qui a invité à Moscou seize représentants des tendances non communistes de la résistance polonaise, les fait arrêter et condamner par un tribunal militaire soviétique. Cette fois, la réaction américaine est d'autant plus vive que l'attitude du président Truman vis-à-vis de Staline est beaucoup plus réservée que celle de Roosevelt. Pour sortir de l'impasse, une ultime conférence des trois Grands est réunie le 17 juillet à Potsdam avec Staline, Truman et Churchill, qui, battu aux élections générales anglaises, cède la place le 26 juillet à Clement Attlee, nouveau chef travailliste du cabinet britannique. Un compromis est adopté pour la Pologne : les Anglais et les Américains reconnaissent le gouvernement provisoire (et prosoviétique) de Varsovie, et les trois fixent provisoirement la frontière ouest du pays à la ligne de l'Oder et de la Neisse occidentale.

La conférence statue ensuite sur des questions moins épineuses telles que la démilitarisation et la dénazification de l'Allemagne, le jugement des criminels de guerre, les réparations, la répartition des zones d'occupation en Autriche, l'évacuation de l'Iran, la révision de la convention de Montreux sur les Détroits, le maintien du statut international de Tanger et l'indépendance de la Corée. En prévision de la défaite du Japon, des lignes de démarcation militaires sont fixées entre ses vainqueurs : en Corée, le 38e parallèle entre Soviétiques et Américains ; en Indochine, le 16e entre Chinois et Britanniques. La préparation des traités de paix est confiée au Conseil des ministres des Affaires étrangères d'URSS, des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France et de Chine, qui siégeront à Londres et à Paris. Dès le lendemain (3 août) de la publication de ces accords, la France, qui n'a pas participé à la conférence, exprime ses réserves sur le fait de n'avoir pas été consultée sur le sort de l'Allemagne.

Une drôle de paix

Si l'été de 1945 marque la fin de la guerre, il est difficile de dire qu'il inaugure réellement la paix.  Dans le monde entier, les séquelles de cette immense conflagration engendrent en effet d'inextricables conflits entre le monde occidental et le monde soviétique : à Berlin, isolé en zone soviétique mais occupé par quatre puissances ; dans les Balkans, « satellisés » par l'URSS, sauf la Grèce, en proie à la guerre civile ; en Iran ; dans la Chine victorieuse, mais qui, dès octobre 1945, entre aussi dans une guerre civile ; dans la Corée et l'Indochine divisées…

En même temps, la ruine de l'Europe incite les peuples colonisés d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient, où la Ligue arabe s'est constituée le 22 mars 1945, à secouer au plus vite le joug des « métropoles » pour prendre en main leur destin ; conscients de l'affaiblissement des puissances coloniales et encouragés par l'hostilité au système colonial des deux nouvelles puissances dominantes (États-Unis et URSS), les leaders des mouvements de libération, issus des élites occidentalisées, réclament l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, proclamé par l'article 1er de la Charte des Nations unies en 1945. Alors que la question de l'Allemagne n'est pas près de son règlement, plusieurs traités de paix seront néanmoins signés à Paris en 1947, avec la Finlande, l'Italie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie.

Quant au Japon, il est démilitarisé, doté d'une Constitution démocratique, occupé et contrôlé étroitement par les États-Unis ; il signera avec eux (mais pas avec l'URSS) le traité de San Francisco en 1951 (→ conférences de San Francisco). Si la Première Guerre mondiale a été qualifiée de guerre totale, notamment en raison de mobilisation sans précédent de tous les acteurs de la société, la Seconde Guerre mondiale a été une guerre d'anéantissement, dans laquelle les victimes civiles se comptent autant que les morts au combat.

Les « personnes déplacées »

La guerre a provoqué des déplacements de population très importants. Ils furent tantôt « spontanés », tel l'exode des personnes fuyant la Wehrmacht en 1940-1941 ou l'Armée rouge en 1944-1945 ; tantôt ils furent organisés, surtout par le Reich, tels le retour en Allemagne des ressortissants des colonies allemandes des pays Baltes ou d'Europe centrale, les implantations de colons allemands en Pologne et dans les Ardennes, de colons néerlandais en Ukraine – sans oublier les 7 millions de travailleurs étrangers transférés de force en Allemagne. Toutefois, le mouvement le plus important fut celui d'environ 12 millions d'Allemands qui, en 1945 – par peur de tomber sous l'autorité soviétique – gagnèrent les zones occupées par les Anglais, les Américains ou les Français. On estime à environ 30 millions le nombre de personnes ainsi « déplacées » du fait de la guerre.

Des coûts humains sans précédent

AuschwitzLes évaluations, toujours approximatives, du total des pertes de la Seconde Guerre mondiale varient entre 40 et 50 millions de morts (10 millions de morts et 20 millions de blessés lors de la Première). Mais, alors que ceux de 1914-1918 (où 68 millions d'hommes furent mobilisés) étaient en grande majorité des militaires, les morts de 1939-1945 comportent à peu près autant de civils que de soldats (92 millions d'hommes mobilisés). Cette proportion de victimes civiles est due aux caractères particuliers du conflit : généralisation des bombardements aériens bien sûr, mais surtout liquidation physique (chambre à gaz, massacres, etc.) par les Allemands de plusieurs millions de Juif

Laval Pierre

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Pierre Laval, né le 28 juin 1883 à Châteldon dans le Puy-de-Dôme et mort fusillé le 15 octobre 1945 à Fresnes dans le département de la Seine, (actuellement Val-de-Marne), était un homme politique français. 

Laval Pierre

Plusieurs fois président du conseil sous la Troisième République, il est, immédiatement après Philippe Pétain, la personnalité la plus importante de la période du régime de Vichy et le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. Ayant puissamment aidé à la fondation de « l’État français », il est vice-président du Conseil et dauphin désigné du maréchal jusqu’à son éviction soudaine le 13 décembre 1940.

Il revient au pouvoir avec le titre de chef du gouvernement, du 18 avril 1942 à son départ de Paris le 17 août 1944. Pierre Laval était originaire d’une famille modeste de la petite bourgeoisie (son père était aubergiste et commerçant de chevaux à Châteldon, dans le Puy-de-Dôme). Il devra notamment être « pion » dans un lycée parisien pour payer ses études. Son ascension sociale lui permettra ultérieurement de racheter le château du bourg où il est né. Il passe son baccalauréat et obtient une licence en sciences naturelles avant d’opter pour le droit, et de s’installer à Paris comme avocat en 1907.

De ses origines populaires, Laval gardera toute sa vie un parler direct et familier, volontiers badin, souvent très croustillant. En témoignent de multiples propos rapportés par les témoins qui l’ont rencontré. Ce qui ne doit pas dissimuler son bagage culturel acquis. Membre de la SFIO depuis 1905, défendant parfois des syndicalistes de la CGT notamment, devant les tribunaux, Pierre Laval s’affiche comme pacifiste avant la Première Guerre mondiale. Il est même inscrit au fameux « Carnet B », la liste de tous les militants de l’extrême-gauche pacifiste que le ministère de l’Intérieur prévoyait initialement d’arrêter en cas de conflit. En 1914, Laval est élu député SFIO d’Aubervilliers, mais fut cependant, en raison de son pacifisme militant, battu aux élections de 1919, qui virent la victoire du Bloc national, très marqué par l’esprit « ancien combattant », alors qu'il avait lui-même été réformé pendant la Première Guerre mondiale. Il devient maire d’Aubervilliers en 1923, mandat qu’il devait conserver jusqu’à la Libération.

Il garde toujours un fort sentiment pacifiste, entretenu par ses contacts réguliers avec Aristide Briand, avec qui il travaillait à établir de bonnes relations avec l’Allemagne et l’Union soviétique. Il s’éloigne progressivement de la gauche à mesure que s’accroît sa fortune, et glisse de plus en plus vers la droite parlementaire. Il eut la satisfaction d’être réélu député en 1924, comme socialiste indépendant face à un candidat SFIO auquel il reprochait ses sympathies pour les communistes. À la tête d’un cabinet florissant, jouissant d’une excellente implantation locale, il apparaissait déjà bien davantage comme un opportuniste, avant tout soucieux de sa réussite sociale, que comme un homme de conviction. En 1927, il est élu Sénateur de la Seine, comme candidat sans étiquette, mais avec le soutien du centre droit et de la droite. Il est plusieurs fois ministre et président du Conseil. En 1931, Laval est élu « Homme de l’année » par le Time magazine aux États-Unis.

Il mènera au cours de ces différents mandats une politique déflationniste, qui ne fera qu’aggraver la crise économique et sociale des années 1930, (bien qu’en 1935 le budget de l’État français est l’un des rares en Europe à être en équilibre, ce qui est précisément un effet de cette politique déflationniste) et précipiter la victoire électorale du Front populaire. Un autre aspect de sa politique est la limitation du budget de l’armée au moment où Hitler remilitarise l’Allemagne. Sur le plan diplomatique, alors que s’affirme la menace nazie, Laval multiplie tous azimuts les initiatives souvent brouillonnes et contradictoires. Il rencontre Staline à Moscou et conclut avec lui un pacte d’assistance franco-soviétique (mai 1935), mais ne l’assortit pas d’un accord militaire.

Il rencontre peu après Mussolini à Rome, et ne réagit pas quand ce dernier le met dans la confidence des préparatifs de l’agression contre l’Éthiopie. Le Duce interprète cela comme un consentement à sa guerre, qu’il déclenche en octobre 1935, et accueille avec fureur les sanctions de Paris et de Londres, croyant à une trahison de Laval, ce qui entre autres contribue au rapprochement Rome-Berlin et à la constitution de l’Axe, qui précipitera l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale. En novembre 1942, lors d’une réunion à Munich avec Hitler, où Laval est présent, Mussolini confiera à l’interprète Paul Schmidt que Laval lui avait rendu fier service en 1935, en refusant de couper le ravitaillement en pétrole de l’Italie et de fermer le canal de Suez : dans ce cas, les troupes italiennes n’auraient plus eu qu’à se retirer d’Éthiopie sous huit jours.

En janvier 1936, à l’approche du Front populaire, Laval est écarté du pouvoir. Il en gardera, dès cette date, une vive hostilité envers les « socialo-communistes » qu’il associera à la Troisième République. Réélu à son poste de sénateur de la Seine pendant 10 jours en 1936, il devient sénateur du Puy-de-Dôme la même année. À partir de 1937, il incline vers des idées sinon autoritaires, du moins antiparlementaires. De retour au privé, il accumule un empire commercial basé sur les journaux, l’imprimerie et la radio. La défaite de 1940 fournit à Laval l’occasion de revenir au pouvoir. Il place son empire de médias au service de Pétain et du gouvernement de Vichy. Le lendemain même de la conclusion de l’armistice du 22 juin 1940 il entre au gouvernement Philippe Pétain. Le 10 juillet 1940, il use également de son influence à l’Assemblée nationale pour faire donner à Pétain les pleins pouvoirs. Deux jours plus tard, le 12 juillet 1940, Laval est appelé par Pétain comme vice-président du Conseil, le maréchal restant à la fois chef de l’État et du gouvernement.

Laval développa des rapports très étroits avec Otto Abetz, ambassadeur allemand en France. Jouant de son image de « francophile », ce dernier le persuade un peu plus, tout à fait à tort, que le Führer est prêt à tendre la main au vaincu et à réserver à la France une place privilégiée dans l’Europe nazie. Le 22 octobre 1940, Laval rencontre Adolf Hitler à Montoire et propose que les deux pays s’allient très étroitement. Deux jours après, il organise l’entrevue retentissante de Montoire, où la poignée de main symbolique entre Hitler et Pétain engage la France dans la collaboration d’État. Un mois plus tard, lors d’une autre réunion avec Hermann Göring, Laval suggère une alliance militaire avec l’Allemagne nazie, et fait dresser des plans pour une reconquête commune du Tchad, passé aux gaullistes sous l’impulsion de son gouverneur, Félix Éboué. Il multiplie par ailleurs les gestes de bonne volonté, sans contrepartie aucune ni demandée ni obtenue. Ainsi, il livre à l’Allemagne l’or de la Banque nationale de Belgique, confié par Bruxelles à la France. Il lui cède les participations françaises dans les mines de cuivre de Bor (Serbie), les plus importantes d’Europe à produire ce métal hautement stratégique. Il envisage le retour du gouvernement à Paris, où il serait plus étroitement sous regard allemand.

De juillet à décembre 1940, Laval mène une politique de collaboration active, avec le projet d’alliance avec l’Allemagne nazie évoqué ci-dessus. Des membres du gouvernement se sont inquiétés au sujet de cette alliance. Mais surtout, Laval agit trop indépendamment au goût de Pétain, jaloux de son autorité, et son impopularité auprès de la masse des Français risque à terme de rejaillir sur le régime. Enfin, c’est le dernier parlementaire à siéger encore au gouvernement, et il déplaît aux tenants de la Révolution nationale comme vestige de la République honnie. Le 13 décembre 1940, Philippe Pétain limoge brusquement Laval, et le remplace par Flandin puis par Darlan, lequel poursuit d’ailleurs sans grand changement la politique de collaboration et renforce le caractère autoritaire du régime.

Laval est brièvement arrêté, mais Otto Abetz intervient pour le libérer et l’emmène à Paris, où il vivra désormais sous la protection de l’armée allemande. Ce limogeage n’empêche pas Pierre Laval de continuer à participer à la vie publique et politique. Le 27 août 1941, alors qu’il passait en revue le premier contingent de la Légion des volontaires français (LVF), volontaires français sous uniforme nazi sur le point de partir pour participer à l’opération Barbarossa, Laval est victime d’un attentat à Versailles. La cérémonie organisée à la caserne Borgnis-Desbordes, avenue de Paris, réunissait Eugène Deloncle, président du Comité central de la Légion des volontaires français, Marcel Déat, fondateur du Rassemblement national populaire (RNP), Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, Marc Chevallier, préfet de Seine-et-Oise et le ministre plénipotentiaire allemand Schleier.

L’auteur des cinq coups de feu est un jeune ouvrier de 21 ans, Paul Collette, ancien membre des Croix-de-feu. Le 17 avril 1942, toujours sous la pression allemande, Laval, qui a recouvré la santé, est nommé chef du gouvernement du régime de Vichy par le maréchal Philippe Pétain. Il déclare publiquement qu’il croit en la victoire définitive de l’Allemagne nazie et renforce encore la politique de collaboration avec l’occupant. Si Pétain n’a toujours pas d’affection personnelle pour Laval, il partage avec lui les mêmes options de politique extérieure, et approuve ses décisions en conseil des ministres. En juin 1942, le maréchal déclare très clairement en public que les propos et les ordres de Laval sont « comme les [siens] » et que tous lui doivent obéissance comme à lui-même. Ainsi que l’ont montré Henri Michel, Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma et bien d’autres historiens, il n’a jamais existé de différences entre un « Vichy de Pétain » et un « Vichy de Laval », que les apologistes de Pétain ont inventées après la guerre afin de rejeter sur le seul Laval la responsabilité des turpitudes du Régime de Vichy.

éru de diplomatie, intimement persuadé d’être le seul Français capable de négocier avec Hitler, Laval mise tout sur une collaboration sans équivoque qui consiste à anticiper sur les désirs allemands et à multiplier les gages de bonne volonté envers le vainqueur, sans en attendre de contrepartie. Il espère ainsi obtenir de Joachim von Ribbentrop ou d’Hitler l’entrevue décisive, pendant laquelle il fait d’avance généreusement confiance aux capacités de charme personnel qu’il se prête pour séduire les chefs nazis, et les convaincre de réserver à la France une place de choix dans l’Europe allemande. Laval ne semble jamais avoir eu conscience ni de la spécificité radicale de l’idéologie nazie et du régime hitlérien, ni de l’absence complète de volonté du Führer de traiter la France ni aucun autre vassal comme un partenaire.

Profondément convaincu d’avoir raison seul contre tous, et persuadé que la postérité seule comprendrait les mérites de sa politique, Laval n’a jamais tenu aucun compte de l’impopularité de sa personne et du sentiment de collaboration auprès de la masse des Français, pas plus que des avertissements qui lui parvenaient de plus en plus de toutes parts. D’où, parmi tant d’autres témoignages, ce dialogue significatif avec le général Weygand, en novembre 1942, au moment où ce dernier doit quitter Vichy en raison de l’avancée des troupes allemandes dans la « zone libre » : « Monsieur Laval, vous avez contre vous 95 % des Français.Dites plutôt 98 %, mais je ferai leur bonheur malgré eux. » Pierre Laval s’enferre ainsi sans retour dans une politique de collaboration de plus en plus coûteuse humainement et moralement pour la France, sans contrepartie. Il n’en varie pas, y compris en 1943-1944, alors que la défaite allemande est pourtant devenue prévisible.

Le 22 juin 1942, Laval prononce à la radio un retentissant discours dont se détachent ces phrases essentielles : « J’ai toujours trop aimé mon pays pour me soucier d’être populaire ; j’ai à remplir mon rôle de chef » « Darlan lisait les communiqués tous les matins afin de savoir quel camp choisir dans la journée, pour ou contre l’Allemagne. Je ne m’occupe pas des communiqués : je mène une politique dont rien ne me fera changer ». « Agir de telle façon que l’Allemagne ne soit pas trop forte pour nous éteindre, mais de telle façon que le bolchevisme ne puisse pas, lui, nous supprimer. » Et la non moins célèbre : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que sans elle le bolchevisme, demain, s’installerait partout ».

L’effet sur l’opinion publique est désastreux, les propres conseillers et ministres de Laval sont effondrés. Préparant ce discours, Laval avait annoncé à ses conseillers qu’il mettrait aux Français « de l’acide sulfurique sur leurs plaies ». Alors que tous lui demandent de ne pas insérer cette phrase, il tient absolument à la garder, estimant qu’il doit dissiper toute équivoque envers les Allemands et ancrer résolument la France dans le camp de l’Axe. Il consent toutefois à montrer son texte au maréchal Pétain. Ce dernier se contente de lui faire modifier la version initiale – « Je crois à la victoire de l’Allemagne » – du moment qu’un civil n’a pas selon lui à faire de pronostic militaire. D’avoir émis le souhait de la victoire allemande discrédite définitivement Laval dans l’esprit de la masse des Français occupés. Laval reviendra plusieurs fois en public sur cette phrase, toujours pour refuser de la désavouer. Il déclara plus tard au moment de son procès que cette phrase lui valut la confiance du Führer et que de l’avoir prononcée lui sauva la vie quand il dut se rendre précipitamment à Munich en novembre 1942 pour voir Adolf Hitler qui s’inquiétait d’un revirement possible du gouvernement de Vichy à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. Hitler était persuadé que la présence de Darlan à Alger n’était pas fortuite et craignait que son ralliement aux forces américaines ait reçu l’aval de Vichy.

En septembre 1942, il autorise la Gestapo à pourchasser les résistants français en Zone libre (mission Desloges). Lors de l’invasion de la Zone Sud le 11 novembre, il ne démissionne pas et reste au pouvoir, comme Pétain. Le matin du 27 novembre, il tente in extrémis d’empêcher par téléphone le sabordage de la Flotte française à Toulon, au risque que ses nombreux navires de guerre tombent tous aux mains d’Hitler. En public comme en privé, Laval réaffirmera jusqu’à la fin son refus viscéral de toute idée de double-jeu. De fait, cet homme si souvent stigmatisé par ses contemporains comme un « maquignon » et un « opportuniste » joue jusqu’au bout un seul jeu : celui de l’entente avec l’Allemagne. Le 27 mars 1942, trois semaines avant le retour de Laval au pouvoir, le premier convoi de déportés juifs en direction d’Auschwitz a lieu au départ de Drancy et Compiègne. Dannecker, chef de la Gestapo à Paris, prévoit la déportation dans un premier temps de tous les Juifs adultes vivant en France occupée ou non occupée. Il a besoin pour cela du concours des forces de police en zone occupée et de la collaboration du gouvernement de Vichy en zone non occupée.

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Le Maréchal Pétain et Pierre Laval

Début juillet, selon une notice conçue par son attaché Camille Gaspard, Pierre Laval propose de livrer les Juifs étrangers vivant en zone non occupée en y joignant leurs enfants, en échange de l’exemption collective des Juifs de nationalité française des deux zones. Ses responsabilités dans la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ du 16-17 juillet 1942 et dans celle perpétrée le 26 août 1942 en zone sud sont accablantes. Sollicité de revenir sur sa décision d’inclure dans les convois les enfants de moins de 16 ans (initialement non demandés des Allemands), notamment par le pasteur Boegner, chef des protestants de France, Laval refuse : « pas un seul de ces enfants ne doit rester en France ». Le pasteur Boegner rapportera plus tard : « Que pouvais-je obtenir d’un homme à qui les Allemands avaient fait croire - ou qui faisait semblant de croire - que les juifs emmenés de France allaient en Pologne du Sud pour y cultiver les terres de l’État juif que l’Allemagne affirmait vouloir constituer. Je lui parlais de massacre, il me répondait jardinage ». Laval ne semble jamais s’être préoccupé particulièrement du sort exact qui pouvait attendre les familles déportées. Il prétendra après la guerre avoir livré les Juifs étrangers pour éviter la déportation des Juifs français.

Mais sans même parler du caractère singulier et pour le moins éthiquement discutable de ce marchandage, Laval n’a jamais demandé ni obtenu la moindre assurance écrite des Allemands à ce sujet, se fiant visiblement à de vagues assurances verbales jamais tenues, puisque des milliers de Juifs français sont déportés ultérieurement à leur tour. Par ailleurs, Laval tient peu après la rafle parisienne du Vel’ d’Hiv’ ses seuls propos antisémites connus, déclarant aux préfets faire de la « prophylaxie sociale » en débarrassant la France de Juifs étrangers qui auraient « abusé de son hospitalité » et fait de l’Hexagone un « dépotoir » humain.

Le Commissariat général aux questions juives, dirigé par Darquier de Pellepoix, est sous l’autorité directe de Laval depuis juillet 1942. Le 30 septembre 1942, dans un télégramme aux ambassades françaises à travers le monde, il reprend une rhétorique antisémite pour justifier les récentes déportations : "Le seul moyen de conjurer le péril juif était le rapatriement de ces individus dans l'Est de l'Europe, leur pays d'origine". Pour la seule année 1942, plus de 43 000 Juifs sont déportés, la plupart arrêtés par la police française. En août 1943, Laval refuse cependant de dénaturaliser les Juifs français, ce qui aurait permis aux Allemands d’accélérer leur déportation. 11 000 Juifs n’en sont pas moins déportés encore cette année-là, et 17 000 en 1944. 80 % d’entre eux ont été arrêtés par la police française. 97 % des Juifs déportés périssent dans les chambres à gaz ou sont exterminés par le travail dans les camps de concentration.

Des 11 000 enfants de moins de 16 ans déportés, la plupart sur l’insistance personnelle de Laval, aucun n’est revenu. Dès le 12 mai 1942, Laval écrit au ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, pour lui proposer la participation de la France à l’effort de guerre allemand, au travers de l’envoi de travailleurs. Le Reich manque en effet cruellement de main-d’œuvre, ses ouvriers étant massivement mobilisés sur le front de l’Est. Lors de son discours du 22 juin 1942, Laval annonce la décision très controversée de créer la Relève, ancêtre du Service du travail obligatoire (STO). Il s’agit d’envoyer les meilleurs travailleurs en Allemagne en échange de prisonniers de guerre français. Mais Laval tait jusqu’au 11 août le véritable taux d’échange : trois ouvriers spécialistes contre un seul prisonnier paysan.

En outre, la plupart des prisonniers libérés par le Reich sont des hommes âgés ou malades, peu productifs donc, et qui auraient sans doute été rapatriés de toute façon. Début septembre, la Relève est un échec, avec seulement 17 000 candidats au départ. Sur l’impatience du gauleiter Fritz Sauckel, le « négrier de l’Europe », Laval passe alors au recrutement forcé. Le 4 septembre, Pétain promulgue une première loi à l’origine du départ forcé de 250 000 ouvriers en Allemagne en à peine six mois. Les exigences suivantes de Sauckel reçoivent pareillement pleine satisfaction : le 16 février 1943, une loi signée de Laval permet l’envoi en Allemagne de tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1923. Au total, en juillet 1943, plus de 600 000 travailleurs ont été envoyés en Allemagne.

Laval met activement l’inspection du travail, la police et la gendarmerie au service des prélèvements forcés de main-d’œuvre et de la traque des réfractaires au Service du travail obligatoire. Le 11 juin, dans un discours radiodiffusé, il menace ouvertement les réfractaires de représailles sur leur famille. Il durcit aussi les mesures à l’encontre de ceux qui les aident, et supprime les exemptions des étudiants et des jeunes paysans. Le prix à payer est lourd, sans aucune contrepartie : l’économie est désorganisée par la saignée en travailleurs, l’impopularité du régime se voit considérablement accrue, des milliers de jeunes réfractaires au Service du travail obligatoire sont jetés dans les bras de la Résistance et à l’origine de la naissance des maquis.

Tardivement conscient que le Service du travail obligatoire mine le régime, Laval finit par s’opposer aux nouvelles demandes exorbitantes de Fritz Sauckel lors d’une entrevue très orageuse le 6 août 1943. Cette dernière est assez rude pour que Laval soit pris d’une syncope et s’évanouisse. Appuyé par le ministre de l’Armement allemand Albert Speer, qui préfère désormais que les vaincus produisent sur place pour le Reich plutôt que de les exploiter en Allemagne, Laval obtient une suspension des départs, mais en échange d’une intégration considérablement accrue de l’industrie française à l’économie de guerre nazie (accords Albert Speer - Jean Bichelonne, 15 septembre 1943). Auparavant, Laval a été le seul chef de gouvernement d’Europe occupée à avoir « rempli à 100 % le programme de main-d’œuvre » (télégramme du plénipotentiaire d’ambassade Schleier à Berlin, avril 1943), et grâce à son aide indispensable, Sauckel a toujours obtenu tout ce qu’il voulait jusqu’à l’été 1943.

En janvier 1943, Laval crée la Milice française, force de police politique sous la conduite de Joseph Darnand, mais dont il est officiellement le président. En six mois, elle recrute plus de 35 000 hommes et joue alors le principal rôle dans la traque des Juifs et des résistants, qui sont soit torturés et exécutés sommairement sur place, soit déportés vers les camps de concentration. Recrutant largement parmi les ultra-collaborationnistes convaincus, mais aussi les aventuriers de toutes sortes et les criminels de droit commun, la Milice s’illustre aussi par de nombreux vols, viols, extorsions de fonds, voies de fait sur la voie publique ou agressions contre des fonctionnaires et des policiers.

Laval ne désavouera jamais son soutien public à la Milice. En novembre 1943, il proclame qu’il marche « main dans la main avec Darnand » car « la démocratie, c’est l’antichambre du bolchevisme ». En juillet 1944, il apparaît sincèrement horrifié par l’assassinat de son ancien ami et collègue de gouvernement, Georges Mandel, liquidé par la Milice. Mais il ne montrera guère d’émotion particulière pour les nombreuses autres exactions de cet authentique instrument de guerre civile, qu’il a lui-même encouragé à sévir. Cette même année 1943, il livre Léon Blum, Paul Reynaud et Édouard Daladier aux nazis. Depuis son retour au pouvoir, Pierre Laval obtient des prérogatives sans cesse accrues de la part de Pétain, avec l’appui des Allemands. Laval cumule de plus en plus de portefeuilles et place ses créatures à tous les postes-clés. Dès l’été 1942, il est à la fois ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Information. La gendarmerie est directement placée sous son autorité depuis juin 1942. Doté du titre nouveau de « chef du gouvernement » en avril 1942, Laval redevient dauphin officiel du maréchal en novembre 1942, après que l’amiral Darlan a changé de camp et est passé aux Américains lors du débarquement allié en Afrique du Nord.

Le 26 novembre, un acte constitutionnel de Pétain l’autorise à signer seul tous les décrets et les lois. En 1943, il obtient même des pouvoirs constituants. Il est officiellement le chef de la Milice française. René Bousquet, qu’il a placé au Secrétariat général de la police, se montre en toutes circonstances l’un de ses protégés les plus fidèles. Ce grand responsable des déportations de Juifs sera d’ailleurs encore à ses côtés dans sa cellule de Fresnes pour partager ses derniers instants (Pascale Froment, René Bousquet, Fayard, 2001). Les Commissariats spécialisés chargés de la persécution des Juifs ou de la livraison de main-d’œuvre à l’Allemagne relèvent aussi directement du chef du gouvernement. Plusieurs autres ministres sont des alliés et amis proches, ainsi Pierre Cathala aux Finances ou Jean Bichelonne à la Production industrielle et aux Transports.

Laval dispose aussi d’une clientèle de compatriotes auvergnats qu’il place à d’importantes fonctions. Le préfet de police de Paris, Amédée Bussière, un des principaux organisateurs de la rafle du Vel’ d’Hiv, est un Clermontois qu’il a connu à la préfecture du Puy-de-Dôme. À la tête de la Légion française des combattants, Laval installe le maire d’Ambert Raymond Lachal, partisan d’une ligne plus collaborationniste. Un autre Auvergnat, Grasset, devient ministre de la Santé. L’administration pénitentiaire, qui collabore à la garde des résistants capturés, est dirigée par Baillet, qu’il a connu comme commissaire à Aubervilliers du temps où il en était député. Très peu intéressé par la Révolution nationale, sans préjugés antisémites ou antimaçonniques particuliers, Laval n’hésite pas à prononcer le mot honni de « République » dans ses discours. Trop isolé et trop impopulaire pour négliger des soutiens éventuels, il est prêt à s’appuyer sur des républicains ralliés au régime, passant outre les récriminations des collaborationnistes et des pétainistes. C’est ainsi que Laval fait sonder entre autres l’ancien préfet de Chartres révoqué par Pétain, Jean Moulin, pour voir s’il veut reprendre du service au profit de l’État français. Celui dont Laval ignorait qu’il était entre-temps devenu l’un des plus grands résistants français opposa évidemment une fin de non-recevoir.

Mais à partir de fin 1943, Laval accepte aussi la fascisation progressive du régime en faisant entrer à son gouvernement les ultra-collaborationnistes affichés Joseph Darnand, Philippe Henriot et Marcel Déat. Il laisse la Milice française, organisation de type ouvertement fasciste, prendre un rôle de plus en plus grand dans l’État, un milicien devenant même préfet de Montpellier. En août 1944, après le jour J, Laval démissionne mais est emmené par les Allemands à Belfort puis à Sigmaringen en Allemagne. En mai 1945, il fuit en Espagne, est arrêté à Barcelone et, le 30 juillet, remis au gouvernement provisoire français promulgué par le général de Gaulle. Laval comparait devant la Haute cour de justice en octobre 1945. Particulièrement inconscient de la gravité des actes qui lui sont reprochés, Laval parlait fréquemment à ses proches du jour où il reprendrait sa carrière politique… Il semblait sincèrement persuadé de pouvoir encore convaincre ses juges du bien-fondé et de la nécessité de sa politique. La haine générale accumulée contre lui pendant l’Occupation éclate au grand jour à son entrée dans le box des accusés : très vite, Laval est hué et insulté par les jurés (dont plusieurs sont d’anciens collègues au Parlement, qu’il s’est pris inconsidérément à tutoyer familièrement), il est de fait empêché de parler et de se défendre. Il est exclu de son procès, et la défense refuse de plaider en protestation. La presse résistante elle-même condamnera le naufrage pénible du procès. Laval n’en est pas moins beaucoup trop compromis pour que le verdict de culpabilité fasse de toute façon le moindre doute. Il est condamné à mort le 9 octobre pour « Haute trahison en ayant aidé l’ennemi et violé la sécurité de l’État ».

Pierre Laval lors de son procès

Pierre Laval lors de son procès

Alors qu’il avait tenté de se suicider le jour de son exécution en avalant une capsule de cyanure, les médecins lui firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d'estomac. Son état s’étant sensiblement amélioré, il fut amené devant le peloton d'exécution qui le fusilla le 15 octobre 1945, dans la cour de la prison de Fresnes. Dans Le Procès Laval. Compte rendu sténographique (1946), réalisé sous la direction de Maurice Garçon, les derniers moments de Laval sont décrits en ces termes : « Le 15 octobre, vers 9 h 00 du matin, M. le Procureur Général Mornet, accompagné de M. le Président de la Commission d’Instruction Bouchardon, se présentèrent à la prison de Fresnes dans la cellule du condamné, lui annoncèrent que le moment était venu d’expier. Pierre Laval était couché et parut ne pas entendre. Rapidement on comprit qu’il était sous le coup d’une intoxication et le docteur Paul, médecin légiste, qui était présent, lui fit une piqûre de morphine. On trouva sur les couvertures du lit une ampoule qui avait contenu du poison que le condamné venait d’absorber, ne voulant pas, avait-il écrit, tomber sous des balles françaises. Il devint évident au bout de peu de temps que le poison était éventé. Les médecins firent deux piqûres de camphre, puis procédèrent à un lavage d’estomac.

Le condamné rendit la plus grande partie de la substance toxique qu’il avait absorbée et se ranima assez rapidement. Son état s’étant amélioré, il fut décidé, puisqu’il pouvait se tenir debout et marcher, que l’arrêt serait exécuté. Pierre Laval, qui s’était habillé et qui maintenant paraissait rétabli, marcha d’un pas ferme jusqu’à la porte de la prison et monta dans le fourgon qui le conduisit derrière la prison de Fresnes devant une butte qui pendant la guerre avait servi aux Allemands de lieu d’exécution. Quelques minutes suffirent pour le conduire au poteau. Il refusa l’escabeau qu’on lui proposait pour s’asseoir, se laissa lier au poteau et mourut courageusement. »

Il fut inhumé dans une fosse commune du cimetière parisien de Thiais puis au cimetière du Montparnasse. Alors que huit demandes en révision du procès Pétain ont été rejetées, aucun défenseur de Vichy n’a pris la peine, ou le risque, de demander la révision du procès de Laval. Seule la famille de Laval et en particulier son gendre René de Chambrun, mari de sa fille unique Josée et ardent défenseur de sa mémoire, milita pour sa réhabilitation, mais en pure perte. Jean Jardin (1904-1976), son directeur de cabinet, fut aussi son éminence grise et continua à jouer ce rôle après la guerre auprès d’autres personnalités.

Mémoires de Guerre - Introduction

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L'ancienne confrontation entre "histoire" et "mémoire", naguère dominée par l'opposition entre Lavisse et Péguy, a resurgi dans le débat historiographique et civique depuis vingt ans. La mémoire est devenue un objet d'histoire ; il n'appartient donc pas à l'Assemblée nationale de décider si le massacre des Arméniens est un génocide. Cette tâche incombe aux historiens. Il existe donc un devoir d'histoire qui respecte les règles du métier d'historien et qui se distingue du devoir de mémoire. La présence de cette mémoire à des effets induits en classe, elle fait partie de nos sociétés, c'est un fait d'histoire, un fait réel mais elle soulève aussi la question des commémorations. N'y a t-il pas danger à multiplier les commémorations ?

Mémoires de Guerre - Introduction

Histoire et mémoire

Comme le précise Krzysztof Pomian , "le droit à l'histoire est en train de devenir dans nos sociétés démocratiques l'un des droits du citoyen. Cela se voit surtout, pour des raisons évidentes, dans l'histoire du temps présent ".

En effet, on constate un temps de remémorations massives, largement médiatisées, issues de pressions diverses, qui ne favorisent pas le travail de deuil, dévalorisent l'oubli et le pardon, contribuent à l'inverse à la promotion de communautarismes "identitaires", sociaux ou géographiques, dont l'affirmation et la promotion mémorielles peuvent contribuer à distendre le lien social. Ces commémorations à répétition, ce "devoir de mémoire" vont donc à l'encontre du but recherché, que nous croyions si utile naguère d'exposer en classe. Sur ce sujet, Paul Ricoeur écrit : "Je reste troublé par l'inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence des commémorations et des abus de mémoire et d'oubli. "

Krzysztof Pomian écrit que "rien n'interdit, en effet, d'admettre que la mémoire est devenue l'une des provinces de l'histoire, tout en reconnaissant qu'elle ne saurait aucunement être enfermée dans ces limites". En effet, l'histoire "n'a pas pour but de célébrer telle ou telle mémoire particulière ni de ressusciter ce qui s'est passé, mais de faire comprendre, dans toute leur complexité, les rapports qui unissent ou divisent…"

Ces commémorations obligatoires représentent un vrai danger car "elles ont envahi le travail de l'historien jusqu'à l'asservir tout entier" et par ricochet le travail du professeur d'histoire et géographie. Le danger est celui d'une histoire à pilotage mémoriel, la pression de la mémoire pouvant contribuer à rompre la chaîne argumentative et paradoxalement à disloquer un peu plus la temporalité.

Il faudra donc faire demain une histoire de la mémoire, en suivant les règles élémentaires du métier d'historien et proposer en classe une historisation pas à pas de la mémoire. D'où la difficulté de fond qui nous assaille aujourd'hui : comment intégrer mémoire et commémorations au corpus historique à transmettre aux élèves ? En attendant, il importe de mieux maîtriser le rapport entre "un devoir de mémoire" socialement et culturellement acquis en ce début du XXIème siècle et un "devoir d'intelligence" qui est au cœur de nos enseignements et de toute éducation.

Deux pistes de réflexion s'ouvrent à nous. D'une part, réfléchir à la notion d'événement, qui devient beaucoup trop aujourd'hui une sorte de valeur-refuge outrageusement médiatisée et sur laquelle l'analyse des suites inlassablement réactualisées (voir le premier anniversaire du 11 septembre 2001) l'emporte sur celles des causes et des effets historiques ; d'autre part, mener une réflexion sur l'usage pédagogique plein du document patrimonial : quelle doit être sa place dans l'argumentaire ? Comment rendre disciplinaire, donner une dimension historique nouvelle à ce qui n'est encore le plus souvent, en classe, qu'un apport pédagogique ?


Auschwitz

Les commémorations : devoir civique ou devoir de mémoire ?

Il y a toujours eu des commémorations, mais les choses ont changé de nature avec la Seconde Guerre mondiale, car elle a d'emblée été tenue pour porteuse de leçons de morale et de civisme. Un appareil de commémorations a été mis en place dès la fin de la guerre : loi instituant la journée de la Déportation, organisation du concours national de la Résistance devenu concours national de la Résistance et de la Déportation, création et diffusion du film Nuit et Brouillard. En France, il y a donc aujourd'hui quatre journées nationales commémoratives pour la seule Seconde Guerre mondiale : la journée de la Déportation ; le 8 mai ; le 16 juillet ; le 27 janvier (ouverture du camp d'Auschwitz), journée européenne créée récemment par le Conseil de l'Europe pour commémorer la Shoah.

Il convient également de réfléchir au rôle joué par les centres de la mémoire, Caen, Oradour-sur-Glane, Péronne, Saint-Omer, demain le Mémorial d'outre-mer à Marseille. Ce sont des lieux financés par les collectivités locales qui ont aussi une fonction touristique. Aussi la mémoire envahit-elle l'histoire puisque, sous l'influence de groupes de pression divers, l'appareil commémoratif a été mis en place avant l'écriture de l'histoire de la guerre.

Celle-ci se heurte par ailleurs à de nombreuses difficultés : premièrement, le poids des "témoins" qui pèse sur l'écriture, d'abord les résistants, puis les déportés, avec le danger de la fascination pour ce que racontent les témoins, en sachant bien aussi que tous les témoins ne sont pas interchangeables. En classe, les témoins peuvent créer de magnifiques moments d'émotion, mais cela nécessite un important travail de préparation non seulement en amont mais aussi en aval. Deuxièmement, l'impératif de comprendre, comme nous l'enseigne Marc Bloch, doit suivre les règles de notre métier consignées dans son Apologie pour l'Histoire ou le métier d'historien et dans L'Étrange défaite : "L'Histoire doit nous permettre de penser le neuf et le surprenant." Troisièmement, la difficulté à gérer le conflit entre l'impératif du travail de compréhension et le discours sur l'interdit de la compréhension, imposé notamment par Claude Lanzmann dans son film Shoah selon lequel Auschwitz serait hors de l'histoire, hors du temps, hors de la pensée. Enfin, quatrièmement, le surgissement de la mémoire régionale, dans les DOM-TOM par exemple à propos de la question de l'esclavage, mais aussi en métropole (par exemple en Ardèche). C'est un enjeu à moyen terme pour les collectivités territoriales et la question va rebondir avec la montée de l'enseignement du fait religieux et des langues régionales.

Jean-Pierre Rioux, inspecteur général de l'Éducation nationale - Annette Wievorka, directrice de recherche au CNRS

 

Allez plus loin :

 

Conférence de Wannsee

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L'objet de la conférence de Wannsee à Berlin, qui réunit, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables civils et militaires du Troisième Reich, porta sur l'organisation administrative, technique et économique de l'extermination des Juifs d'Europe, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann GoeringHeinrich HimmlerReinhard Heydrich et Adolf Eichmann.
Villa Wannsee

Villa Wannsee

Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’Autriche ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive.

Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe à approximativement onze millions de personnes, dont un demi million vivent dans des pays qui ne sont pas sous contrôle allemand. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l'émigration, la prochaine solution à envisager, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d'acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »

Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs. « Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre. Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté. »

Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne l’historien fonctionnaliste Christopher Browning, « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat ; ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu'on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates. » Toujours selon Heydrich, au cours de l'exécution pratique de la solution finale, l'Europe sera passée au peigne fin d'ouest en est.

Heydrich ReinhardL'opération débutera sur le territoire du Reich, y compris les protectorats de Bohême et de Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement Général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés. Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de Theresienstadt.

Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi- Juifs ou quart de Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptions. Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse.

La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy, est autorisé à appliquer ses propres règles qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy.

Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horty mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann.

L’exposé d’Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles. Le représentant du Ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportés.

Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Goering pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Goering assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.

Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d'État, Dr. Bühler, qui « remarqua qu'on saluerait, au Gouvernement général le fait de commencer la solution finale dans le Gouvernement général, car le problème du transport n'y ajouterait pas de difficulté supplémentaire, et que des raisons de mobilisation pour le travail ne viendraient pas y entraver le déroulement de l'action. Il faudrait éloigner aussi vite que possible les Juifs des territoires du Gouvernement général, car le Juif, porteur d'épidémie, y représentait un danger particulièrement éminent, et apportait en outre, par ses trafics continus, le désordre dans la structure économique du pays. Il n'avait qu'un seul souhait: que la question juive soit réglée sur ce territoire le plus vite possible. »

La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur. Une réunion est organisée aux Ministère des territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du Ministère de la propagande.

« En mars 1942, la connaissance de la solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer – selon les termes de Rosenberg – à la tâche historique que le destin a confiée à l’Allemagne nazie. » Le procès-verbal d'Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion est le document sur lequel s'organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d'autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes.

Ce n'est qu'en 1947 qu'une copie du procès-verbal, aussi connu comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvé dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Reinhard HeydrichHeinrich Müller ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l'évènement ou font valoir qu'ils ne pouvaient pas se rappeler ce qui s'est passé là-bas. Seul Friedrich Wilhelm Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.

Le procès-verbal comporte d'importantes omissions, qui ne sont mises en évidence qu'au cours du procès d'Eichmann en Israël en 1962. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion du cognac a été servi, et que la conversation est devenue moins retenue. Il explique : Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d'une manière très différente du langage que j'ai dû utiliser plus tard dans le rapport. [...] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d'extermination.

Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s'est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu'il buvait rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l'accord de la part des participants, et plus que cela, l'accord a pris une forme inattendue. À l'issue de la réunion Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être verbatim.

Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne semble trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon ». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés ».

Le procès-verbal doit donc être lu en conjonction avec le témoignage de Eichmann pour obtenir une vision aussi proche que possible des propos réellement tenus. La conférence de Wannsee ne dure que quatre vingt dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n'est pas comprise par ses participants de l’époque.

Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir.

De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer. Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA ».

Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue d’Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques.

L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des co-responsables du plan qu’il poursuivait.

Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Goering lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli. »

Les participants à la conférence :

Gaulle Charles de

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Charles de Gaulle son rôle dans le destin du pays à partir de 1940 fait certainement de Charles de Gaulle l'homme politique français le plus important du XXe siècle. C'est d'abord dans l'adversité que s'est forgée sa figure : chef de la France libre, il l'a menée à la victoire en 1945. Revenu au pouvoir en 1958 et fondateur de la Ve République, il a mis fin à la guerre d'Algérie et accompli la décolonisation de l'ancien empire; président de la République jusqu'au 28 avril 1969, il dénoue, au moins sur le plan politique, la crise de Mai 68.

Gaulle Charles de

Charles de Gaulle grandit à Paris, où son père, Henri, enseigne l'histoire et les mathématiques dans un collège catholique. À quinze ans, il hésite entre la littérature et l'armée. La crise d'Agadir avec l'Allemagne, en 1911, et la «montée des périls» l'orientent vers l'école militaire de Saint‑Cyr. Il appartient, avec ses trois frères, à la «génération de la revanche», qui veut effacer la défaite de 1870. Engagé dès août 1914, il est blessé deux fois, avant d'être laissé pour mort en mars 1916 sur le champ de bataille de Verdun. Pris par les Allemands, il est soigné et envoyé dans un camp de prisonniers. Sa détention, marquée par trois tentatives d'évasion, ne prend fin qu'avec l'armistice de novembre 1918.

Cette captivité est cependant féconde. Tout en suivant les opérations de guerre – sur lesquelles il fait des conférences –, il essaie, par un vaste programme de lectures, de percer le «mystère» de la France: cinq fois envahie depuis la Révolution, elle n'a pas trouvé les institutions capables de concilier démocratie et stabilité. Mais il laissera dans l'ombre sa réflexion politique pour n'écrire que sur la guerre: la Discorde chez l'ennemi (1924). En 1920, il accompagne le général Weygand auprès des Polonais en guerre contre les bolcheviques. À son retour en France en 1921, il épouse Yvonne Vendroux, qui lui donnera trois enfants: Philippe, Élisabeth et Anne – cette dernière, handicapée, mourra à dix‑neuf ans. Deux années au Liban (1929-1930) achèvent sa formation géopolitique: il y découvre l'Islam résistant à l'Occident et s'interroge sur l'avenir des empires coloniaux.

Ses qualités d'analyste le font remarquer. D'abord par le maréchal Pétain, alors vice‑président du Conseil supérieur de la guerre, qui le prend en 1925 dans son cabinet. De Gaulle multiplie alors les articles sur la situation militaire et politique. Ces réflexions donneront naissance au Fil de l'épée (1932), portrait du chef de guerre, et Vers l'armée de métier (1934), esquisse d'une armée de professionnels conçue pour le mouvement et axée sur les blindés, puis à la France et son armée (1938). C'est ensuite Paul Reynaud, plusieurs fois ministre dans les années 1930 avant de devenir président du Conseil en mars 1940, et partisan de la fermeté face à l'Allemagne nazie, qui le fait entrer dans le cercle de ses collaborateurs. De Gaulle rédige ses déclarations ministérielles; en mai, il est nommé général de brigade à titre temporaire, et, le 5 juin 1940, sous‑secrétaire d'État à la Guerre, dans un gouvernement qui ne durera que onze jours.

Pour Charles de Gaulle, la guerre a commencé en 1938 avec Munich et l'abandon de la Tchécoslovaquie. Il pense qu'elle sera mondiale, que l'URSS – malgré le pacte germano‑soviétique d'août 1939 – et les États‑Unis interviendront, que la défaite de l'Allemagne nazie ne pourra être que l'œuvre d'une alliance des nations. Cette vision stratégique explique sa lucidité pendant la «drôle de guerre» (septembre 1939 ‑ mai 1940), quand les Français se croient à l'abri, et son refus presque solitaire de l'armistice de juin 1940, dont le défaitisme lui paraît «abominable». La guerre éclair de mai‑juin 1940 jette les Français sur les routes de l'exode. À la tête de ses chars, de Gaulle exécute à Montcornet l'une des rares actions brillantes au milieu du désastre. C'est alors que Paul Reynaud l'appelle au ministère et lui demande d'aller à Londres, où il discute avec Winston Churchill d'un pacte d'union franco‑britannique. Rentré en France – à Bordeaux, où le ministère s'est réfugié –, il assiste à la démission de Reynaud puis à l'arrivée de Pétain, qui s'informe auprès des Allemands des conditions d'un armistice. De Gaulle décide alors de retourner à Londres.

Reconnu «chef des Français libres» par Churchill dès le 28 juin, de Gaulle entame un dur combat pour faire valoir la légitimité de son action. En France, l'Assemblée nationale, réunie à Vichy le 10 juillet 1940, donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain; en Grande‑Bretagne même, beaucoup de soldats français réfugiés après Dunkerque, choqués par la destruction de la flotte française basée à Mers el‑Kébir (Algérie, 3 juillet 1940), préfèrent retraverser la Manche. En outre, la majeure partie de l'empire colonial proclame sa fidélité à Vichy.

Cependant, Félix Eboué, gouverneur du Tchad, se rallie dès juillet 1940. Le capitaine Leclerc réussit, à la fin août, à rattacher l'Afrique‑Équatoriale à la France libre. De Gaulle le rejoint au Cameroun et, malgré un échec devant Dakar fin septembre – il a été reçu à coups de canon – lance le 27 octobre 1940, à Brazzaville (République du Congo), son premier manifeste politique. Il y dénonce le régime "inconstitutionnel" du maréchal et proclame sa volonté de "rendre compte de ses actes devant les représentants du peuple français dès qu'il lui sera possible d'en désigner librement"; il crée le Conseil de défense de l'Empire, reconnu par la Grande‑Bretagne le 24 décembre. Il s'oriente désormais vers le combat diplomatique, pour que la France libre soit reconnue par les Alliés comme la "seule" France.

Le ralliement du Moyen‑Orient au printemps 1941 se réalise dans des conditions dramatiques. Restés fidèles à Pétain, les soldats français résistent aux Britanniques et aux Français libres. La victoire remportée, Churchill tergiverse, ne voulant pas accepter que la France libre devienne la puissance mandataire en Syrie. Une grave crise de confiance éclate entre le Premier ministre britannique et le général de Gaulle.

L'invasion de l'URSS par l'armée allemande en mai 1941, puis l'attaque japonaise contre Pearl Harbor en décembre étendent la guerre au monde entier. De Gaulle, pour qui "la présence soviétique dans le camp des Alliés offre, vis‑à‑vis des Anglo‑Saxons, un élément d'équilibre", envoie l'escadrille de chasse Normandie combattre auprès des Russes. Les Américains et les Britanniques songent cependant à ouvrir un second front par un débarquement. L'Afrique du Nord française est choisie, et la date – le 8 novembre 1942 – arrêtée, sans que le chef de la France combattante en soit prévenu. Bien plus, le président Roosevelt choisit de remettre le gouvernement civil et militaire de l'Afrique du Nord libérée entre les mains d'un homme de Vichy, l'amiral Darlan; puis, Darlan ayant été assassiné en décembre 1942, les Américains favorisent l'arrivée au pouvoir du général Giraud, évadé d'Allemagne et amené à Alger par les Britanniques.

C'est le soutien de la Résistance intérieure unie – dans une France entièrement occupée par les Allemands depuis le débarquement à Alger (Algérie) – et le succès de la troupe de Leclerc en Libye et en Tunisie qui permettent à de Gaulle de prendre pied en Afrique du Nord, le 30 mai 1943. La veille, Jean Moulin, initiateur du Conseil national de la Résistance – qui réunit partis traditionnels et mouvements de la Résistance – lui a envoyé un télégramme de fidélité. Face à Giraud, qui n'a pas su rompre avec la législation de Vichy, de Gaulle incarne le retour à la légalité républicaine. D'abord coprésident, puis, à partir du 3 octobre 1943, président du Comité français de libération nationale (CFLN), il gouverne l'Empire français revenu dans la guerre.

Une Assemblée consultative siège à Alger (Algérie); composée de parlementaires ralliés et de représentants des mouvements de la Résistance, elle est chargée de préparer l'avenir. Ainsi entouré, le CFLN se transforme, le 3 juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française, selon le vœu unanime de l'Assemblée, et est reconnu officiellement par les Alliés. Tous les partis y siègent, même le parti communiste, avec lequel le colonel Rémy, agent secret de la France libre, a pris contact dès 1942. Le débarquement allié en Normandie a lieu le 6 juin 1944. Dès le 14, le général de Gaulle est à Courseulles‑sur‑Mer, où la population l'applaudit. Il obtient d'Eisenhower que la division Leclerc libère Paris, et gagne lui-même la capitale le 25 août. Le lendemain, il descend triomphalement les Champs‑Élysées. Libérée, la France de 1944 n'est pas encore victorieuse. Il lui faut participer à la guerre et aller jusqu'à Berlin, où le général de Lattre réussit à imposer la signature de la France aux accords d'armistice, le 8 mai 1945. Le combat engagé si difficilement en 1940 est gagné. Reste à reconstruire le pays.

À la tête du Gouvernement provisoire, le général de Gaulle poursuit sa politique d'union nationale et cherche la «pacification des esprits» – il obtient notamment la dissolution des milices patriotiques formées à la Libération par le PCF. En outre, il veut «rendre la parole au peuple» par voie de référendum: les partis traditionnels, qui voient dans cette pratique un retour aux plébiscites du Second Empire, l'accusent dès lors d'ambitions personnelles, de "bonapartisme". Prisonniers et déportés étant revenus, les élections législatives peuvent avoir lieu; elles sont encadrées par deux référendums: l'un pour savoir s'il faut une nouvelle Constitution (95 % de "oui"), l'autre pour décider de soumettre ou non à référendum le texte élaboré par l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, où dominent les communistes, les démocrates‑chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) et les socialistes (66 % de "oui").

Élu chef de gouvernement à l'unanimité, le 13 novembre 1945, de Gaulle se trouve pourtant rapidement en désaccord avec la majorité de l'Assemblée sur le projet de Constitution: opposé à un système de souveraineté parlementaire, dans lequel il voit la raison de la faiblesse et des errements de la IIIe République, il veut un exécutif plus fort. Le 20 janvier 1946, il démissionne. Était-il convaincu qu'on le rappellerait bien vite? Toujours est-il que, avec la ratification de la nouvelle Constitution, en octobre 1946, la IVe République s'installe sans lui, et sans doute contre lui. En avril 1947, de Gaulle lance alors le Rassemblement du peuple français (RPF) pour obtenir la réforme du régime. Malgré un succès immédiat aux élections municipales, il échoue aux élections législatives de 1951. En 1953, il rend leur liberté à ses élus et se retire à Colombey‑les‑Deux‑Églises, où il entreprend la rédaction de ses Mémoires de guerre (1954-1959). Il ne sort guère de son silence que pour s'opposer, en 1954, au projet d'armée européenne.

La guerre d'Indochine se termine en 1954 après la défaite de Diên Biên Phu. La même année commence en Algérie une guerre où le contingent sera bientôt envoyé en renfort de l'armée de métier. Pour prix de cet effort, l'armée exige les pleins pouvoirs afin de faire aboutir sa politique d'"intégration" des musulmans dans l'"Algérie française". Le 13 mai 1958, après une émeute à Alger, le général Massu lance un appel à de Gaulle. Le 15 mai, le général se déclare prêt à former le gouvernement. Le président Coty fait appel à lui le 29 mai, et le Parlement l'investit le 1er juin. Comme en 1946, il pose comme préalable la rédaction d'une Constitution instituant un exécutif fort et soumise à la ratification populaire. Cette condition est acquise en septembre, avec l'aide de Michel Debré, garde des Sceaux: le projet constitutionnel obtient 80 % de "oui", en France et dans l'ensemble du vieil Empire d'outre‑mer, transformé en "Communauté" (seule la Guinée a voté " non "). En décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la Ve République par un collège de notables.

Pendant les dix années où il restera à la tête de l'État, le général de Gaulle va demander au suffrage universel, dans le calme ou la tempête, d'être à la fois la «source» de son action et son "recours". L'œuvre la plus urgente est le règlement de la question algérienne. Paisible en Afrique noire, la marche vers l'autodétermination puis vers l'indépendance est dramatique en Algérie : le chef de l'État doit surmonter la révolte des Européens "pieds‑noirs" en janvier 1960 ("journées des barricades" à Ager, 24 janvier); le putsch des généraux en avril 1961; les vagues d'attentats de l'OAS (dont lui-même manque d'être victime, le 8 septembre à Pont‑sur‑Seine), et, une fois l'indépendance ratifiée (accord d'Évian, 18 mars 1962), il échappe à un nouvel attentat de l'OAS, sur la route du Petit‑Clamart (22 août). Le 28 octobre 1962, il demande aux Français d'approuver pour l'avenir l'élection du président de la République au suffrage universel. Adoptée par 6225 % des voix contre l'ensemble des partis, sauf l'Union pour la nouvelle République (UNR) créée pour le soutenir, cette réforme assure la seconde fondation de la Ve République.

À l'extérieur, de Gaulle conduit avec ténacité une politique d'indépendance nationale. En 1963, il signe avec le chancelier allemand Adenauer un traité (le traité de l'Élysée) qu'il souhaite de réconciliation pour le passé et, pour l'avenir, de construction d'une Europe redevenue maîtresse de son destin. Il le dit à Moscou, où il se rend en 1966; il le dit en Pologne et en Roumanie. Le Cambodge et le Québec entendent ses appels à la liberté des peuples. Il s'attire ainsi l'hostilité des États‑Unis et même celle d'Israël, qu'il prévient contre les méfaits à venir – le terrorisme – de sa guerre de 1967. À l'intérieur, avec la prospérité économique, les progrès de la recherche civile et militaire (avion Caravelle; mise au point de la bombe atomique) sont les instruments de sa politique d'indépendance qui lui permettent de sortir la France de l'OTAN, en 1966.

Réélu en 1965, de Gaulle doit affronter l'opposition des partis de gauche réunis autour de François Mitterrand. Mais c'est à l'université que la crise éclate en mai 1968. Devant l'émeute qui enflamme Paris et les grèves qui paralysent le pays, de Gaulle, dont les premières actions pour rétablir l'ordre puis la proposition d'un référendum sur la participation ont échoué, quitte l'Élysée pour rejoindre le général Massu à Baden‑Baden, le 29 mai. Va-t-il se retirer ? Il revient le lendemain, pour dénoncer à la radio, comme il l'a fait dans les heures graves, la "menace totalitaire" et dissoudre l'Assemblée. Le parti gaulliste, l'Union pour la défense de la République (UDR), remporte triomphalement les élections de juin 1968. Mais, dès avril 1969, le Général entreprend de tester la confiance des Français en organisant un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le "non" l'emporte: il démissionne aussitôt, et assiste silencieux à l'élection de son successeur, Georges Pompidou, qui assure la pérennité du régime. Retiré à Colombey, il rédige le premier tome de ses Mémoires d'espoir (1970) et meurt brusquement, le 9 novembre 1970, dix‑huit mois après avoir quitté le pouvoir.

National-Socialisme

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Doctrine exacerbant les tendances nationalistes et racistes et qui a été l'idéologie politique de l'Allemagne hitlérienne (1933-1945). Pour beaucoup d'historiens, le national-socialisme est un mouvement né avec Hitler, chef du parti nazi depuis 1921. Cette opinion mérite d'être nuancée, car le national-socialisme, s'il exacerbe des tendances nationalistes et racistes, ne les invente pas. Une continuité de l'impérialisme allemand se manifeste de Guillaume II à Hitler en passant par la République de Weimar (1918-1933). Certains spécialistes de la pensée protestante font remonter à Luther les racines du national-socialisme, mais les travaux récents montrent combien grande fut sur Hitler l'influence du catholicisme autrichien.

National-Socialisme

Le pangermanisme apparut vers 1885, se développa après 1890 avec le gouvernement personnel de Guillaume II. Dès cette époque germent des idées telles que la domination de l'Europe centrale par le germanisme, développée par exemple par Julius von Eckardt (1836-1908), celle d'un pangermanisme continental groupant autour du Reich toutes les nations où l'on parle une langue germanique – Pays-Bas, Flandre, Alsace, Moselle, Suisse alémanique, Autriche, etc. Apparaît aussi l'idée de lutte contre la Russie et le slavisme, professée par Paul Anton Bötticher, dit Paul de Lagarde (1827-1891) ou Konstantin Frantz (1817-1891). Ce dernier souhaite une politique d'assimilation et invite les Allemands à déporter les allogènes qui habitent aux frontières à l'intérieur du Reich, pour installer sur ces mêmes frontières des populations véritablement allemandes. La Ligue pangermaniste (Alldeutscher Verband), fondée en 1891, popularise cette pensée.

Les traités de Versailles et de Saint-Germain de 1919, en enlevant à l'Allemagne des terres considérées par elle comme germaniques – Alsace-Lorraine, Posnanie, corridor de Dantzig (→ Gdańsk) –, en dépeçant l'Autriche, laissent croire à certains Allemands que leur pays va vers sa fin, ce qui stimule le sentiment national. Dès 1923-1924, la République de Weimar, stabilisée, favorise ce mouvement. Pour les Allemands, toute région où l'on parle allemand est allemande ; en 1925-1926, deux ouvrages sont publiés par Wilhelm Volz (1870-1958) : Der westdeutsche Volksboden et Der ostdeutsche Volksboden, description de tous les territoires germaniques enlevés au Reich.

Le mot Volk (peuple) et tous ses dérivés (Völkisch, Volkstum, Volkswagen, etc.) – si utilisés par les nationaux-socialistes – commencent une brillante carrière à l'époque de Weimar, où l'on attache une importance primordiale au principe ethnique. Dès 1921, le Deutscher Schulverein (ligue scolaire allemande) spécifie dans ses statuts que par Deutsche il faut entendre Stammdeutsche, c'est-à-dire « Allemand de sang » : les Juifs allemands ne peuvent appartenir à cette association. On distingue couramment toute une série d'Allemands classés selon leur domicile, à l'intérieur du Reich, à la frontière, à l'étranger (Inlanddeutsche, Grenzdeutsche, Auslanddeutsche), selon leur nationalité (Reichsdeutsche, Auslandreichsdeutsche, Deutschausländer), selon des données ethno-linguistiques (Allemand de sang, Stammdeutsche ; Allemand de langue, Sprachedeutsche ; Allemand de « volonté », Gesinnungsdeutsche ; le germanisé, Eingedeutschte ; le dégermanisé, Entdeutschte). Ainsi, bien avant les lois de Nuremberg (septembre 1935), on connaît en Allemagne d'importantes distinctions fondées sur la race.

L'impérialisme allemand dispose donc de fondements pseudo-philosophiques. Il s'appuie aussi sur d'innombrables organisations : la Ligue pangermaniste et le Verein für das Deutschtum in Ausland (VDA, appelé aussi Deutscher Schulverein), qui, fondé en 1881, n'a que 58 000 adhérents en 1914, mais qui, réorganisé en 1921, se retrouve avec 2 225 000 adhérents en 1929 et dispose à Stuttgart d'un Institut de recherches inauguré par Gustav Stresemann et d'une revue à laquelle collaborent des hommes politiques, y compris des socialistes. Quant au Deutscher Schutzbund, il est créé en 1919 pour préparer l'Anschluss avec l'Autriche. En 1928, le budget du Reich distribue à ces diverses organisations, selon Raymond Poincaré, 95 millions de Reichsmark. En 1931, il leur octroie officiellement 47 millions de mark de subventions.

De plus, sous la république de Weimar, beaucoup d'intellectuels réfléchissent sur le devenir de l'Allemagne. La plupart sont des nationalistes connus, tels Oswald Spengler, Arthur Moeller van den Bruck. Il faut aussi rappeler les idées d'un Rathenau ou d'un Thomas Mann à la fin de la Première Guerre mondiale.

Walter Rathenau veut une révolution organique et juste : il faut que l'élite traditionnelle disparaisse et que se substitue à elle une élite fondée sur la science. Il souhaite la création d'un Volksstaat, qui serait un État adapté aux besoins du peuple, et il s'en prend à la « ploutocratie capitaliste » et au prolétariat, à l'individualisme forcené et au démocratisme occidental. Rathenau souhaite un État corporatif qui ferait de tous les Allemands des travailleurs égaux, classés par catégories professionnelles, par corporation : le Stand.

Même Thomas Mann critique la société allemande traditionnelle. Il refuse la bourgeoisie technocratique et spécialisée, et regrette presque le temps où la noblesse dominait. Il se sent profondément Européen et pense que l'Allemagne appartient au monde occidental ; mais, dans les années 1920 à 1930, il critique la France embourgeoisée et l'Angleterre impérialiste. L'Allemagne a pour mission de respiritualiser le monde, et puisque, depuis la guerre de Trente Ans (1618-1648), il n'y a plus de bourgeoisie allemande, il faut socialiser l'État et la société, construire un communisme hiérarchisé et, par l'économie dirigée, intégrer la classe ouvrière dans la nation. La pensée de Mann conduit à rétablir, en le modernisant, l'Obrigkeitsstaat, c'est-à-dire une forme de despotisme éclairé où l'équilibre économique serait recherché.

Si des démocrates, comme Rathenau et Thomas Mann, ont pu développer des idées de ce genre, comment s'exprimera la « pensée antidémocratique » ? Oswald Spengler en devient le chantre avec deux ouvrages : le Déclin de l'Occident (Der Untergang des Abendlandes, 1918-1922) et Preussentum und Sozialismus (1920).

Selon Spengler, toute culture, organisme vivant, se fige en civilisation. L'Allemagne n'échappera à cela que si elle se replie sur elle-même et s'inspire des vertus authentiquement prussiennes. Elle doit aussi défendre la civilisation occidentale contre les peuples asiatiques et les races de couleur.

Mais surtout Spengler distingue deux Allemagnes : l'Allemagne occidentale, morcelée, corrompue par les miasmes étrangers – catholicisme, capitalisme, marxisme –, et la Prusse, marquée par la tradition du travail en commun. Pour échapper à la décadence, il faut désintellectualiser la démocratie, démarxiser le socialisme, favoriser l'intégration de toutes les classes dans la société et les incorporer dans la tradition prussienne d'autorité et de discipline. La restauration politique de l'Allemagne sera fondée sur une élite et il faudra :

 

  • un pouvoir exécutif fort ;
  • un Reichstag sans pouvoir réel ;
  • une forte bureaucratie ;
  • une économie réorganisée, dans laquelle l'État jouera le rôle déterminant par le moyen de l'impôt et d'une banque d'État ;
  • un retour au droit germanique, car le droit romain accorde une trop grande place à la propriété ;
  • une réforme de l'enseignement, de manière à forger des hommes ouverts sur le monde et non des spécialistes.


Des thèmes analogues sont développés par Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), qui, dans trois ouvrages (Der preussische Stil, 1916 ; Das dritte Reich, 1923 ; Das ewige Reich, écrit en 1924 et publié en 1934), montre que le nationalisme allemand est nécessaire, car seul il peut maintenir l'Allemagne, pays du milieu de l'Europe et fondement solide de l'équilibre européen.

Van den Bruck donne au nationalisme allemand un caractère à la fois conservateur et révolutionnaire. Révolutionnaire dans la mesure où il se veut socialiste, mais « a-marxiste », conservateur par son attachement à la tradition, par sa critique d'un libéralisme qui forme des individus médiocres, uniquement soucieux d'égalité et de prestige personnel, par sa haine d'une démocratie qui tue l'idée héroïque et aristocratique, et assure le triomphe de l'idée romaine et latine.

L'Allemand ne peut être, selon lui, le citoyen de la Révolution française ni le prolétaire de la Révolution soviétique. Il est nécessaire de défendre le germanisme, de le fonder sur le monde et la race nordiques, car il y a eu dégermanisation accélérée par la catholicisation. Le regroupement ne peut se faire qu'autour d'une nation protestante ; la Prusse en sera le moteur, car, dans cette patrie du Volksstaat, peut grandir le socialisme national qui permet l'intégration et le maintien de la nation. Il faut donc créer le « IIIe Reich », le fonder sur le Volksgeist, sur la jeunesse dynamique, sur les chômeurs, qui, dans un État socialiste national et corporatiste, seront le moteur de l'expansion. Le IIIe Reich reposera aussi sur le Volksstaat et sera dirigé par un chef issu du peuple, der völkische Führer. Tout cela révèle l'influence de l'économiste Friedrich List, du socialisme d'État et du philosophe Nietzsche.

Van den Bruck préconise encore un Reich à la fois fédération et confédération, reposant sur des corps fédéraux, les Länder, des corporations politiques et des corporations économiques. Ainsi, l'État allemand reconstitué pourra, de nouveau, jouer un rôle dynamique et faciliter l'unité de l'Europe autour de lui. En définitive, Moeller van den Bruck apparaît comme le théoricien du néo-conservatisme, rejetant libéralisme, capitalisme, démocratie et marxisme au profit d'un État populaire et national, le Volksstaat.

Toutes ces idées ont un très grand écho en Allemagne, surtout dans les milieux intellectuels, mais aussi dans une partie importante de la société allemande, d'autant plus qu'elles sont reprises et développées par des écrivains et des intellectuels connus.

La revue Die Tat (« l'Action ») joue un rôle considérable. Fondée en 1908 par des intellectuels, cette revue d'universitaires qui ne veulent pas descendre dans l'arène politique est un centre de recherches pour un État et un socialisme nouveaux. Un homme marque cette entreprise de son influence, le juriste Carl Schmitt, théoricien du parlementarisme rationalisé, qui estime qu'une Constitution n'existe que dans la mesure où elle exprime une réalité donnée.

Schmitt souhaite un véritable pluralisme, que coordonnerait le président du Reich, pôle stable de la nation, élu qu'il est par le peuple et disposant du droit de référendum. En matière économique, Die Tat critique le capitalisme. L'économiste Ferdinand Fried (1898-1967) montre que, de 1860 à 1914, le capitalisme s'est figé et bureaucratisé. Il faut donc que l'État intervienne et facilite la vie économique autonome du pays. Marqué par la pensée de List, Fried préconise une économie autarcique.

Un troisième thème paraît souvent dans Die Tat : le rôle des Églises. Pour éviter le fascisme, il faut renouveler l'élite allemande : seule l'Église luthérienne, par sa notion du pouvoir (Obrigkeit), peut y aider. Or, au temps de Weimar, on l'a oubliée à cause de l'anticléricalisme du parti social-démocrate (SPD) et du catholicisme triomphant du parti du Centre (Zentrumspartei). Il faut donc renforcer l'influence du protestantisme pour que l'idéal communautaire – conforme à la tradition protestante – puisse interdire la transformation de l'État en un État totalitaire. Cette glorification du protestantisme, que l'on retrouve chez Max Weber, tient une large place dans la pensée de cette époque.

Ainsi, tout au long de la République de Weimar se développe une pensée antilibérale, antidémocratique, qui veut un État fort, organisé, ne laissant pas de place aux traditions non germaniques, marxisme, catholicisme, capitalisme, etc. Ces thèmes, très proches de la doctrine nationale-socialiste, vont être profondément déformés par celle-ci dans un sens totalitaire, mais d'une manière suffisamment habile pour que la masse de la population ne se rende pas compte de cette déformation. Enfin, un dernier élément de la pensée nationale-socialiste s'est considérablement développé sous la République de Weimar, l'antisémitisme.

L'antisémitisme existe en Allemagne depuis le Moyen Âge, mais pendant longtemps il a surtout été virulent dans les milieux ruraux, où le Juif était assimilé à l'usurier. Dans les années 1880 apparaît un antisémitisme d'un type nouveau, lié à la notion d'appartenance sociologique. Aussi, pour lutter contre les Juifs, il faut, disait l'historien Heinrich von Treitschke, favoriser les mariages mixtes de façon à intégrer les populations juives dans le peuple allemand. Paul de Lagarde pense qu'il faut les assimiler. L'influence de cette pensée est considérable, d'autant plus que Treitschke est un historien très lu. Pour lui comme pour beaucoup de ses contemporains, les Juifs représentent un État dans l'État qu'il convient de résorber.

Mais, très vite, l'antisémitisme prend une tournure différente, un aspect raciste, sous l'influence du comte Joseph Arthur de Gobineau, et surtout, de deux de ses disciples, Richard Wagner et Houston Stewart Chamberlain. Dès lors, l'antisémitisme allemand sera à la fois raciste et nationaliste. L'influence de Chamberlain, gendre de Wagner, puis conseiller de Guillaume II et qui, dès 1923, entre en relation avec Hitler, est considérable. Son livre les Assises du XIXe siècle (1899) fait l'apologie de la race aryenne (→ Aryens) et des Germains. Cette idée avait déjà été exprimée en 1881 par Karl Eugen Dühring , le socialiste adversaire de Marx et d'Engels, qui, dans Die Judenfrage, demande que l'on sépare les Juifs des autres peuples et que l'on crée un État juif pour y déporter tous les Juifs.

L'antisémitisme devient le thème essentiel du parti social-chrétien d'Adolf Stoecker (1835-1909). Sous l'influence de Dühring, ce parti préconise l'exclusion des Juifs de l'enseignement et de la presse, un numerus clausus à leur égard dans le barreau et la magistrature, l'interdiction des mariages mixtes, la confiscation des biens des capitalistes juifs.

Ce mouvement s'accentue avec l'apparition de sociétés antisémites, comme la société Thulé (Thulegesellschaft), fondée en 1912. Ainsi se constitue un courant profond dans la bonne société allemande, qui se développe particulièrement au moment des crises politiques et économiques marquant le début et la fin de la République de Weimar.

Ce mouvement a d'ailleurs un caractère antichrétien, car, à la suite du philosophe Fichte, puis de Dühring, bon nombre d'antisémites dénoncent la falsification des Évangiles par la pensée juive. Fichte ne reprochait-il pas à Luther d'avoir fait une place trop importante à saint Paul, qui avait judaïsé le christianisme ? Paul de Lagarde, quant à lui, transforme Jésus en un rabbin de Nazareth. Il n'est pas le Fils de Dieu, comme le prétend la « légende biblique du Nouveau Testament ». Chamberlain, lui, voudrait prouver que Jésus n'est pas Juif, mais, comme David, le descendant d'une famille aryenne.

Tous ces thèmes seront repris à l'époque nationale-socialiste par le mouvement chrétien allemand, dirigé par le pasteur Ludwig Müller (1883-1945) – le futur évêque du IIIe Reich.

Ainsi, l'antisémitisme hitlérien plonge-t-il très loin ses racines et sera-t-il pendant très longtemps dans la tradition de la pensée allemande. Il ne s'en écartera qu'à partir du moment où il passera à la liquidation des Juifs d'Europe.

Toutefois, c'est par la pensée autrichienne qu'a été nourri l'antisémitisme de Hitler ; celui-ci a subi en particulier l'influence de Georg Schönerer (1842-1921), dont s'inspire le Deutsche Arbeiterpartei Österreichs, et de Karl Lueger (1844-1910), chef du parti chrétien social autrichien.

La pensée nationale-socialiste s'épanouit donc dans un cadre idéologique aux assises profondes. Adolf Hitler se contente de développer cette pensée, de l'exacerber, et – par son magnétisme – il popularise des idées qui avaient surtout cours dans les classes moyennes et la bourgeoise allemandes.

Après la Première Guerre mondiale, à laquelle il participe avec courage, Hitler adhère en 1919 au parti ouvrier allemand (Deutsche Arbeiterpartei), fondé par un ouvrier de Munich, Anton Drexler. Il y rejoint un ingénieur, Gottfried Feder, le premier théoricien du parti, et le capitaine Ernst Röhm, le futur chef des SA, une des milices du parti.

Très vite, Hitler entre au comité directeur, puis en prend la direction, change son nom dès 1920 en « parti national-socialiste des travailleurs allemands » (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP). De ce groupuscule qui, en 1919, comptait 60 membres, il fait un parti dont le journal –Völkischer Beobachter – tire en 1922 à 20 000 exemplaires. Dès lors, la vie de Hitler se confond avec celle de son parti.

La crise économique et les talents d'organisateur de Hitler offrent au parti nazi toutes ses chances. En 1932, il est devenu le premier parti d'Allemagne grâce à sa démagogie, sa violence, grâce aussi à sa doctrine, qui trouve un large écho dans l'opinion publique. En 1933, quand il prend le pouvoir, il a déjà plus d'un million d'adhérents, qu'il recrute dans les classes moyennes et dans la classe ouvrière. On peut noter cette importance considérable des ouvriers et leur croissance de 1930 à 1932. Ceux-ci forment de même une part considérable de l'électorat, et beaucoup d'historiens estiment qu'il y a un lien entre extension du chômage et vote nazi. On peut aussi souligner le poids des jeunes dans le parti nazi, surtout ouvriers et étudiants et des enseignants : 2,5 % des adhérents, alors qu'ils reprsentent que 0,9 % de la population active.

Le programme du parti a été publié en 25 points dès 1920 et exposé pour la première fois au cours d'une réunion publique organisée le 24 février à la Hofbräuhaus, une brasserie de Munich, devant deux mille personnes. Sans doute, ce texte est-il très sommaire, mais il insiste à peu près sur tous les thèmes chers à l'opinion publique de Weimar.

Le nationalisme, le racisme en sont les thèmes essentiels. Sont seuls considérés comme citoyens allemands ceux de sang allemand. Tous les Allemands, en vertu du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, doivent être réunis dans une grande Allemagne. Le programme revendique ainsi l'Autriche, la haute Silésie à la Pologne, le Sleswig (au Danemark), les Sudètes (à la Tchécoslovaquie) et l'Alsace-Lorraine. Les commentaires publiés par le parti précisent que ces peuples doivent être rattachés par plébiscite, mais que le but du gouvernement allemand est de protéger les intérêts de tous les Deutschausländer.

De plus, dans son ouvrage Mein KampfMon combat »), Hitler affirme qu'il faudrait à l'Allemagne des Randkolonien ( « colonies limitrophes »), comme l'Ukraine ou la Pologne, qui permettraient à l'Allemagne de vivre normalement. Cette notion d'« espace vital » (Lebensraum) devient un des thèmes essentiels de Mein Kampf.

Le programme de 1920 est nettement antiparlementaire et surtout préconise une politique économique et sociale planifiée et étatisée. Il a des aspects socialisants, car il prévoit l'étatisation des trusts, la participation des ouvriers aux bénéfices et la réforme agraire ; l'article 17 envisage même l'expropriation sans indemnité des grands propriétaires.

Mais très vite, ce programme est aménagé pour éviter de trop effrayer les possédants. Les biens concernés ne sont que les biens détenus par les Juifs. Le commentaire de Gottfried Feder en 1927 est symptomatique à cet égard, puisqu'il affirme que « le national-socialisme reconnaît comme un de ses principes la propriété privée ».

Ce programme est fondamental, car on y trouve dès 1920 tous les thèmes du IIIe Reich. On constate une nette ressemblance avec les textes de Die Tat, de Spengler ou de Rathenau. Pourtant, la différence est sensible. Ce que veulent les intellectuels antidémocratiques de la période de Weimar, c'est un nationalisme bourgeois et aristocratique, voire raffiné ; ce que proposent les nationaux-socialistes, c'est un nationalisme populaire, brutal, à la recherche de l'efficacité. Avec le « principe du chef » (Führerprinzip), on est en présence d'une pensée antidémocratique, antilibérale, antihumaniste.

Rosenberg AlfredAlfred Rosenberg collabore dès 1921 au Völkischer Beobachter. Son œuvre est dominée par trois concepts : la race, l'anticommunisme, l'espace vital. D'origine balte, membre de la société Thulé, Rosenberg apporte à Hitler l'idée du Lebensraum ; mais, surtout dans le Mythe du XXe siècle (Der Mythus des 20. Jahrhunderts, 1930), il se fait le théoricien de l'antisémitisme. Il prétend apporter une image nouvelle de l'histoire de la Terre et de l'humanité. Pour lui, toute l'histoire se ramène au conflit des Nordiques aryens contre les Sémites. Il expose également une pensée anticatholique et presque antichrétienne, et développe la mythologie nationale. Il fait par exemple l'apologie du dieu Odin, dont il retrouve l'inspiration dans la chevalerie, chez les mystiques allemands, dans la pensée de Frédéric le Grand.

Walter Darré, leader du mouvement agricole et Führer des paysans, est, lui aussi, raciste. Ses deux ouvrages les plus importants, la Paysannerie comme source de vie de la race nordique (1928) et Nouvelle Noblesse de sang et de sol (1930), fondent une doctrine agraire sur les liens « du sang et du sol » (Blut und Boden). Walter Darré veut montrer que la race nordique – parce que paysanne – est héroïque, colonisatrice et guerrière. Cela lui paraît lié au fait que les Nordiques n'ont jamais été nomades ; quand ils se sont déplacés, c'était pour coloniser. Le paysan nordique « est la première forme de l'officier prussien ».

Il existe des liens entre paysannerie et aristocratie, car une élite véritable est liée à une famille et non à des individus. Elle se prépare par une longue hérédité. Malheureusement, pour Darré, la noblesse allemande est en décadence, car elle s'est muée en caste et urbanisée. Il faut donc que le IIIe Reich recrée une noblesse. Darré souhaite la création de domaines héréditaires (Erbhof) et fait une longue étude de ce que devrait être le Führerblut (« le sang des chefs »).

Toutes ces idées développées par Darré, Rosenberg ou d'autres sont orchestrées par Mein Kampf. Hitler glorifie dès les premières pages de son livre les Germains et les vrais Allemands contre les Habsbourg, qui ont contribué à dégermaniser des terres allemandes. Exaltant la nation, il s'en prend à toutes les Internationales – juive, marxiste, catholique –, quitte, d'ailleurs, à imiter leurs principes d'organisation (il y a des liens très nets entre les structures du parti nazi et celles du parti communiste de l'Union soviétique). De même, Hitler ne cache pas son admiration pour l'organisation et la discipline jésuites.

Critiquant le parlementarisme, il défend le Führerprinzip (« principe du chef »). Si l'on veut avoir les masses avec soi, dit-il, il faut prendre soin d'elles. Miséreuses et livrées à elles-mêmes, elles rêvent de socialisme international ; guidées par des chefs, elles se laissent nationaliser. Ce n'est pas difficile, car elles ont l'esprit de camaraderie, de solidarité, de sacrifice. Elles aiment l'intolérance et la brutalité. Le chef, c'est le plus fort qui mène le jeu, et le Führer, c'est le chef suprême. Il est le reflet du Volkstum (« caractère national »). Il incarne le rythme et le style de vie du Volk. « Le chef est au peuple ce que la conscience est à l'inconscience. » Il doit s'appuyer sur une institution qui dépende de lui, et le modèle pour Hitler est l'ordre Teutonique, ordre masculin hiérarchisé.

Le Führerstaat s'identifie au Volksstaat. C'est le parti unique qui doit être le fondement d'un gouvernement. L'État est une communauté d'êtres vivants, égaux, gouvernés par les meilleurs ; il lui faut faire une place importante à la jeunesse et à l'éducation, mais toujours sous la responsabilité du chef. L'État doit être centralisé pour que les directives du chef soient bien comprises de tous : comme le rappelle la devise Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer ! (« Un peuple, un empire, un guide ! »). Dans cet État national-socialiste, on peut transformer la bureaucratie et la mettre au service du peuple. À ce peuple ne peuvent appartenir que les Allemands, et tous doivent obéir à leur Führer. Tels sont les principes que, dès son arrivée au pouvoir, le 30 janvier 1933, Hitler va appliquer.

Le gouvernement constitué par Hitler en 1933 est un gouvernement de coalition du type le plus traditionnel. Outre Hitler, il ne comporte que deux ministres nationaux-socialistes : Wilhelm Frick et Hermann Göring. L'un est ministre de l'Intérieur du Reich et le restera jusqu'en 1943, l'autre ministre du Reich sans portefeuille, commissaire du Reich en Prusse et commissaire du Reich à l'aviation.

Dès le 1er février, toute la police allemande est contrôlée par les nazis. Aux autres postes sont nommés des sympathisants, qui très vite se convertiront au national-socialisme et, pour la plupart, restent ministres pendant la plus grande partie du régime comme le général Werner von Blomberg, à la tête de la Reichswehr (l'armée autorisée à l'Allemagne par le traité de Versailles), et qui restera ministre jusqu'en 1938. Les autres ministres sont des membres de parti national allemand (DNP) comme Alfred Hugenberg, le magnat de la presse, qui détient tous les portefeuilles économiques, mais qui se retire dès juillet 1933, et le chef de l'association d'anciens combattants Casque d'acier, Franz Seldte (1882-1947), ministre du Travail, poste qu'il conservera jusqu'en mai 1945.

Dès le 1er février, Hitler fait dissoudre le Reichstag par Hindenburg, « afin que le peuple puisse prendre position devant le nouveau gouvernement de concentration nationale ». Les élections sont fixées au 5 mars. Le 6 février, le commissaire du Reich en Prusse, Göring, se voit attribuer les pouvoirs du ministère prussien. Aussitôt après, le Landtag de Prusse est dissous. Dans le Reich, désormais, les nazis possèdent des pouvoirs considérables. Frick et Göring épurent leurs administrations respectives et prennent en main la police. En Prusse, Göring fait de la SA une véritable police auxiliaire et donne ordre à l'ensemble des forces de police de favoriser le mouvement nazi et de lutter, au besoin par les armes, contre l'agitation marxiste.

Utilisant avec maestria tous les pouvoirs que lui donne la Constitution de 1919 (en particulier l'article 48), Hitler fait promulguer par Hindenburg une ordonnance (4 février) qui autorise le gouvernement à interdire les réunions publiques, à suspendre les journaux, à prendre « toute mesure qu'il jugerait salutaire ». Dès lors, les nazis disposent de tous les moyens pour lutter contre les marxistes. Mais il n'est pas encore possible de dissoudre le parti communiste.

Le 27 février, le Reichstag brûle, incendié par les nazis. Un communiste hollandais, Marinus Van der Lubbe, est arrêté sur les lieux, ce qui sert de prétexte à une lutte très vive contre les communistes. Plusieurs milliers de dirigeants sont arrêtés, la presse marxiste est interdite, les sièges du parti sont occupés. Le 28 février, une ordonnance suspend les droits fondamentaux, et, le 1er mars, un autre texte décide d'assimiler à la haute trahison l'incitation à la grève. La gauche est disloquée, et aucune réaction ne se produit.

Les communistes perdent un million de voix, mais les sociaux-démocrates se maintiennent et gagnent des sièges. La situation est analogue pour le centre, qui progresse en voix et en sièges. Les nationaux-socialistes et les nationaux-allemands (parti national allemand, DNP) sont les grands vainqueurs de cette consultation. Les nazis gagnent 6 millions de voix et près de 100 sièges. Ils ont 288 sièges sur 647 députés, mais communistes, socialistes et populistes arrivent à grouper 208 députés, le Centre et les partis apparentés en ayant 96. Les nationaux-socialistes, à eux seuls, n'ont pas la majorité absolue, mais ils l'ont très largement avec les nationaux-allemands. Leur position est renforcée par la mise hors la loi du parti communiste au lendemain des élections. En effet, le parti est dissous, et Hitler dispose désormais de pouvoirs considérables.

Pourtant, dans les Länder, les nazis n'obtiennent pas toujours la majorité. Ils ne l'ont ni en Bavière ni en Prusse. Dès lors, conformément à la Constitution, Hitler nomme des commissaires du Reich dotés de pouvoirs importants, comme Göring en Prusse.

Le 21 mars, dans l'église de Garnisonkirche de Potsdam, a lieu une cérémonie extraordinaire. Devant les plus hautes autorités du pays, en présence du Kronprinz, fils de l'empereur déchu Guillaume II, Hitler dénonce le traité de Versailles et invite les partis à s'élever « au-dessus de l'étroitesse d'une pensée doctrinaire et partisane ». Le 24 mars, le Reichstag vote à la majorité des deux tiers les pleins pouvoirs à Hitler pour quatre ans (Ermächtigungsgesetz). Seuls les sociaux-démocrates ont voté contre. Le Centre, dont les voix sont indispensables, car une majorité des deux tiers s'impose, fait confiance à Hitler, sans doute contre la promesse d'un concordat auquel Hitler fait allusion dans son discours. Le chancelier demande aussi que le Parlement accepte de ne plus être consulté régulièrement, il réclame et obtient pour le gouvernement qu'il préside des pouvoirs considérables. Dès lors, avec la bénédiction des Églises – en particulier de l'Église catholique – Hitler est le maître absolu du Reich.

Les partis politiques croient pouvoir continuer leur action et « s'abandonnent, dit l'historien allemand Hans Rothfels, à l'illusion de la possibilité d'une opposition politique ». On voit même dans le Wurtemberg le parti social-démocrate inviter les municipalités socialistes à soutenir la politique du gouvernement. Mais, le 22 juin, le parti socialiste est dissous. Le 4 juillet, le Centre s'autodissout. Le 14 juillet, le parti nazi devient le seul parti du Reich.

Le gouvernement ne se contente pas de supprimer les partis : le 2 mai, il a dissous les syndicats. Après avoir invité leurs chefs à une grandiose fête du Travail, il fait occuper leurs sièges berlinois et emprisonner leurs chefs. Tous les syndicats sont alors incorporés dans le Front allemand du travail (Deutsche Arbeitsfront, DAF), organisé par la loi du 24 octobre 1934, qui prône la solidarité entre employeurs et employés au sein de la communauté nationale, et encadre toute la population jusque dans ses loisirs à travers son organisation la Force par la Joie (Kraft durch Freude).

Ainsi, la prise en main annoncée par Goebbels dessine « les lignes normales d'une Allemagne dans laquelle il n'y aura qu'une seule opinion, un seul parti, une seule conviction ».

La mise au pas hitlérienne arrive peu à peu à ses fins. Le 1er décembre 1933 est promulguée la loi pour la garantie de l'« unité du parti et du Reich ». À la tête du parti se trouve Hitler, aidé par un état-major de 17 personnes, dirigées par le lieutenant du Führer, Rudolf Hess. En dessous viennent des Gaue (provinces), menées par des Gauleiter. Les Gaue sont divisées en Kreise (arrondissements), cantons (Ortsgruppen), et ceux-ci en cellules (Zellen). Partout une hiérarchie stricte, que complètent les organisations parallèles : SA (Sturmabteilung), SS (Schutzstaffel), HJ (→ Hitlerjugend, Jeunesse hitlérienne), DAF, associations féminines, universitaires. À partir du 1er décembre 1936, tous les garçons et les filles doivent adhérer à la Jeunesse hitlérienne, qui compte 8 millions de membres en 1939. Tout cela contribue à faire de l'Allemagne une machine bien huilée, surveillée, contrôlée et endoctrinée.

Joseph GoebbelsC'est ainsi qu'apparaissent les premières mesures antisémites. On épure la presse et l'on commence à contrôler l'édition. Le 13 mars 1933, Paul Joseph Goebbels devient ministre de la Propagande. Son ministère contrôle toute la vie intellectuelle, organise des autodafés de livres d'auteurs libéraux, socialistes, communistes, pacifistes, juifs, notamment le 10 mai 1933 lors de la Nuit de cristal. Tous les moyens modernes de communication et d'information sont utilisés : la radio, qui retransmet les discours, surtout ceux de Hitler et de Goebbels, la presse (particulièrement le journal du parti, le Völkischer Beobachter), la musique, les marches, les grands rassemblements.

Deux premiers camps de déportés sont créés : à Oranienburg, près de Berlin, et à Dachau, près de Munich. Dès le mois d'avril, on y trouve 30 000 déportés politiques, socialistes ou communistes.

Le 1er mai 1933, Göring fonde la police secrète d'État prussienne, dont la fusion, sous la direction de Heinrich Himmler et de Reinhard Heydrich, avec les autres organisations policières allemandes donnera naissance à la Gestapo (Geheime Staatspolizei).

Instituée en 1923, la SS (Schutzstaffel, « échelon de protection ») n'était au départ que la petite garde personnelle d'Adolf Hitler. Dès 1931, elle est chargée de « nettoyer » le parti nazi, le NSDAP, des éventuels saboteurs ou agents qui auraient pu y être infiltrés. Lorsque le NSDAP devient une organisation de masse, après que la SA fut décapitée lors de la Nuit des longs couteaux (30 juin 1934), la SS devint la gardienne de la pureté idéologique et raciale, le vecteur principal de la révolution nationale-socialiste. Selon le journaliste et sociologue Eugen Kogon (l'État SS, 1946), son but est de « former la nouvelle couche de chefs et d'éliminer toute opposition ».

Heinrich Himmler, membre du parti dès août 1923 et l'un des participants – aux côtés d'Ernst Röhm –, au putsch de Munich tenté par Hitler le 8 novembre 1923 contre le gouvernement bavarois, est nommé Reichsführer des SS le 6 janvier 1929. Il parvient à faire intégrer à son organisation la police du Reich. En 1936, le « fidèle Heinrich » est nommé chef de toute la police. Il n'obéit qu'à Hitler et dirige alors une organisation composée de plusieurs corps :

 

  • la SS générale (Allgemeine SS), dont les membres militants continuent par ailleurs d'exercer leur profession ;
  • la SS armée (Waffen SS), dont les effectifs s'enflent jusqu'à devenir, après l'entrée en guerre contre l'URSS le 22 juin 1941, une véritable armée à côté de la Wehrmacht, et comptant en 1945 900 000 hommes dont un grand nombre de volontaires étrangers ;
  • les « unités Tête de mort » (SS-Totenkopfverbände), qui assurent la surveillance des camps de concentration ;
  • l'Office pour la race et la colonisation, chargé de veiller à la pureté raciale du peuple allemand et d'organiser la colonisation et la germanisation des nouveaux territoires ;
  • l'Office central pour l'économie et l'administration (Wirtschafts und Verwaltungshauptamt,WVHA ), dirigé par Oswald Pohl et responsable des entreprises contrôlées par la SS, de la gestion des camps de concentration et de la main-d'œuvre forcée qu'y constituent les déportés.


Mais surtout – dès septembre 1939 – le redoutable Service central de la sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt, RSHA), qui regroupe, sous la direction de Reinhard Heydrich, la police secrète d'État, la Gestapo, le service de sécurité (Sicherheitsdienst, SD) et la police criminelle (Kriminalpolizei), la Kripo.

Avec la guerre, la SS atteint l'apogée de sa puissance. Elle étend son emprise non seulement sur le Reich, mais également sur les territoires occupés et sur le réseau de camps de concentration, qui ne cesse de se développer. C'est elle qui met en œuvre le programme d'anéantissement des « ennemis du Reich », mais aussi qui est chargée de terroriser les populations.

Les hitlériens complètent leur propagande par une réorganisation de l'enseignement et une mise au pas des universitaires. Hitler proclame : « Dans un État national-socialiste, l'enseignement doit tendre non pas à entasser des connaissances, mais à obtenir des corps physiquement sains. »

Les professeurs opposants sont mis à l'écart, qu'ils soient communistes, Juifs ou simplement hostiles au régime. Il est vrai que Hitler peut s'appuyer sur une bonne partie du corps enseignant : 30 % des instituteurs, 35 à 40 % des professeurs du second degré, plus de la moitié des professeurs du supérieur sont proches du parti nazi.

Dès 1933, on réorganise la formation des maîtres. Les Hochschule für Lehrbildung prennent les élèves-maîtres pour quatre ans d'internat, et maîtres et élèves doivent aller aux cours en uniforme du parti. Directeurs et professeurs sont à la fois fonctionnaires de l'État et chefs de Jeunesse hitlérienne. Le but est que l'instituteur soit dans sa commune à la fois un maître, un instructeur politique et un officier de réserve.

En 1939, l'association nationale-socialiste des enseignants fournit 7 Gauleiter, 78 Kreisleiter et 2 668 Ortsleiter ; 18 000 instituteurs et institutrices encadrent la Jeunesse hitlérienne. L'objectif est une politisation de l'enseignement, qu'on veut au service de la nation, de la défense et de la politique. Il faut inculquer aux enfants l'idée de race, de supériorité des peuples germaniques, la conviction que le destin de l'Allemagne est à l'Est et que l'armée est la force éternelle du Reich.

En même temps sont instaurées des écoles de formation politique, les Nationalpolitische Erziehungsanstalten (NAPOLA). Leur but est de « préparer par une solide éducation nationale-socialiste des jeunes gens au service du Reich, du peuple et de l'État ». Il faut fournir des diplômés conscients de l'unité des caractères physiques et mentaux de leur race, sûrs d'eux, fidèles, sérieux, entreprenants, physiquement forts, intellectuellement armés. Pour la formation des maîtres du parti sont créés des Adolf Hitler-Schulen et des Ordensschulen, centres supérieurs de formation des cadres.

Tout au long de l'année 1933, on assiste à une réorganisation des administrations. Le gouvernement intervient dans la vie de la justice et donne à l'adjoint du Führer la possibilité de casser les jugements trop indulgents. Un tribunal du peuple est créé pour les crimes politiques. En mai 1933, on s'attaque à l'économie. Walter Darré devient ministre de l'Agriculture et Führer de la paysannerie du Reich. Hitler ordonne un programme de grands travaux sous la direction de Fritz Todt, en particulier d'autoroutes.

On crée dans le parti une série d'organisations destinées à doubler et à contrôler les administrations. Mais surtout un essor considérable est donné à la propagande. La radio en est un élément essentiel, ainsi que le cinéma et les écrivains. Il ne faut pas oublier les cérémonies grandioses qui frappent les foules, comme le congrès de Nuremberg (1er-3 septembre), la fête de la moisson, les quêtes sur la voie publique. Toutes ces cérémonies sont autant de parades, comme des films à grand spectacle.

Une loi du 30 janvier 1934 unifie le Reich. Déjà le 31 mars 1933, une loi a dissous les parlements locaux et décidé qu'il n'y aurait plus de Landtage, mais que, dans chaque Land, les assemblées locales seraient constituées dans les mêmes proportions que pour les élections au Reichstag. En avril, à la tête de chaque Land sont placés des Statthalter. Enfin, en Prusse, le chancelier lui-même est Statthalter. Désormais, les Länder n'ont plus aucune autonomie : la loi du 30 janvier 1934 les supprime purement et simplement. Les Statthalter deviennent des hauts fonctionnaires sous l'autorité du ministre de l'Intérieur du Reich. Il n'y a plus de fédération des Länder allemands, mais un État allemand centralisé. Peu à peu, les divers services des Länder disparaissent à leur tour, et, comme il n'y a plus de Länder, le Reichsrat (Chambre haute) est également supprimé (14 février 1934).

Motivé par un pangermanisme et un nationalisme d'action, le national-socialisme pratique très vite une politique expansionniste. En 1935, la propagande hitlérienne détermine le choix des Sarrois, qui, par plébiscite, décident de la réunion de leur territoire au IIIe Reich (→ Sarre).

 

  • En 1936, Hitler – au mépris des traités – fait réoccuper militairement la zone rhénane (→ Rhénanie) ;
  • en 1938, c'est l'Anschluss (rattachement de l'Autriche) et l'invasion de la région tchécoslovaque des Sudètes (→ Tchécoslovaquie) ;
  • en 1939, celle de la Bohême et de la Moravie, de Memel (→ Klaipeda) puis de Dantzig (→ Gdańsk). L'occupation de cette dernière ville prélude à la Seconde Guerre mondiale, qui verra l'Allemagne nazie dominer une bonne partie de l'Europe.

Bonnard Abel

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Abel Bonnard, né le 19 décembre 1883 à Poitiers et mort le 31 mai 1968 en Espagne, est un poète, romancier, essayiste et homme politique français. 
Abel Bonnard

Abel Bonnard

Maurrassien, il évolua vers le fascisme dans les années 1930. Corse par sa filiation il fait ses études à Marseille, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris. Ayant obtenu une licence de lettres, il devient élève de l’École du Louvre puis membre de l’École française de Rome. À 22 ans il publie un recueil de vers, Les Familiers, couronné par l’Académie française en 1906. Il écrit ensuite et publie deux autres volumes de poésie, Les Royautés et Les Histoires, puis un roman, La Vie et l’Amour (1913). Journaliste, publiciste il écrit pour plusieurs journaux : Le Figaro, Le Journal, Comœdia, ou encore Paris-Midi. D'un long voyage en Extrême-Orient, il tire un ouvrage Notes de voyage : en Chine, que l’Académie française couronne en 1924.

Il publie bien d'autres livres, sur la littérature, les civilisations, la philosophie : La Vie amoureuse d’Henri Beyle, La Vie de saint François d’Assise, Au Maroc, Rome, L’Enfance, Éloge de l’ignorance, L’Argent, L’Amitié, etc. En 1932, il est élu membre de l'Académie française. Il se fait connaître des milieux politiques nationalistes à partir de 1925 par sa collaboration au quotidien de Georges Valois, Le Nouveau Siècle, puis au Courrier royal avec Henry Bordeaux et Georges Bernanos. Sa pensée politique est celle d'un nationalisme maurrassien, antiparlementariste et antisémite ; en 1935, il signe le Manifeste pour la défense de l’Occident et de la Paix en Europe.

Rompant de plus en plus avec l'Action française dont il était jusqu'alors proche, il s'inscrit au Parti populaire français de Jacques Doriot. Son œuvre politique majeure reste Les Modérés (1936). Sous l'occupation, l'attitude d'Abel Bonnard est davantage collaborationniste que maréchaliste : membre du Groupe Collaboration, il soutient des initiatives comme la création de la LVF, et sera l'auteur d'éditoriaux dans Je suis partout dans lesquels il marque sa rupture avec le royalisme et l'antigermanisme de Maurras qu'il ne devait plus revoir.

En avril 1942, il est appelé à Vichy par Laval qui le nomme ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, poste au sein duquel il fait connaitre ses positions anticléricales. Le chroniqueur Jean Galtier-Boissière devait le surnommer « la gestapette », en raison de son homosexualité notoire et de sa proximité avec les nazis. Après sa fuite à Sigmaringen en 1944, Bonnard se réfugie en Espagne où il obtient l'asile politique après un an passé dans les geôles de Franco. Il est mis à l'index par le CNE pendant l'épuration.

Condamné à mort par contumace le 4 juillet 1945, sa condamnation à la dégradation nationale entraîne son exclusion de l'Académie française, comme Philippe Pétain et Charles Maurras, mais contrairement à ces deux derniers son fauteuil sera pourvu de son vivant. En 1960, il revient en France, est rejugé et condamné à dix ans ans de bannissement avec effet à partir de 1945. La peine était donc symbolique et déjà purgée mais, n'acceptant pas cette « flétrissure morale », Abel Bonnard préfère retourner en Espagne.

Attentat de Sarajevo

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Le 28 juin 1914, à Sarajevo, Gavrilo Princip, Serbe de Bosnie, nationaliste yougoslave, membre du groupe Jeune Bosnie (Mlada Bosna), tue l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l'empire austro-hongrois, et son épouse la duchesse de Hohenberg, au moment où leur accession au trône semblait imminente. L’attentat de Sarajevo est considéré comme l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale.

 

Francois-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg

Francois-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg

Depuis 1878, la Bosnie-Herzégovine, État d'Europe du Sud, était occupée par l'empire d'Autriche-Hongrie, qui l'annexa en 1908, occupation mal vécue par les populations slaves, qui la refusaient et souhaitaient la création d'une jugoslavija (littéralement en serbo-croate : « état slave du sud »), en français Yougoslavie. Les autorités autrichiennes, non sans imprudence, choisirent comme date de la visite de l'archiduc le 28 juin, jour de Vidovdan (une fête religieuse importante chez les Serbes orthodoxes, qui célèbre la Saint-Guy), qui est aussi la date anniversaire de la bataille de Kosovo Polje qui, en 1389, vit la défaite des Serbes devant l'armée turque et l'annexion de leur royaume à l’Empire ottoman pour plus de quatre cent cinquante ans. Cette date correspondait également au quatorzième anniversaire du mariage (controversé car morganatique) du couple princier, et l'archiduc héritier voulait mettre à profit cette visite en province pour apparaître publiquement avec son épouse et lui faire profiter des honneurs que l’étiquette de la Maison impériale et royale ne lui permettait pas de recevoir à la cour.

Les circonstances du voyage d'inspection de François-Ferdinand à la suite des grandes manœuvres organisées en Bosnie-Herzégovine semblent avoir favorisé les assassins. Le voyage de l'archiduc héritier, inspecteur général des armées, était considéré par la minorité serbe comme une provocation. Léon Von Bilinski, ministre des Finances de la monarchie, en charge à Vienne de l'administration de la Bosnie-Herzégovine, refusa de tenir compte de l'avertissement de l'ambassadeur de Serbie à Vienne, Jovan Jovanović, qu'un attentat était en préparation. Des proches du prince lui avaient également déconseillé ce voyage et même son ancien précepteur, un prêtre, lui prédisait « une fin violente qui précipiterait le monde dans un cataclysme général ».

Le prince de Montenuovo, grand-maître de la cour, ordonna le retrait des troupes (40 000 hommes) de Sarajevo, au motif que la duchesse de Hohenberg, n'étant pas membre de la famille impériale et royale, ne pouvait recevoir les honneurs militaires ; le couple ne bénéficiait donc plus de la protection de l'armée. Enfin, une erreur d'itinéraire, lors d'une visite inopinée de l'hôpital où étaient soignées les victimes du premier attentat survenu lors de l'arrivée du couple, obligea la voiture archiducale à s'arrêter au milieu de la foule (le chauffeur n'avait pas été informé des ordres de l'archiduc) et mit le couple à portée de tir du jeune Gavrilo Princip à un moment où, confronté à l'échec de leur entreprise, les jeunes terroristes cherchaient à s'éloigner de la foule.

Par ce geste, les coupables voulaient proclamer leur volonté de voir se réaliser une "Grande Serbie" regroupant tous les Slaves du Sud. Bien que l'archiduc ait été peu aimé par François-Joseph Ier et que certains (à cause de ses idées sur le futur de L'empire) aient vu dans sa disparition un "bon débarras", l'Autriche-Hongrie lance un dernier avertissement avant la guerre (ultimatum) à la Serbie , le 23 juillet 1914. Jeune Bosnie, un groupe de jeunes anarchistes de nationalités serbes, croates et musulmans, était équipé de modèles de pistolets de 1910, issus de la FN Herstal, et de bombes fournies par la Main Noire, une société secrète liée au gouvernement du Royaume de Serbie. La Main Noire était dirigée par le responsable des services secrets serbes, le colonel Dragutin Dimitrijević. Son nom dans l'organisation était Apis. Bien que liée au gouvernement serbe, la Main Noire dispose d'une autonomie énorme au sein du gouvernement serbe. Elle est un état dans l'état. L'armement du groupe de Princip n'est connu que de Apis.

Mais, malgré toutes les précautions de Apis, le président du conseil serbe, Nikola Pašić, apprend la préparation de l'attentat grâce à Protić, le ministre de l'intérieur. Il fait alors demander une enquête sur Apis, et, avec Protić, tente d'arrêter la mission du groupe de Princip. Tentative plus que difficile en effet, le président serbe ne connaissant absolument pas les réseaux de Jeune Bosnie. Il prend malgré tout contact avec les serbes de Bosnie et demande à son ministre, Dušan Stefanović, le ministre de la guerre, de stopper les activités des services de renseignements serbes qui seraient selon lui une menace pour le gouvernement de Serbie. Vont-ils prévenir le gouvernement de Vienne ? Cela n'est pas encore clairement établi. Une chose est sûre : l'ambassadeur serbe à Vienne, Jovan Jovanović, parle du groupe de Princip à Léon Von Bilinski, le ministre des finances et gouverneur de Bosnie, sans que l'on sache s'il s'agit d'une initiative individuelle ou d'une demande du gouvernement serbe d'informer Vienne.

Le degré d'implication de la Main Noire est contesté. Certains estiment que c'est cette organisation qui fut responsable de l'attaque et que les membres de Jeune Bosnie n'étaient que les exécutants. D'autres considèrent que Jeune Bosnie était idéologiquement très éloignée de la Main Noire et était si peu expérimentée que la Main Noire était persuadée que le complot n'aurait jamais réussi. Cependant, la plupart sont d'accord pour dire que la Main Noire a fourni les armes et le cyanure aux assassins. Des liens directs entre le gouvernement serbe et l'action du groupe de Princip n'ont jamais été prouvés. Il existe en fait des indices qui laissent penser que le gouvernement serbe a tenté, de bonne foi, d'étouffer les menaces terroristes en Serbie, puisqu'il évitait de susciter la colère du gouvernement austro-hongrois, après le contrecoup des guerres balkaniques. Selon une autre théorie, l'Okhrana aurait participé à l'attentat avec la Main Noire.

Les relations entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie en 1914 étaient bonnes, le Premier ministre serbe, Nikola Pašić tenant particulièrement à ce bon voisinage, ce qui lui était reproché par les partisans d'une ligne plus dure panslave hostile à la présence autrichienne dans les Balkans. Ici encore, aucune source ne permet de déterminer avec certitude ce qui s'est réellement passé. Les minutes du procès permettent toutefois de savoir comment le complot a été organisé et mis à exécution. Partis de Belgrade, où ils s'exerçaient, les conspirateurs purent traverser la frontière sans encombre avec la complicité certaine d'agents au service de la Serbie et séjourner à Sarajevo quelques jours avant l'arrivée du couple princier.

Les sept conspirateurs n'avaient aucune expérience dans le maniement des armes, et ce n'est que par une extraordinaire succession de coïncidences qu'ils parvinrent à leur fin. À 10h15, la parade de six voitures passa le premier membre du groupe, Mehmedbašić, qui tenta de viser depuis la fenêtre d'un étage supérieur, mais il ne parvint pas à obtenir un bon angle de tir, et décida de ne pas tirer pour ne pas compromettre les occasions de ses partenaires. Le second membre, Nedeljko Čabrinović, lança une bombe (ou un bâton de dynamite, d'après certains rapports) sur la voiture de François-Ferdinand, mais la rata : le prince qui avait pris la bombe dans sa main l'avait jetée par terre ; l'explosion détruisit la voiture suivante, blessant gravement ses passagers, ainsi qu'un policier et plusieurs personnes dans la foule. Čabrinović avala sa pilule de cyanure et sauta dans la Miljacka. La procession se hâta alors en direction de l’Hôtel de ville, et la foule paniqua. La police sortit Čabrinović de la rivière, et celui-ci fut violemment frappé par la foule avant d'être placé en garde à vue. La pilule de cyanure qu'il avait prise était vieille ou de trop faible dosage, de sorte qu'elle n'avait pas eu l'effet escompté. De plus, la rivière ne dépassait pas 10 cm de profondeur, et il ne put s'y noyer. Parmi les autres auteurs du complot, certains s'enfuirent en entendant l'explosion, présumant que l'archiduc avait été tué.

Les conspirateurs restants n'eurent pas l'occasion d'agir à cause des mouvements de foule, et la tentative d'attentat était considéré par ses auteurs comme un échec. Cependant, l'archiduc décida d'aller à l’hôpital rendre visite aux victimes de la bombe de Čabrinović. Pendant ce temps, Gavrilo Princip pour qui le principal mobile de l'attentat était « La vengeance pour toutes les souffrances que l'Autriche fait endurer au peuple » s'était rendu dans une boutique environnante pour s'acheter un sandwich (parce qu'il s'était résigné, ou alors parce qu'il avait cru à tort que l'archiduc était mort dans l'explosion), et il aperçut la voiture de François-Ferdinand qui passait près du pont Latin, le prince voulant obtenir lui-même des nouvelles de l'officier blessé. Princip rattrapa la voiture, puis tira deux fois : la première balle traversa le bord de la voiture et atteignit la duchesse de Hohenberg à l’abdomen. La seconde balle atteignit l'archiduc dans le cou. Tous deux furent conduits à la résidence du gouverneur, où ils moururent de leurs blessures quinze minutes plus tard.

Princip tenta de se suicider, d'abord en ingérant le cyanure, puis avec son pistolet, mais il vomit le poison (ce qui était également arrivé à Nedeljko Čabrinović, ce qui laissa penser à la police que le groupe s'était fait vendre un poison beaucoup trop faible), et le pistolet fut arraché de ses mains par un groupe de badauds avant qu'il ait eu le temps de s'en servir. Pendant leur interrogatoire, Princip, Čabrinović, et les autres ne dévoilèrent rien de la conspiration. Les autorités estimaient que l'emprisonnement était arbitraire, jusqu'à ce qu'un des membres, Danilo Ilić, au cours d'un banal contrôle de papiers, prenne peur, perde son contrôle, et dévoile tout aux deux agents qui l'avaient interpelé, dont le fait que les armes étaient fournies par le gouvernement serbe. L'Autriche-Hongrie accusa la Serbie de l'assassinat et, au cours du Conseil de la Couronne du 7 juillet 1914, posa un ultimatum. L'un des points de cet ultimatum était particulièrement irréalisable, si bien que la Serbie ne put accepter l'ensemble des conditions. Seul, le comte Tisza s'y opposa. Le lendemain, 8 juillet 1914, il rédigea une lettre qui prévenait ainsi l'Empereur : « Une attaque contre la Serbie amènerait très vraisemblablement l'intervention de la Russie et une guerre mondiale s'en suivrait ».

Le 25 juillet 1914, soutenu par la Russie, le gouvernement serbe refuse la participation de policiers autrichiens à l'enquête sur le territoire serbe. Les relations diplomatiques entre les deux États sont rompues. Le 28 juillet 1914, l'Autriche-Hongrie déclara une guerre « préventive » à la Serbie, ce qui, par le jeu des alliances, amena la Première Guerre mondiale. Dans la Wiener Zeitung du 29 juillet 1914, l'Empereur et Roi François-Joseph déclare à ses sujets : « J'ai tout examiné et tout pesé ; c'est la conscience tranquille que je m'engage sur le chemin que m'indique mon devoir » Malgré cette déclaration officielle toujours chargée de rassurer les peuples, d'autres sources affirment que l'empereur octogénaire aurait signé la déclaration de guerre en disant : « Une guerre préventive, c'est comme un suicide par peur de la mort ». Par ailleurs, suivant la tradition, François-Joseph demanda au pape Pie X de bénir ses armées. Le Saint-Père lui répondit : « je ne bénis que la paix ». Tous les membres du complot furent condamnés à l'emprisonnement, sauf Danilo Ilić, qui fut pendu, étant le seul majeur (en Autriche-Hongrie, la peine de mort ne pouvait être appliquée qu'à des condamnés ayant au moins 21 ans). Čabrinović mourut de la tuberculose en prison. Princip succombe également à une tuberculose contractée dans sa cellule le 28 avril 1918.

La Guerre - Définition

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Lutte armée entre États. (La guerre entraîne l'application de règles particulières dans l'ensemble des rapports mutuels entre États ; elle commence par une déclaration de guerre ou un ultimatum et se termine par un armistice et, en principe, par un traité de paix qui met fin à l'état de guerre.) 

Bataille de la Marne

Bataille de la Marne

Les règles essentielles du droit de la guerre résultent des conventions de La Haye et de Genève. L'état de guerre entraîne, entre États belligérants, la rupture de toute relation et la caducité des traités bilatéraux ; entre États belligérants et États tiers, les relations sont fondées sur le principe de la neutralité. De nombreux écrivains de l'Antiquité ont célébré la geste militaire de leur patrie. En Grèce, citons, à côté de la légendaire Iliade, d'Homère, la Guerre du Péloponnèse, chef-d'œuvre de Thucydide, qui relate les événements de la guerre entre Athènes et Sparte jusqu'à l'année 411 avant J.-C. Chez les Romains, Salluste, dans la Guerre de Jugurtha, raconte la guerre de Rome contre le roi des Numides, Jugurtha (112-106 avant J.-C.), tandis que César se met lui-même en scène dans la Guerre des Gaules. Cependant, le point de vue de ces auteurs, qui, pour la plupart, étaient des militaires expérimentés, comme plus tard celui des chroniqueurs médiévaux (Joinville, Villehardouin ou Froissart), n'introduit aucune distance critique : la guerre, quel que soit son motif (conquête ou croisade), est considérée comme une nécessité. L'héroïsme est alors une notion inséparable de la guerre, où il se conquiert. En même temps, le champ de bataille est conçu comme l'espace initiatique par excellence, l'épreuve de la violence et de la mort renvoyant à l'apprentissage de la vie.

De la chronique au lyrisme

À la Renaissance, Blaise de Monluc et Agrippa d'Aubigné témoignent d'une approche plus lyrique de la guerre, qui met en relief son caractère tragiquement quotidien. Mais ce n'est qu'à partir des guerres napoléoniennes, c'est-à-dire a partir de l'avènement de la guerre massive, infiniment plus meurtrière (si elle est moins sauvage sur le plan de l'affrontement individuel), que va se développer dans la littérature une représentation nouvelle de la guerre.

Celle-ci devient un sujet littéraire à proprement parler. Une optique individualiste saisit l'homme isolé dans un mouvement collectif qui le dépasse ; ainsi la bataille de Waterloo, décrite par Stendhal à travers la perception de Fabrice dans la Chartreuse de Parme, introduit-elle à une vision moderne de la guerre. Dans Guerre et Paix, récit du long conflit entre Napoléon et la Russie, Léon Tolstoï, soucieux d'embrasser la totalité du phénomène de la guerre, multiplie les points de vue ; il donne des batailles une approche historique et une analyse stratégique, une description romanesque classique et une vision subjective par l'intermédiaire du prince André, du côté militaire, et de Pierre Bezoukhov, du côté civil. Pour l'Américain Stephen Crane, auteur de l'admirable Conquête du courage (1895), la guerre de Sécession, événement collectif, permet à l'individu d'accéder, par la violence, à un « au-delà du courage et de la lâcheté ». La guerre de Sécession, une des plus cruelles du xixe s., inspira également à l'Américain Ambrose Bierce (1842-1914) plusieurs récits d'horreur.

1914 : une littérature de désespoir

Mais la guerre qui a suscité les textes les plus désespérés est certainement la guerre de 1914-1918, qui, par l'ampleur du carnage, l'angoisse causée par la puissance de destruction des armes modernes, sa durée, fit, plus que toute autre, prendre conscience aux combattants de l'absurdité de leur rôle. Pour certains des écrivains, français, alliés ou allemands, qui participèrent à cette guerre, le pacifisme fut la seule réponse à l'horreur. En France, Henri Barbusse : le Feu, Georges Duhamel : la Vie des martyrs et Roland Dorgelès : les Croix de bois ; en Allemagne, Erich Maria Remarque : A l'ouest rien de nouveau ; aux États-Unis, Ernest Hemingway : l'Adieu aux armes, transcrivent une même expérience de l'absurdité et de l'aliénation, exprimée dérisoirement par Louis-Ferdinand Céline dans Casse-pipe et Voyage au bout de la nuit.

Une littérature de témoignage

En URSS, Vladimir Maïakovski et Mikhaïl Cholokhov (le Don paisible) [1928-1940] ont chanté la guerre civile de 1917. L'Espoir d'André Malraux et Pour qui sonne le glas d'Hemingway décrivent la guerre d'Espagne. La guerre de 1939-1945 a engendré un très grand nombre de témoignages écrits, notamment en France, avec de très nombreux récits sur la guerre et la Résistance, et en Allemagne avec les Journaux de guerre d'Ernst Jünger et Ernst von Salomon, et avec la trilogie de Plivier : Stalingrad (1948), Moscou (1952) et Berlin (1954), mais aucune grande œuvre romanesque ne s'impose si l'on excepte les Nus et les Morts (1948), description réaliste d'un épisode de la guerre du Pacifique par l'Américain Norman Mailer, et l'œuvre de l'italien Curzio Malaparte.

Militaire

De l'utilisation du cheval à des fins guerrières (xviiie s. avant J.-C.) à la bombe atomique (1945), la guerre a évolué également avec les structures politiques et sociales. Aux guerres menées jusqu'alors avec des armées peu nombreuses, auxquelles le citoyen ne participait pratiquement pas, succéda, avec la Révolution française, la guerre des peuples ; elle va aboutir au cours des deux guerres mondiales à la guerre totale dont le but, l'anéantissement de l'adversaire, s'accompagne d'une guerre idéologique et économique visant à anéantir les ressources morales et économiques de résistance. La menace de la guerre nucléaire domine, depuis Hiroshima, la stratégie internationale. Si l'aspect exorbitant de l'arme nucléaire a contenu l'éventualité de son emploi, il a favorisé, indirectement, la multiplication des conflits limités. À la guerre-éclair dont le fer de lance est le couple char-avion s'ajoute aujourd'hui la guerre électronique, qui s'efforce de ruiner les transmissions, les systèmes de guidage ou de détection.

Plus récemment, le conflit Iran-Iraq a ravivé la menace de la guerre chimique. Avec les dimensions idéologiques des guerres est apparue au xxe s. la guerre psychologique qui tente, par tous les moyens, d'influencer le comportement des populations et des armées. La guerre subversive, menée à l'intérieur d'un territoire contre l'autorité politique en place, se définit par ses méthodes (propagande, guerre dans la foule) et par son enjeu (contrôle du pouvoir). Empruntant tout ou partie de ses méthodes aux deux types précédents, la guerre révolutionnaire, élaborée par les marxistes-léninistes, vise à provoquer et à exploiter tout mouvement de masse dans le but de prendre le pouvoir par un contrôle physique des populations ; en ce sens, elle se définit principalement par sa finalité et par la poursuite de cette finalité dans le cadre d'une stratégie globale.

En 1940, la guerre électronique s'applique essentiellement au brouillage des radars et des aides à la navigation radioélectrique. En juillet 1943, les Britanniques emploient, lors du bombardement de Hambourg, des bandelettes de métal (windows) qui paralysent totalement l'ensemble du dispositif radar au sol. Lors de la guerre du Viêt Nam, les Américains font appel à des contre-mesures électroniques chargées de neutraliser les missiles sol-air et les canons antiaériens : l'utilisation de bandelettes de métal (chaffs) et l'alimentation des radars adverses en fausses informations déroutent la défense nord-vietnamienne. Depuis la quatrième guerre israélo-arabe, les systèmes de navigation par inertie, les dispositifs infrarouges et les radars insensibles au brouillage ont considérablement compliqué la dynamique de la guerre électronique.

On distingue, en guerre électronique, les contre-mesures passives, qui ne nécessitent aucune émission radioélectrique (interception des signaux radioélectriques, interprétation de leur contenu, localisation), et les contre-mesures actives, qui mettent en œuvre des émissions radioélectriques (intrusion dans le dispositif de télécommunication ennemi et brouillage éventuel).La guerre du Golfe a fait la récente démonstration des capacités de neutralisation d'un adversaire grâce à la maîtrise des émissions radioélectriques.

Propaganda Due (P2)

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Propaganda Due (P2) est le nom d'une pseudo-loge maçonnique italienne, interdite suite à sa découverte en 1981. Elle était dirigée par Licio Gelli, et la publication d'une liste comportant des centaines de noms, parmi lesquels des personnalités très importantes d'Italie et d'Argentine, créa un véritable scandale. La main de la P2 a été vue par de nombreuses personnes (juges, journalistes, etc.) derrière maints scandales ou affaires de l'histoire de l'Italie lors des « années de plomb ».

La loge P2 tire son nom d'une loge maçonnique créée en 1877 : la Loge Propaganda Massonica. Cette loge n'était pas vraiment secrète car des personnages éminents en faisaient partie comme Zanardelli, ministre de la Justice ou le poète Carducci. La « propagande » de cette loge consistait à diffuser les valeurs maçonniques (progrès, laïcité et liberté) à travers les institutions politiques et citoyennes. Cette loge fut créée dans la mouvance insurrectionnelle de l'époque pour permettre que des frères comme Garibaldi ou Giuseppe Mazzini échapassent aux devoirs de maçons et puissent se réunir entre eux, en dehors des temples et des rites maçonniques. Cette organisation élitiste, hors limites de la légalité maçonnique, ne communiquait pas toujours le nom de ses membres à l'obédience.

Quand Mussolini interdit la franc-maçonnerie en 1925, les francs-maçons s'exilèrent en France. La loge Propaganda Massonica fut le pilier de la principale obédience italienne : le Grand Orient d'Italie. La loge « PM » fut donc un des symboles de la République italienne en exil. À la Libération, la loge « PM » initia des hommes qui, officiellement, représentaient l'opposition à la franc-maçonnerie : des communistes, des catholiques et des démocrates chrétiens. Ces hommes étaient attirés par le prestige historique de la franc-maçonnerie mais devaient entrer secrètement dans une loge pour ne pas risquer d'être rejetés par leur mouvement d'appartenance.

La loge « PM » commença à dévier de l'idéal maçonnique avec l'arrivée d'un certain Licio Gelli, qui en devint le secrétaire. Gelli servit le régime fasciste pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui encore, il est difficile d'expliquer ce qui a poussé la Maçonnerie italienne à accepter un tel homme. C'est donc en 1964 que Gelli fut initié. Il entra à la loge « PM » quelques années plus tard. En 1975, Licio Gelli devint « vénérable » (c'est-à-dire président) de la loge « PM ». À partir de cette période, la loge fut rebaptisée Propaganda Massonica n°2 ou « P2 ».

Gelli militait pour un retour à l'autorité avec des mesures comme le rétablissement de la peine de mort et la limitation du droit de grève dans la fonction publique. Il s'agissait du programme d'un seul homme et absolument pas celui du Grand Orient d'Italie. Les nombreux militaires, dirigeants d'entreprises, politiciens et journalistes qui demandèrent à rejoindre la loge de Gelli comprirent que la « P2 » ne proposait plus un programme maçonnique humaniste mais une philosophie ultra-conservatrice.

Le 5 octobre 1980, Il Corriere della Sera publie une interview dans laquelle Gelli expose ses idées et tente de le présenter comme un projet de la franc-maçonnerie. Par cette erreur le Grand Orient d'Italie détient alors la preuve que Gelli avait trahi l'idéal maçonnique. Gelli fut donc exclu du Grand Orient en 1981.

Une liste de 953 membres de P2 (probablement incomplète), découverte en 1981 dans une villa de Licio Gelli, comptait de nombreuses personnalités, dont :

 

  • l'intégralité des chefs des différents services secrets italiens (Pietro Musumeci du SISMI, l'ex-général du SID Giovanni Allavena qui lui aurait remis les archives du SIFAR à sa dissolution dans les années 1960, ce qui permettra à Gelli
  • des ministres (Pietro Longo (en), carte n° 2223, par ailleurs secrétaire du Parti socialiste démocratique italien) ou des personnalités puissantes telles Giulio Andreotti, Flamino Picolli ou Francesco Cossigua ;
  • un ex-président du Sénat ;
  • des journalistes et entrepreneurs du secteur des communications (Silvio Berlusconi, Angelo Rizzoli et Bruno Tassan Din du Corriere della Sera, Genghinini)
  • des magistrats
  • le banquier Roberto Calvi, dit « banquier de Dieu » pour ses liens avec le Vatican;
  • des prêlats (Mgr Angelini, Mgr Bosi, cardinal Casaroli).
  • le mafieux Michele Sindona,
  • l'agent du SISMI Francesco Pazienza, conseiller particulier du général Santovito, qui, de 1er de la loge en mars 1980, et 3e grade en juillet 1980, le colonel Di Muro ou Demetrio Cogliandro ;
  • le ministre argentin José Lopez Rega, fondateur de l'escadron de la mort « Triple A »
  • le ministre argentin Raúl Alberto Lastiri
  • l'amiral Emilio Eduardo Massera qui participa à la junte de Videla.

d'exercer des pressions sur de très nombreuses personnalités, etc.) ; Le gouvernement d'Arnaldo Forlani fut contraint de la rendre publique le 21 mai 1981, ce qui provoqua le suicide d'un colonel et la tentative de suicide d'un dirigeant démocrate-chrétien, la destitution des chefs des cinq services de renseignement, la retraite anticipée de dizaines de banquiers et d'industriels, le licenciement de cinq directeurs de grands journaux et des centaines d'enquête de police portant sur des fonctionnaires.

En 1981, le gouvernement d'Arnaldo Forlani démissionna suite au scandale, qui impliquait de nombreuses personnalités politiques issues du parti au pouvoir (les démocrates chrétiens), mais aussi du Parti socialiste. À part les communistes, les radicaux et les gauchistes, des politiciens de toutes les tendances, du PS aux néo-fascistes en passant par la démocratie-chrétienne et les sociaux-démocrates, faisaient partie de P2.

Licio Gelli se vantait souvent de liens avec Juan Peron, le caudillo argentin. De fait, sur la liste des « piduistes » (membres de P2) découverte au début des années 1980, plusieurs membres de la junte de Jorge Videla étaient cités, dont :

 

  • José Lopez Rega, le fondateur de la « Triple A » (« Alliance anticommuniste argentine »), responsable du massacre d'Ezeiza de juin 1973, lorsque des snipers tirèrent sur une foule de jeunes péronistes de gauche, engendrant la scission entre la gauche péroniste et la droite péroniste ;
  • l'amiral Emilio Eduardo Massera, membre de la junte qui prit le pouvoir après le coup d'Etat de mars 1976 ;
  • le général Guillermo Suárez Mason (en), l'un des ardents défenseurs de la « guerre sale ».


Licio Gelli bénéficiait également d'« appuis au Brésil, en Uruguay, en Bolivie, au Paraguay ». La Loge P2 a été accusée d'avoir participé, aux côtés du réseau Gladio, à la « stratégie de la tension » visant à « empêcher, selon les termes d'un rapport parlementaire rédigé en 2000 par la coalition de l'Olivo, le Parti communiste italien et, dans une moindre mesure, le Parti socialiste italien, d'accéder au pouvoir exécutif ».

La loge P2 fut évoquée dans les enquêtes portant sur une série d'affaires (exécutions de magistrats, attentat de la gare de Bologne en 1980, assassinat d'un journaliste). Selon Fabrizio Calvi et Olivier Schmidt (1988) : « après l'enlèvement et l'assassinat du président de la démocratie chrétienne Aldo Moro, [Licio Gelli] rédige lui-même les rapports signés par le chef du SISDE, le général Grassini, et oriente l'enquête de ses services secrets. De même, il lance les services secrets sur les traces d'une fantomatique organisation internationale après l'attentat qui a fait 85 morts à la gare de Bologne le 2 août 1980. »

Le rôle de cette loge dans de très nombreuses affaires fait encore l'objet de spéculations souvent conspirationnistes, alimentées par les déclarations de Licio Gelli lui-même. Selon Fabrizio Calvi et Olivier Schmidt (1988), l'acte fondateur de Licio Gelli fut l'obtention des archives du SIFAR. Il serait ensuite devenu le « véritable chef occulte » des services de renseignement italiens, obtenant notamment la nomination du général Vito Miceli à la direction du SID au début des années 1970, et ceci grâce à l'aide de deux membres de P2, le secrétaire et le frère du ministre de la Défense Mario Tanassi. En 1978, tant le général Grassini, chef du SISDE, que Santovito, chef du SISMI, ou le préfet Pelosi, chef du CESIS qui coordonne les deux services, sont membres de la loge. Selon Calvi et Schmidt... « Gelli dispose d'un pouvoir tel qu'il décide des promotions et des nominations à l'intérieur du SISMI et du SISDE. »

Il nomme le général Pietro Musumeci comme chef du bureau de contrôle et de sécurité du SISMI, malgré le fait que bien d'autres pouvaient prétendre à ce poste. ertaines théories du complot sur la mort de Jean-Paul I rendent responsable la loge P2. En réalité, la loge P2 n'était pas une loge maçonnique. En effet, pour qu'une loge puisse pratiquer les valeurs qui sont celles de la franc-maçonnerie depuis le XVIIIe siècle (solidarité, tolérance, égalité), il est nécessaire qu'elle limite ses membres à une cinquantaine de frères ou de sœurs. Or la P2 enregistra plus de deux mille membres. De plus, pour que la fraternité lie les membres d'une loge, il faut que ceux-ci se côtoient régulièrement. Ce n'était pas le cas à la loge P2 dont les affiliés ne se connaissaient pas.

Enfin, la franc-maçonnerie étant une société initiatique, il est essentiel que chaque frère puisse recevoir l'initiation et l'instruction maçonnique. Tel ne fut pas le cas à la P2 puisque ses membres ne se réunissaient pas et qu'ils étaient « créés maçons » non dans un temple mais dans le bureau de GelliLicio Gelli en s'autoproclamant « Grand-Maître de la loge P2 » s'était, de fait, détaché du Grand Orient d'Italie.

Mustafa Kemal Atatürk

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Fondateur et premier président de la République Turque. Atatürk est né en 1881 dans le quartier de Kocakasim de Salonique, dans une maison rose de trois étages située sur la rue d'Islahhane. Son père est Ali Riza Efendi et sa mère Zübeyde Hanim. Hafiz Ahmed Efendi, son grand-père paternel, est un des nomades de Kocacik qui ont été placés en Macédoine depuis Konya et Aydin aux XIV ème et XV ème siècles. Sa mère Zübeyde Hanim était la fille d'une vieille famille turque installée dans la ville de Langasa près de Salonique.

Mustafa Kemal AtatürkAli Riza Efendi, qui a travaillé comme officier de milice, clerc des fondations pieuses et commerçant de bois de charpente, s'est marié avec Zübeyde Hanim en 1871. Quatre des 5 frères d'Atatürk sont morts en bas âge, seulement une soeur, Makbule (Atadan) a vécu jusqu'en 1956. Le petit Mustafa a commencé l'école du voisinage de HafIz Mehmet Efendi et plus tard, sur le désir de son père, a été transféré à l'école de « Semsi Efendi ». Il a perdu son père en 1888 puis il est resté à la ferme de son oncle maternel pendant un moment et est revenu à Salonique pour achever ses études. Il s'est inscrit à Rüstiye de Mülkiye de Salonique (école secondaire civile) et bientôt a été transféré en 1893 à l'école sécondaire militaire. Tandis qu'il étudie à cette école, son professeur de maths, également nommé Mustafa, a ajouté " Kemal " à son nom.

Plus tard, après avoir achevé ses études au lycée militaire de Manastir entre 1896 - 1899, il a commencé l'école de guerre d'Istanbul dont il a reçu un diplôme en 1902 avec le grade de lieutenant. Il s'est plus tard présenté à l'académie militaire et a reçu un diplôme le 11 janvier 1905 avec le grade de capitaine. Entre 1905 - 1907 il a effectué des services à Damas sous l'ordre de la III ème Armée. En 1907 il a été promu au grade de " Kolagasi " (capitaine ancien) et a été nommé à la III ème Armée située à Manastir. Il était commandant d'état-major dans "l'Armée de Mouvement" (Hareket Ordusu) qui est entrée à Istanbul le 19 avril 1909. Il a été envoyé en France en 1910 où il a participé aux manoeuvres de Picardie. En 1911 il a commencé à travailler sous les ordres de la Présidence d'état-major à Istanbul.

Mustafa Kemal a rempli des fonctions dans les regions de Tobruk et de Derne avec un groupe de ses amis pendant la guerre déclenchée par l'attaque italienne de Tripoli. Il a gagné la bataille de Tobruk le 22 décembre 1911 contre les Italiens et il a été nommé commandant de Derne le 6 Mars 1912. Quand la guerre balkanique a commencé en octobre 1912, Mustafa Kemal a rejoint la bataille avec des unités de Gallipoli et de Bolayir. Ses contributions à la reprise de Dimetoka et d'Edirne sont considérables. En 1913 il a été nommé comme attaché militaire à Sofia. Alors que toujours à ce poste, il a été promu au grade de lieutenant-colonel en 1914. Le poste d'attaché militaire a terminé en janvier 1915. À ce moment-là la première guerre mondiale avait commencé et l'Empire d'Ottoman y était inévitablement impliqué. Mustafa Kemal a été envoyé à Tekirdag avec l'attribution de former la 19 ème Division.

Mustafa Kemal a fait preuve d'héroisme à Çanakkale, pendant la Première guerre mondiale, commencée en 1914, et a fait admettre aux puissances alliées qu'il n'y avait "Pas de passage aux Dardanelles!". Quand les flottes anglaises et françaises ont essayé de frayer leur voie vers le détroit de Dardanelles le 18 Mars 1915, elles ont subit une lourde défaite, et elles ont décidé de placer des unités terrestres sur la péninsule de Gallipoli. Les forces ennemies, qui ont débarqué à Ariburnu le 25 avril 1915, ont été arrêtées à Conkbayiri par 19 ème Divison, commandée par Mustafa Kemal. Celui-ci a été promu au grade du colonel après cette victoire. Les forces anglaises ont de nouveau attaqué Ariburnu les 6-7 août 1915. Mustafa Kemal, en tant que commandant des forces d'Anafartalar a gagné la victoire d'Anafartalar, les 6-7 août 1915. Cette victoire a été suivie de celle de Kireçtepe le 17 août, et de la deuxième victoire d'Anafartalar 21 août. La nation turque qui a subi une perte d'environ 253,000 hommes dans ces batailles, était parvenue sauver l'honneur contre les forces alliées. En fait, le destin du front a changé quand Mustafa Kemal s'est adressé à ses soldats avec ces mots : « je ne vous commende pas d'attaquer, mais de mourir! ".

Mustafa Kemal a rempli des fonctions à Edirne et à Diyarbakir après les guerres de Çanakkale, et a été promu au grade du général de division le 1ème avril 1916. Luttant contre les forces russes, il a repris les villes de Mus et de Bitlis. Après les courtes missions à Damas et à Khallepo, il est revenu à Istanbul en 1917. Il a voyagé en Allemagne avec Vahdettin Efendi, l'héritier au trône et fait des observations sur le front. Il est tombé malade après ce voyage et est allé à Vienne et à Karisbad pour le traitement. Il est revenu à Khalleppo le 15 août 1918 en tant que commandant de la 7ème armée. A ce front, il a effectué un combat deffensif avec succès contre les Anglais. Il a été nommé comme commandant du groupe des armées de Yildirim le 31 octobre 1918, un jour après la signature de l'armistice de Mondros. Après la suppression de cette armée, il est revenu à Istanbul le 13 novembre 1918 et a commencé à travailler au ministère de la Défense.

Après que les forces alliées ont commencé à saisir les armes de l'armé de l'Empire Ottoman, après l'Armistice de Mondros, Mustafa Kemal est allé à Samsun le 19, mai 1919 en tant qu'inspecteur de la 9 ème Armée. Dans la circulaire qu'il a publiée le 22 juin 1919 à Amasya, il a déclaré: "la liberté de la nation sera restaurée avec la résolution et la détermination de la nation elle-même" et il a convoqué le congrès de Sivas. Il a assemblé le congrès d'Erzurum du 23 juillet au 7 août 1919, et le congrès de Sivas du 4 au 11 septembre 1919, pendant lesquels il a défini la voie à suivre vers la liberté de la patrie. Il a été acueilli avec un grand enthousiasme à Ankara le 27 décembre 1919. Avec la convocation de la Grande Assemblée Nationale turque le 23 avril 1920, une mesure significative a été prise sur le chemin de la République. Mustafa Kemal a été élu en tant que président de l'Assemblée nationale ainsi qu'en tant que chef du gouvernement. La Grande Assemblée nationale turque a démarré ses travaux pour adopter les mesures législatives nécessaires, et les mettre en oeuvre afin que la guerre d'indépendance ait une issue victorieuse.

La guerre turque d'indépendance a commencé par la première balle tirée contre l'ennemi le 15 mai 1919, pendant l'occupation grecque d'Izmir. Au début, ce sont les forces de milice appelées « Kuva-yi Milliye » qui combattent les vainqueurs de la première guerre mondiale, lesquels avaient divisé l'Empire ottoman suivant le Traité de Sèvres signé le 10 août 1920. La Grande Assemblée turque, qui a établi plus tard une armée régulière et réalisant l'intégration de l'armée et de la milice, a pu conclure la guerre par une victoire.

Les étapes significatives de la guerre turque d'indépendance sous le commandement de Mustafa Kemal sont
 

  • La reprise de Sarikamis (le 20 septembre 1920), de Kars ( le 30 octobre 1920) et de Gümrü (le 7 novembre 1920) · Les défenses de Çukurova, Gazi Antep, Kahraman Maras et Sanli Urfa (1919 - 1921)
  • La première Victoire d'Inönü (les 6-10 janvier 1921)
  • La II ème Victoire d'Inönü (le 23 Mars- le 1 avril 1921) · La Victoire De Sakarya (le 23 août-le 13 septembre 1921)
  • La Grande attaque, bataille du commandant en chef et la grande victoire (le 26 août-9 septembre 1922)


Après la victoire de Sakarya, l'Assemblée nationale a conféré le grade de maréchal et le titre de Gazi (vétéran) à Mustafa Kemal. La guerre d'Independence a pris fin par l'accord de Lausanne, qui a été signé le 24 juillet 1923. Par conséquent, il n'y avait plus aucun obstacle à la création d'un nouvel Etat turc sur le sol turc, basé sur l'union nationale, que le Traité de Sèvre, en laissant aux Turcs un pays de la taille de 5 ou 6 villes, avait déchiré en morceaux.

La Grande Assemblée nationale turque qui s'est réunie pour la première fois le 23 avril 1920 à Ankara était la première étape vers la République turque. La gestion réussie de la guerre d'indépendance par cette assemblée a accéléré la fondation du nouvel Etat turc. Le 1er novembre 1922, le califat et l'autorité de Sultan ont été séparés et ce dernier a été supprimé. Ainsi, Il n'y avait plus aucun lien administratif avec l'Empire ottoman. Le 29 octobre 1923, la République turque a été formellement proclamée et Atatürk a été unanimement élu en tant que son premier président. Le 30 octobre 1923, le premier gouvernement de la République a été constitué par Ismet Inönü. La République turque a commencé à se développer sur les bases des principes telles que, " Le souveraineté appartient sans réserve à la nation " et "La paix à l'intérieur et la paix à l'étranger ".

Atatürk a entrepris une série de réformes, afin d'«élever la Turquie au niveau des civisilisations modernes ", qui peuvent être groupés sous cinq titres.

1. Réformes Politiques

  • Abolition de l'autorité du Sultan (1er novembre 1922) Proclamation de la République (29 octobre 1923) Abolition du califat (3 mars 1924)


2. Réformes Sociales

  • Octroi d'égalité des droits pour les femmes (1926 - 1934)
  • Réforme du couvre-chef et du vêtement (25 novembre 1925)
  • Fermeture des cimetières et des couvents de derviches (30 novembre 1925)
  • Loi sur les noms de famille (21 juin 1934) Abolition des titres et des surnoms (26 novembre 1934) Adoption des heures, des mesures et du calendrier internationaux (1925 - 1931).


3. Réformes Légales

  • Abolition de Mecelle (code de la législation musulmane) (1924 - 1937)
  • Etablissement d'une loi laique par l'adoption du code civil turc et d'autres lois (1924 - 1937)


4. Réformes dans les domaines de l'éducation et de la culture

  • Unification d'éducation (3 mars 1924)
  • Adoption de nouvel alphabet turc (1er novembre 1928) Établissement des Institutions de langue et d'histoire turques (1931 - 1932)
  • Règlement de l'éducation supérieure (31 mai 1933) Innovations dans les beaux-arts


5. Réformes Economiques

  • Abolition de la dîme
  • Encouragement des fermiers
  • Établissement de fermes modèles
  • Adoption d'une loi pour l'encouragement de l'industrie, et établissement des institutions industrielles
  • Mise en oeuvre des I ème, II ème et III ème programmes de développement (1933-1937), établissement dans le pays des réseaux de transport.


En vertu de la loi sur les noms de famille, La grande Assemblée turque a octroyé " Atatürk " (père des Turcs) comme le nom de famille à Mustafa Kemal le 24 novembre 1934.

Atatürk a été élu comme président de La grande Assemblée le 24 avril 1920 et une deuxième fois le 13 août 1923. C'était un statut égal à celui de président et de premier ministre. La République a été proclamée le 29 octobre 1923 et Atatürk a été élu en tant que premier président. Les élections du président ont été renouvelées tous les quatre ans selon la constitution. La grande Assemblées Nationale turque a de nouveau élu Atatürk en tant que président en 1927, 1931 et en 1935.

Atatürk a effectué des voyages fréquents dans le pays et inspecté les travaux entrepris par l'Etat, donnant des directives aux intéressés concernant les obstacles. Au titre de président il a accueilli les présidents, les premiers ministres, les ministres et les commandants étrangers qui effectuaient des visites officielles dans le pays.

Il a lu son grand discours, contenant l'histoire de la guerre de l'indépendance et de la fondation de la République, du 15 au 20 octobre 1927, et a lu son discours de 10 ème anniversaire de la République le 29 octobre 1933.

Atatürk a mené une vie privée très simple. Il s'est marié avec Latife Hanim le 29 janvier 1923. Ils ont fait ensemble beaucoup de voyages dans le pays. Ce mariage a duré jusqu'au 5 août 1925. Un grand amoureux des enfants il a adopté des filles appelées Afet (Inan), Sabiha (Gökçen), Fikriye, Ülkü, Nebile, Rukiye et Zehra et un petit pâtre appelé Mustafa. Il a également pris deux garçons appelés Abdurrahim et Ihsan sous sa protection. Il a préparé un bel avenir à ceux qui ont pu survivre parmi ces enfants.

Il a fait don de ses fermes au Trésor et de certains de ses biens immobiliers aux municipalités d'Ankara et de Bursa en 1937. Il a réparti son héritage entre sa soeur, ses enfants adoptifs et des institutions de l'histoire et de langue turque. Il aimait lire, danser, faire de l'équitation et s'intéressait à la musique aussi bien qu'à la natation. Il s'est beaucoup intéressé aux danses de Zeybek, à la lutte et aux chansons de Rumeli. Les jeux des billards et du trictrac lui donnaient un grand plaisir. Il prenait soin de son cheval appelé Sakarya et de son chien appelé Fox. Il possédait une riche bibliothèque. Il avait l'habitude d'inviter des hommes de science, des politiciens, et des artistes aux dîners où les problèmes du pays étaient discutés. Il prenait soin de son apparence physique. Il était également un amoureux de la nature. Il avait l'habitude de fréquenter la ferme de la forêt d'Atatürk et de s'associer aux travaux.

Il connaissait le français et l'allemand. Atatürk est mort le 10 novembre 1938 à 9 :05 heures au palais de Dolmabahçe, à cause d'une cirrhose qu'il n'est pas arrivé à vaincre. Il a été enterré provisoirement au musée d'Ethnographie, à Ankara, le 21 novembre 1938. Quand la construction du Mausolée a été achevée, il a été enterré définitivement après une cérémonie solonelle le 10 novembre 1953.

N.B. Cette biographie est la biographie officielle que donne le gouvernement Turc

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