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Stavisky Alexandre

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Stavisky AlexandreSerge Alexandre Stavisky, né à Slobodka dans l'Empire russe, dans la région de Kiev, le 20 novembre 1886 et mort à Chamonix le 8 janvier 1934 à 47 ans, est un escroqueur français d'origine polonaise dont le nom reste associé à l'affaire Stavisky. De famille juive, il arrive en France avec sa famille à l'âge de 12 ans. Il est naturalisé français en 1910. Séducteur et beau parleur (on le surnomme « le beau Sacha »), il devient rapidement un escroc professionnel.

Dès sa jeunesse, il vole les prothèses en or de son père dentiste Emmanuel Stavisky, pour les revendre à des receleurs du Marais. En 1912, il devient directeur estival des Folies Marigny grâce à son grand-père Abraham Stavisky qui remarque que le théâtre n'ouvre que l'hiver, recrutant par petites annonces des concessionnaires (pour la publicité, la buvette) et leur demandant d'avancer la somme nécessaire pour faire démarrer l'entreprise. Il s'en va avec la caisse dès les premiers spectacles.

Impliqué dans plusieurs affaires de fraudes et délits (falsifications de chèques, ventes de produits qui n'existent pas, salles de jeux clandestines avec sa maîtresse Jane Darcy, trafic de drogue avec la Turquie, arnaques aux bons du trésor), son père, incapable d'indemniser les victimes de son fils, se donne la mort. Il est arrêté en 1926 à Marly-le-Roi pour vol d'actions sur deux agents de change. Il a été dénoncé par son ancien compère, l'aventurier Jean Galmot. Il écope de dix-huit mois d'incarcération à la prison de la Santé. Mais il est vite libéré pour raisons de santé (ayant réussi là encore à duper son monde par un faux certificat médical établi par un médecin de complaisance) contre une caution de 50 000 francs, fin 1927.

Son procès est constamment repoussé et n'aura jamais lieu, ce qui alimentera la rumeur des hautes protections dont il aurait pu bénéficier. Il épouse alors Arlette Simon, mannequin chez Chanel, se refait une respectabilité en emménageant à l'hôtel Claridge (74 avenue des Champs-Élysées) et ouvrant un commerce de joaillerie fantaisie. "Monsieur Alexandre" mène grande vie, devient propriétaire du Théâtre de l'Empire et investit dans des journaux politiques, fréquente les salons mondains et se forge de solides relations politiques. Malgré ses appuis dans les milieux économiques et parmi les hommes politiques, il se compromet définitivement avec l’affaire des bons de Bayonne où il réussit à détourner, sous le nom de Serge Alexandre, plus de 200 millions de francs au détriment du Crédit municipal de Bayonne avec la complicité du député-maire de la ville, Joseph Garat.

Alexandre Stavisky après son suicideL'arnaque est découverte à la fin de l'année 1933. Stavisky est alors recherché et il prend la fuite. La police le traque jusqu’à son chalet près de Chamonix, dit le Vieux logis. Lorsque les policiers entrent dans la résidence, le 8 janvier 1934, des coups de feux retentissent et Stavisky est trouvé mort, deux balles dans la tête. Il se serait suicidé, bien que cette hypothèse (qui a la faveur de l'historien Paul Jankowski) soit partiellement démentie en raison de la difficulté de se suicider en se tirant deux balles dans la tête. Cet événement sera extrêmement médiatisé.

Les milieux de droite exploiteront l'affaire afin de critiquer le gouvernement de Camille Chautemps, ce qui donnera lieu à une crise politique majeure qui fera tomber le gouvernement francais et déclenchera des émeutes, crise désormais connue sous le nom de l'Affaire Stavisky. Cette affaire a fait l'objet du film Stavisky (1974) d'Alain Resnais, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre.


Simon Arlette

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Simon Arlette Arlette Simon, ex-manequin pour la Maison Chanel est la veuve d'Alexandre Stavisky, durant cette période de vie commune elle mènera grand train, emménageant à l'hôtel Claridge (74 avenue des Champs-Élysées) et ouvrant un commerce de joaillerie fantaisie avec Stavisky. A la mort de celui-ci elle s'installe à New York où elle va tenter de gagner sa vie.

Dalimier Albert

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Dalimier AlbertDalimier AZlbert François Marie né le 20 février 1875 à Bordeaux (Gironde), mort le 6 mai 1936 à Neuilly-sur-Seine (Seine). Albert Dalimier naquit le 20 février 1875 à Bordeaux, dans une famille d'universitaires. Il fit ses études aux lycées de Marseille et de Vanves, puis au lycée Buffon à Paris, dont son père était proviseur. Il obtint sa licence en droit en 1896 et entra, jeune avocat, comme secrétaire chez M. Léon Mougeot, qui devait, de juillet 1898 à juin 1902, occuper dans les Ministères Brisson, Charles Dupuy et Waldeck-Rousseau, le poste de Sous-Secrétaire d'Etat aux Postes et Télégraphes, puis celui de Ministre de l'Agriculture, de juin 1902 à janvier 1905, dans le Cabinet Combes. Albert Dalimier fut attaché aux cabinets de Charles Dupuy, de Waldeck-Rousseau et d'Emile Combes. Comme avocat, il se distingua aussi bien au criminel qu'au civil et s'acquit rapidement une situation en vue.

Entré au Conseil général de Seine-et-Oise, il en est, en 1914, le premier Vice-Président et le Rapporteur général du budget départemental. En 1932, lors de sa dernière réélection, il appartient toujours à cette Assemblée. Le parrainage politique qu'il avait su s'acquérir lui permit de se présenter pour la première fois avec succès, en 1906, dans la première circonscription de Corbeil en Seine-et-Oise, qui devait lui rester fidèle pendant trente ans. Au renouvellement général législatif des 6 et 20 mai, il distança au premier tour de scrutin, d'un millier de voix, le député sortant Berthoulat, et fut élu au second tour, avec 6.365 suffrages contre 5.272 à son concurrent, sur 12.044 votants. En 1910, le 24 avril, il l'emporta dès le premier tour avec plus de 3.000 voix d'écart, totalisant 7.479 voix sur 12.056 votants contre 4.263 à Théry.

En 1914, son élection fut moins aisée : arrivé en tête au premier tour de scrutin, le 26 avril, avec 5.850 voix sur 12.064 votants et 3.630 à Kellershohn et 2.332 à Barrion, il écrasait cependant au second tour, le 10 mai, avec 6.660 voix sur 10.273 votants, un rival de dernière heure, seul maintenu en lice contre lui, Ackermann, qui avait rassemblé 2.236 suffrages. Il ne se présenta pas aux élections générales de 1919 qui eurent lieu au scrutin de liste, mais au renouvellement de 1924, le 11 mai, il fut le seul élu, au quotient électoral, de la liste du cartel des gauches qu'il menait avec 24.714 voix sur 220.879 votants, ce quotient étant de 18.111. Le retour au scrutin uninominal en 1928 ne lui fut favorable qu'au second tour : le 22 avril, il était en tête avec 5.295 voix sur 14.118 votants, totalisant près d'un millier de suffrages de plus que son concurrent Ditte ; au second tour, le 29 avril, il l'emportait avec 5.859 voix sur 13.752 votants, contre 4.234 à Ditte et 3.502 à Tirand. Aux élections générales des 1er mai et 8 mai 1932, il triompha, au premier tour, avec 6.000 voix d'avance sur ses adversaires, totalisant 8.815 suffrages sur 13.696 votants, contre 2.765 au communiste Bonnefous et 2.117 au candidat S.F.I.O. Auclair.

Lorsqu'il brigua pour la première fois les suffrages de ses électeurs, il se présenta à eux sous le patronage de l'Union des Comités républicains radicaux et radicaux-socialistes ; il préconisait une politique d'union de toutes les forces républicaines. Pacifiste convaincu, il estimait cependant nécessaire, pour éviter des conflits « de porter au plus haut point la force défensive du pays ». Mais, vingt-six ans plus tard, il fera siennes les théories d'Aristide Briand sur le désarmement. Partisan d'un « impôt progressif sur le revenu », il mettait à son programme le dégrèvement de la terre cultivée, la réalisation des réformes sociales et la nécessité d'assurer la paix sociale.

A la Chambre, Albert Dalimier siégea avec le groupe des républicains-radicaux et radicaux-socialistes. Pendant les vingt-cinq années où il représenta la .première circonscription de Corbeil il appartint à un certain nombre de commissions. Dès le début de sa carrière, en 1906, il est membre de celle des octrois et de celle de l'enseignement ; en 1910, de celle du règlement, de la réforme judiciaire, d'enquête sur l'affaire Rochette et de celles des Budgets des exercices 1911, 1912, 1913 et 1914. Pendant la onzième législature, il appartint, en 1918, aux Commissions de l'enseignement, de la législation civile et criminelle, à celle qui fut chargée d'examiner les pièces concernant la condamnation de Louis Malvy, député du Lot et, en 1919, à la Commission d'enquête sur la métallurgie et à celle des régions libérées. En 1924, avec la Commission d'assurance et de prévoyance sociales, il retrouva celle de l'enseignement et des Beaux-Arts et entra à celle des pensions ; en 1925, il siégea de nouveau à celle de la législation civile et criminelle.

Dès la première législature à laquelle il appartint, il fut désigné, le 12 juin 1909, comme secrétaire de la Chambre et renouvelé, l'année suivante, le 11 janvier, dans les mêmes fonctions. Son activité, en tant que Député et que Ministre, fut très vaste. Mais il fut plus un orateur qu'un législateur et, durant les longues années qu'il passa à la Chambre, il ne déposa que trois propositions de loi : la première, en 1907, présentée avec M. Gioux et autres députés, concernant les conditions d'avancement dans la magistrature ; la seconde en 1918 pour proposer, mais ce fut sans suite, le transfert au Panthéon des cendres de Rouget de Lisle et enfin, en 1930, pour faire prononcer par les tribunaux la suspension ou la suppression du permis de conduire.

Avant la guerre de 1914 surtout, il rapporta de nombreux projets ou propositions de loi, concernant plus particulièrement les Postes et Télégraphes. Il fut même, pour les exercices 1912, 1913 et 1914, le Rapporteur du budget des Postes et Télégraphes préconisant, dès 1912, la création d'un Ministère des P.T.T., vœu qui recevra un début de réalisation en 1926, mais ne sera pleinement exaucé qu'en novembre 1929 avec l'arrivée au pouvoir du premier cabinet Tardieu. Il eut ainsi à connaître de l'établissement du câble télégraphique sous-marin entre Marseille et Alger et aérien entre Paris et Marseille (1912), du réseau intercolonial de T.S.F., de la ratification de la convention radiotélégraphique internationale arrêtée à la Conférence de Londres le 5 juillet 1912, de l'approbation de la convention passée entre l'Etat et la Compagnie Générale Transatlantique pour l'exploitation du service maritime postal entre Le Havre et New York (1913), de la construction de divers bureaux de postes et de matériel postal roulant (1914) et en 1918 et 1919 de la répression du trafic des billets de théâtre.

Cependant, ce fut surtout pas ses interpellations et ses interventions que se manifesta Albert Dalimier, l'habitude du barreau le. mettant à l'aise à la tribune pour traiter des sujets les plus variés : salaire des ouvriers, secret et liberté du vote (1907), amnistie, incompatibilités parlementaires, fonctionnement des juridictions disciplinaires aux colonies, interpellation, suivie d'un ordre du jour accepté, sur les dramatiques événements intervenus à Draveil au cours de grèves (1908) et sur les mesures disciplinaires prises à la suite de grèves des agents des P.T.T., modification des conseils de guerre, politique générale du Cabinet Clémenceau (1909), interpellations sur les mesures que compte prendre le Ministre de la Guerre à propos de la discipline militaire (1908), sur un arrêt du Conseil d'Etat au sujet de l'approvisionnement des halles (1911) ou sur la protection de la santé publique (1913). Nombreuses encore sont ses interventions à propos de la suppression des délimitations régionales, des limites de la Champagne viticole, de la direction générale de l'Indochine, des retraites ouvrières et paysannes, du scrutin de liste et de la représentation proportionnelle (1911), de la politique générale du Cabinet Poincaré, de la réforme électorale, des tarifs postaux (1912), de la fixation des taxes télégraphiques internationales, de la création d'un corps d'ingénieurs militaires des poudres (loi du 25 juin 1914), de la catastrophe de Melun et enfin de la politique générale du Cabinet Ribot qui, le 12 juin 1914, fut renversé sur l'ordre du jour motivé d'Albert Dalimier, à propos notamment du service de 3 ans.

René Viviani, qui succédait à Ribot, prit dans son équipe ministérielle celui qui venait de lui ouvrir les portes de la présidence du Conseil. Albert Dalimier reçut ainsi le sous-secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts le 14 juin 1914, qu'il devait conserver sans discontinuer dans les Cabinets Briand, Ribot et Painlevé jusqu'au 16 novembre 1917, date à laquelle Clémenceau arrivant au pouvoir dans les conditions que l'on sait, supprima momentanément ce poste. Dans ses fonctions vice-ministérielles, Dalimier intervint à propos de l'acceptation définitive de la donation Rodin en 1916, puis, la même année et en 1919, sur des questions financières (ouverture de crédits provisoires et discussion d'une interpellation sur la situation financière de la France).

Après la Grande Guerre, Albert Dalimier ne se représenta pas aux élections générales de 1919, reprenant l'exercice de sa profession d'avocat. Après cette interruption de quatre années, il sera de nouveau réélu jusqu'en 1936. Durant cette seconde phase de son activité parlementaire, s'il ne rapporta qu'un projet de loi relatif à la réalisation du programme de constructions scolaires nécessité par l'accroissement de la population dans la banlieue de Paris, sa participation aux débats fut encore une fois très ample. Il intervint souvent dans la discussion des budgets (exercices 1925, 1928, 1929 à 1933), au titre des Beaux-Arts, des P.T.T., des constructions scolaires, du travail, de l'aménagement de la région parisienne. Cette dernière question, d'ailleurs, lui tint assez à cœur - il fut membre du Conseil supérieur d'aménagement de la région parisienne et Président du groupe parlementaire de défense des intérêts de la banlieue - pour qu'il en fasse, en 1925, 1927 et 1929 l'objet de diverses demandes d'interpellation, ainsi qu'en 1931, de la protection de la main-d'œuvre française dans la même région.

Il interpella aussi le Gouvernement sur la démission, le 3 avril 1925, de Clémentel, Ministre des finances. S'il prit souvent, au cours de ces trois législatures, la parole en matière législative : au sujet des rap ports entre bailleurs et locataires d'habitations (1926), du tarif douanier, de l'amnistie (1928), des tribunaux d'instance (1929), de l'aménagement de la région parisienne, des promesses unilatérales dans les ventes d'immeubles (1930), du chômage et de l'outillage national (1931), de la surtaxe applicable aux rhums coloniaux contingentes (1932), ses interventions de caractère purement politique ne sont pas négligeables. Il participa aussi à la discussion d'interpellations relatives à des attaques de l'épiscopat français contre les institutions laïques et républicaines, aux manifestations d'étudiants suscitées par la nomination de M. Scelle à la Faculté de Droit de Paris, ou aux incidents sanglants survenus en avril 1925 rue Damrémont à Paris. Il intervint aussi à propos des grèves des postiers, de la politique intérieure et générale du Gouvernement Tardieu (1929) et d'une proposition de résolution de Marcel Cachin tendant à l'élargissement des députés Duclos et Marty (1931).

Elu vice-président de la Chambre le 12 janvier 1932 avec 332 voix sur 503 votants, il s'associe en mars, à ce titre, à l'hommage rendu à Toma Masaryk, président de la République tchécoslovaque à l'occasion de ses 83 ans. Réélu à ces fonctions au début de la législature suivante, il donne immédiatement sa démission car Edouard Herriot lui confie, le 3 juin 1932, le portefeuille du Travail, portefeuille qu'il conservera jusqu'au 31 janvier 1933 dans le cabinet Paul Boncour qui succède à Herriot le 18 décembre 1932. A ce titre, il intervint à propos du chômage, de la grève dans l'industrie de la chaussure, du crédit agricole à moyen terme, de la protection de la main-d'œuvre nationale, des pouvoirs d'enquête de la commission d'assurance et de prévoyance sociales, des caisses mutuelles et de la défense du marché du blé. Lorsque, le 6 septembre 1933, Albert Sarraut remplaça à la Marine Georges Leygues, que la mort venait d'emporter, Daladier offrit à Dalimier le portefeuille des Colonies que détenait Sarraut.

Ce Cabinet Daladier ayant été renversé le 23 octobre 1933, Albert Sarraut qui lui succède, confie le 26 à Dalimier la garde des Sceaux et la vice-présidence du Conseil. Le nouveau Ministre de la Justice eut l'occasion d'intervenir ès-qualités à propos de la protection des locataires, de la réglementation du choix et des attributions des commissaires aux comptes dans les sociétés par actions ainsi qu'en matière de révision des baux. Le Ministère Sarraut étant tombé au bout d'un mois, le 23 novembre, Camille Chautemps confie de nouveau les Colonies à Dalimier. Mais sa carrière va bientôt s'achever dramatiquement : la fin de l'année 1933 et les premiers jours de 1934 sont en effet secoués par le scandale de l'affaire Staviski et des faux bons du Crédit municipal de Bayonne.

Dalimier, lorsqu'il était Ministre du Travail en 1932, avait appelé l'attention du président du Comité général des assurances sur « l'intérêt qu'il y aurait à ce que « les compagnies d'assurances » aident les caisses de crédit municipal » en souscrivant largement à leurs émissions de bons. Cette recommandation malencontreuse lui coûta son portefeuille : il essaya de se justifier au Conseil des ministres, mais dut offrir sa démission qui fut acceptée le 9 janvier 1934. Il tenta de s'expliquer devant la Chambre le 11 janvier et, malgré tous ses efforts, le parti radical décida de l'exclure le 13 mars suivant. Il ne se démit pas de son mandat, mais sa vie parlementaire fut désormais terminée. Il ne se représenta pas aux élections générales de 1936, peu après lesquelles il mourût, à Neuilly-sur-Seine, le 6 mai 1936, à l'âge de 61 ans. Officier d'académie, chevalier du Nicham-Iftikar, il était décoré du Mérite agricole.

Garat Joseph

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Garat Joseph Dominique-Joseph Garat, né le 31 décembre 1872 à Bayonne, décédé le 28 décembre 1944 au même endroit, est un homme politique français du XXe siècle, impliqué dans l'affaire Stavisky. Docteur en droit, diplômé de l'École libre des sciences politiques de Paris, auteur d'un ouvrage qui témoignait de sa curiosité juridique, Joseph Garat exerce la profession d'avocat jusqu'en 1910, date à laquelle il est élu député et cesse de plaider. Il débuta dans la politique comme conseiller municipal de Bayonne (depuis 1900), avant d'être élu maire de la même ville en 1908 puis comme conseiller général du canton de Bayonne-Est en 1909. À part une courte interruption, il conserva son mandat de conseiller général jusqu'en 1934.

Il se présenta pour la première fois aux élections législatives de 1910 et fut élu au premier tour contre MM. Barillier et d'Arcangues. C'est alors que commence la « première ère garatiste » sur la cité bayonnaise, puisqu'il est réélu maire en 1912 et député en 1914, toujours au premier tour, contre Castagnet. Durant la Première Guerre mondiale, il est engagé volontaire (il a alors 42 ans) et participe à l'expédition de Salonique, où son action le fait décorer de la Croix de guerre. Le scrutin de liste, en 1919, ne lui fut pas favorable. Le département des Basses-Pyrénées ne comportait plus que deux circonscriptions. Louis Barthou qui était précédemment député des Basses-Pyrénées, circonscription d'Oloron, se présenta en tête de la liste de concentration républicaine dans la 1re circonscription. Cette liste emporta les quatre sièges. Dans la 2e circonscription, Joseph Garat se présenta en tête de la liste d'union républicaine, mais ce fut la liste républicaine d'action économique et sociale qui enleva les trois sièges.

Garat n'avait obtenu que 9 267 voix sur 34 476 votants : maire radical bien implanté à Bayonne, il n'avait pas résisté à la marée de droite qui submerga le pays et élit une « Chambre bleu horizon ». Garat se retire alors de la vie politique et travaille, de 1919 à 1924, dans un cabinet d'affaires de Paris. En mai 1924, Joseph Garat retrouva son siège de député, seul élu de la liste d'union des gauches. Il fut réélu au scrutin de ballottage en 1928 contre Castagnet, puis, pour la cinquième fois en 1932, au deuxième tour, contre René Delzangles qui devait le remplacer quatre ans plus tard. C'est alors le début de la « deuxième ère garatiste » : ayant repris son écharpe de maire de Bayonne en 1925, il se maintînt à la mairie en 1929. Au cours des cinq législatures, Joseph Garat, inscrit au groupe du parti républicain radical et radical-socialiste, fut membre de diverses commissions : commission de l'armée, du travail, de la marine, des affaires extérieures, « du suffrage universel ».

Par ses propositions et ses rapports ou avis, Joseph Garat se préoccupa aussi bien de l'indemnisation des victimes d'intempéries dans la région de Bayonne qu'au statut de l'École polytechnique, à la situation des officiers et sous-officiers, aux provocations à la désertion, à la suppression de l'octroi, au mandat des conseillers généraux, au monopôle en faveur de l'État des jeux dans les casinos. Il fit des interventions sur les événements de guerre et sur la politique du gouvernement en Alsace-Lorraine. Rien ne semblait stopper cette brillante carrière politique locale quand, en 1933, est révélée l'affaire Stavisky. Garat avait créé en 1930 le crédit municipal de Bayonne « dans des intentions fort louables et avec le souci de l'administrateur de collectivité locale préoccupé de sa prospérité. » ; ce fut sa qualité de président du conseil d'administration de cette banque qui lui attira de graves ennuis lors de l'affaire Stavisky. Cet organisme permit le détournement de plusieurs dizaines de millions de francs et les bons de Bayonne furent au centre du scandale.

Le matin du samedi 23 décembre 1933, le sous-préfet Anthelme reçoit Gustave Tissier, directeur du Crédit municipal de Bayonne. Il répond ainsi - avec un peu d’étonnement - à sa demande pressante d’entretien. Quelle n’est pas sa surprise de voir l’homme lui déballer ce qui va devenir l’escroquerie du siècle. « Tissier, directeur du Crédit Municipal, a été arrêté et écroué à la maison d’arrêt, sous l’inculpation de faux, d’usage de faux et de détournement de deniers publics. Il a été émis pour plusieurs milliers de faux bons de Crédit municipal... ».  C’est en ces termes que le journal Le Courrier de Bayonne relate l’événement quelques jours plus tard. C’est le début de l’Affaire Stavisky qui de scandales en crises politiques aboutira à l’émeute parisienne du 6 février 1934.

Garat fut interpellé le 7 janvier 1934 et incarcéré à la prison de Bayonne, il démissionne alors de sa fonction de maire et de conseiller municipal : le Parti radical décide son exclusion au mois de mars suivant. L'affaire, comme on le sait, provoqua une grande agitation politique et la démission, le 27 janvier, du cabinet Chautemps II. Elle fut aussi à l'origine de la journée d'émeute du 6 février. Devant la commission d'enquête, Joseph Garat, plaidant son innocence « dans le plein sens du terme, s'abrita derrière l'influence néfaste du mauvais génie1 » (Stavisky alias « Alexandre ») qui l'avait trompé : « Pour mon malheur, Messieurs, j'avais fait la connaissance d'un homme que je n'ai connu que sous le nom d'Alexandre jusqu'à la fin de 1933. »

Dans ses conclusions, le rapporteur, Ernest Lafont, juge avec rigueur l'attitude de Joseph Garat : « Sans l'aide de Garat, député-maire de Bayonne, l'escroquerie de Bayonne qui est la pièce maîtresse de l'entreprise Stavisky aurait été impossible, Garat porte toute la responsabilité de cette affaire, depuis la constitution du crédit municipal de Bayonne jusqu'au moment où éclata le scandale fin décembre 1933... Garat demeure donc un des plus gravement coupables et jamais culpabilité n'a été mieux établie contre un homme qui, après vingt-cinq années de vie publique irréprochable, n'a pas craint de compromettre la dignité de ses fonctions de maire et de député de Bayonne et de trahir la confiance que ses concitoyens avaient mise en lui. »

Inculpé de vol, faux et usage de faux en écritures publiques, complicité de faux en écritures publiques, abus de confiance, recel, complicité de détournements de pièces et de deniers publics et d'escroquerie, Joseph Garat est condamné par la cour d'assises de la Seine à deux ans de prison. L'affaire Stavisky marque donc sa mort politique. Joseph Garat meurt à Bayonne, le 28 décembre 1944, à l'âge de 72 ans, oublié, malgré une importante carrière politique locale et parlementaire.

Stavisky a fait vaciller la France

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Citazinepublié le 18/07/2011 à 11h03 par Rémi Métriau


Deuxième épisode de notre série de l’été "Crimes et malfrats", cette fois avec Serge Alexandre Stavisky, un escroc à l’ancienne. Belle gueule, beau parleur, enjôleur aux relations privilégiées, l’homme se moque de l’esprit Coubertin. Le 8 janvier 1934, il meurt brutalement, d’une balle dans la tête. Suicide ? Meurtre ? Le doute subsiste. Dans une France gangrenée par les affaires de corruption, l’extrême droite monte l’histoire en épingle et bientôt naît l’affaire Stavisky. Le pays est alors à deux doigts de basculer dans le fascisme. Retour sur l’histoire d’un escroc opportuniste qui a fait vaciller la France.



Stavisky en 1918

 

Juif d’origine russe, Stavisky naît en Ukraine en 1886. L’enfance n’est pas miséreuse. Le pater est prothésiste dentaire, ce qui va rapidement donner des idées à Alexandre : barboter les prothèses en or stockées par ce dernier pour ensuite les revendre. Quelques bénefs plus tard, l’ado semble s’être trouvé une vocation : l’escroquerie.

Alors, parce qu’il aime bien le théâtre, les rencontres avec le gratin, et que payer c’est toujours un peu emmerdant, Stavisky se fait imprimer des fausses cartes de visite pour rentrer à l’œil. Mais de l’entourloupe bon enfant au coup sournois, il n’y a qu’un pas qu’Alexandre franchit gaiement quelques années plus tard.

Des débuts prometteurs

Naturalisé français en 1910, l’homme, associé à son grand-père, devient directeur du théâtre Folies-Marigny, à Paris. Problème, il doit payer une caution. Stavisky demande alors aux artistes, ouvreurs et machinistes travaillant dans le théâtre d’avancer l’argent et même un peu plus, afin de financer les premières représentations du spectacle. Bon esprit, les employés acceptent. Erreur. L’escroc leur fait une David Copperfield et se volatilise avec la caisse. Plaintes, prison avec sursis, amende. Pas assez pour arrêter Stavisky. "L’homme le mieux habillé de Paris" se lance alors dans toutes sortes de trafics : vols de voitures et de bijoux, on le soupçonne même de passer de la drogue à la frontière. En 1910, il se marie et claque joyeusement la dot de sa femme.

Dopé à l'arnaque

Sa ferveur pour l’arnaque l’enrichit. En 1913, il se remarie avec un ancien mannequin de chez Chanel, Arlette Simon. Les affaires le rattrapent mais la guerre le sauve, lui. Il s’engage dans la légion étrangère en tant que chauffeur et se fait réformer peu de temps après pour soucis de santé. Mytho. Les affaires reprennent tout de même. Stavisky décide alors de monter une banque et de se servir du dépôt de ses clients pour racheter des entreprises, investir dans l’immobilier et même devenir détenteur d’un journal, La Volonté. Quand ses clients veulent se faire rembourser, Alexandre joue la montre et se sert de ses appuis politiques.

Au fond du trou

Pas populaire sans raisons, l’homme mène la belle vie du côté de Marly-le-Roi (Yvelines) mais les plaintes s’accumulent et en 1926 les choses se gâtent. Deux agents de change, bien décidés à revoir leurs titres, portent plainte. Le juge ne lâche rien et le coup de fil à un ami ne lui donne pas le droit au 50-50. Au cours de l’audition, Stavisky est soudain pris d’une envie pressante. Toilettes, fenêtre ouverte, on devine la suite. Plutôt confiant, le garçon tente de se faire discret dans sa maison pas vraiment discrète de banlieue. La police met quatre mois avant de le cueillir. Quand même. Pour la première fois et pendant un an et demi, l’escroc découvre les joies de la Santé avant de se faire porter souffrant et de sortir. L’hypocondriaque de circonstance décide qu’il est temps de changer d’identité, il devient Serge Alexandre. Celui qui se présente alors comme administrateur de société (sic), s’attaque au Crédit municipal d’Orléans avec la complicité de son directeur. Malversation et tout le bazar, sur un mode toujours un peu borderline. Le problème de l’entourloupe borderline c’est qu’elle résiste mal à une crise comme celle de 1929. Tout le monde veut récupérer ses sous, entreprises et particuliers. Serge Alexandre se démène comme un beau diable et réussit à réunir l’argent, non sans puiser dans le capital de ses autres entreprises. Cette histoire de Crédit municipal d’Orléans lui redonne une crédibilité mais sa fortune s’en est allée.

Le coup de trop

Il faut qu’il se refasse. C’est le projet. Septembre 1931, il décide de créer le Crédit municipal de Bayonne. A grands renforts de pub et de lettres de recommandation du ministre Albert Dalimier qui incite les entreprises à investir dans l’affaire, le projet démarre sur les chapeaux de roues. Ainsi, plus de 230 millions de francs de bons sont émis en quelques mois. Comme on ne se refait pas, l’énergumène émet à nouveau des faux bons. Ça coince en juillet 1933 lorsqu’une entreprise présente ses bons dans l’optique de récupérer pour plus de 2 millions de francs. Une fois n’est pas coutume, Stavisky tente de jouer les prolongations mais la rumeur de malversation se répand. Le préfet demande une enquête et un receveur des Finances débarque sans prévenir en décembre, constatant que les valeurs des bons ne correspondent pas aux montants inscrits sur les souches.

Une mort très suspecte

Stavisky tente le coup du bakchich auprès du ministre des Finances, en (pot de) vain. Le directeur du Crédit municipal, complice d’Alexandre, passe à table. L’escroc prend alors la fuite et se réfugie dans son chalet sur les hauteurs de Chamonix. Il tente de se faire passer pour mort mais quelques jours plus tard la police le retrouve. Au moment de l’interpeller, Stavisky se plombe le crâne, officiellement. Les policiers n’appellent pas les secours, saisissent, semble-t-il, deux ou trois documents un peu compromettants et finissent par appeler l’ambulance. Stavisky meurt dans la nuit.

Epilogue

Très vite, l’extrême droite s’empare de l’affaire et argue le sacro-saint « Tous pourris ». Les étouffements successifs des affaires concernant Stavisky sont mis au jour, les accointances de l’escroc avec la police, la presse, les parlementaires et la justice pointés du doigt. Une vague d’antiparlementariste teintée d’antisémitisme émerge alors et aboutit à la manifestation du 6 février 1934, organisée par les ligues d’anciens combattants et les partis de droite et d’extrême droite. Une émeute explose, le pouvoir tremble et la gendarmerie canarde. Quinze manifestants ne se relèveront pas, plus de 1 400 d’entre eux seront blessés. La France vacille.

Mais dans un contexte où le fascisme gagne du terrain en Europe, le pays ne bascule pas. L’affaire Stavisky et ses suites font cependant prendre conscience aux partis de gauche que la menace fasciste est réelle, au point de permettre une entente entre la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et le Parti communiste. Une alliance qui aboutira à la formation d’un gouvernement commun deux ans plus tard au moment du Front Populaire. Reste un homme lâché par ses relations, suicidé « d’un coup de revolver qu’on lui a tiré à bout portant ».  Un homme mort qui avait encore le pouvoir de faire vaciller la France.

1975, l'assassinat du juge Renaud

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France Interpublié le 28/01/2012 à 11h16


« On n’est pas là pour mettre le doigt dans le furoncle et remuer la merde ! » Et voilà pourquoi, formulé de façon élégante, Olivier Marchal a refusé d’évoquer dans son dernier film, "Les Lyonnais", l’assassinat du juge Renaud… Un assassinat où pourtant, ses héros, les membres du fameux gang des Lyonnais, ont joué un rôle notoire. Et peut-être même le premier…

François RenaudMais comment s’étonner de l’attitude de ce cinéaste et ancien policier alors que, curieusement, diverses sources essaient aujourd’hui d’évacuer la dimension politique de cette affaire, le premier assassinat d’un magistrat en France depuis la Libération ? Ainsi un « grand flic » à la retraite, Charles Pelligrini, ancien patron de l’Office centrale de Répression du banditisme, peut-il écrire : " à mon avis l’erreur a été de focaliser sur une seule piste [la piste politique]. Peut-être que finalement la vérité est moins compliquée. Le juge Renaud a peut-être tout simplement été flingué par des petits voyous désireux de monter en grade en liquidant la Terreur du Milieu lyonnais ?"

Il ne serait donc plus question de financement de parti politique ni même d’impliquer le SAC, ce service d’ordre gaulliste qui avait la particularité de servir de base arrière à bon nombre de malfrats… Bref, fermons le ban puisque sept juges d’instruction se sont épuisés en vain à rechercher la vérité.

Mais ce n’est pas l’avis de Monsieur X qui, il y a bien longtemps, m’avait déjà parlé de l’assassinat de François Renaud, commis à Lyon en juillet 1975. Retour sur une enquête avortée. Ou sabotée.

Discours de réception de Philippe Pétain

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publié le 22/01/1931 à 12h13 par Philippe Pétain

Réception de Philippe Pétain

M. le maréchal Pétain, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. le maréchal Foch, y est venu prendre séance le jeudi 22 janvier 1931, et a prononcé le discours suivant :

Messieurs,

Un sentiment de reconnaissance et d’admiration envers les soldats qui, au cours de quatre ans de lutte, ont porté aux plus hauts sommets les vertus militaires de la race, vous a déjà poussé à accueillir, sous cette Coupole, deux des chefs qui les ont conduits à la Victoire.

Dans le geste unanime par lequel, à mon tour, vous m’avez appelé parmi vous, je me plais à reconnaître le même sentiment : au-dessus de moi, c’est l’Armée que vous avez voulu acclamer.

Aussi, vous trouverez juste qu’à l’expression personnelle de ma gratitude, j’associe la foule des officiers et des soldats, fiers et reconnaissants de l’éminente distinction que vous accordez à leur chef.

À l’honneur qui m’échoit est attachée la plus passionnante, mais la plus difficile des missions : l’éloge d’un grand capitaine. De tout temps, cette tâche a mérité des accents éloquents. Les exploits du Prince de Condé, la gloire de Turenne ont trouvé, pour les célébrer, le génie oratoire de Bossuet et la parole sobre de Fléchier. Le maréchal Foch lui-même a déjà reçu maints hommages. Le 6 avril 1920, dans cette enceinte ; – le 7 juillet 1928, au pied du monument de Cassel, face au pays de Flandre qu’il avait sauvé ; – le 26 mars 1929, devant Paris silencieux et la France recueillie : vos membres les plus éminents ont exalté, en termes vibrants, cette haute figure. Comment n’envierais-je point leur talent pour pouvoir la dépeindre à mon tour ? Un seul avantage le reste, celui d’avoir, aux côtés de Foch, dirigé la lutte. Aussi ma tâche est-elle de vous exposer, à grands traits, le rôle et l’action de l’illustre maréchal pendant la guerre.

Au lendemain de nos défaites sous le coup de fouet de l’humiliant traité de 1871, la France s’est redressée. Notre peuple est coutumier de ces énergiques retours. Loin de l’abattre, l’épreuve le fortifie. Dans les improvisations héroïques, mais vaines, qui ont caractérisé son action au cours de la guerre 1870-1871, l’Armée a reconnu les marques d’une inertie intellectuelle qui l’a livrée désarmée aux entreprises d’un ennemi nourri d’une forte doctrine de guerre. Courageusement, elle va se remettre à la tâche et, fouillant le passé, chercher dans l’épopée napoléonienne le secret de 1a victoire

Napoléon la séduit par la violence et la rapidité de ses coups. Pour lui, le but essentiel de la guerre est l’anéantissement de l’ennemi. Aussi recherche-t-il d’emblée la bataille, le choc brutal et décisif, qui lui permettra de réaliser son dessein. Les armées de cette époque, en effet, n’ont pas assez de puissance pour arrêter la ruée de l’assaillant. Les éléments prépondérants de la victoire sont le nombre et la force morale, et la manœuvre consiste à s’assurer, au point voulu, la supériorité de ces deux facteurs. Or, Napoléon est passé maître dans l’art d’être plus fort que son adversaire sur le terrain de la rencontre. Au cours de la bataille, il accentue encore cet avantage. Tandis que se déroulent les péripéties tragiques du combat sur l’ensemble du front, opposant aux appels parfois pressants de ses maréchaux la sérénité d’un esprit sûr de ses conceptions, il scrute le dispositif adverse, en discerne les faiblesses et détermine l’objectif le plus favorable à l’attaque. Sentant en fin la désorganisation poindre chez l’ennemi, qui s’est prématurément usé, il précipite, au point choisi, la masse de ses réserves. L’apparition soudaine de ces forces, auxquelles l’ennemi ne peut plus rien opposer, constitue ce qu’il appelle l’événement, qui fixe le sort de la bataille.

Les victoires répétées de 1’Empereur apportent à cette doctrine, une consécration éclatante. Près d’un siècle plus tard, l’écho en retentit encore : l’Armée s’enthousiasme pour la simplicité et l’efficacité des méthodes napoléoniennes et, sans égard pour 1’évolution que le machinisme impose à la guerre, elle conclut que l’attaque est l’instrument primordial de la stratégie et de la tactique.

Foch subit, avec sa génération, l’influence de ce courant d’idées et en partage les audaces.

Professeur à l’École de Guerre et, quelques années plus tard, commandant de la même École, il a façonné pendant dix années les cerveaux des futurs chefs de l’Armée. Les deux ouvrages qui résument son enseignement : Principes de la Guerre et Conduite de la Guerre, fort remarqués à l’époque où ils ont paru, dépassèrent l’enceinte de l’École et valurent à leur auteur, un prestige considérable. Ils constituent un véritable « poème de l’action », dont Foch avait puisé l’inspiration aux sources de l’art napoléonien.

Le 20 mai 1921, aux Invalides, le Maréchal, armé de l’épée d’Austerlitz, se détachant du groupe des hauts dignitaires de l’État, s’avance vers le mausolée de marbre rouge où repose l’Empereur. D’une voix frémissante, il dit : « Napoléon ! » puis il s’arrêta une seconde, comme si, à l’appel de son nom, le Grand Mort avait dû se dresser pour recevoir l’hommage que la France lui rendait.

Cette invocation résume toute sa doctrine. Foch a fait sienne la conception absolue de la guerre de Napoléon et, comme lui, il proclame que « l’attaque décisive », c’est-à-dire l’acte qui doit consommer de façon irrémédiable la défaite de l’ennemi, est l’argument suprême de la bataille moderne.

Le souvenir des échecs de 1870, attribués, pour une grande part, à la passivité de l’Armée française, accentue encore ce vigoureux mouvement en faveur de l’offensive. Les avantages du feu sont contestés. On se refuse à lui donner la part qui lui revient, malgré la prépondérance qu’il avait affirmée dans les campagnes récentes. La défensive est condamnée, même comme procédé de manœuvre. Sous une telle impulsion, le moral s’exalte, mais des réflexes inquiétants se créent. À la veille de la guerre, fermant les yeux sur les enseignements du Transvaal, de Mandchourie et des Balkans, orgueilleusement confiante en elle-même, et sûre de trouver dans sa flamme patriotique la force de surmonter les épreuves du combat, l’Armée française n’a qu’une pensée « attaquer ».

Imprégnés de cette doctrine d’offensive à outrance, les Français de 1914, impatients de prendre l’initiative des opérations, s’engagent sur tout le front.

Dans le cadre de l’immense bataille, qui se livre la droite aux Vosges et la gauche en Belgique, la 2e Armée, qui a reçu la mission d’attaquer en direction de Sarrebrück, s’avance avec ses trois corps d’armée en ligne. À sa gauche, le 20e corps, sous les ordres de Foch, a pris comme objectif Morhange.

La marche se poursuit avec entrain en dépit de la chaleur et malgré le feu de l’artillerie lourde allemande. À l’aube du 20 août, l’ennemi réagit sur tout le front. Sous la violence imprévue du choc, la 2e Armée chancelle. Le 20e corps, quoique supportant l’assaut de forces plus que doubles des siennes, résiste avec opiniâtreté. Contraint, cependant, de se conformer au mouvement général de retraite, il se replie pas à pas, en une marche ordonnée, qui porte la marque de l’inflexible énergie du chef qui la dirige. Certes, l’échec était sérieux, mais la ferme contenance des divisions de Foch avait empêché qu’il ne dégénérât en désastre. La 2e Armée n’était point hors de cause ; elle devait le prouver quelques jours plus tard, devant la trouée de Charmes.

Cependant, l’offensive générale des frontières avait échoué. À la lumière des premiers engagements, les Français pouvaient constater que leur doctrine n’était pas adaptée aux conditions nouvelles de la guerre. Affirmer que seule l’offensive procure des résultats positifs est un principe vrai et fécond, mais il ne s’ensuit pas qu’il faille se jeter sur l’ennemi en toutes circonstances. Les Allemands, appliquant une stratégie plus souple, avaient gardé une attitude défensive en Lorraine, tandis qu’ils envahissaient la Belgique avec le gros de leurs forces. Les armées françaises du Nord étaient refoulées jusqu’au sud de la Marne. Je dis refoulées et non battues, car elles réussissaient, au cours de leur retraite, à infliger à l’ennemi un échec dans la région de Guise

On ne saurait trop admirer la décision du chef français, qui n’hésita pas à imposer à ses armées un bond considérable en arrière, pour leur donner le temps de se reprendre, et d’attendre le moment favorable pour marcher de nouveau à l’ennemi avec des forces reconstituées.

Le général Joffre s’est trouvé en présence d’un problème d’une ampleur sans précédent, qu’il a résolu avec une sûreté de jugement incomparable. La retraite après la bataille des frontières et le redressement de la Marne sont des faits uniques dans l’histoire. Je ne crains pas d’affirmer, qu’en cette circonstance, le général Joffre a sauvé I’Armée française, et je ne sais pas s’il se serait trouvé un autre chef pour prendre, à sa place, une décision à la fois si avisée, si audacieuse, et engageant à un tel degré sa propre responsabilité.

Le 28 août, préludant à la reprise du mouvement en avant par une réorganisation de ses forces, le général Joffre confiait à Foch le commandement d’un groupement bientôt transformé en 9e Armée.

Cette armée devient une des pièces maîtresses du nouveau dispositif. Entre la masse franco-anglaise, en voie de réunion sur l’Ourcq et le Grand Morin, et les forces qui, par Vitry-le-François s’accrochent à Verdun, la retraite de l’Armée française a laissé s’ouvrir une brèche de près de cinquante kilomètres. Aveugler cette brèche, relier solidement les deux parties de l’immense corps de bataille, telle est la mission qui échoit aux six divisions de Foch, grossies d’une division de cavalerie. Or, c’est sur ce centre que va porter l’effort allemand. Le 5 septembre, en effet, devant la situation aventurée de l’armée Von Klück, Moltke renonce au projet ambitieux de déborder notre aile gauche, et cherche à rompre notre centre en direction de Troyes.

Cette tentative de percée échouera devant la ténacité et les ressources manœuvrières de Foch.

À cette armée qu’il connaît depuis quelques jours à peine, il insuffle sa forte résolution. À tout instant, il rappelle à ses subordonnés leur mission avec une violence de termes certainement recherchée. Ses ordres s’émaillent de formules impérieuses, d’expressions irrésistibles, qu’il semble souligner du geste coupant qui lui est familier. Le 9 septembre, au moment le plus grave, alors que le château de Mondement en ruines est tombé aux mains de l’ennemi, qu’à sa droite le 11e corps d’armée reflue au sud de Fère-Champenoise, Foch réclame encore de ses troupes, harassées par quatre jours de lutte, un effort suprême ; en cette journée critique où ses divisions fléchissent et reculent, il ne songe ni à organiser la retraite, ni à s’établir sur la défensive, mais bien à attaquer l’ennemi presque victorieux, employant peut-être ainsi le seul procédé qui convienne à des troupes, que les enseignements du temps de paix ont mal préparées aux strictes disciplines de la défensive.

Pour cela, il lui faut des forces. Ayant dû, dès le 7, engager ses dernières réserves, il cherche à s’en reconstituer de nouvelles. Le problème paraît insoluble. Tout au plus pourrait-on, sur un front déjà trop peu nourri, glaner quelques faibles éléments, – expédient de fortune incompatible avec les nécessités d’une manœuvre fructueuse, – Foch a besoin d’une grande unité. Il demande alors au général Franchet d’Espérey d’étendre le front de son corps de droite, et, prenant à son compte la responsabilité d’une relève, il libère la 42e division.

Cette division, qu’il a retirée de son aile gauche défile derrière le front de l’Armée. Va-t-elle servir à étayer la Division Marocaine qui, dans le même moment, est vivement pressée à Mondement ? Foch n’y songe point, car il a hâte de la voir arriver en son centre, où elle doit servir d’ossature à la contre-offensive d’ensemble qu’il veut lancer dans le flanc de son adversaire presque triomphant.

Contre toute attente, l’ennemi se dérobe avant l’entrée en action de la 42e division. Mais peut-on refuser à Foch le mérite d’avoir, au milieu des circonstances les plus scabreuses, conservé la liberté d’esprit nécessaire pour concevoir la manœuvre et préparer son exécution ?

Cette victoire qui, après des péripéties tragiques, s’affirme dans le moment où elle paraît la plus compromise, est la récompense de l’obstination farouche de celui qu’un jour on traitera de « sublime entêté ».

La « mêlée des Flandres » allait lui fournir une nouvelle occasion de donner la mesure de cette énergie, qu’il considère, plus que jamais, comme le gage prépondérant du succès.

Au début d’octobre, les Allemands ont définitivement abandonné l’espoir d’envelopper l’aile gauche française. L’Armée anglaise est maintenant l’objet de leurs entreprises ; c’est elle qu’ils veulent atteindre dans ses communications avec la métropole. Et les troupes du duc de Wurtemberg et du kronprinz de Bavière, composées des meilleurs soldats du Kaiser, marchent à la conquête de Dunkerque et de Calais.

Pour leur barrer la route, Foch ne dispose que de forces insuffisantes et disparates. Le front est étiré à l’extrême, et les troupes, qui arrivent par petits paquets, parviennent difficilement à alimenter cette bataille excentrique, où les Allemands, manœuvrant sur des lignes intérieures, déversent rapidement leurs disponibilités. Les territoriaux du général Brugère avaient d’abord été les seuls gardiens de ces contrées, que la guerre n’avait fait qu’effleurer. Peu à peu la bataille s’était rapprochée. Dans la plaine monotone et boueuse, les corps de cavalerie avaient étalé leurs escadrons. Puis, le long de la côte, l’armée belge était venue s’accrocher, avec l’aide des fusiliers marins, aux derniers lambeaux de son pays. Digne d’un Roi qui avait donné au Monde le plus bel exemple de loyauté et de courage, elle s’obstinait malgré la chute d’Anvers et l’invasion presque totale de son territoire, dans sa fidélité à la cause alliée.

À sa droite, les divisions britanniques, accourues des bords de l’Aisne, lui tendaient la main et assuraient la continuité du front. Enfin, derrière cette ligne bigarrée, d’antiques canons, extraits des vieilles places du Nord, sont venus en hâte renforcer l’artillerie lourde trop peu nombreuse. Nationalités diverses, aptitudes tactiques et valeurs militaires inégales, toutes les raisons de divergence s’accumulaient pour séparer des troupes, appelées cependant à combattre côte à côte, et que les circonstances allaient contraindre à se mêler étroitement.

Cependant, Foch essaye d’en imposer à l’ennemi, mais, devant l’afflux des masses allemandes, il en est bientôt réduit à parer les coups.

Que de fois, en ces angoissantes journées, les Allemands semblent toucher au but ! Sous leurs coups le front vacille, des brèches s’ouvrent. Les Belges, les Anglais, ont peine à contenir plus longtemps leurs assauts. Mais Foch, avec une énergie qui ne se dément pas, affermit les résolutions, distribue les renforts, et assure le maintien du front.

Le 30 octobre, les Allemands, que l’inondation a définitivement arrêtés sur l’Yser, lancent de furieuses attaques devant Ypres ; les Anglais, déjà affaiblis par les combats des jours précédents, sont sur le point de céder devant des forces supérieures. Foch, infatigable, paraît dans la nuit au Quartier général britannique.

– Avez-vous des réserves, dit-il à French?

– Non.

– Je vais vous en donner, mais tenez jusqu’à ce qu’elles arrivent.

Et le danger d’une imminente retraite étant conjuré, il gagne le temps nécessaire à l’intervention des renforts français. La situation reste néanmoins tendue à l’excès. Le lendemain, les attaques allemandes reprennent avec un nouvel acharnement. Le maréchal French estime qu’il n’est plus possible de prolonger la résistance et se montre décidé à évacuer Ypres. Rentrant à son Quartier général, après une visite à ses commandants de division, il rencontre par hasard, à Vlamertinghe, Foch. Il lui expose ses inquiétudes et ses projets de repli. Avec une bonhomie simple, Foch combat cette solution, multiplie ses arguments et ses exhortations. Enfin, sur un papier il jette quelques mots : « Il est absolument indispensable de ne pas reculer ; pour cela tenir, en s’enterrant où on se trouve... Tout mouvement en arrière fait par un ensemble de troupes entraînerait une poussée de l’ennemi et un désordre des troupes, qui doivent le faire écarter absolument » Le maréchal anglais, impressionné par ces lignes énergiques, retourne la feuille, écrit : « Faire exécuter » et l’adresse à ses commandants de corps d’armée. Ypres était sauvé.

Ainsi, Foch impose ses vues aux États-majors alliés. cependant, il n’a pas le commandement : il ne peut, aux termes de sa mission, que coordonner l’action des différentes armées. Il ne donne donc pas d’ordres, il persuade, il conseille. Mais quelle puissance ont ces conseils, qu’il n’hésite pas à renforcer par une note rédigée dans ce style net, émaillé d’expressions vigoureuses, qui est le reflet de sa pensée !

Enfin, Foch fait preuve déjà de ce qu’on pourrait appeler « l’esprit interallié ». Au lieu d’accentuer les tendances particularistes d’éléments si divers, il en prépare l’amalgame. Certes, il sait discerner les qualités et les défauts des armées alliées, mais, à tous, il fait confiance. Il compte sur leur « amour-propre », et il leur apporte indistinctement, suivant les exigences du moment, l’appui des renforts français.

Par son impartialité, il gagne la reconnaissance des Alliés. Par la maîtrise avec laquelle il domine les événements, il conquiert aux yeux de tous un incontestable prestige et prépare ainsi les voies au Commandement unique.

La bataille des Flandres a épuisé les deux adversaires. Ceux-ci sont mutuellement bloqués devant des positions que l’emploi conjugué de la tranchée, du fil de fer, de l’arme automatique, rend à peu près inexpugnables. La guerre menace de s’enliser dans un face à face immuable. Situation étrange que cette impasse à laquelle aboutit la lutte, après quatre mois de combats, et dont les annales militaires n’offraient point encore d’exemple ! Elle n’était, cependant, que l’inévitable conséquence du développement des moyens modernes.

Sur les champs de bataille napoléoniens, où ne règnent que des armes à faible portée, quelques centaines de mètres à peine séparent les combattants. L’assaut est une crise rapide, dans laquelle le feu ne joue qu’un rôle secondaire. La volonté de vaincre, le désir instinctif d’abréger cette épreuve, provoquent la ruée de l’assaillant, et hâtent l’instant de la rencontre à l’arme blanche, où il recueille le bénéfice de sa masse et de sa vitesse. En un mot, la puissance du choc est souveraine.

Souveraineté fragile, dont les progrès de la science et de l’industrie ébranlent bientôt les fondements. Les armes à grand rendement ouvrent à la guerre des perspectives nouvelles. La défensive en profite d’abord : mitrailleuse, canon à tir rapide accroissent dans des proportions considérables la capacité le résistance d’une troupe. Celle-ci, incrustée au sol et disposée de manière à déployer, à chaque instant, toute la puissance de ses engins, balaie de ses projectiles des zones de plus en plus profondes, à travers lesquelles l’attaque ne peut progresser que pas à pas, au prix de lourds sacrifices. Le nombre, l’élan, doivent s’incliner devant la brutalité destructrice du feu. Pour s’y dérober, l’assaillant cherche des auxiliaires nouveaux : la nature, jusqu’ici spectatrice muette des violences humaines, entre dans la lutte ; les formes et les accidents du sol, selon qu’ils protègent des coups ou qu’ils favorisent les effets du feu, sont exploités par les deux adversaires. Mais, si l’utilisation du terrain facilite l’approche de l’agresseur, elle n’est cependant qu’un expédient qui diminue, sans la supprimer, l’efficacité des engins de l’ennemi. Pour éteindre le feu qui le décime, il faut désormais que l’assaillant réponde aux projectiles par des projectiles plus puissants, qu’il multiplie ses canons, en un mot qu’il ait recours à la puissance du feu, cette nouvelle divinité du combat moderne.

Au cours de l’hiver 1914-1915, Foch réfléchit. Il garde sa foi robuste dans l’offensive, et en discerne les inéluctables conditions matérielles. D’une bataille conduite avec de puissants moyens, il escompte « la percée, qui rendra, dit-il, à nos armées la liberté d’action et de manœuvre ». Cette conception est celle de la plupart des chefs de l’Armée, qui n’ont pas encore reconnu la nécessité du gigantesque effort et qui espèrent l’abréger, en ayant recours, au delà de la barrière défensive, aux ressources de la manœuvre. Les offensives d’Artois et de Champagne viennent démentir cet espoir. Derrière la brèche faite, le front se reforme, les organisations fortifiées renaissent. C’est que, dans le domaine stratégique, les conditions du problème se sont aussi profondément modifiées.

Dans les luttes précédentes, les années avaient opéré, isolées dans l’espace et dans le temps. La bataille mettait aux prises des forces limitées, qui représentaient la totalité des ressources militaires de la nation. Elle ne pouvait être alimentée que par les troupes présentes sur le terrain ; aussi, celui des adversaires qui avait le premier usé ses réserves était contraint de s’avouer vaincu. C’est ainsi qu’après les grandes batailles de Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram, le vaincu avait dû signer la paix.

Aujourd’hui, grâce au développement considérable des moyens de transport, les ressources nationales, intégralement mobilisées, peuvent affluer avec rapidité et renouveler, de façon continue, les masses armées. Le pays tout entier intervient dans la lutte et jette dans la balance ses hommes, sa puissance matérielle, ses forces morales. Aussi, les triomphes ne sont-ils que passagers, 1’exploitation de la victoire s’arrête dès que l’adversaire a pu amener des forces nouvelles. Pour que le succès soit définitif, il faut empêcher cet afflux des forces et en tarir la source.

Désormais, le but de la guerre apparaît dans toute son ampleur et sa cruelle netteté ; il est devenu la destruction, non d’une armée, mais d’une nation.

Il faut donc se résigner à aborder directement le rigoureux problème. Il faut consentir sans arrière-pensée, l’effort indispensable à cette tâche immense, il faut accepter la rançon de cette profonde transformation, eu adoptant une tactique prudente et méthodique, en harmonie avec les difficultés de la mise en œuvre massive du matériel.

À ces considérations de fait s’ajoutent des raisons psychologiques. Aux dures leçons du feu, 1’homrne a compris sa faiblesse. Il a reconnu la vanité de certains sacrifices et s’incline devant les forces qu’il a déchaînées. Dans le labeur qui l’attend, et dont il a apprécié la grandeur, il réclame lui-même le soutien d’un puissant matériel, en même temps que l’appui moral de la nation, en un mot, le concours de toutes les ressources du Pays.

Ainsi, le problème de la guerre atteint des proportions insoupçonnées, il se hausse à la taille des peuples qui s’entrechoquent. Les adversaires s’arment si lourdement que leurs étreintes resteront lentes et mesurées ; et, comme ils ne peuvent combattre que de front l’épuisement de l’un d’eux sera le seul terme de leur longue lutte.

Cette conception de la guerre d’usure domine le plan de campagne de 1916. Ce plan comporte, sur tous les fronts alliés, une série d’opérations locales, à portée limitée, précédant des offensives de grande envergure, qui seront poursuivies en des efforts progressifs jusqu’à l’effondrement de l’ennemi. Dans ce cadre d’ensemble, le général Joffre prévoit, pour le mois de juin, une attaque franco-anglaise, embrassant un front de soixante-dix kilomètres, entre l’Oise et les abords d’Arras, et il en confie la préparation et la direction au général Foch.

Mais, le 21 février 1916, l’irruption des Allemands sur Verdun vient bouleverser ces projets. Tandis que sur le sol labouré de projectiles, les « poilus » héroïques s’acharnent à la défense de la vieille cité, et que le monde palpite aux échos tragiques de la bataille, Joffre, acceptant encore une fois les plus lourdes responsabilités, s’obstine dans son dessein d’une attaque en Picardie.

La consommation des grandes unités engagées sur la Meuse avait obligé, il est vrai, le commandement français à diminuer peu à peu l’envergure du plan initial ; mais on considérait que la bataille de la Somme, patiemment conduite, en précipitant l’usure des réserves allemandes, pourrait encore entraîner la décision.

Cet espoir parut devoir se réaliser. En juillet et août, Foch mène la bataille avec sa ténacité coutumière. Le 12 septembre, alors que les Anglais, maîtres de la crête de Pozières, découvrent toute la plaine de Bapaume, et que l’armée Fayolle enfonce les derniers retranchements ennemis à Bouchavesnes, les Allemands ne disposent plus en arrière du front que de quatre divisions fraîches. Foch redouble d’activité, mais il n’a plus les moyens suffisants pour achever son adversaire.

Dans cette bataille, les premiers chocs ont un rendement fructueux. Mais à la faveur du développement compassé de l’action, l’ennemi restaure indéfiniment ses moyens, l’assaillant s’épuise dans une luite de plus en plus âpre. La conception de la bataille d’usure est juste, mais son exécution s’avère trop rigide. À la méthode des coups successifs, appliqués en un même point où l’assaillant finit par s’enliser, il faudra substituer une tactique plus variée, ayant pour objet de désorganiser la résistance de l’ennemi en des points différents.

Cependant cette formule n’apparaît pas clairement à tous les esprits : beaucoup pensent encore qu’une bataille continuée sur le même terrain, avec des moyens matériels plus puissants et sur un rythme accéléré, pourra conduire au succès. Les Alliés s’étonnent que l’effort important et concerté, qu’ils viennent de fournir pendant l’été, aboutisse à des résultats aussi incomplets ; une certaine déception se manifeste dans tous les camps. Foch en subit les répercussions et quitte bientôt le commandement du groupe d’armées du Nord, pour prendre la direction d’un Bureau d’études interalliées à Senlis.

Les périodes d’accalmie, où le danger paraît moins pressant, rendent les hommes indifférents ou ingrats. L’imminence du péril fait mieux apprécier les valeurs. La crise, qui suivit les opérations d’avril 1917, fut l’occasion d’un revirement en faveur de Foch, et le Gouvernement lui confia les fonctions de chef d’État-major général, nouvellement rétablies.

C’est à ce titre que, le 26 octobre 1917, devant le péril, qui, par-dessus les armées italiennes, menace l’Entente tout entière, il télégraphie au général Cadorna : « Le Gouvernement vous fait savoir que, si vous avez besoin de nos troupes, nous sommes prêts à marcher. » Ayant mis en route quatre divisions françaises et décidé les Anglais à suivre notre exemple, il part lui-même pour l’Italie le 28 octobre. Quinze jours plus tard, l’ennemi était arrêté sur les rives du Piave, avant même qu’il fût nécessaire d’engager nos divisions. Laissant aux armées italiennes le mérite et 1’honneur de sauver leur Patrie, Foch avait affirmé, par sa présence et celle des divisions franco-anglaises, la solidarité des Alliés. Son geste avait scellé entre les deux grandes nations latines un lien, dont nous devions quelques mois plus tard éprouver à notre tour les bienfaits : le 15 juillet 1918, sur les flancs de la Montagne de Reims, le 2e Corps d’Armée italien contribuait par son attitude héroïque à barrer aux Allemands la route d’Épernay.

L’intervention franco-anglaise en Italie avait posé, une fois de plus, sans le résoudre, le problème du Commandement interallié. Foch est prêt à en assumer la charge, mais le plan qu’il propose n’est point adopté. L’heure est proche, cependant, où toutes les objections se dissiperont sous le frisson du danger.

Le 21 mars 1918, sous l’attaque puissante des Allemands, exécutée entre l’Oise et la Scarpe, sur un front de quatre-vingt kilomètres, les lignes anglaises sont enfoncées. Les réserves françaises accourent aussitôt. Le 23, d’accord avec le maréchal Haig, le général Fayolle, se substituant au Commandement anglais, prend la direction de la bataille entre l’Oise et la Somme. Dans ce secteur, où combattent péniblement les débris de la Ve Armée britannique, l’armée Humbert a déjà engagé ses divisions et, bientôt, l’armée Debeney viendra renforcer l’ossature du Commandement. Sous leurs ordres, se rangent, une à une, les nouvelles unités appelées en renfort. Du 21 au 26 mars, vingt-quatre divisions sont mises en route vers le front britannique, seize autres sont alertées et suivront le mouvement, soit quarante divisions, représentant la totalité des réserves françaises. L’histoire des coalitions offre peu d’exemples d’un concours aussi absolu et spontané. L’Armée française, insouciante du danger qu’elle court dans ses secteurs dégarnis, tend désespérément la main à son Alliée. Une telle abnégation fut cependant bien près d’être vaine.

Le 23, à 11 heures du soir, j’étais chez le maréchal Haig à Dury : je lui énumérai les divisions françaises qui étaient déjà, soit en ligne, soit en route vers la bataille ; j’insistai sur le caractère irrémédiable de toute scission entre nos armées, s’il refusait la main que je lui tendais. Je quittai le maréchal Haig sans espoir de l’avoir convaincu, décidé, néanmoins, à tout faire pour hâter le mouvement des réserves françaises. Persuadé qu’un accord interallié était 1’unique remède à une divergence d’attitude qui menaçait d’avoir de si graves conséquences, je pensais que Foch, seul pouvait avoir l’autorité suffisante pour assumer la charge d’un commandement interallié.

Trois jours plus tard, après une entrevue mémorable, il sortait de la mairie de Doullens muni des pouvoirs de coordination nécessaires ; son optimisme clairvoyant et raisonné avait vaincu toutes les hésitations, sa fermeté avait retrempé toutes les énergies, les armées de l’Entente avaient un chef.

Cependant l’épreuve commençait à peine. Le 9 avril, l’ennemi attaque en Flandre. Dunkerque, Calais sont menacés. L’Armée anglaise, cruellement éprouvée, cède pas à pas devant la violence de la poussée. Au pied du mont Kemmel, les divisions françaises l’aident à arrêter la ruée. Mais l’ennemi s’acharne sur cette armée qui, en deux batailles, a perdu plus de 200 000 soldats. Le 24 avril, tandis qu’un dernier assaut est repoussé à l’est d’Amiens, le mont Kemmel, écrasé d’obus, tombe. Le saillant d’Ypres et toute la ligne belge sont débordés, un repli semble inévitable. Foch se refuse à l’exécuter encore. Et l’ennemi, déconcerté par cette résistance qui persiste, malgré l’opiniâtreté de l’attaque, hésite devant un nouvel effort et se retourne contre l’Armée française.

Et ce sont, alors, les offensives du 27 mai au Chemin des Dames, du 9 juin sur le Matz, du 15 juillet en Champagne.

Sous l’impulsion de Foch, les Alliés, donnant à l’unité de commandement sa pleine valeur, serrent les coudes, et mettent en commun toutes leurs ressources.

 Cependant, malgré l’intermittence d’une lutte, dont les intermèdes permettaient aux unités de combler en partie leurs pertes, les réserves alliées s’usent d’une façon inquiétante. Le 15 juin, I’Armée française ne dispose plus que d’une seule division fraîche ; les armées anglaises sont encore en voie de reconstitution. En face de nous, à la même date, les Allemands ont cinquante-quatre divisions disponibles.

La flagrante disproportion des forces en présence ne semblait pas émouvoir le général Foch. « Cet espèce d’homme encagé de se battre », comme l’avait si pittoresquement appelé Clemenceau, à Doullens, ne pensait toujours qu’à l’offensive. À peine l’attaque allemande expirait-elle sur les glacis d’Amiens, que, le 3 avril. il jetait. les bases d’une action destinée à reprendre à l’ennemi ses récentes conquêtes. Le 12 et le 20 mai, après stabilisation de la situation dans les Flandres, il revient sur ses projets. Mais l’offensive est encore prématurée. S’il s’y entête, c’est qu’il y voit le moyen de prévenir les entreprises de l’ennemi, de contrecarrer ses desseins, et d’ôter ainsi à la défensive l’aspect passif qui l’irrite. Il s’obstine, d’ailleurs, à ne considérer la défensive que sous la forme d’une offensive momentanément arrêtée, et se refuse à convenir qu’elle soit une manœuvre ayant ses méthodes et ses dispositions propres. « Il n’y a plus un mètre de sol de France à perdre », écrivait-il le 27 mars. « C’est la défense pied à pied du territoire qui est à réaliser. Tout recul, même limité, ferait le jeu de l’adversaire » répète-t-il encore dans une instruction du 5 mai. Il espérait ainsi faire passer dans l’âme des chefs, une résolution qu’aucun échec ne parviendrait à entamer.

En revanche, cette conception rigide, cette défensive à coups d’hommes, avaient l’inconvénient d’exposer aux attaques de l’adversaire tous les organes d’une défense, qui n’avait pas su s’échelonner en profondeur, et contribuaient à hâter l’usure de nos effectifs.

L’armée subissait, sans faiblir, toutes ces épreuves ; l’opinion, moins résistante, s’en émut parfois. L’échec du 27 mai, au Chemin des Dames, produisit une vive alarme à l’intérieur, et, comme autrefois, après la Somme, certaines voix réclamèrent des sanctions.

Un homme, dont la grande figure domine l’histoire de cette période de la guerre, osa s’interposer. Clemenceau avait bravé jadis certains préjugés pour donner à l’École de guerre un chef digne d’elle ; à la conférence de Doullens, il avait, de sa parole chaude, soutenu, devant les Alliés, la candidature de Foch au Commandement suprême. lI sut alors faire taire les émois, et couvrir de sa puissante personnalité les chefs de l’Armée. Avec une obstination toute vendéenne, il suivait la ligne de conduite qu’il s’était tracée, et dont, en montant au pouvoir, il avait donné la vigoureuse définition : « Je fais la guerre. » Sa courageuse intervention épargna aux armées alliées, et à l’armée française, une crise de commandement qui aurait pu leur être funeste.

La guerre, en effet, était entrée dans sa phase décisive. Déçu et inquiet, l’ennemi sentait s’exaspérer en lui le désir d’en finir, avant que l’afflux des forces américaines vint faire pencher irrémédiablement la balance en faveur des alliés. Mesurant ses dernières ressources, il croyait pouvoir encore, en une action d’envergure, arracher la victoire. Délaissant Amiens, Calais, objectifs désormais secondaires, c’est au cœur qu’il visait la coalition. Comme aux premiers jours de la guerre, le nom magique de Paris avait repris sur les esprits germains son invincible attrait. Et de nouvelles hordes menaçaient les voies d’invasion séculaires de l’Oise et de la Marne.

L’Ile de France est protégée par une ceinture de défenses naturelles jalonnée, au nord, par le massif forestier de Compiègne-Villers-Cotterêts, à l’est, par la Montagne de Reims et la forêt d’Épernay.

Le bastion de Villers-Colterêts-Compiègne avait subi déjà le premier assaut. Le 27 mai, rompant notre front du Chemin des Dames, les Allemands avaient atteint la Marne, mais avaient dû s’arrêter devant les lisières orientales de la forêt de Villers-Cotterêts. Le 9 juin, opérant par l’ouest du massif, ils avaient fait de vains efforts pour atteindre Compiègne et la vallée de l’Oise. Reconnaissant leur impuissance, ils se tournent maintenant vers la Montagne de Reims. De l’Argonne à Château-Thierry, sur un front de cent kilomètres, toutes les forces d’outre-Rhin se ramassent pour l’assaut suprême, que les chefs allemands, pour faire taire l’amertume de leurs hommes et exalter leurs derniers enthousiasmes, ont appelé, par un cruel euphémisme, le « Friedensturm », l’assaut de la paix. La paix serait proche, en effet, si, la Montagne de Reims conquise, Châlons dépassé, l’Armée allemande n’avait plus qu’à marcher sur Paris par les deux rives de la Marne, effaçant de son piétinement victorieux les traces de la défaite de 1914.

Tel est le plan allemand ; il est certes fortement conçu, mais, seule, une armée intacte aurait pu nourrir de pareilles ambitions. Or, les attaques répétées menées depuis le printemps ont creusé de larges vides dans les rangs allemands. Les réserves, obstinément engagées sur le même terrain se sont inutilement épuisées au fond des poches où elle se heurtaient à des forces réorganisées. L’usure se fait sentir dans le moment même où les Alliés recueillent le bénéfice de leur large effort industriel, et où l’arrivée des forces américaines vient augmenter leurs ressources. L’équilibre s’est rétabli et la riposte victorieuse va devenir possible.

À la manœuvre allemande quatre armées françaises vont s’opposer. À leur tête sont des chefs aux noms prestigieux : Mangin, Degoutte, Berthelot, Gouraud, Maistre, au-dessus desquels plane la lumineuse figure du général Fayolle.

À l’est, la 4e Armée tient le front de Champagne. À l’abri des réseaux barbelés, épars au milieu de ces zones désolées, que bientôt balaiera la tempête des projectiles, quelques groupes silencieux épient la rumeur sourde qui monte des tranchées opposées. Dès les premiers jours de juillet, la 4e Armée, affranchie de l’obligation de ne plus « céder un pouce de terrain » a secrètement retiré des premières lignes le gros de ses forces, et reporté sa véritable défense à quelques kilomètres en arrière. Ainsi, au jour de l’attaque, les vagues allemandes, dissociées par la résistance des îlots d’avant-postes, mal soutenues par une artillerie à bout de souffle, se briseront contre une ligne de feux denses, dont tous les organes auront été tenus jusque-là à l’abri des coups de l’adversaire. Pour présider à cette manœuvre, un chef, le général Gouraud, prépare depuis plusieurs semaines sa bataille, l’ennemi peut venir, la 4e Armée l’attend.

À sa gauche, les 5e, 6e et 10e Armées, enserrent le saillant allemand de Château-Thierry. La situation aventurée de l’ennemi dans cette impasse, paraît trop favorable au général Foch, qui cherche depuis longtemps à reprendre l’initiative des opérations, pour qu’il ne tente point de porter à l’ennemi un coup décisif. En une puissante action convergente, les trois armées aborderont ensemble le front allemand, le 18 juillet.

Cependant l’ennemi nous devance. Le 15, dans la nuit, le front s’embrase ; à l’aube, un torrent de soixante-quinze divisions déferle sur nos lignes. À l’est de Reims, l’assaut s’émousse sur la position de résistance de la 4e Armée. À l’ouest de Reims, les Allemands réussissent, en revanche, à franchir la Marne et progressent en direction d’Epernay. La menace est sérieuse. Les réserves à pied d’œuvre seront-elles suffisantes, et ne devra-t-on point, pour protéger la Montagne de Reims, retarder l’exécution du plan prévu ? Le général Foch s’y refuse. Le 16 et le 17, des renforts affluent, le péril s’atténue ; l’offensive ennemie, après quelques tentatives infructueuses, est contenue sur tout le front. La route de Paris est définitivement barrée, l’Armée allemande est mûre pour la défaite.

Depuis le 26 mars, Foch n’avait vécu que dans l’attente de cet instant magnifique, où l’ennemi, haletant d’un si long effort, désemparé par un échec grave, s’offrirait à nos coups.

Sous les ordres des généraux Fayolle et Maistre, commandant les deux groupes d’armées, la mise en place de notre appareil offensif s’achève.

Entre l’Aisne et l’Ourcq, à l’abri de la forêt complice, les seize divisions de l’armée Mangin, appuyées de plusieurs centaines de chars, sont massées dans l’attente des lendemains victorieux. Le vainqueur de Douaumont, habile aux préparations minutieuses et secrètes, a su, depuis un mois, en une série d’actions méthodiques, reconquérir l’ascendant sur l’ennemi, et exalter le mordant de ses troupes. Des soldats au chef, un frémissement d’espoir agite toute la 10e Armée.

Mais ce n’est pas seulement à la 10e Armée qu’ont levé les germes offensifs que Foch n’avait cessé de jeter.

Le général Degoutte qui, à droite de Mangin, tient le front jusqu’à Domans, n’a pu recevoir aucun renfort ; il n’a, sous ses ordres, que huit divisions et une centaine de chars ; aussi, la participation de son armée à l’opération est-elle restée d’abord incertaine. Quelques jours avant l’attaque, avec une audace calme et réfléchie, il annonce, modestement, suivant sa manière coutumière, qu’il pourra, avec ses seuls moyens, prolonger l’action de l’Armée Mangin.

Enfin les soldats de Berthelot et de Gouraud, qui viennent de subir le redoutable choc ont en une nuit modifié leur dispositif, et sont, à leur tour, prêts à attaquer.

À l’aube du 18 juillet, après une nuit d’orage, dont les grondements ont couvert les derniers bruits de la mise en place, les 6e et 10e Armées s’élancent à l’assaut. En même temps, la 5e Armée, reprenant l’offensive, attaque en direction de Fismes. Le saillant de Château-Thierry est pressé de toutes parts. L’ennemi, surpris, est bousculé et refoulé en quelques jours jusqu’à la Vesle. En toute hâte, il rappelle des Flandres les forces qu’il destinait à une nouvelle attaque, et renonce, provisoirement, à toute entreprise.

Ainsi, la persistante volonté de Foch, les patients efforts des chefs, l’héroïque ténacité des troupes, avaient porté leurs fruits. La victoire paraissait d’autant plus belle, qu’elle succédait à une longue série de revers : outre ses avantages matériels, les prisonniers, les canons capturés, les villages délivrés, la voie ferrée Paris-Châlons dégagée, elle comportait un résultat moral retentissant. Pour la première fois, depuis cinq mois, l’ennemi avait reculé. Aux premiers coups des Alliés, l’édifice allemand avait chancelé. Des perspectives soudaines s’ouvraient aux yeux émerveillés de la France ; cristallisée dans une longue attente, elle se prenait tout à coup à croire à la victoire et elle acclamait celui qui lui en faisait la radieuse promesse. Le 7 août, le général Foch était élevé à la dignité de maréchal de France. Une part de cette gloire rejaillissait sur le général Weygand, qui, par la pénétration de son esprit et son art d’interpréter la pensée du Maréchal, s’était montré, non seulement un chef d’état-major accompli, mais aussi le collaborateur le plus sûr et le plus dévoué.

L’opération du 18 juillet avait rendu au maréchal l’initiative. L’afflux croissant des troupes américaines, l’abondance des renforts en matériel de toute nature, lui permettaient de ne plus la laisser échapper, et la manœuvre offensive, adaptée désormais aux conditions de la lutte, allait recevoir une éclatante justification. À partir de cet instant, multipliant ses attaques, précipitant leur rythme, amplifiant sans cesse la bataille, Foch frappe à coups redoublés jusqu’à ce que l’ennemi, désorienté, éperdu, se résigne à implorer grâce.

Dans le désordre apparent de cette mêlée, où certains n’ont voulu voir que le déchaînement d’une fougue longtemps contenue, il y avait cependant un plan d’action.

Le 24 juillet, Foch précise ce plan : l’ennemi a encore en main des gages de valeur : il intercepte ou menace de près les deux principales rocades ferrées du front français ; du Kemmel, clef de la Flandre maritime, il est à portée des bases anglaises, dont la sécurité reste précaire. Le redressement de cette situation est le premier but de Foch : après la suppression de la poche de Château-Thierry, il cherchera à dégager Amiens, à réduire le saillant de Saint-Mihiel et à libérer la Flandre. Mais ce n’est là qu’une préface. Ayant écarté les périls les plus aigus et restauré ses moyens d’action, il compte livrer une grande bataille. Enfin, jetant ses regards jusqu’aux opérations décisives, il demande aux Alliés de lui indiquer les moyens qu’ils pourront mettre en ligne au début de 1919. Ainsi Foch aborde l’offensive avec un plan net et complet ; son esprit synthétique ne se contente pas des prévisions immédiates ; d’un geste audacieux, il embrasse dans son ensemble tout le problème de la guerre. À la forte logique qui inspire ce plan, à l’intelligence souple qui va présider à son exécution, Foch ajoutera l’impulsion de son exceptionnelle volonté.

Le 8 août, tandis que l’armée Rawlinson donne l’assaut à l’est d’Amiens, le général Debeney, par une opération où se révèle une incomparable maîtrise, pénètre profondément dans les positions ennemies et déborde Montdidier par le nord. Le 10, profitant des résultats acquis, l’armée Humbert entre en action, achève l’encerclement de la ville et étend la bataille jusqu’à l’Oise. En quatre jours, Montdidier est reconquis, Roye et Chaulnes sont menacés, la voie ferrée Paris-Amiens est dégagée. Le 17 août, l’armée Mangin s’engage sur les plateaux entre Soissons et Noyon, et vient border l’Ailette. Devançant les désirs de Foch, le maréchal Haig lance le 21 août les généraux Horne et Byng vers Cambrai et Péronne.

Et tandis que les armées marchent vers les positions fortifiées aux noms légendaires, qu’elles entament dans les premiers jours de septembre, tandis que les forces américaines entrent pour la première fois en masse dans la lutte, et que l’ennemi évacue ses précédentes conquêtes, le maréchal Foch remué de plus ambitieuses pensées.

À l’ampleur des succès qui ont rempli le mois d’août, il a pu mesurer le déclin des armées allemandes. Les renseignements, que lui adressent les Quartiers généraux français et anglais illustrent sa désorganisation et son usure. À la fin d’août, quarante-quatre divisions seulement sont disponibles derrière le front allemand, alors que les réserves alliées comptent soixante-quinze divisions.

L’état matériel et moral des Armées alliées n’est pas moins réconfortant.

L’Armée américaine apporte à la coalition l’appoint du nombre et l’exemple d’un noble désintéressement. Aucune autre nation n’est, en effet, entrée dans la guerre plus librement et plus généreusement. Nulle autre, en revanche, n’y est entrée avec une aussi complète inexpérience. Mais, d’esprit pratique, réalisateur, regardant parfois d’un œil apitoyé nos chétives entreprises européennes, le citoyen des États-Unis s’est d’emblée adapté à la guerre. Ses allures un peu brusques et familières heurtent parfois nos habitudes formalistes ; mais son concours est précieux, et Foch, s’accommodant de ses défauts, sait remarquablement tirer parti de ses qualités. En un grandiose effort, le général Pershing va jeter d’un seul coup dans la lutte, six cent mille hommes, avides de venger les morts du Lusitania.

À ces signes, Foch reconnaît la possibilité de terminer la guerre dès 1918, et décide de pousser jusqu’à la défaite de l’ennemi, cette offensive générale qu’il envisageait dans son mémoire du 24 juillet.

Sous le puissant assaut des Armées alliées, engagées des Flandres à la Meuse, le front allemand est enfoncé. L’Allemagne en détresse lance vers les États-Unis un appel de paix. Et cependant son armée réagit, et s’accroche opiniâtrement aux solides positions qu’elle a, depuis longtemps, organisées. Foch, rajustant son plan, combinant les batailles pour faire tomber, par larges pans, le front adverse, entretenant l’action, talonnant ses lieutenants, réussit à vaincre toutes les résistances. Tandis que la Bulgarie et la Turquie s’écroulent sous les coups de l’Armée d’Orient, et que la victoire de Vittorio Veneto ouvre à l’Italie les routes de Vienne, l’Armée allemande est chassée de ses derniers retranchements.

La vaste bataille, entamée le 18 juillet sur les bords de la Marne, approche de son dénouement. Le 12 octobre, les Allemands ont consommé la presque totalité de leurs réserves : le moment semble venu de lancer l’attaque décisive.

En prévision de cet événement des instructions ont été données pour l’équipement du front de Lorraine. Le général de Castelnau n’attend que l’arrivée des divisions françaises pour les porter sur le Rhin, où elles devanceront les gros des armées allemandes, attardées en Belgique. L’instrument de guerre et d’oppression, qui a fait frémir le monde, est près d’être jeté bas ; un gigantesque Sedan l’attend. La Nation, elle-même, est incapable de secourir son armée et de lui inspirer une résolution désespérée. La source des énergies belliqueuses est tarie : sous la menace de l’invasion, le peuple allemand s’effondre dans l’anarchie.

Cependant, l’admirable manœuvre ne s’accomplira pas. Le grand Soldat, qui avait fait de l’attaque décisive l’aboutissement de sa doctrine et la clef de voûte de son enseignement, devra reposer son épée, avant d’avoir détruit son adversaire. L’armistice qu’il signe le 11 novembre, en territoire français, épargne à l’orgueilleuse armée allemande un humiliant désastre et lui permet de repasser le Rhin sans être inquiétée.

Pourtant, la victoire, quoique inachevée, était éclatante. Elle couvrait le maréchal Foch d’une gloire impérissable, plus pure que celle des grands Conquérants, parce qu’il l’avait acquise au service du Droit, plus retentissante et plus rare, parce qu’il avait sauvé, non seulement son Pays mais le Monde civilisé.

À cette victoire, la France entière participait, car à ce long effort, chacun avait apporté sa contribution. Le triomphe venait récompenser non seulement la valeur des chefs, mais aussi l’héroïsme des soldats le labeur des usines et les vertus patriotiques de tout un peuple.

Une fois de plus, à une heure grave de son histoire, la France a vu surgir des profondeurs de la race, pour réunir, diriger et exalter ses forces combatives, une haute Intelligence et un grand Caractère. Car, en définitive, la force de la Pensée et celle de la Volonté, sont les traits essentiels de la physionomie de Foch.

Dans les situations à demi désespérées, arc-bouté sur sa conviction, se refusant à tout abandon, contraignant ses subordonnés à la même attitude, au besoin presque malgré eux, il leur communiquait la flamme qui l’animait. Dans l’ultime bataille, après avoir repris l’initiative par un sursaut de volonté, il a renouvelé chaque jour ses actes d’énergie : à mesure que l’accumulation des succès rassasiait les esprits, que la fatigue des troupes, la fonte des effectifs venaient détendre les ressorts des âmes, sa volonté exaspérait dans l’attente de la victoire qu’elle avait préparée. « La guerre est un drame effrayant et passionné ». Foch l’a faite avec passion, et c’est ainsi qu’il a vaincu.

S’il a pu conduire ses opérations avec une pareille maîtrise, c’est qu’une pensée exceptionnellement ferme lui en avait montré clairement le but. Cette pensée, il l’avait nourrie aux sèves de l’Histoire. Travailleur acharné, il avait fouillé le passé pour y trouver, non des exemples à copier, mais des leçons à méditer, et sur ces leçons il avait profondément réfléchi. Selon son expression, « il avait appris à penser ». Délaissant volontiers la tactique, qui, pour lui, était surtout affaire d’exécution, il s’était orienté tout naturellement, par un goût instinctif de la synthèse, vers cette partie de l’art militaire, à la fois mystérieuse et simple, puisqu’elle ne fait intervenir que le bon sens, je veux dire la stratégie. Et c’est ainsi qu’à travers le réseau infiniment complexe des problèmes d’une guerre immense et nouvelle, il avait découvert les chemins qui mènent à la victoire.

Confiant dans la justesse de ses vues, Foch manifestait en toute occasion une assurance absolue. Un jour d’avril 1918, à Abbeville, interrogé par le chef d’état-major de l’Armée anglaise sur la conduite qu’il tiendrait si les Allemands menaçaient de nouveau les ports français de la Manche, il refusa d’envisager cette éventualité. En vain lui objecta-t-on que le Commandement doit tout prévoir, même le pire, que cela n’affaiblirait en rien sa détermination de résistance Pour lui, la question ne se posait pas. « De parti-pris, disait-il, je regarde toujours du côté du salut et non de 1’échec, j’élimine l’hypothèse de l’insuccès ». Cet optimisme qui, de propos délibéré procédait par affirmations en éludant la discussion, produisait une forte impression. Ses interlocuteurs civils, en particulier, subissaient l’influence de sa foi inébranlable.

Foch avait une aptitude innée au commandement. Dans les circonstances ordinaires de la vie, il était simple et cordial ; ses manières étaient empreintes d’une bonhomie qui justifiait l’épithète de « bon bourgeois », que lui adressa un jour un passant à la fois naïf et avisé. Mais, dans l’action, il se transfigurait : l’énergie et l’autorité rayonnaient de sa personne. En paroles hachées, en phrases incomplètes, terminées par des gestes brusques et expressifs, les idées jaillissaient tumultueusement, idées souvent obscures pour ceux qui ne connaissaient pas les voies de son esprit. On le prenait pour un impulsif, mais sous cet aspect quelquefois effervescent, les conceptions étaient réfléchies, l’argumentation logique ; il les appuyait d’une parole impérieuse qui violentait l’esprit de ses auditeurs ; mais sa conviction évidente, ses brusqueries même, lui conquéraient des sympathies. D’ailleurs, il savait au besoin employer d’autres méthodes ; tandis qu’il ne ménageait pas ses boutades aux Français ou aux officiers de son entourage, il usait, vis-à-vis des chefs alliés, d’infiniment de diplomatie.

Volonté, confiance en soi, énergie indomptable, telles sont les qualités maîtresses de celui dont j’ai essayé de faire revivre, à grands traits, la figure.

Cette figure appartient désormais à l’histoire. Déjà, les acclamations qui montaient vers Foch, le 14 juillet 1919, la douleur muette de Paris, au jour de ses funérailles, ont prouvé la pieuse reconnaissance de tout un peuple. Aux yeux de la France, Foch a été le grand vainqueur de la guerre. La Postérité lui gardera cette auréole.

Discours de réception de Michel Debré

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Académie Françaisepublié le 19/01/1989 à 16h02

Le 19 janvier 1989

M. Michel Debré, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. le duc de Broglie, y est venu prendre séance le jeudi 19 janvier 1989 et a prononcé le discours suivant :

Messieurs,

Michel DebréQue Maurice Druon et Jean Bernard, amis de jeunesse que la gloire a consacrés l’un comme un maître de la littérature, l’autre comme un maître de la médecine, soient remerciés du fond du cœur, Maurice Druon pour m’avoir conduit jusqu’ici, Jean Bernard pour avoir bien voulu m’y recevoir. À tous deux je dédie ce discours. Qu’Étienne Wolff et Jean d’Ormesson, également fidèles amis et illustres maîtres dans les sciences pour le premier, les lettres pour le second, veuillent bien recevoir l’expression de l’obligation profonde que je leur dois d’avoir accepté d’être mes parrains en ce jour solennel. Enfin vous, Messieurs, si dignes à tous égards de la tradition qui depuis trois siècles fait de cette Académie une des nobles institutions de notre pays, pour votre si cordiale indulgence, soyez assurés de ma reconnaissance.

Oserais-je vous faire observer que le fauteuil que vous m’avez destiné, celui de Boileau, de d’Argenson, de Buffon, a été occupé après Parseval-Grandmaison, l’auteur oublié des Amours épiques, et avant Émile Augier, principal auteur du Gendre de Monsieur Poirier, par un homme politique, M. de Salvandy, qui, ministre de Louis-Philippe, réunit une commission pour créer une École nationale d’administration ? La commission n’aboutit pas, me laissant de ce fait le champ libre, cent ans après !

Au moment d’évoquer une vie vouée à la science, l’homme politique hésite et doute de lui-même. Certes, la science n’est pas l’adversaire de l’action : aucun fondamentaliste ne peut séparer sa pensée des effets pratiques qu’entraîne sa recherche. Cependant la démarche du savant est particulière. Ses expériences et sa réflexion sont orientées vers l’analyse de phénomènes en vue d’arracher à la nature certains de ses secrets. Son travail, lorsqu’il est fécond, débouche sur des conclusions qui ont valeur universelle. Alors même que l’action du politique l’a porté vers les exigences essentielles de la Liberté et de la Patrie, il mesure ses limites face à une œuvre qui a fait avancer les connaissances de l’humanité et la capacité de l’homme.

Tout a été dit et bien dit sur l’ancienneté de la maison dont était issu le duc Louis de Broglie. Des maréchaux de Broglie, des ambassadeurs de Broglie, des ministres de Broglie et deux chefs de gouvernement, des écrivains de Broglie et notamment des académiciens ! Pour reprendre l’expression du révérend père Carré, « le privilège de certaines familles est de comporter des êtres d’élite ». Depuis l’arrivée en France de l’ancêtre qui vint du Piémont à l’appel de Mazarin, chaque génération a prouvé son zèle au service de l’État et son patriotisme. Apparentés aux Staël et aux Ségur, aux Luppé et aux Pange, de diverses façons et le plus souvent au premier rang, les Broglie et leur fière devise « Pour l’avenir » ont brillé au firmament national.

Tout a été dit et bien dit sur la vocation de Louis de Broglie. Il est doué pour les lettres, l’histoire, le droit. Un jour, son frère Maurice, de vingt ans plus âgé, officier de marine reconverti dans la plus haute physique, l’attire dans son laboratoire. Il est aussitôt séduit. « Un coup d’État intérieur » le fait passer des lettres aux sciences. En 1911, il obtient aisément et brillamment sa licence de physique. Pendant les quatre années de la première guerre mondiale, il est mobilisé, sous les ordres du général Ferrié, au service de la radiotélégraphie militaire. Ce long temps d’action et de méditation achève de fixer son avenir. Il sera un théoricien de la physique.

Tout a été dit et bien dit sur la carrière scientifique de Louis de Broglie. Son doctorat achevé et sa thèse passée avec succès, le tout neuf Institut Henri-Poincaré lui propose une maîtrise de conférences. Il y assurera un enseignement magistral après le départ de Léon Brillouin, nommé au Collège de France. Louis de Broglie ne sera pas seulement pendant un quart de siècle l’une des gloires de la faculté des sciences de Paris dont dépend cet Institut : il ira d’honneur en honneur. En 1929, alors qu’il n’a que trente-sept ans, le prix Nobel le couronne, puis l’Académie des sciences l’accueille. Il deviendra, quelques années plus tard, son secrétaire perpétuel. Élu à l’Académie française, son frère l’y reçoit. Ce fut pour cette maison une grande et noble journée qui est restée dans le souvenir de ceux qui y assistèrent et dont l’écho émouvant est venu jusqu’à nous.

Tout a été dit et bien dit sur l’ensemble des titres de Louis de Broglie à la déférence de la postérité : les cours qu’il a donnés pendant un quart de siècle et qui demeurent des modèles ; ses livres, ses articles, sans oublier les pages qu’il a consacrées « aux pionniers », les savants du XVIIe et du XVIIIe siècle, ses réflexions d’humaniste sur la vertu de la science au regard des valeurs fondamentales et de la foi ; enfin son dévouement pour la recherche scientifique couronné par la création d’une Fondation chargée de poursuivre son œuvre au service de la physique.

Tout a été dit et bien dit sur la personnalité intime de Louis de Broglie. De sa nature comme de son éducation n’ont cessé de jaillir, malgré la gloire et les honneurs, une politesse, une gentillesse et une modestie dont j’eus naguère l’écho par mon père, qui fut son confrère à l’Académie des sciences. Ses collaborateurs, aujourd’hui à leur tour des maîtres, gardent un souvenir ému de leurs rapports avec cet homme exceptionnel. Ceux qui ne l’ont pas connu peuvent mesurer la profondeur de sa pensée, ne serait-ce qu’à la lecture des réflexions intitulées Le savant à son dernier quart d’heure.

Mais si tout a été dit et bien dit sur l’ancienneté de sa maison, sa vocation, sa carrière, sa vie vouée à la physique, sa personnalité, il manque une claire affirmation de sa place dans l’histoire des sciences. Louis de Broglie appartient cependant à cette lignée rare de Français qui, au-delà de la gloire qu’ils apportent à leur pays, font partie du trésor intellectuel de l’univers. Pour nous en tenir à quelques grands noms qui furent membres de notre Académie, citons Buffon pour les sciences naturelles, Montesquieu pour la science politique, Cuvier pour la paléontologie, Claude Bernard pour la médecine, Henri Poincaré pour les mathématiques. Malgré la mauvaise humeur de certains étrangers pour qui tout Français ne peut être que léger, malgré certains Français pour qui un duc de nos jours ne saurait bien faire, disons les choses telles qu’elles n’ont pas été suffisamment dites et, cependant, telles qu’elles sont : le duc Louis de Broglie est le plus grand physicien que la France ait donné à l’humanité.

Une définition de la lumière nous vient de Lucrèce. Elle est donc vieille de plus de deux mille ans, mais Newton lui a apporté l’appui de sa gloire. Ce jet merveilleux et mystérieux serait composé de particules qui se comporteraient selon les lois qui règlent la marche des corps, grands ou petits. À la réflexion comme à l’expérience, cette affirmation ne peut répondre à toutes les manifestations de la lumière. C’est pourquoi une autre hypothèse voit le jour : elle est proposée par Huygens au XVIIe siècle, étudiée par Fresnel au XIXe. La lumière serait faite par des vagues que l’on nomme des ondes et qui, à partir de leur source, se propageraient selon un flux périodique. La théorie ondulatoire de la lumière rend compte de phénomènes qui échappent à la théorie corpusculaire. Mais de nouvelles expériences permettent de constater des anomalies qui mettent à son tour la théorie ondulatoire en échec. Voilà qui conduit Einstein à proposer une théorie synthétique de la lumière qui réunit les corpuscules de Newton et les ondes de Fresnel.

C’est cette théorie d’Einstein sur la lumière que Louis de Broglie entreprend de développer dans les années vingt au moment où par ailleurs la théorie quantique de l’atome ne peut apporter une réponse satisfaisante à ce problème fondamental de la physique qu’est l’analyse de la matière. Louis de Broglie a écrit lui-même : « J’ai eu la hardiesse d’étendre la coexistence des ondes et des particules en supposant que non seulement les photons de la lumière mais toutes les autres particules matérielles comme les élections sont accompagnés d’une onde. » L’affirmation de la coexistence des ondes et des corpuscules dans toute matière : telle est la synthèse connue aujourd’hui sous le nom de « mécanique ondulatoire ». Ses conséquences allaient révolutionner non seulement la physique mais la vie courante de l’humanité.

Trois notes de Louis de Broglie présentent sa découverte. Elles paraissent en septembre et octobre 1923 dans les comptes rendus de l’Académie des sciences. Il les développe l’année suivante dans la thèse de doctorat qu’il soutient en Sorbonne. Si le monde des physiciens ne prête pas aussitôt attention à ses conclusions, il n’en est pas de même du plus grand d’entre eux, Einstein, qui le premier, à propos de cette synthèse mathématique, prononce le mot de « génie ».

Louis de Broglie avait élaboré une théorie. Reste à en établir la preuve concrète. Trois ans plus tard, en 1927, elle est apportée par deux chercheurs américains et leur expérience est décisive. Elle sera bientôt confirmée en Angleterre et en France, par Maurice Ponte notamment. Louis de Broglie peut déclarer que l’association des ondes et des corpuscules doit être considérée « comme une grande loi de la nature ».

Alors que le monde savant commence à prendre conscience de l’apport exceptionnel de ses travaux, Louis de Broglie est soumis à une épreuve qui durera près d’un quart de siècle.

En 1927, lors d’une réunion des plus illustres physiciens du monde occidental, organisée à Bruxelles par l’Institut Solvay, il doit faire face à l’offensive d’un petit groupe qu’on appelle « l’école de Copenhague », qu’inspire le célèbre physicien Bohr. Ce groupe remet en cause la part égale des ondes et des corpuscules dans l’analyse de la lumière et de toute matière. Certes hommage est rendu à Louis de Broglie, mais selon les mathématiques expliquées par ce groupe, c’est une onde fictive et un simple instrument de calcul qui accompagnent tout corpuscule. Lors de la discussion à laquelle seuls prennent part quelques grands cerveaux aptes derrière l’abstraction mathématique à imaginer la réalité des choses, Louis de Broglie est soutenu par Einstein, mais ni l’un ni l’autre ne parviennent à convaincre leur auditoire. Pendant plusieurs années Einstein restera silencieux et Louis de Broglie se résignera à enseigner la présentation de sa théorie telle qu’elle paraît l’avoir emporté dans l’esprit des physiciens les plus renommés.

Vingt-cinq ans plus tard, alors que sa célébrité se sera considérablement accrue, il s’inquiète. N’a-t-il pas abandonné trop vite ses conclusions sur la nature réelle des ondes et des corpuscules composant la lumière et toute matière ? Attaqué par quelques-uns que son audace novatrice effraie, soutenu par une nouvelle génération de mathématiciens et de physiciens, Louis de Broglie, avec courage, réaffirme, après l’avoir approfondie, son interprétation initiale de la mécanique ondulatoire. Les dix années suivantes, qu’il qualifiera lui-même « les plus belles de sa vie », sont consacrées à la présentation de la mécanique ondulatoire telle qu’il la conçoit.

Ce retour aux affirmations de ses premières années soulève, certes, quelques vagues mais cette fois aucune tempête ! Louis de Broglie est d’autant plus salué comme un maître qu’en un quart de siècle les applications pratiques de la mécanique ondulatoire telle qu’il en a établi les données ont prouvé leur valeur. Ses calculs théoriques sont à l’origine du microscope électronique dont le pouvoir de grossissement grâce à l’action combinée des ondes associées aux électrons aboutit non seulement à une meilleure étude de la matière mais débouche sur de grands progrès industriels et médicaux : les métallurgistes sont mieux armés pour scruter la structure des métaux et les bactériologues pour étudier la vie des cellules. C’est également des propriétés ondulatoires de la matière que découlent nos connaissances sur la conductibilité des solides donc sur l’existence et les propriétés des serai-conducteurs. Ces connaissances ont abouti au transistor et à l’électronique.

Louis de Broglie, l’homme d’une seule découverte ? Certains jettent cette affirmation comme une critique. Christophe Colomb n’est-il pas aussi l’homme d’une seule découverte ? Comparaison osée, dira-t-on. La mécanique ondulatoire n’est pas seulement l’explication d’un phénomène physique, mais une analyse de la réalité des choses ; elle a modifié notre vision de l’univers et a engendré des techniques nouvelles qui ont changé nos conditions de vie. Il en est de même de la découverte de l’Amérique. Comme l’a écrit le professeur Hamburger, « la mécanique ondulatoire n’intéresse pas que les physiciens : elle est incitation à une révision déchirante de la confiance que nous portons à notre sens commun ».

La conclusion sera de notre confrère Paul Germain dans la lecture qu’il a faite, le 7 décembre 1987, lors de la séance solennelle de l’Académie des sciences, dont il est secrétaire perpétuel : « Louis de Broglie est un géant de la physique dont le nom ne sera jamais oublié. »

Engendrer des techniques nouvelles, fussent-elles déterminantes pour transformer le travail, la capacité, la vie des hommes, est-ce la seule gloire de la recherche fondamentale ?

« Les progrès de la science, en assurant une emprise de plus en plus forte de l’intelligence sur le monde matériel, se traduisent par une sorte d’ascension vers l’Esprit liée à une tendance profonde de l’évolution de la vie. »

Par ces lignes qui expriment son espérance, Louis de Broglie se rattache à une grande tradition, celle des savants du « Siècle des lumières » qu’il admirait tant. Alors, devant les nouveaux progrès de la connaissance est née une assurance que l’on peut ainsi définir : la capacité de l’homme à découvrir les secrets de la nature ouvre à l’humanité une ère nouvelle. Dégagé des croyances déraisonnables et apte désormais à dominer ses instincts, l’homme va accéder à une conception de la vie sociale fondée sur la raison d’où découleront la liberté et la paix, voire, disent les plus idéalistes, le bonheur par la fraternité. Ernest Renan, il y a un peu plus de cent ans, déclarait : « J’ai la conviction que la science ne servira que le progrès — j’entends le vrai progrès, celui qui est inséparable du respect de l’homme et de la liberté ! » En bref, le progrès de la science conduirait au progrès de la morale et ce fait capital changerait la politique du monde. De cette noble idée qui éclaire le travail des chercheurs et justifie leurs veilles, les meilleurs esprits comme la multitude ne peuvent se détacher.

Or regardons notre univers tel que nous l’avons vécu et le vivons encore. Ni la liberté ni la paix ne profitent automatiquement des progrès scientifiques ou techniques. La science et la politique ne suivent pas le même chemin. Comment pourrait-il en être autrement ? Le savant par un effort d’objectivité cherche la connaissance. Le politique par la volonté et la passion cherche le pouvoir. Connaissance et pouvoir peuvent parfois faire bon ménage et s’aider réciproquement, mais leurs légitimités sont différentes et même opposées.

Grâce à l’exploration de l’espace, notre aptitude à dévoiler l’univers est sans commune mesure avec ce que les générations précédentes pouvaient imaginer. Les perspectives des prochaines années augmenteront cet écart. Mais en utilisant l’espace, un homme, un régime, un État pourra demain décupler sa capacité à briser les peuples ou à en faire ses esclaves. Pensons au rêve de paix des premiers aéronautes et au cauchemar du bombardement des populations civiles que permet désormais la maîtrise du ciel !

Les deux révolutions médicales qu’a évoquées il y a quelques années le professeur Jean Bernard lors de la première séance du Comité national d’éthique, la révolution thérapeutique et la révolution biologique, ont modifié déjà et modifieront encore et très profondément les conditions de notre vie et la marche de nos sociétés. Mais un pouvoir arbitraire, par des manipulations que la science lui aura apprises, pourra demain agir sur le physique comme sur le psychisme des hommes et, au service d’ambitions inavouables, manifester une autorité quasi illimitée par des actions effrayantes. N’oublions pas, n’oublions jamais les expériences poursuivies dans les camps nazis sur le corps humain par des personnages que les écrivains américains ont appelés « les médecins de l’infamie » !

Nous jouissons de facilités matérielles et culturelles que les hommes les plus avisés, les plus soucieux d’un meilleur avenir, ne pouvaient envisager même au cours du siècle précédent et des millions d’hommes disposent de possibilités inconnues hier des plus puissants et des plus riches. Pensons à ce que feront demain ordinateurs et robots ! Mais il y a moins d’un demi-siècle nous avons assisté par la facilité nouvelle des transports à la déportation de millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans des conditions atroces.

La bombe atomique a apporté en 1945 la victoire au camp de la liberté. Quel drame pour l’humanité entière si la bombe atomique avait été mise au point d’abord par le camp du racisme et de la brutalité ! Les miracles de la chimie peuvent faire naître, nous le savons, des gaz terrifiants et les miracles de la bactériologie nous faire sombrer dans la guerre des microbes. Nous avons récemment appris l’usage d’armes chimiques par les belligérants du Proche-Orient et l’un des pays de cette zone, à titre dissuasif, disent ses gouvernants, a emmagasiné des quantités considérables de produits mortels. Un autre aurait construit une usine dont les effets, à l’avance, nous glacent d’effroi.

La preuve est donc apportée que la connaissance et la raison, la science et la politique ne sont pas solidaires, mais qu’au contraire, elles sont dissociables et en fait dissociées. Le mal autant que le bien peut sortir renforcé de tout bond en avant de notre capacité scientifique et de nos aptitudes techniques.

Je dois à mon ami Maurice Schumann la lecture de deux phrases qu’Henri Bergson écrivit en 1932 : « Au train où va la science, le jour approche où l’un des adversaires, possesseur d’un secret qu’il tenait en réserve, aura le moyen de supprimer l’autre. Il ne restera peut-être plus trace du vaincu sur la terre. »
Osons aller plus loin et nous poser la question clé : pouvons-nous parler encore de l’universalité triomphale de la Civilisation avec un grand C ? Nos valeurs et nos règles, filles de la culture antique, de la spiritualité judéo-chrétienne et de la philosophie rationaliste forment au service de l’homme, de sa dignité, de sa promotion, un corps de morale dont nous estimons qu’il est appelé à s’imposer au monde.

Sans doute avons-nous pris conscience de nos faiblesses. À ceux qui doutaient des excès inimaginables où pouvaient être conduits de vieux peuples, l’aventure nazie a ouvert les yeux. En supposant même que de telles hideuses aventures aient à ce point marqué hommes et nations de l’Occident qu’elles ne peuvent à nouveau éclore, oserions-nous affirmer que tout régime politique du monde occidental se définit et se définira toujours par le respect de ces règles dont nous estimons qu’elles sont à la base de la Civilisation ? Il est un fait plus grave. D’autres systèmes politiques, d’autres conceptions sociales, d’autres forces religieuses qui se partagent l’humanité font preuve de leur vitalité et de leur capacité. Certains acceptent nos principes mais d’autres les rejettent. Que devient la règle de droit quand les traités sont bafoués ou dévoyés par des États qui ne se considèrent pas comme liés par leur signature ? Que devient l’affirmation de la dignité de la personne devant la montée du racisme dans le monde ou l’évocation d’une guerre sainte ? Voilà qui nous contraint en Occident à plus de modestie. Nous devons parler de civilisations au pluriel et avec un petit c.

Sans doute pouvons-nous considérer que dans tous les domaines de la science et de la technique le monde occidental, qui se veut le défenseur des progrès de la morale, suite des progrès de la science, dispose, tous pays associés, d’une avance considérable. De l’usage de l’atome à la qualité des opérations chirurgicales, de la conquête des planètes à la métallurgie des métaux, des énergies nouvelles aux produits de synthèse, nous savons où se trouve l’immense armée des savants et des chercheurs. Mais pouvons-nous conserver les illusions des générations antérieures ? Nous autres occidentaux, nous n’avons en aucune façon le monopole de l’intelligence ni de la réflexion. Les laboratoires s’édifient sous toutes les latitudes. Les impératifs des balances commerciales sont une excuse pour la vente de procédés secrets aux conséquences incalculables. N’ayons garde d’oublier l’indifférence à l’égard des vertus qui font la valeur d’une civilisation : se refuser à donner une définition du bien pour ne pas avoir à châtier le mal est une décadence. Enfin, l’Occident vieillit. La baisse des naissances qui aboutit au non-renouvellement des générations dans les sociétés que nous appelons civilisées, c’est-à-dire les nôtres, face à la montée en nombre de la jeunesse d’autres civilisations, traduit un refus de l’élan vital qui encourage les indifférences, qui condamne aux renoncements et qui, surtout, est l’annonciateur d’un profond déclin.

De cet ensemble de constatations découle notre problème : comment assurer le succès durable des hommes, des peuples, des États qui croient en la dignité éminente de la personne et de son droit tout à la fois à l’égalité juridique, à la liberté et à la promotion sociale ? À cette question, il est une réponse qui, pour être classique, n’en est pas moins la bonne : la force par l’union.

C’est une grande idée que celle qui cherche l’union de l’Occident par l’alliance des nations de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Cependant pourquoi limiter cet effort d’union à une éventuelle agression militaire en Europe dans un monde où les agressions ne sont pas que militaires et où bien des conflits belliqueux surgissent sur d’autres continents ? Ces deux défauts sont aggravés par la volonté d’intégrer les nations dans un système commandé par le plus puissant, qui entend, comme cela se doit, conserver sa liberté de décision. Cette intégration débouche sur un tel sentiment d’irresponsabilité, au moins chez ceux des peuples européens habitués à se diriger eux-mêmes, que le neutralisme les gagne. À quoi bon la force matérielle si la force morale faiblit et risque de s’effacer ?

C’est une autre grande idée que celle d’associer les nations du vieux continent en vue d’établir entre elles une solidarité économique. Cependant quelque importance que prenne l’économie de nos jours, quelque capitale qu’elle soit pour la prospérité commune et le niveau de vie de chacun, l’essentiel n’est pas là. D’où l’idée que cette solidarité économique n’est qu’un prélude à l’unification politique que peut assurer la fusion des peuples. C’est là qu’à mon sens se situe le dérapage de la pensée. Il n’est pas raisonnable, en effet, sous prétexte de développer un grand marché de consommateurs, d’appeler les peuples d’Europe à la destruction de l’État national, fondement de la patrie et condition de la liberté.

Nous, Français, au premier rang des pays éprouvés par ce siècle, avons compris la valeur de ces deux réponses : Union atlantique, Europe. Nous y avons donc adhéré, mais nous y avons posé et nous devons continuer d’y poser une condition : le respect du fait national, et notamment, pour ce qui nous concerne, le respect de la France, de son unité, de son identité, en un mot de sa souveraineté.

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Regardons-la, notre France, et osons l’admirer telle qu’elle est, telle qu’elle vit depuis plusieurs siècles, et notamment une et indivisible depuis la Révolution dont nous allons fêter le bicentenaire. Un Alsacien est préfet à Marseille, un Breton magistrat en Corse, ou inversement, un catholique ou un athée est tour à tour à la tête de l’Université, un protestant est généralissime ou premier ministre, un fils d’émigré juif devient haut fonctionnaire, un ouvrier devient membre du gouvernement, un modéré et un communiste sont tour à tour maires d’une grande ville ou dirigeants d’une grande entreprise d’État. Hommes, femmes de toutes origines peuvent accéder à tout mandat électif, emploi public, magistrat, officier, enseignant. Il faut mesurer la rareté mais aussi l’exceptionnelle valeur d’un État de droit et de fait qui permet tout à quiconque à la seule condition qu’il soit citoyen de la Nation française. Comme seule cette appartenance et la solidarité dont elle est l’expression permettent d’instituer un pot commun des principaux impôts et des cotisations sociales afin d’en assurer une égale répartition sur le territoire et entre les Français. Comme seule cette appartenance et la solidarité dont elle est l’expression permettent la détermination du pouvoir par l’assentiment populaire. Au soir du scrutin municipal, législatif, présidentiel, le maire, le député, le président de la République sont considérés comme tels, eussent-ils été élus à une faible majorité. Il en est de même des décisions du Parlement. Une voix de majorité suffit et la loi votée est celle de tous. C’est la solidarité française qui assure la légitimité du pouvoir grâce à l’affirmation d’une majorité qui se remet en cause régulièrement et librement. C’est la solidarité française qui permet l’esprit de défense, le service militaire, la mobilisation, le sacrifice des Français contre l’invasion de n’importe quel point du territoire.

En bref, fruit de l’histoire, c’est la Nation et la Nation seule qui associe le respect des Droits de l’homme et l’autorité. C’est la Nation, donc le sentiment national, et notamment pour ce qui nous concerne la solidarité française, qui fait la démocratie et lui donne ses chances. N’oublions jamais la leçon des siècles : « les droits de l’individu sont solidaires des droits de la nation » ; mépriser ceux-ci, c’est refuser ceux-là.

Vouloir une intégration atlantique et construire une Europe sur la ruine des nations est une double erreur. Ce sont les nations, et, au premier rang, les grandes nations responsables de notre vieux monde qui feront l’union de l’Europe et sa force comme seules, elles font la trame de notre civilisation. C’est altérer l’Europe et c’est nier l’Occident que de les affaiblir, et notamment la France.

J’entends bien la réplique aux propos que je viens de tenir : votre langage s’apparente à celui de De Gaulle pour ne pas dire à celui de Richelieu.

Chers confrères, je vous dois un aveu : il y aura bientôt un demi-siècle que j’attends l’historien sincère et profond qui établira un parallèle entre le cardinal de Richelieu et le général de Gaulle ; entre le fondateur de l’État moderne et le restaurateur de la République. Il m’est déjà arrivé d’évoquer ce parallèle. C’était il y a quatre ans dans la petite ville de Richelieu en Touraine à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance du Cardinal. À cette cérémonie, M. Alain Decaux représentait l’Académie. Aujourd’hui je me bornerai à une observation, à vrai dire, capitale.

Richelieu et de Gaulle ayant tous deux reconstitué l’État, ayant ainsi rendu aux Français confiance en la France, en même temps qu’ils imposaient son respect au monde entier, ont fait de la politique étrangère la grande affaire et la raison d’être d’un État digne de ce nom. Sans doute pour Richelieu, l’Europe est l’Occident et pour de Gaulle elle n’en est qu’un des éléments. Mais derrière la volonté chez l’un de refuser l’hégémonie espagnole et chez l’autre la domination allemande d’abord, la tutelle anglo-saxonne ensuite, on découvre une conception analogue : c’est par la coopération des grands peuples responsables et de leurs dirigeants que l’Europe trouvera la paix intérieure, qui suppose la tolérance, et l’influence extérieure, qui suppose l’ardeur à participer aux affaires du monde.

À l’opposé de la conception impériale d’un Charles Quint ou d’un Napoléon, de la conception monarchique et religieuse d’un Louis XIV — à l’opposé de l’odieuse conception totalitaire et raciste d’un Hitler —à l’opposé enfin d’un conformisme plus récent qui croit à la valeur d’une Europe unifiée par une fusion de peuples affaiblis, notamment d’une France privée de son indépendance, et profondément atteinte dans son unité, de Gaulle, allant plus loin que Richelieu mais dans le même sens, affirme qu’il n’y a d’Europe que par l’association volontaire et organisée d’États nationaux solides et conscients de leurs responsabilités. La France est l’un de ces États. Richelieu et de Gaulle, loin d’être des nationalistes abusifs, comme voudraient le faire croire les ignorants et les malintentionnés, sont des précurseurs dont l’exemple mérite d’être médité et suivi.

N’est-ce pas à de Gaulle que les Européens doivent l’Europe spatiale grâce à Ariane et à Kourou, et l’Europe nucléaire grâce à Pierrelatte ? Quia fait davantage pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain ?

Afin que la France demeure au premier rang de l’Europe et de l’union des peuples libres, nous devons savoir que, dans un ordre du monde qui demeure un ordre guerrier, ce qu’un peuple ne fait pas pour lui-même nul ne le fera. Dès lors, au doute qui s’infiltre dans notre esprit et nous invite à l’indifférence, nous nous devons d’opposer en connaissance de cause la volonté de commander l’avenir.

Une force de dissuasion n’est pas au-dessus de nos moyens financiers, et les Français sont en mesure d’élever leur économie au niveau nécessaire pour compter en Europe et dans le monde ; la solidarité sociale n’impose pas l’abandon de toute hiérarchie ni de tout commandement ; rénover l’éducation n’exige pas le préalable d’une révolution ; la coopération internationale en matière de recherche veut, à titre de première étape, une grande politique nationale de la science. La chute de notre natalité n’est pas de l’ordre de la fatalité : une politique familiale prioritaire et bien orientée peut nous rendre la jeunesse nombreuse donc ardente, qui est la première condition de notre survie.

À cet ensemble d’actions un complément est nécessaire où votre responsabilité, Messieurs, est importante : l’unité de la culture et, d’abord, l’unité de la langue. Ainsi est la France : sa culture et sa langue sont l’expression de son existence.

Au XVIIe siècle, de par la volonté de son fondateur, les travaux de l’Académie sur la langue française ont largement contribué à l’unité de notre pays. Au siècle suivant, le XVIIIe, votre mission au service de la langue a permis d’étendre l’influence de la France. Au XIXe, notre unité et notre influence étant acquises, notre langue, par un mouvement qui nous parut naturel, avait pris place parmi les langues universelles. Le siècle que nous venons de vivre a remis en cause notre influence ! Hélas, le siècle qui s’approche peut remettre en cause notre unité ! C’est dire la nouvelle nécessité de vos travaux.

La langue française est principalement attaquée par des langues étrangères dont la force vient moins de leur qualité intrinsèque que du nombre d’hommes qui les parlent. À l’intérieur de nous-mêmes, elle doit s’imposer à des langues dites « régionales » dont la promotion parfois artificielle exprime souvent une volonté de démembrement politique. La langue française se bat donc sur deux fronts. La tâche de l’Académie est de ce fait toute tracée : d’abord garantir sa qualité et rappeler les exigences de l’orthographe et de la syntaxe ; ensuite faire en sorte que l’unité de la langue serve la qualité de la culture ; enfin, encourager l’emploi de notre langue et soutenir ceux qui le font. Que notre confrère le président Léopold Sédar Senghor, que notre secrétaire perpétuel Maurice Druon, soient complimentés l’un et l’autre de leur opiniâtreté à affirmer la francophonie, désormais tâche capitale de tout gouvernement, comme le prouve, dans les jours que nous vivons, le ministère que dirige notre confrère Alain Decaux. Expression de notre unité, de notre influence, en un mot de notre souveraineté, elle nous appelle à un grand et nécessaire combat, cette langue que Clemenceau a qualifiée langue de clarté, langue d’équité, langue d’amitié, langue de liberté.

Comme dans notre monde, ainsi que nous l’ont enseigné les premiers philosophes de la Grèce antique, tout est mouvement, c’est-à-dire que tout est compétition, que tout est combat, agissons pour que la France soit forte afin que le camp de la liberté soit le plus fort ! C’est ainsi et ainsi seulement que sous la forme de l’espérance raisonnée dont a parlé Louis de Broglie, nous nous donnerons une chance de réconcilier un jour science et politique et de réaliser progressivement le rêve du Siècle des lumières.

« Voici qu’il est temps maintenant de s’arrêter, de prendre sur une planchette de ma bibliothèque les Pensées de Marc Aurèle et, comme le grand empereur stoïcien, de se tourner vers soi-même. Marc Aurèle remercie ses maîtres Appolonius, Rusticus, Alexandre le Platonicien, Sextus, Maxime et rend grâces aux dieux de les avoir connus. » Mon père commence en ces termes la dernière partie de la leçon inaugurale qu’il prononça, le 15 mars 1933, dans le grand amphithéâtre de la faculté de médecine de Paris.

Plus d’un demi-siècle écoulé, je reprends ce geste d’autant plus à mon compte qu’en tête de mes maîtres vient mon père, Robert Debré, que beaucoup d’entre vous ont connu au point que j’ai bénéficié de l’amitié qui lui était portée. Au-delà de son affection et de sa confiance, je lui dois le sérieux dans l’exercice de son métier, le goût de la science et le respect des savants, l’esprit de tolérance et la volonté de justice, l’amour de la République et la foi dans le progrès. Il eût été heureux de me savoir l’un des vôtres, Messieurs, et m’eût approuvé de vous remercier de l’honneur et de la joie que je vous dois. Mon beau-père, Charles Lemaresquier, qui fut si longtemps membre de l’Académie des beaux-arts, eût exprimé le même sentiment.

Ce fut, en effet, un honneur que de lire publiquement l’éloge de ce grand homme de France que fut le duc Louis de Broglie. C’est avec joie que je me suis efforcé de résumer les orientations qui me paraissent nécessaires à la fierté des Français et à la vitalité comme à la grandeur de notre patrie. Que citoyennes et citoyens se souviennent toujours que leurs libertés et leur dignité sont liées à l’indépendance et à la puissance de la France ! Qu’ils se souviennent également de la phrase d’un des généraux les plus illustres de la deuxième guerre mondiale : « Rien ne remplace la victoire » !


Krug von Nidda Roland

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Roland Hans Krug von Nidda ( 20. August 1895 in Dresden ; 4. Mai 1968 in München) war ein deutscher Offizier, Jurist, Diplomat und Journalist. Er war ab 1933 Korrespondent der Deutschen Allgemeinen Zeitung in Paris und von 1941 bis 1943 Leiter der Zweigstelle der Deutschen Botschaft in Vichy. Nach dem Krieg wirkte er als Schriftsteller und Übersetzer. Roland Krug von Nidda entstammt dem hessischen Adelsgeschlecht Krug von Nidda. Er wurde 1895 als Sohn des Rittmeisters und Flügeladjutanten des letzten sächsischen Königs Hans Krug von Nidda in Dresden geboren. Sein Vater wurde im Verlauf des Ersten Weltkrieges zum General befördert. Roland besuchte bis zum Abitur 1914 die humanistische Thomasschule zu Leipzig. Danach begann er ein Studium der Rechtswissenschaft an der Universität Leipzig.

Während des Ersten Weltkriegs diente er als Ordonnanzoffizier im Stab der 192. Division (8. Königlich Sächsische). 1913 wurde er Leutnant und später Oberleutnant. Für seine Verdienste wurde er mehrfach ausgezeichnet und erhielt das Ritterkreuz des Militär-St.-Heinrichs-Ordens und den Albrechts-Orden, II. Klasse mit Schwertern (1918). Er beendete 1920 sein Jura-Studium und wurde zum Dr. jur. promoviert. Am 11. August 1920 trat er in den Dienst des Auswärtigen Dienstes ein und war ab 1922 beim „Vertreter des Auswärtigen Amtes beim Reichskommissar für die besetzten rheinischen Gebiete“ Albrecht Graf von Bernstorff in Koblenz eingesetzt. Zudem war er an der Deutschen Botschaft in Belgrad tätig. Er schied 1924 aus dem Staatsdienst aus. Bis 1931 war er Miteigentümer des Ritterguts Gersdorf bei Görlitz, das sich seit 1810 im Familienbesitz befand.

Ab 1933 war er Korrespondent der konservativen Deutschen Allgemeinen Zeitung (DAZ) in Paris und dort ab 1935 Vorsitzender der deutschen Journalistenvereinigung. Außerdem arbeitete in Hamburg, London, Moskau, Wien und Zürich. Am 1. Mai 1933 war er der NSDAP beigetreten. Seit dem 13. März 1933 war er Mitglied der SA, bei der er 1942 zum Sturmbannführer und 1944 zum Obersturmbannführer ernannt wurde. Krug von Nidda war Mitglied im Deutschen Herrenklub. Für seine Verdienste für den Nationalsozialismus erhielt er 1944 das Kriegsverdienstkreuz I. Klasse.

Anfang 1940 kehrte er in den Auswärtigen Dienst zurück und wurde im Range eines Generalkonsuls, 1943 eines Gesandten, im November 1941 Leiter der Zweigstelle der Deutschen Botschaft bei der Vichy-Regierung in Vichy. Ab 1942 erfolgte die Deportation der Juden aus Frankreich in das Konzentrationslager Auschwitz, bei der die Vichy-Regierung und die deutsche Botschaft unter Otto Abetz zusammenwirkten. So berichtete Krug von Nidda Anfang 1942, dass er nach Gesprächen mit François Darlan den Eindruck habe, dass die Französische Regierung froh wäre, wenn sie die Juden auf irgendeine Weise los würde, und suggerierte dem Judenbeauftragten in der Pariser Botschaft Carltheo Zeitschel und dem SS-Führer Theodor Dannecker, dass man der Vichy-Regierung vorschlagen könne, 1.000 bis 5.000 Juden monatlich abzutransportieren. Krug von Nidda wurde 1943 von Außenminister Joachim von Ribbentrop nach Berlin versetzt, wo er in einer politischen Unterabteilung Vorsitzender des „Flämisch-Wallonischen Ausschusses“ des Auswärtigen Amtes war. Er knüpfte Kontakte zum Internationalen Roten Kreuz in Genf, um die Haftbedingungen für politische Gefangene in Frankreich zu lindern und ihre Befreiung zu erlangen.

Von September 1945 bis zum 12. Dezember 1947 war Krug von Nidda in französischer Haft. Über seine Entnazifizierung ist nichts bekannt. Danach lebte er als freier Schriftsteller (Pseudonym Ray Castres) und Übersetzer aus dem Französischen und Niederländischen. Seine Herausgabe von Aufzeichnungen der Anastasia Romanowa, der jüngsten Tochter des letzten russischen Zaren, fand weltweites Interesse und wurde in viele Sprachen übersetzt, da in den 1950er Jahren auch Prätendentinnen aufgetreten waren.

Deutsche Allgemeine Zeitung (DAZ)

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Brockhaus HeinrichLe Deutsche Allgemeine Zeitung était un journal quotidien allemand qui est paru à Berlin de 1861 à 1945. Jusqu'en novembre 1918, date de la chute de l'Empire, il s'appelle le Norddeutsche Allgemeine Zeitung. L'ancêtre du journal est la Leipziger Allgemeine Zeitung fondée en 1837 par Heinrich Brockhaus (de tendance bourgeoise libérale) à Leipzig et qui devient la Norddeutsche Allgemeine Zeitung en 1861. Elle a des filiales à Paris et à Vienne. Son fils, Eduard Brockhaus, ne se contente pas de l'éditer à la mort de son père en 1874, mais y rédige des articles de 1857 à 1883. La tendance du journal va du national-libéralisme au conservatisme, même si Liebknecht a figuré parmi les membres fondateurs de la rédaction.

Les sociétaires du journal appartiennent à partir de 1872 au cercle d'amis hambourgeois de Bismarck dirigé par Albertus Ohlendorff et son frère Heinrich. C'est donc un journal proche des prises de décision gouvernementales, et parfois directement inspiré de celles de l'office impérial aux Affaires étrangères, comme certains liens financiers l'attestent. La direction de la rédaction est tenue par l'ancien propriétaire August Brass, jusqu'à ce qu'il laisse la place en 1872 à Emil Pindter qui hausse le tirage à cinq mille exemplaires. Son lectorat est surtout composé de hauts fonctionnaires et d'abonnés appartenant à d'autres rédactions.

Martin Griesemann en est le rédacteur en chef de 1894 à 1897, puis Wilhelm Lauser, et ensuite Otto Runge, jusqu'en 1917. Cette année-là, le journal est acheté par Reimar Hobbing qui décide de faire de cet ancien journal officieux du gouvernement impérial, alors que l'écroulement de l'Empire se profile, un journal de tendance démocratique et lu dans toute l'Allemagne, comme le Times l'est en Grande-Bretagne. Des intellectuels libéraux comme Otto Flake (qui dirige quelque temps le feuilleton) s'y expriment, ainsi que des historiens comme Egmont Zechlin ou Friedrich Meinecke.

La Norddeutsche Allgemeine Zeitung devient la Deutsche Allgemeine Zeitung le 12 novembre 1918 et le journal est édité à Berlin, après qu'un conseil de soldats et d'ouvriers révolutionnaires eurent occupé les locaux pendant deux jours. Il acquiert ensuite une renommée et une stature internationales, à côté du Berliner Tageblatt et de la Frankfurter Zeitung, tout en maintenant un profil conservateur. Le journal est la propriété du riche homme d'affaires Hugo Stinnes de 1920 à 1924 et la rédaction est dirigée de 1922 à 1925 par Paul Lensch, pourtant ancien parlementaire du SPD. Le journal est interdit quelque temps en 1922, sous l'accusation d'avoir été favorable au putsch de Kapp. Lensch est renvoyé du parti socialiste. Fritz Klein le remplace en 1925.

La Deutsche Allgemeine Zeitung devient de plus en plus à droite alors que le pays continue de s'enfoncer dans une crise économique catastrophique, et que toutes les valeurs se concurrencent dans un maelstrom inquiétant. Des voix s'élèvent contre le faible régime de la république de Weimar. Une partie de la rédaction est en faveur du Deutsche Volkspartei et les opinions s'exacèrbent après la mort de Stresemann en 1929, d'autres, majoritaires, suivent les points de vue des industriels de la Ruhr qui ont acquis la majorité des actions de la société propriétaire. Ils soutiennent la politique du chancelier Brüning.

Le Deutsche Allgmeine Zeitung' est interdit pendant une courte période à l'arrivée au pouvoir d'Hitler, en 1933, à cause d'articles qui l'avait mis en rage. Les propriétaires proposent alors la nomination de Karl Silex au poste de rédacteur en chef, fonction qu'il occupe jusqu'en 1943. Il tente de sauvegarder la position conservatrice de droite du journal et de limiter au minimum les critiques à l'égard du national-socialisme. Mais il comprend aussi que la critique peut avoir des conséquences directes sur sa situation, sous forme de sanctions draconiennes de la part du ministère de la Propagande, non seulement pour lui-même, mais aussi pour le journal qui risque d'être suspendu. Adolf Hitler intervient ainsi personnellement en 1938 contre un article du correspondant à Londres, le comte Carlosch Pückler, à propos de préparatifs de guerre en Angleterre, ce qui contredit la ligne officielle du régime, visant à l'apaisement (momentané), après la conférence de Munich, apaisement soutenu également par Neville Chamberlain, bien évidemment.

La rédaction du journal s'étoffe considérablement au début de la guerre. Un certain nombre de journalistes et de collaborateurs écrivent aussi dans le nouveau journal hebdomadaire soutenant la politique mondiale d'Hitler et l'effort de guerre, Das Reich. Goebbels avait l'ambition d'en faire un journal du genre de l’Observer en version nationale-socialiste... Silex donne sa démission en 1943, marquant son désaccord avec le cadre étroit imposé par le ministère de la Propagande en ce qui concerne les articles décrivant la situation de la Kriegsmarine. Otmar Best prend sa succession, jusqu'en mars 1945. Le journal cesse sa parution le 24 avril 1945.

René Rémond Élu en 1998 au fauteuil 1

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Académie Françaisepublié le 18/06/1998 à 16h33

Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-Croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et des Lettres, Commandeur des Palmes académiques, Commandeur du Mérite agricole, Commandeur de l’ordre du Mérite de la République italienne, Commandeur de l’ordre du Mérite de la République de Pologne, Historien

Rémond RenéNé à Lons-le-Saunier (Jura) le 30 septembre 1918, dans une famille franc-comtoise.

Études aux lycées Carnot, Condorcet, Louis-le-Grand. Mobilisé de 1939 à 1941. Admissible à l’École normale supérieure en juillet 1939, reprend la préparation en octobre 1941 et est reçu en 1942. Participe à la Résistance. Agrégé d’histoire, docteur ès lettres. Agrégé répétiteur à l’École normale supérieure, assistant à la Sorbonne. Directeur d’études et de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques à partir de 1956 et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Dans la nouvelle faculté des lettres de Nanterre est nommé sur la première chaire en France d’histoire du XXe siècle (1964).

Doyen de cette faculté en 1970, puis premier président de l’université de Nanterre de 1971 à 1976. Premier vice-président de la Conférence des présidents d’université (1974-1975). Président de la Fondation nationale des sciences politiques depuis 1981.

S’est attaché à rapprocher la recherche en histoire des temps les plus proches et a présidé l’Institut d’histoire du temps présent, de sa création en 1979 à 1990. A dirigé la Revue historique de 1973 à 1998. Préside depuis 1988 le Conseil supérieur des archives et s’est intéressé aux problèmes de leur conservation et de leur communication. A contribué au renouveau de l’histoire politique et participé à celui de l’histoire religieuse. A présidé de 1965 à 1976 le Centre catholique des intellectuels français.

Nommé au Conseil supérieur de la magistrature de 1975 à 1979, a conservé un intérêt constant pour l’institution judiciaire et a été vice-président du Haut Comité pour la réforme de la procédure criminelle en 1996.

A siégé dans plusieurs instances de l’audiovisuel : Comité des programmes de télévision (1965-1968), Conseil d’administration de l’O.R.T.F. (1968-1972), de Radio France (1976-1978), d’Antenne 2 (1982-1989). Très nombreuses émissions de radio et de télévision. Commente régulièrement l’actualité politique dans la presse et les médias.

S’intéresse de longue date à la formation des cadres du monde rural et a présidé l’Observatoire national de l’enseignement agricole (1996-2004).

Président de l’Association des anciens élèves de l’École normale supérieure (1989-2001).

Élu à l’Académie française, le 18 juin 1998, au fauteuil de François Furet (1er fauteuil).

Mort le 14 avril 2007 à Paris.

bookPublications

  • 1948 Lamennais et la démocratie (PUF)
  • 1954 La Droite en France de 1815 à nos jours (Aubier-Montaigne)
  • 1959 Histoire des États-Unis (PUF)
  • 1960 Les Catholiques, le communisme et les crises (1929-1939) (Armand Colin)
  • 1962 Les États-Unis devant l’opinion française (1815-1852) - 2 volumes (Armand Colin)
  • 1964 La Vie politique en France, tome 1 : 1789-1848 (Armand Colin)
  • 1964 Les Deux Congrès ecclésiastiques de Reims et Bourges (1896-1900) (Sirey)
  • 1965 Forces religieuses et attitudes politiques dans la France depuis 1945 - direction (Armand Colin)
  • 1966 Atlas historique de la France contemporaine - direction (Armand Colin)
  • 1967 La vie politique en France (1789-1848)
  • 1967 Léon Blum, chef de gouvernement (direction) (Armand Colin)
  • 1969 La Vie politique en France, tome 2 : 1848-1879 (Armand Colin)
  • 1972 Le Gouvernement de Vichy et la Révolution nationale - direction (Armand Colin)
  • 1974 Introduction à l’histoire de notre temps - 3 volumes
  • 1976 L’Anticléricalisme en France de 1815 à nos jours (Fayard)
  • 1976 Vivre notre histoire - Entretien avec Aimé Savard (Le Centurion)
  • 1977 Édouard Daladier, chef de gouvernement (Presses de la Fondation nationale des sciences pol)
  • 1978 La France et les Français en 1938-1939 (Presses de la Fondation nationale des sciences pol)
  • 1979 La Règle et le consentement. Gouverner une société (Fayard)
  • 1982 Les droites en France (Aubier-Flammarion)
  • 1982 Quarante ans de cabinets ministériels - direction (Presses de la Fondation nationale des sciences pol)
  • 1983 Le Retour de de Gaulle
  • 1987 Essais d’ego-histoire - en collaboration (Gallimard)
  • 1988 Pour une histoire politique - direction
  • 1988 Notre siècle (1918-1988) - rééditions mises à jour, 1992 et 1995 (Fayard)
  • 1991 Age et politique - en collaboration (Economica)
  • 1992 Histoire de la France religieuse - co-direction
  • 1992 Paul Touvier et l’Église - en collaboration (Fayard)
  • 1992 Valeurs et politique (Beauchesne éditeur)
  • 1993 La politique n’est plus ce qu’elle était (Calmann-Lévy)
  • 1995 Le Catholicisme français et la société politique (Atelier)
  • 1996 Le Fichier juif - en collaboration (Plon)
  • 1996 Les Crises du catholicisme en France dans les années trente
  • 1998 Religion et société en Europe aux XIXe et XXe siècles. Essai sur la sécularisation
  • 1998 Une laïcité pour tous (Textuel)
  • 1999 La politique est-elle intelligible ?
  • 1999 Les Grandes Inventions du christianisme (Bayard)
  • 1999 L’Anticléricalisme en France (Fayard)
  • 2000 Regard sur le siècle (Presses de Sciences Po)
  • 2000 Discours de réception à l’Académie française (Fayard)
  • 2000 Le Christianisme en accusation (Desclée de Brouwer)
  • 2002 Du mur de Berlin aux tours de New York : douze années pour changer de siècle - en collaboration avec François Azouvi (Bayard)
  • 2002 La République souveraine (Fayard)
  • 2002 Une mémoire française (Desclée de Brouwer)
  • 2003 Le Siècle dernier (Fayard)
  • 2005 Les Droites aujourd’hui (Louis Audibert)
  • 2005 L’invention de la laïcité française (Bayard)
  • 2005 Le nouvel antichristianisme (Desclée de Brouwer)
  • 2006 Quand l’État se mêle de l’Histoire (Stock)
  • 2007 Vous avez dit catholique ? (Desclée de Brouwer) 

Charles de Freycinet Élu en 1890 au fauteuil 1

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Académie Françaisepublié le 11/12/1890 à 17h41

Officier de la Légion d’honneur, Homme politique, Physicien

Né à Foix, le 14 novembre 1828.

Freycinet Charles deIngénieur, il fut l’ami de Gambetta et chef du cabinet militaire de la délégation de Tours le 10 octobre 1870, il est sénateur depuis 1876 ; il fut réélu par quatre départements en 1882, par la Seine en 1891 et en 1900. Il a été ministre des Travaux publics en 1877 et 1879, le promoteur du plan des grands travaux qui porte son nom ; ministre des Affaires étrangères avec la présidence du Conseil en 1882, sans la présidence en 1885 ; avec la présidence en 1886 ; il fit expulser les prétendants au trône de France ; il fut le premier ministre civil de la Guerre en 1888, en 1889, en 1890, sans la présidence du Conseil, de 1890 à 1892 avec la présidence, en 1892 sans la présidence. Il a publié La Guerre en province pendant le siège de Paris et divers ouvrages scientifiques ; il fut nommé membre libre de l'Académie des Sciences en 1882.

Étant président du Conseil, M. de Freycinet fut invité à poser sa candidature à l'Académie française. Il fut élu le 11 décembre 1890 par 20 voix en remplacement d’Émile Augier ; les hommes de lettres avaient retiré leur candidature devant la sienne, sauf M. Thureau-Dangin qui obtint 12 voix. Il a été reçu le 10 décembre 1891 par Octave Gréard ; dans son discours de réception, M. de Freycinet prêta des intentions politiques au théâtre d'Augier.

Mort le 14 mai 1923.

bookPublications

  • 1854 Étude géologique sur le bassin de l’Adour
  • 1858 Traité de mécanique rationnelle, comprenant la statique comme cas particulier de la dynamique, 2 vol.
  • 1860 Étude de l’analyse infinitésimale ou Essai sur la métaphysique du haut calcul. Théorie mathématique de la dépense de rampes de chemin de fer
  • 1861 Des pentes économiques en chemins de fer ; recherches mathématiques sur les dépenses des rampes
  • 1864 Rapport sur l’assainissement des industries et des villes en Angleterre
  • 1865 Rapport sur l’assainissement industriel et municipal en Belgique et en Prusse
  • 1866 Rapport sur l’assainissement industriel et municipal en France
  • 1866 Supplément aux précédents rapports en France et à l’étranger
  • 1867 Du travail des femmes et des enfants dans les manufactures d’Angleterre
  • 1867 Rapport sur les eaux d’égout de Londres
  • 1869 Mémoire sur l’emploi des eaux d’égouts en agriculture comme moyen de protéger la salubrité publique
  • 1870 Principes de l’assainissement des villes, comprenant la description des principaux procédés employés dans les centres de population de l’Europe occidentale pour protéger la santé publique
  • 1870 Traité d’assainissement industriel comprenant la description des principaux procédés employés dans les centres manufacturiers de l’Europe occidental pour protéger la santé publique et l’agriculture contre les effets des travaux industriels
  • 1871 La guerre en province pendant le siège de Paris
  • 1878 Rapport sur la réorganisation des voies navigables et le parachèvement des voies ferrées
  • 1896 Essais sur la philosophie des sciences, analyse, mécanique
  • 1900 Les planètes télescopiques
  • 1902 Sur les principes de la mécanique rationnelle
  • 1903 De l’expérience en géométrie
  • 1905 La question d’Égypte
  • 1911 Mes souvenirs (1848-1893) 

François Mitterrand, ami de Bousquet et dénonciateur du « lobby juif »

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Europe Israël newspublié le 11/05/2011 à 19h22


« Mitterrand, ami de Bousquet et dénonciateur du ‘‘lobby juif’’, est la contrepartie de l'Europe réussie » (Jean-Claude Milner [1]). « Vous constatez là l'influence puissante et nocive du lobby juif en France ».

Mitterrand et PétainA l'occasion des commémorations de l'élection de François Mitterrand à l'Élysée, il y a 30 ans, son amitié « diabolique » pour René Bousquet a été évoquée par Philippe Alexandre, ancien éditorialiste politique de RTL, dans Le Figaro (Les 7 erreurs de Mitterrand, article réservé aux abonnés) :

« Mais c'est surtout son amitié imperturbable pour René Bousquet, l'artisan de la rafle des Juifs au Vél' D'Hiv pour le compte des nazis, que Mitterrand va payer de la perte de ses derniers amis.  Et ses explications télévisées, à la fin de son règne, n'ont pas chassé le trouble dans son propre parti. [...] Bousquet [...] tué sur le pas de sa porte par un déséquilibré sans que l'on ne sache rien, jamais, de cet assassinat précipitamment escamoté. »

Rappelons également les déclarations de François Mitterrand sur « l'influence puissante et nocive du lobby juif en France » et sur l'existence d'un « lobby sioniste » :

« Dans le Rapport Gabriel, vrais-faux mémoires à paraître début septembre chez Gallimard, l'écrivain raconte son ultime entrevue avec le défunt. La scène se passe à l'Elysée, le 17 mai 1995, quelques minutes avant que le Président ne transmette ses pouvoirs à son successeur, Jacques Chirac. Entre thé, confitures et discussion à bâtons rompus sur «  la maladie des hommes d'Etat », Jean d'Ormesson aborde l'affaire Bousquet. L'automne précédent, le journaliste Pierre Péan a révélé que François Mitterrand a conservé jusqu'au soir de sa vie des relations d'amitié avec René Bousquet, ancien secrétaire général de la police de Vichy.

« Beaucoup reprochent au Président les liens qui l'unissent à ce personnage qui a joué un rôle important dans la collaboration avec l'Allemagne hitlérienne, écrit Jean d'Ormesson. François Mitterrand m'écoute sans irritation apparente. Et il me regarde. « Vous constatez là, me dit-il, l'influence puissante et nocive du lobby juif en France. Il y a un grand silence. » [...]

Confirmant que d'Ormesson lui avait confié les propos de Mitterrand une semaine après que celui-ci les avait tenus, Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur, assure que l'ancien président avait évoqué, « à plusieurs reprises » devant lui,« l'existence d'un lobby sioniste qu'il ne faisait nullement coïncider avec l'ensemble de la communauté juive ». (Quand Mitterrand parlait du « lobby juif ». Jean d'Ormesson révèle des propos tenus en 1995, Libération).

« Dans une interview accordée, hier, au quotidien Il Corriere della sera, le fils de l'ancien président assure que son père était « contre toute discrimination de race, de foi et même d'amitié ». Mais il ajoute : « Je ne vois aucun accent antisémite dans la phrase attribuée à mon père ["] Je n'étais pas présent au déjeuner mais je ne trouve rien d'antisémite dans cette phrase et cela ne me surprend pas que mon père ait abordé la question des lobbies juifs. Pourquoi pas ? Ils existent. » Selon lui, la politique moyen-orientale de l'ancien chef de l'Etat déplaisait à « certains lobbies juifs » : « Ils ont fait du combat contre Mitterrand leur fonds de commerce. Ils soutiennent les partis de droite en Israël et ensuite, grâce à leur appui, ils font des affaires.» Au passage, Jean-Christophe Mitterrand s'en prend au quotidienle Monde (« toujours intellectuellement malhonnête envers mon père ») qui a récemment titré : « Mitterrand et l'antisémitisme » : « Le Monde n'est pas seulement un journal, c'est la caisse de résonance de certains mondes. Qui sait, peut-être également d'un certain lobby juif ».

 [1]  (Jean-Claude Milner, Les Penchants criminels de l'Europe démocratique, Verdier, 2003, p. 75).

Quant à Mme Mitterrand: Danièle Mitterrand soutient la création d'un tribunal anti-Israël

Paul Claudel Élu en 1946 au fauteuil 13

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Académie Françaisepublié le 03/07/2012 à 17h50

Elu en 1946 au fauteuil 13 - Grand-croix de la Légion d’honneur, Poète, Auteur dramatique, Romancier, Diplomate

Claudel PaulNé à Villeneuve-sur-Fère (Aisne), le 6 août 1868.

Ayant passé les premières années de sa vie en Champagne, Paul Claudel fut d’abord à l’école chez les sœurs, puis au lycée de Bar-le-Duc, avant d’entrer au lycée Louis-le-Grand en 1882, date à laquelle ses parents s’établirent à Paris.

A quinze ans il écrivait son premier essai dramatique : L’Endormie, puis, dans les années 90, ses premiers drames symbolistes (Tête d’Or, La Ville). Mais c’est l’année 1886 qui allait se révéler décisive pour le jeune Claudel, par sa rencontre avec la foi en Dieu, lors d’une fulgurante conversion, la nuit de Noël à Notre-Dame.

Parallèlement à ses activités d’écrivain, Paul Claudel devait mener pendant près de quarante ans une carrière de diplomate. Reçu en 1890 au petit concours des Affaires étrangères, il fut nommé en 1893 consul suppléant à New York, puis gérant du consulat de Boston en 1894. De la Chine (1895-1909) à Copenhague (1920), en passant par Prague, Francfort, Hambourg (où il se trouvait au moment de la déclaration de guerre) et Rio de Janeiro, ses fonctions le conduisirent à parcourir le monde. C’est au titre d’ambassadeur de France qu’il séjourna à Tokyo (1922-1928), Washington (1928-1933), et enfin à Bruxelles, où il devait achever sa carrière en 1936.

Son œuvre est empreinte d’un lyrisme puissant où s’exprime son christianisme. C’est à la Bible qu’il emprunte sa matière préférée : le verset dont il use autant dans sa poésie (Cinq grandes Odes), ses traités philosophico-poétiques (Connaissance de l’Est, Art poétique) que dans son théâtre (Partage du Midi). Œuvres de maturité, la trilogie dramatique : L’Otage — Le Pain dur — Le Père humilié, puis L’Annonce faite à Marie, et enfin Le Soulier de satin, son œuvre capitale, devaient lui apporter une gloire méritée. Le Soulier de satin, pièce épique et lyrique à la fois, où convergent tous les thèmes claudéliens, et d’une longueur inhabituelle pour la scène, fut représentée à la Comédie française pendant l’Occupation. Mais nul n’en tint rigueur à Claudel, pas plus que de son Ode au maréchal Pétain, car là aussi sa conversion fut rapide.

Il avait très amèrement ressenti son échec devant Claude Farrère, en 1935, qui apparut à beaucoup comme un scandale. Il devait être, onze ans plus tard, élu à l’Académie française, sans concurrent, le 4 avril 1946, à presque quatre-vingts ans, « l’âge de la puberté académique » comme il se plaisait à dire, par 24 voix au fauteuil de Louis Gillet. Il n’avait effectué aucune des visites rituelles, pas plus qu’il n’avait fait acte de candidature. On lui doit un mot resté célèbre, la première fois qu’il participa à un vote académique : « Mais c’est très amusant, ces élections : on devrait en faire plus souvent ! ».

François Mauriac, qui le reçut le 13 mars 1947, a consacré à Claudel académicien plusieurs pages de son Bloc-notes : « Et qui dira le splendide isolement de Claudel ? Booz dont le socle est fait de gerbes accumulées, avec Dieu à portée de sa voix, mais aucune rose à ses pieds, seulement ces grains de sable que nous sommes.... »

Mort le 23 février 1955.

Réponse au discours de réception de André François-Poncet

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Académie Françaisepublié le 22/01/1953 à 17h58

Réponse de M. Pierre Benoit au discours de M. André François-Poncet



DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 22 janvier 1953
PARIS PALAIS DE L’INSTITUT



Monsieur,

Pierre BenoitIl y a très exactement vingt-deux ans,le jeudi 22 janvier 1931, le Maréchal Pétain se trouvait assis à votre place. Il venait de prononcer ce remerciement auquel allait répondre Paul Valéry qui le recevait.

Le 24 novembre 1932, moins de deux ans plus tard, c’était à moi de me lever à mon tour, accueilli par Henri de Régnier, qui faisait, pour la circonstance, appel aux souvenirs que voici.

« Ce fut une belle époque, dit-il, lorsque, dans notre modeste salle des séances du jeudi, non loin du Président Raymond Poincaré qui, comme eux, avait bien mérité de la patrie, s’asseyaient côte à côte le Maréchal Joffre et le Maréchal Foch. L’un et l’autre s’étaient levés d’où vous vous tenez aujourd’hui pour la traditionnelle « lecture de leur remerciement ». Nous y vîmes aussi M. le Maréchal Lyautey, Lyautey dont la présence évoquait l’œuvre magnifique accomplie par lui sur la terre d’Afrique. Nous y écoutâmes M. le Maréchal Pétain, le défenseur de Verdun, qui avait su rendre à nos armées fatiguées l’esprit de discipline et de sacrifice, prononcer l’éloge du Maréchal Foch, du chef qui avait trouvé, dans le Général Weygand, le collaborateur en qui il avait mis toute sa confiance et toute son amitié, Weygand le continuateur respectueux et filial de sa pensée que l’Académie a choisi pour qu’il eût à apporter son témoignage décisif sur ce qu’avait été, aux premières et angoissantes heures de la guerre, le rôle du Maréchal Joffre qui opposa au choc brutal de l’invasion le bloc résistant de son sang-froid impavide et de son imperturbable volonté... »

Par ce dénombrement de ce que la France et l’Académie comptaient alors de plus glorieux, je m’imagine que le poète d’Aréthuse avait entendu répondre à une phrase de mon propre discours. En dépit du ridicule qu’il y a à se citer, je désire qu’elle figure, cette phrase, en tête du thème que j’ai maintenant à traiter. Donc, la voici : « Je me sens du goût pour ce qui peut contribuer à unir entre eux les Français, moins de goût pour ce qui est susceptible de les diviser. » Après vingt années — et quelles années ! — qu’on me fasse la grâce d’admettre que ce goût demeure le même. Je serais vraiment, moi aussi, bien malheureux, bien maladroit, si je ne réussissais point à en convaincre en ce jour mes auditeurs.

J’ai souhaité l’empire et j’y suis parvenu,
Mais en le souhaitant je ne l’ai pas connu.

Ce qu’Auguste disait de la toute-puissance, je ne pense pas, Monsieur, lorsque vous vous y êtes présenté, que vous ayez songé à l’appliquer à notre Compagnie. Vous êtes en effet mieux placé que n’importe qui pour la connaître, pour savoir l’exiguïté des profits qu’on en peut retirer. Vous les avez même jugés tels que l’un de vos premiers actes, lorsque vous accédâtes au pouvoir comme Sous-Secrétaire d’État des Beaux-Arts, fut de proposer que notre indemnité mensuelle fût portée de quatre à six cents francs environ, ce qui vous valut de votre Président du Conseil, qui n’était autre que Raymond Poincaré, cette remarque assez dans sa manière « À merveille ! Je constate que, déjà, vous vous préoccupez de préparer l’avenir ! » Avec de telles idées en tête, il eût été bien désirable qu’un homme comme vous demeurât plus longtemps dans l’emploi. Nous n’en serions pas réduits, au point où nous en sommes, à des subterfuges de fils de famille aux abois quand il s’agit d’équilibrer le budget de cette institution que tout le monde croit richissime. Les gens seraient bien étonnés, s’ils apprenaient que nous ne disposons, en tout et pour tout, que d’une automobile, ce qui a pour effet, les jours de séance, de transformer notre vénéré secrétaire perpétuel en une sorte de garagiste éperdu, misérable voiture qui n’a même pas droit à cette cocarde tricolore que nous continuons néanmoins à arborer sur nos bicornes avec le plus touchant loyalisme. Les broderies qui nous enjolivent, combien sont-ils parmi nous ceux qui seraient en mesure de s’en offrir de nouvelles aujourd’hui ? Comme l’Académie n’a littéralement plus de quoi acquitter les frais de voyage de ses membres, il arrive — fait beaucoup plus grave qu’elle n’est plus représentée lors de la plupart des manifestations auxquelles elle est invitée à l’étranger, là où nous désirerions pourtant être, où nous le devrions.

Telle est la triste réalité matérielle. Cette regrettable pénurie est-elle au moins compensée par des avantages d’un ordre un peu plus relevé, des égards, par exemple, nous mettant tant soit peu à l’abri de certains accidents de parcours qui ont eu une fâcheuse tendance à se multiplier ces temps-ci ? Je suis bien obligé de détromper les bonnes âmes qui conserveraient quelques illusions de ce côté. Ouvrons, Monsieur, si vous voulez bien, les Mémoires d’Outre-Tombe. Ce Chateaubriand que vous aimez, ce Chateaubriand dont vous avez parlé avec une si rare pertinence dans ces Carnets d’un Captif sur lesquels j’aurai une joie véritable à revenir tout à l’heure, ce n’est pas à vous que j’ai à apprendre ce qu’il a écrit, à propos de son entrée à l’Académie : « M. de Chénier mourut le 16 janvier 1811. Mes amis eurent la fatale idée de me presser de le remplacer à l’Institut. Ils prétendaient qu’exposé comme je l’étais aux inimitiés du Chef du Gouvernement, aux soupçons et aux tracasseries de la Police, il m’était nécessaire d’entrer dans un corps alors puissant par sa renommée et par les hommes qui le composaient : qu’à l’abri derrière ce bouclier, je pourrais travailler en paix. » Hélas, il faut beaucoup en rabattre. Vous pouvez me faire toute confiance, Monsieur, si je tiens à vous avertir qu’il s’agit là de garanties qui ont tendance à s’amenuiser de plus en plus.

Que reste-t-il alors, dans cette vieille demeure, qui ait eu de quoi vous tenter ? Eh, mon Dieu, pourquoi ne pas avouer que je m’en doute vaguement : « Dans les fonctions que j’exerce au dehors, nous avez-vous dit, j’ai senti que je retirais de votre choix un supplément d’autorité et de considération. » Rien n’était de nature à nous toucher et à nous flatter davantage. Mais je présume que vous avez également senti autre chose. La place aussi modeste qu’incommode d’où vous venez de parler, elle ne ressemble pas à beaucoup d’autres. Sous un vernis de mesure et de courtoisie, la vérité et le courage peuvent y élever leurs grandes voix. Vous vous ôtes rendu compte de cette possibilité, Monsieur, et d’une façon dont nous vous avons de la gratitude. Quant à moi, vous avez singulièrement facilité ma propre tâche. Je ne vois plus très bien ce que j’ajouterais à vos paroles. Je vais tout de même m’efforcer de m’y employer. Mais, auparavant, je tiens à le répéter. Sur une matière où beaucoup se seraient récusés, votre honneur, Monsieur, est d’avoir écrit des pages comme celles que vous venez de nous lire. Et l’honneur de l’Académie, en vous accueillant, est d’avoir eu l’intuition que vous les écririez.

Y a-t-elle eu d’ailleurs si grand mérite ? Le moindre coup d’œil jeté sur un plan de Paris tendrait à nous persuader du contraire. Sans tenir exagérément aux idées de prédestination, je ne peux m’empêcher, compas en main, de constater que la distance est égale qui sépare le quai d’Orsay et la rue d’Ulm de la Coupole que voici. Réduire votre destinée à un problème de trigonométrie, n’est-ce point, dangereusement, porter atteinte à votre libre arbitre ? Faites-vous une raison. Il y a eu des existences moins favorisées que la vôtre. Il n’y, en a eu guère, en tout cas, jusqu’à ce jour au moins, qui me paraissent avoir été mieux remplies.
Monsieur le Professeur, Monsieur le Député, Monsieur le Ministre. Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur le Haut-Commissaire, Monsieur le Président de la Commission Permanente de la Croix-Rouge internationale, vous confesserais-je que ce que je sais le moins bien c’est mon commencement ? Dans une carrière aussi féconde en activités de toutes sortes que la vôtre, comment vais-je m’arranger pour découvrir la clef nécessaire, l’unité indispensable à mon développement ? Heureusement — ou hélas ! comme vous le voudrez — il existe quelqu’un qui va se charger, cette unité-là, de l’établir à mon profit, et. ce quelqu’un là, c’est l’Allemagne. L’Allemagne, ou plutôt les Allemagnes. Dès votre plus jeune âge, elles se sont emparées de vous. Elles ne vous ont plus abandonné. Elles n’ont plus consenti à admettre que vous puissiez vous passer d’elles. Comme ces statues du grand parc classique, elles surgissent, fidèles et impérieuses, à chacune des avenues de votre vie. Quand vous croyez vous être débarrassé de l’une, c’est au tour de l’autre de faire son apparition. Résignez-vous à cette dépendance. Nombreux ont été chez nous ceux qui l’ont comprise et partagée. La frêle cueilleuse de fleurs du Thuringerwald, la vierge guerrière des Niebelungen, l’Ottilie de Gœthe et la Brunehilde wagnérienne, sublimes créations de la poésie et de la musique, nous avons été leurs prisonniers. Nous eussions continué à le demeurer, sans doute, si à ces douces et altières figures n’était venue, par quelle épouvantable aberration, s’adjoindre, se superposer une troisième, la Gorgone gorgée de sang, la Méduse à la croix gammée, infatigable pourvoyeuse de bagnes, de charniers, de fours crématoires, le monstre dont notre cœur, dont notre esprit, dont notre raison sont condamnés à demeurer à tout jamais épouvantés.

Pour le principe, et au cas où il y aurait en vous quelque chose du Siegfried de Giraudoux, je vous rappellerai que vous êtes né à Provins le 13 juin 1887, ce qui vous fait d’un an mon cadet. Votre père était Conseiller à la Cour d’Appel de Paris, magistrat d’une tradition sûre d’elle-même, à une époque où la pièce de Marcel Aymé aurait soulevé un étonnement amusé peut-être, mais en tout cas dénué de toute indignation. Je sais que vous m’en voudriez si je n’ajoutais sans plus tarder cette précision : votre naissance à Provins n’est qu’un accident. Votre famille est de souche essentiellement parisienne. Il n’y a pas plus parisien que vous, avec les défauts et les qualités que cette origine comporte. Si, en France, l’on néglige ou feint de négliger pareille particularité, l’étranger, Rome et Berlin en tête, est loin de n’en pas tenir compte. Or, c’est Berlin et Rome qui ont raison. Avoir trouvé un tel cadeau, dans son berceau ! Avoir vécu son enfance à Paris ! Il faut n’y être venu qu’à vingt ans comme moi pour savoir ce qu’un tel privilège comporte. Ensuite, la partie jouée, on peut cingler pour n’importe où, pour la Chine, pour Trapobane, pour Valparaiso. Mais, au départ, quelle avance, croyez-m’en bien ! Oui, quelle avance !

Être né à Provins n’est pas sans conférer quelques avantages non plus. D’abord, c’est le pays de Pierrette, la tendre héroïne de Balzac. Je m’attendais à lui voir, comme dans le roman, pousser le volet de sa fenêtre, sur la petite place où nous venions de former nos faisceaux, au début de septembre 1914, car c’est entre Provins et Villiers-Saint-Georges que se situe l’un des points où venait d’être arrêtée la ruée allemande sur Paris. Les troupes de l’armée von Kluck qui refluaient maintenant devant nous étaient de celles qui avaient dû, les jours précédents, à Cauchy-la-Tour, longer cette ferme de la route d’Arras où, comme vous le disiez tout à l’heure, « passent et repassent, depuis des siècles, les armées ». Le propriétaire dudit domaine, un colonel du nom de Philippe Pétain, momentanément occupé ailleurs, ne s’était pas trouvé là pour les voir défiler. Peu de villes ont été aussi souvent menacées, au cours des siècles, que cette pittoresque petite cité de la vieille Neustrie. L’ombre de ce constant péril devait avoir sur votre destin son influence. C’était, je crois, l’étude de la langue anglaise qui vous aurait séduit. Ce fut l’allemand que votre père décida que vous apprendriez. Pour les générations qui s’étaient succédé depuis 1870, combien de fois n’en avait-il pas été de la sorte ! Ce n’est point nous que l’on a consulté. Il s’est agi, avant tout, d’apprendre la langue du vainqueur, et, pour ceux qui en ont eu la possibilité, d’aller chez lui étudier les secrets de sa victoire.

Tel fut votre cas. Élève du Lycée Carnot, du Collège Stanislas, du Lycée Henri IV, lauréat du Concours Général, vous entrez en 1907 à l’École Normale Supérieure. Mais, dans l’intervalle, vous avez eu le temps — et les moyens — d’effectuer plusieurs séjours en Allemagne. Autrement, auriez-vous été à même d’écrire, six ans plus tard, ce précieux opuscule, Ce que pense la jeunesse allemande, cette jeunesse au milieu de laquelle vous venez de vivre, à Stuttgart, à Dresde, à Munich, à Berlin ? Quelles étaient les conclusions que l’on pouvait tirer de ce livre, paru un an avant la première conflagration mondiale ? Lesquelles ? Mais, mon Dieu, les mêmes, tout à fait les mêmes que celles qu’un an avant la seconde, en 1938, communiquera à son Ministre des Affaires Étrangères le jeune agrégé de 1913 devenu, dans l’intervalle, Ambassadeur de France à Berlin. La Guerre ! La Guerre ! La Guerre ! Ainsi donc, tant d’agitation, tant de palabres, tant d’expériences qui auraient dû porter leur fruit, tant d’avertissements humains ou célestes pour en arriver là de nouveau ! Quant à vous, Monsieur, à tant de postes où les circonstances et probablement aussi vos mérites vous ont placé, dites, n’avez-vous point parfois fini par vous trouver fatigué d’avoir eu trop souvent à jouer les Cassandre ? Ne souhaiterait-on pas quelquefois s’être trompé ? Est-ce une véritable consolation que de s’entendre dire, en fin de compte :

Tu vivras, tu vivras, afin que ton œil voie
Le flamboiement d’Argos plein des cendres de Troie ?

Gaston Boissier s’adressait ainsi à mon prédécesseur Ernest Lavisse, parti en Allemagne pour y étudier les origines de la monarchie prussienne : « Vous avez apporté à ce travail un zèle, un courage dont les Allemands eux-mêmes ont été surpris. Ils vous admiraient de passer vos journées dans les archives et disaient pour vous désigner : « C’est le Français qui étudie la Marche de Brandebourg. » Ainsi, je pense, ils ont dit de vous vers 1907 et 1908 : « C’est le Français qui étudie les Affinités électives de Goethe. » Lorsque parut, en 1910, sous votre signature, le commentaire critique qui porte ce titre, voici ce qu’en écrivait votre Maître, Henri Lichtenberger, qui le préfaça : « C’est de grand cœur que je souhaite la bienvenue à un essai où je vois, en même temps qu’une utile contribution aux études germaniques, une brillante promesse d’avenir. Lorsque j’aurai dit que cet essai est un mémoire entrepris sur le conseil de Charles Andler, en vue du diplôme d’études supérieures, par un élève de seconde année de l’École Normale, et que ce « travail de séminaire » d’un très jeune débutant a paru assez remarquable pour mériter la mention « très bien », le lecteur saura tout ce qu’il peut avoir intérêt à connaître avant de lire le volume même. » Si j’ajoute que, l’année suivante, vous sortiez de l’École reçu à l’Agrégation avec le numéro s1, on admettra que vous aviez des droits à ne pas être considéré comme un plaisantin et un fantaisiste. C’est pourtant ce qui a failli vous arriver. Il y avait en vous un je ne sais quoi qui inquiétait, qui déroutait ceux de vos maîtres qui avaient pour vous le plus de confiance et d’estime. Et moi qui aspire, depuis plus de vingt ans, à de mieux en mieux vous connaître, figurez-vous que je n’en suis pas autrement étonné.

À l’époque, donc, où vous quittiez l’École Normale, et où j’étais moi-même rédacteur au Ministère de l’Instruction Publique, j’ai lu, de mes yeux lu, dans le dossier de Jules Lemaitre, une note qui n’a guère dû contribuer à favoriser son avancement. « Affecte, écrivait son Recteur, de ne pas fréquenter les milieux universitaires. » Avec vous, ce fut pis encore. « Voulez-vous enseigner ? » Telle était la question que, tout naturellement, on vous avait posée. « Pourquoi pas ! » aviez-vous répondu. C’était le mot de Franchet d’Esperey, de qui Joffre avait voulu savoir, en septembre 1914, s’il se sentait de taille à commander une armée. « Tout comme un autre ! » avait-il répliqué. En foi de quoi, vous veniez, vous, d’être nommé professeur au Lycée de Montpellier. « Me suis-je bien conduit à Montpellier, il y a dix-huit ans ? deviez-vous écrire par la suite. Je ne le pense pas. À la vérité, mes collègues avec leur flair naturel et professionnel eurent tôt fait de sentir que j’étais destiné à mal tourner, je veux dire à ne pas rester longtemps parmi eux et à verser tôt ou tard dans la politique. » Qu’est-ce donc, dans votre attitude, qui les autorisait à vaticiner ainsi ? Je continue à vous citer : « À l’époque florissait une danse, tombée aujourd’hui en désuétude, et qu’on appelait le double boston. J’en avais fait, dans les salons si accueillants des familles montpelliéraines, une annexe de mon enseignement. » Il y a plus, hélas ! et le moment est venu de souligner un de vos traits qui n’est pas sans avoir son importance. Ce n’est pas seulement moralement que vous avez toujours tenu à avoir vos élégances. Jeune agrégé qui croyait avoir suffisamment fourni de preuves de son sérieux, vous ne compreniez déjà point pourquoi une certaine recherche vestimentaire vous eût été interdite. Plutôt que l’enseignement de la Sorbonne ou du Collège de France, vous étiez prêt, sous ce rapport, ô hérésie, à solliciter celui d’un La Palférine, d’un de Marçais. Habillé selon leurs principes, fier d’un de ces légers pardessus, si pratiques quand on fait de l’équitation le matin, le premier jour où vous pénétrâtes dans la cour du Lycée ce fut pour entendre le professeur de philosophie murmurer au professeur de rhétorique en vous désignant du doigt : « Ce paletot ne me dit rien qui vaille ! » Honneur, Monsieur, trois fois honneur à la perspicacité de ce digne homme ! Il me semble, je ne sais pourquoi, à Berlin, un quart de siècle plus tard, voir le Chancelier du IIIe Reich, qui, à la ville comme en soirée, portait, parait-il, assez mal la toilette, se pencher vers Himmler ou Goebbels, et leur faire, à votre sujet, la même réflexion.

En attendant, c’était le professeur de philosophie de. Montpellier qui avait vu juste. L’année suivante, vous étiez à Paris, la ville où l’on a tout de même les meilleures chances de réaliser ce pour quoi l’on est venu au monde. Pour l’instant, c’était le journalisme qui vous attirait. Oui, mais il n’y avait qu’un ennui : on était déjà en 1914. Le tout n’était point, dans Ce que pense la jeunesse allemande, d’avoir prévu la guerre. Il s’agissait maintenant de la faire...

Ce fut ce à quoi vous vous employâtes, Monsieur, comme lieutenant d’infanterie, avec cette simplicité désinvolte qui a toujours été dans votre façon.

Moins de quinze ans plus tard, vous étiez de nouveau l’hôte de Montpellier, niais seulement un hôte de passage. Vous sembliez uniquement avoir à cœur de prouver à notre ami le professeur de philosophie que ses prévisions s’étaient réalisées point par point. Le fameux paletot avait définitivement triomphé de la robe universitaire. Dans la ville de vos débuts, vous étiez dépêché pour célébrer le centenaire du Musée Fabre par le gouvernement dont vous faisiez partie, un cabinet Raymond Poincaré qui avait fait de vous son Sous-Secrétaire d’État des Beaux-Arts.

Durant les quinze années qui viennent de s’écouler, on ne peut pas dire que ce soit le rêve qui ait eu chez -vous le pas sur l’action. A la fin de la guerre, membre d’une mission envoyée par les Alliés aux États-Unis, vous fondez et dirigez pendant quatre ans la Société d’études et d’information économiques. En 1922, vous faites partie de la délégation française à la Conférence de Gênes. Vous êtes attaché à l’État-Major du Général Degoutte pendant la durée de l’occupation de la Ruhr. Mais, comme vous êtes déjà bien éloigné de ce Séminariste dont parlait Henri Lichtenherger, vous vous dites que ce sont là besognes qui ne correspondent pas à grand-chose tant qu’elles ne sont pas étayées par un solide mandat législatif. Aussi, membre et animateur du Comité exécutif de l’Alliance républicaine, vous en rédigez le programme au moment des élections de 1924, et, dès cette année-là, comme député du premier secteur de la Seine, voilà que vous entrez au Forum. Vous n’avez pas trente-sept ans, et déjà, économiquement, politiquement, diplomatiquement, vous êtes prêt, à votre insu, pour votre future tâche ; vous avez satisfait aux conditions essentielles qui vont faire de vous, en août 1931, l’Ambassadeur de la République française auprès du IIIe Reich.

Avant de pénétrer à votre suite dans le vieil hôtel de la Pariser Platz, où continuent à planer le souvenir et la grande ombre de Jules Cambon, laissez-moi un peu m’attarder parmi les ors vieillis de ce délicieux cabinet de la rue de Valois, où j’ai la joie de retrouver auprès de vous une autre ombre, bien vivante, grâce au Ciel, celle-là, puisque c’est celle de notre confrère Léon Bérard, votre prédécesseur comme Sous-Secrétaire d’État des Beaux-Arts de 1912 à 1913, également dans deux cabinets Poincaré et Briand. On se plaignait, à cette époque-là, « qu’on gardât les mêmes ». Nous avons appris à regretter qu’on ne les garde pas plus longtemps.

Imaginez si ces Discours français, que vous avez prononcés de 1928 à 1929, ont été de nature à me ravir, moi qui seize ans auparavant, dans le bureau mitoyen du vôtre, avais eu la mission charmante et obscure de veiller sur les épreuves des discours de votre prédécesseur. À la table du volume où les vôtres ont été recueillis, je glane ces titres, où le lettré et l’humaniste démontrent qu’il ne leur est pas absolument impossible de faire bon ménage avec le robuste représentant du peuple : À Arezzo, devant le monument de Pétrarque ; Sur la tombe de Bourdelle ; Devant le monument de Frédéric Mistral à Maillane... Mais souffrez que nous nous arrêtions un instant aux paroles que vous prononçâtes à l’Académie de Mâcon, à propos de la restauration de l’église de Milly. D’abord, il s’agit de ce Lamartine pour lequel nous avons, vous et moi, la même dévotion. Ensuite, vous en profitez pour rendre un hommage qui nous va au cœur, puisqu’il glorifie l’activité, la persévérance, la générosité de l’homme qui a été l’artisan de cette restauration. « Heureux, vous écriez-vous, qui, pour passer le fleuve, est guidé par ce Saint-Christophe ! » Je vois d’autant moins d’inconvénient à faire chorus avec vous que ce Saint-Christophe-là n’est autre que notre Secrétaire perpétuel. J’avoue n’avoir plus réussi depuis à m’imaginer ce Saint, éminemment sympathique, autrement que sous les traits de Georges Lecomte.

Il ne faut pas oublier toutefois que, dans ce discours, il était également fait allusion à un autre fleuve, le Rhin, pour l’appeler par son nom, ce Rhin auquel Lamartine adresse son apostrophe célèbre :

Roule, libre et paisible, entre deux fortes races
Dont ton flot frémissant trempe l’âme et l’acier,
Et que leur vieux courroux, dans le lit que tu traces,
Fonde au soleil du siècle avec l’eau du glacier.

Cette pathétique adjuration, « puisse-t-elle, concluiez-vous, être entendue ! Puisse, de l’autre rive, un chant pareil venir ! »

Ceci se passait le 27 septembre 1929. Moins de deux ans plus tard, Ambassadeur de France, ce Rhin, vous le franchissiez, et, durant sept années, vous alliez avoir toute licence de vous livrer aux travaux d’acoustique susceptibles de vous permettre d’étudier, jour par jour, les singuliers échos suscités là-bas par le sublime appel de Lamartine.

Il faut, Monsieur, le lire sous votre plume pour le croire ! Voici ce que vous écrivez dans l’avant-propos de vos Souvenirs d’une Ambassade à Berlin : « Que le régime national-socialiste fût, tout entier, orienté vers la guerre, qu’en dépit des alibis que son chef savait se ménager, il dût fatalement aboutir à la guerre, j’en fus persuadé de bonne heure. L’intensité croissante de son effort militaire était, par elle-même, assez révélatrice. Je l’ai toujours dit. Peut-être l’ai-je trop dit ? Peut-être eût-il mieux valu crier moins souvent : « Au loup ! » On s’habituait à mes prévisions pessimistes. On s’en lassait... Au surplus, ce que je pensais personnellement importait peu. Je donnais, de moi-même, mon avis. On ne me le demandait jamais. Je n’ai été qu’une fois, en neuf ans, convoqué à Paris pour y conférer avec le Ministre et mes collègues de Londres, Varsovie et Rome... Il n’était pas rare non plus que les indiscrétions de la presse parisienne avertissent les autorités allemandes des instructions qui m’étaient adressées avant même que celles-ci me parvinssent... » Encore une fois, on n’en croit pas ses yeux. On pense rêver en lisant des lignes pareilles, écrites avec une mélancolie qui veut paraître désabusée, mais qui n’en est que plus affreusement douloureuse. Voilà les conditions dans lesquelles nous sommes allés à la bataille ! Au fond, de tous ces rapports tirés du meilleur de vous-même, ces rapports dont pendant les années cruciales vous n’avez cessé de saturer le « Département », il n’en est peut-être qu’un seul dont vous possédez la certitude qu’il ait été lu in extenso. Je crois qu’il vaut la peine que je dise lequel.

C’était après la conférence de Munich. Vous quittiez l’Ambassade de Berlin pour celle de Rome. De la dernière entrevue que vous avez eue, le 18 octobre 1938, avec le Chancelier Hitler, vous adressâtes au Ministère des Affaires Étrangères un compte rendu dont je regrette bien de ne pouvoir donner ici entièrement lecture. Ceux qui ne le connaissent pas comprendraient du même coup, chose qui ne vous serait peut-être pas, Monsieur, particulièrement désagréable, qu’en vous appelant à elle, ce n’est pas seulement le diplomate, mais l’écrivain, que l’Académie a entendu distinguer : « Je n’ai certes aucune illusion sur le caractère d’Adolf Hitler, osiez-vous écrire noir sur blanc dans ce rapport. Je sais qu’il est changeant, dissimulé, contradictoire, incertain, capable des pires frénésies, des exaltations les plus sauvages, des plus délirantes ambitions. » Ce texte-là, tout au moins, vous pouvez être assuré qu’on s’est donné la peine d’en prendre connaissance, puisque c’est lui que vous avez eu la fierté mitigée de voir divulgué dans le Livre jaune que le Quai d’Orsay publia, après l’ouverture des hostilités, en décembre 1939. « Je n’avais pas, écrivez-vous dans Souvenirs d’une Ambassade, été averti de cette publication ni consulté à son sujet. Le haut fonctionnaire, auquel je m’en plaignis, dans les premiers jours de janvier 1940, s’étonna, de son côté, du mécontentement que j’exprimais. « Hitler — me dit-il — n’existe plus ! Il est, dès maintenant, nettoyé, liquidé ! » — « Si vous le croyez, lui répondis-je, vous avez de la chance ! Je crains, en ce qui me concerne, que nous n’entendions parler de lui pendant un bout de temps encore ! » En attendant, cet aimable haut fonctionnaire savait-il à quoi il allait accessoirement contribuer en donnant le bon à tirer de son Livre jaune ? Il venait tout simplement de signer, pour trois ans plus tard, votre ordre d’arrestation.

Il fait chaud, à Berlin, l’été. Le dur climat continental du Brandebourg soumet le thermomètre à de redoutables sautes. C’était l’époque où vous vous plaisiez à aller chercher un peu de fraîcheur dans votre villa de Wansee, entre Potsdam et la capitale. J’y fus votre hôte, une journée d’août 1935. Il y avait peu de temps vous veniez de m’écrire, en m’invitant à cette visite : « L’auteur de la Chaussée des Géants nous doit un roman sur le national-socialisme. » Cette dette, si c’en est une, je m’excuse, sans le regretter outre mesure, de ne m’en être pas encore acquitté.

Au bout du parc où se dressait votre habitation, il y avait un canal, un canal ou une rivière, je ne sais plus très bien, une rivière en tout cas aux eaux singulièrement mortes. Lourd ciel de plomb sur lequel se découpait la sombre verdure des sapins ; chenaux latéraux engorgés d’une triste végétation aquatique. Arriverai-je, quelque jour, à me guérir de l’attrait que j’ai toujours éprouvé pour ce genre de paysages taciturnes, pour ces mousses et ces lichens, pour ces roseaux et ces joncs, pour les minces disques vernissés de ces nénuphars fleuris de roses d’un pâle jaune maladif, et ce silence si particulier qui plane au-dessus de ces étendues, à peine troublé de temps à autre par l’âpre appel d’une macreuse ou d’une sarcelle ? Nous y fîmes, cette après-midi-là, une longue promenade en canot, durant laquelle vous ne cessâtes de faire preuve de cette gaieté aimable et volontiers railleuse dont je ne vous ai vu que bien rarement vous départir. Nos compagnons étaient l’ambassadeur Attolico, qui représentait l’Italie à Berlin, et le propre neveu du Chancelier de Guillaume II, le Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères, Bernard von Bulow, dont vous nous avez laissé un de ces portraits dans lesquels vous excellez : « Charmant homme, d’humeur toujours égale, aux yeux d’un bleu de myosotis, répandant sur le visage fin et distingué une expression de mélancolie, et dont le plaisir, quand il pouvait s’échapper de la capitale, était de se perdre dans la nature et de descendre les rivières en canoë... Contradicteur redoutable, d’ailleurs, car il était bon juriste, bon dialecticien, ne s’échauffant jamais, et ne perdant jamais le fil de son raisonnement... » C’était donc, en ces heures-là, votre principal adversaire que vous aviez en face de vous. Rien pourtant ne me parut laisser supposer que vous puissiez être la proie de certaines préoccupations. Or, ces préoccupations, si on tient à se rendre compte de ce qu’elles étaient, il n’y a qu’à se reporter à ce qui allait se passer quelques mois plus tard dénonciation par l’Allemagne du pacte de Locarno, irruption des troupes du Reich dans la zone rhénane démilitarisée.

C’était là, il est vrai, votre pain de tous les jours. Munich fut pour vous la goutte d’eau par quoi le vase déborda. Vous demandâtes à être nommé Ambassadeur à Rome. Vous n’en pouviez plus ! « À Berlin, avez-vous écrit, j’avais passé sept années pleines d’intérêt, mais aussi pleines de troubles, d’alertes, d’orages et de drames. Je n’y avais jamais eu un moment de répit et de tranquillité. J’y avais vécu dans l’inquiétude et l’insécurité du lendemain, obligé à une vigilance, une tension d’esprit continuelles, l’œil fixé sur une flamme qui, à peine éteinte, se rallumait et se rapprochait inexorablement du tonneau de poudre. Et puis, j’étais comme saturé de nazisme ! J’étais obsédé par ce régime, ses méthodes, son langage, son mystère, sa police, sa tyrannie, son orgueil, ses chants, ses défilés, ses claquements de talons, son bruit de bottes hallucinant. J’étais las de chercher à retenir un Hitler qui s’échappait sans cesse ! »

Malheureusement, lorsque vous arrivez à Rome, il est trop tard. Le bon travail, le travail utile que vous eussiez pu réaliser, trois ans plus tôt, n’est plus possible maintenant. Par rancœur envers l’Angleterre, par dépit vis-à-vis de la France, vous n’êtes pas long à constater que Mussolini a définitivement vendu son âme au diable. « Je n’avais pas d’illusions sur Hitler, écrivez-vous avec une tristesse définitivement désabusée. J’en avais sur Mussolini. Je ne savais pas que celui-ci se chargerait de les dissiper brutalement, que je serais, en Italie, l’objet d’un traitement discourtois, dont les nazis n’auraient jamais eu l’idée, et que j’y traverserais des heures plus pénibles peut-être, encore, que celles que j’avais connues en Allemagne. »

À quoi serviraient, Monsieur, je vous le demande-, les Ambassadeurs, sinon à payer, en ces heures-là, les erreurs des gouvernements qu’ils représentent ? À Rome, durant ces lugubres journées de juin 1940, je sais que votre autorité naturelle fit merveille. Vous vous en alliez, mais en réussissant à ramener, dans un train diplomatique, les derniers Français demeurés en Italie. Le 19 juin, vous vous présentez au Maréchal, et les premiers mots qu’il vous adresse sont ceux que vous nous rappeliez tout à l’heure : « Je me suis juré de ne jamais quitter le sol de ce pays ! »

Le sol de ce pays, vous ne l’avez pas quitté vous non plus, en dépit des désagréments personnels qu’il ne vous fallait pas, dès ce moment-là, des trésors d’imagination pour prévoir.

Nous sommes le 27 août 1943. Vous vous trouvez à la Tronche, près de Grenoble. Vous y habitez la Villa la Condamine, avec votre famille, depuis septembre 1940, vous étant vu refuser par les autorités occupantes la permission de réintégrer votre domicile parisien. Il est un peu plus de midi. Vous venez, vous et les vôtres, de vous mettre à table pour déjeuner. « Tout à coup surgit, devant la fenêtre, un soldat allemand qui braque sur nous une mitraillette. Des pas retentissent dans le corridor. La porte s’ouvre. Un officier de S.S., escorté d’un homme également armé d’une mitraillette, entre et me dit : « Vous êtes l’Ambassadeur Poncet ? J’ai ordre de vous arrêter. Vous avez cinq minutes pour rassembler les objets qui vous sont nécessaires et pour me suivre. » J’invite l’homme à la mitraillette à baisser son arme et à quitter la salle à manger. Accompagné de l’officier qui ne cesse de me presser, je monte dans ma chambre, j’emplis en hâte deux valises de vêtements et de linge et je descends devant la maison. Une auto entourée de deux Allemands en armes est arrêtée là. À l’intérieur se trouve le Président Albert Lebrun. Il a été capturé dans les mêmes conditions que moi, une heure plus tôt, à Vizille. Les Allemands refusent de charger nos valises. Nous sommes sept dans la voiture ; il n’y a pas assez de place. Ils ne me laissent qu’une valise, à M. Lebrun qu’un sac. On n’aura qu’à nous apporter le reste le lendemain, à Lyon, à l’École de Santé Militaire, siège de la Gestapo. »

Et voilà ! Pendant bien près de deux années,jusqu’au 2 mai 1945, à la date de votre délivrance par les chars du général de Lattre de Tassigny, vous allez être à peu près retranché du monde des vivants ; Nous y avons gagné ces Carnets d’un Captif, dont je n’ai pas fini de vanter l’intérêt. Mais peut-être est-ce là un fleuron que vos proches se seraient bien passés de voir adjoindre à votre couronne littéraire. Le confort relatif dont vous avez joui, à Itter comme à l’Ifen, les deux étranges résidences alpestres qui vous furent successivement assignées, ne vous a d’ailleurs jamais fait illusion. L’époque où les hommes d’Himmler crurent bon de s’assurer de votre personne était celle où l’on arrêtait en masse. Le régime, sentant que tout allait pour lui de mal en pis, tenait à se créer une monnaie d’échange ou de chantage. Seulement, cette monnaie-là, y serait-il fait honneur ? Aurait-on même le temps de l’utiliser ? « Je pense, écriviez-vous le 12 septembre 1944, que les nazis, s’ils n’arrivent pas à la voudront imiter l’exemple des Germains vaincus. » Ceux-ci formaient un carré de leurs chariots, la Wagenburg, pendaient leurs enfants aux timons, parquaient au centre les prisonniers, allumaient enfin un immense incendie où tout le monde périssait dans les flammes. « Il s’agit, poursuivez-vous le 7 décembre, de se familiariser avec cette idée, d’y entraîner son esprit et de se mettre en mesure, si l’éventualité en question devait se produire, de l’affronter honorablement. » Nous sommes à même de nous en rendre compte aujourd’hui, pour reprendre l’expression de notre confrère Robert d’Harcourt, de mesurer le gouffre auquel, de justesse, nous avons échappé ».

À Itter, vous et le Président Lebrun, vous avez retrouvé de vieilles connaissances : Édouard Daladier, Paul Reynaud, le Général Gamelin, Léon Jouhaux. Mais, trois mois après, vous alliez être déménagé de cette espèce de château fantastique. Sans que vous ayez jamais su au juste pourquoi, vous voilà expédié à l’hôtel de l’Ifen, non loin d’Innsbruck, dans un cadre de montagnes sauvages et moroses. A l’Ifen comme à Itter, la vie serait à peu près supportable, n’étaient-ce les petites vexations de vos gardiens et la menace perpétuellement suspendue sur vos têtes. Le tragique y voisine, comme de juste, avec des épisodes d’un comique qui trouve en vous le plus flegmatique et le plus pince-sans-rire des notateurs. Les grands événements ne sont pas seulement la nouvelle de la capitulation du Gouvernement Badoglio ou du débarquement en Normandie. Il y a aussi l’arrivée d’une caisse de vin de Châteauneuf-du-Pape, expédiée au Président Daladier par ses fidèles électeurs. Le dimanche 26 septembre 1943 est une date à retenir : Léon Jouhaux entreprend de vous donner des notions de belote. Vous ne me paraissez pas avoir sérieusement persévéré dans cette voie, et je ne peux que le regretter. La belote est un jeu injustement décrié, et qui n’a jamais été incompatible avec des consécrations les plus hautes, le prix Nobel en particulier.

C’est à l’Ifen que viendra vous rejoindre, en janvier 1944, dans quel état, mon Dieu ! — le Président Albert Sarraut, dont l’arrestation à Toulouse, le 17 juin, n’aura précédé que de bien peu celle de notre grand et cher confrère Édouard Herriot. Il arrivait du camp de concentration de Neuengamme, où il avait été l’objet des sévices les plus indignes. « Quelles réflexions, écrivez-vous, son cas nous suggère ! Il est dénué de tout, épuisé, point abattu cependant, ni démoralisé... Pourquoi cette différence de traitement non pas seulement entre lui et nous, mais entre lui et nos camarades du Plansee, ou ceux du château d’Itter, entre lui et Léon Blum, qui vit dans une maison particulière avec sa femme, près de Weimar ? » À peine vous êtes-vous posé la question que vous y donnez la seule réponse valable : « Les contrastes les plus accusés voisinent dans cette Allemagne désorbitée, et, du reste, ont toujours voisiné dans le caractère allemand : l’incohérence à côté de la logique, le désordre à côté de l’organisation, l’indulgence et la bonhomie à côté de la rigueur et de la cruauté. »

Concluons ! Si les événements ne s’étaient point précipités, si l’infernale ronde de la Mort, sans leur laisser le temps de lui échapper, ne s’était point rendue maîtresse de vos maîtres, eh bien, Monsieur, j’ai l’impression que ce n’est pas la Grand Croix de l’Aigle du Reich dont M. de Ribbentrop vous avait, sept ans auparavant, remis solennellement les insignes, qui aurait suffi à vous tirer d’affaire et à vous permettre de prendre la parole ici aujourd’hui.

L’essentiel, après tout, n’est-ce pas, c’est que vous y soyez, c’est que vous y demeuriez le plus longtemps. Ce n’est certes point d’un brevet d’immortalité que j’entends vous assurer en cette minute. Mettons que ce soit simplement d’un brevet de mortalité retardée. C’est un fait, qui a même pour résultat d’exciter parfois contre nous une certaine hargne : il n’y a pas sous ce rapport trop à se plaindre, on vit assez vieux dans la maison.

Sur un autre plan, votre réussite aura été moins complète. Le 2 mai 1945, quand, à midi cinquante, les premiers chars français surgirent dans la cour de votre hôtel de l’Ifen, vous vous êtes cru un instant délivré à tout jamais de l’Allemagne. Erreur, Monsieur, grave erreur ! La preuve ne devait point tarder à vous en être administrée, puisque, dès 1948, vous êtes nommé conseiller diplomatique du Gouvernement pour les affaires allemandes et chargé de mission auprès du Commandant en chef français dans les territoires occupés. En août 1949, pour couronner le tout, lors de la création de la République fédérale de Bonn, vous voilà appelé aux fonctions de Haut-Commissaire de la République Française en Allemagne. Vous vous êtes plus aisément libéré de vos geôliers que de votre destin.

D’ailleurs, de telles obligations ayant paru ne pas vous suffire, ne venez-vous point, bénévolement, de consentir à vous en créer d’autres, d’autres tout à votre louange une fois de plus ? Quand on a été admis, professionnellement, à connaître des innombrables misères nées de la guerre, comment une certaine qualité d’âme ne vous porterait-elle point à accepter les postes où l’on peut être le mieux à même, ces misères-là, de les panser, de les conjurer ? Je veux parler de vos fonctions actuelles de Vice-Président de la Croix-Rouge française et de Président de la Commission permanente de la Croix-Rouge internationale. Le siècle comporte deux catégories de dignités, étrangement séparées les unes des autres : celles qui sont déterminées par l’ostentation et le lucre, et puis celles qui n’ont tout simplement d’autre ressort que le désintéressement et la charité.

Le moment me semble venu pour moi de prendre congé de vous, après vous avoir conduit jusqu’à cette journée du 22 janvier 1953, c’est-à-dire jusqu’à ce fauteuil dont vous n’avez point, en vous y présentant, estimé que vous étiez indigne, de même que vous n’avez pas estimé qu’il fût, lui, indigne de vous. Ma tâche se trouverait donc ainsi agréablement achevée si, après le successeur, je n’avais maintenant à évoquer le prédécesseur, usage dans les traditions de notre Compagnie, et auquel je n’ai, pour ma part, aucune raison de me soustraire.

C’est à peine si, en tout et pour tout, il m’a été donné de voir, d’apercevoir plutôt, une dizaine de fois le Maréchal Pétain. La première, ce fut le 14 juillet 1919, tel, Monsieur, que vous l’avez dépeint tout à l’heure, défilant dans les Champs-Élysées le jour de la fête de la Victoire, « revêtu de son uniforme bleu horizon et monté sur un cheval blanc ». La seconde fois, ce fut en 1931, en une circonstance infiniment plus intime, lorsque, candidat à l’Académie, je m’en vins solliciter sa voix. C’est là un aveu auquel je me résigne avec d’autant moins de vergogne que nous sommes encore douze, bien comptés, à nous trouver ici dans ce cas, à nous être rendus coupables de ce petit Canossa.

Sauf ce jour-là, je ne me souviens pas d’avoir bénéficié d’un seul entretien en tête à tête avec lui. Voilà qui n’est guère suffisant pour me permettre d’aborder efficacement un sujet dont l’essentiel, à l’heure actuelle, vient d’être traité par vous avec une compétence et une documentation qui ne peuvent pas ne pas dépasser singulièrement les miennes. Quelles lumières serais-je capable de projeter sur une figure — tout le monde est à peu près d’accord à cet égard — qui demeure l’une des plus fermées, des plus réfléchies, des plus secrètes de notre histoire ? J’estime, dans ces conditions, préférable de profiter de la circonstance qui m’est offerte pour m’instruire, aimant mieux, comme dit Merlin, m’enseigner moi-même que de tenter d’enseigner autrui. Ce ne sont donc point des affirmations que j’apporterai, mais deux ou trois questions que je vais m’autoriser à soumettre, laissant lire chacun, en son for intérieur, d’y répondre avec son tempérament propre, et le souci qu’il peut avoir de la vérité.

Ceux qui l’ont méconnu pleureront le grand homme.
Athènes à des proscrits ouvre son Panthéon.
Coriolan expire, et les enfants de Rome
Revendiquent son nom.

La certitude des équitables réparations apportées par la postérité voilà, j’imagine, ce que veut signifier la strophe que je viens de lire. Elle a pour auteur un grand, un très grand poète, qui, plus que n’importe qui, a connu les vicissitudes et les injustices de la vie publique, ce Lamartine dont vous avez si admirablement parlé dans vos Carnets d’un Captif. Elle est extraite du poème La Gloire, qui figure dans les premières Méditations. Elle est datée de 1817. Lamartine l’aurait-il écrite quarante ans plus tard, quand tout le monde lui jetait la pierre à propos de son rôle dans les événements de 1848 ? C’est peu probable. « Une fois le péril passé, dites-vous, on se moque volontiers du saint ! Mais ce devrait être, alors, la tâche des historiens de rétablir la vérité, de rappeler qu’il y eut une heure où Lamartine était le point de mire de tous les regards, où les esprits en désarroi n’accrochaient qu’à lui leurs espoirs, où l’Assemblée Constituante le pressait de concentrer entre ses mains tous les espoirs... » Et vous concluez, généreusement : « Une révision du cas Lamartine s’impose ! » Sans doute, mais il y a plus d’un siècle que cela dure. Croyez-vous que la révision du « cas » de votre prédécesseur bénéficiera d’un traitement plus favorable, plus rapide ? C’est là une des questions qu’il m’arrive bien souvent de me poser.

Toujours dans ces Carnets,auxquels, ainsi que vous voyez, je me serai référé jusqu’au bout, je lis, à la date du 11 novembre 1943 : « Anniversaire de l’occupation de la zone libre française en 1942. Ce jour-là, n’aurait-on pu refaire l’union des Français ? » Autre point d’interrogation, qui nous a tous hantés et continue encore sans doute ! Ne venez-vous pas d’y répondre d’ailleurs par l’un des passages essentiels de votre discours ? « Dans un pays complètement aux mains de l’ennemi, il ne peut y avoir de gouvernement qui ne soit sous la dépendance de l’occupant. C’est une vérité si claire et si évidente qu’on s’étonne qu’elle ne se soit pas imposée à l’esprit du Maréchal. Il ne manque pas de voix, cependant, pour le lui dire, pour l’adjurer de se rendre en Afrique, de dissiper, par son départ, les équivoques qui planent sur ses intentions, et de restaurer, d’un coup, l’unité française. »

Qui ne songerait à dire de même ? D’ailleurs, n’était-ce pas l’intérêt personnel de votre prédécesseur d’agir de la sorte ? Je crois, que dis-je, je suis persuadé, que le Maréchal eût été accueilli là-bas avec enthousiasme, comme le véritable restaurateur de cette unité, et non, dans une partie où les jeux étaient déjà plus ou moins faits, comme un importun, un trouble-fête. Oui, mais peut-être y aurait-il eu autre chose. Que ce magnifique envol n’ait point eu de répercussions sur la condition déjà suffisamment abominable à laquelle étaient de plus en plus soumis nos prisonniers, nos déportés, nos otages, nos travailleurs, toutes les victimes infortunées de bourreaux qui allaient se révéler de jour en jour plus atroces, voilà une nouvelle question à laquelle je n’ai encore jamais, je le confesse, réussi à répondre, à ma pleine et entière satisfaction.

Et, enfin, il en est une autre, relative, celle-là, aux événements du 20 août 1944, ceux qui concernent l’arrestation du Maréchal et son enlèvement en Allemagne. Peut-on imaginer un .instant que les Allemands en aient ainsi décidé pour lui épargner les périls que leur défaite allait déchaîner sur sa vieille tête ? N’y a-t-il pas un événement que l’envahisseur, sur le point d’être à son tour envahi, a plutôt cherché à conjurer avant tous les autres ? Je fais allusion à cette alliance, Monsieur, dont vous venez de parler d’une manière si saisissante, à cette jonction, à la faveur de la victoire, de l’épée et du bouclier, ce bouclier qui, quatre années durant, avait couvert tant bien que mal la patrie captive, lui avait permis d’attendre que brillât l’éclair décisif et libérateur de l’épée. N’était-ce point le dernier et le plus bel hommage que ses ravisseurs pussent rendre à l’homme de Verdun : reconnaître ainsi qu’ils estimaient n’en avoir pas fini encore avec lui ? Qu’est-ce qui était le plus de nature à les terrifier, sinon, pour recourir une fois encore à votre témoignage, la perspective de voir, selon la tradition de notre histoire, les Français « qui avaient vécu sous le joug des vainqueurs et ceux qui, du dehors, étaient venus avec une armée les délivrer, se tendre les mains, d’un même élan » ?

Pour ceux des Allemands, et il y en avait, qui étaient instruits des annales de la France, une telle conjoncture n’avait rien d’impossible. Dans l’Interrègne impérial, le grand livre que Louis Madelin vient de nous donner, il y est fait allusion de la manière la plus susceptible de nous émouvoir : « Lorsque, écrit notre confrère, un jour de 1436, le connétable de Richemont entrait, précédant de quelques jours le Roi Charles VII, dans ce Paris où tant de gens, depuis vingt ans, avaient pactisé avec les Anglais et la faction bourguignonne, il avait, à la porte Saint-Honoré, remis son épée au fourreau, et, levant les mains, n’avait, en traversant la grand-ville, cessé de crier très haut : « Le Roi n’a rien su, le Roi ne sait rien, le Roi ne saura rien ! » Quand, un siècle et demi après, le Béarnais était rentré dans la même grand-ville, il n’avait pas eu besoin de parler, sa physionomie enjouée promettant, mieux que des paroles, l’oubli d’une longue et cruelle rébellion. »

J’ai fini, Monsieur, et fini, je tiens à ce qu’on le remarque, de la façon même que j’ai commencé. Terminant ainsi, j’ai l’impression qu’il ne nous reste plus qu’à nous féliciter l’un et l’autre, que nous avons travaillé de notre mieux à cette union que, par-delà les frontières, cherchent à retarder nos ennemis, alors que nos véritables amis s’étonnent et déplorent de ne l’avoir pas vue réalisée depuis plus longtemps.


Jacques Chastenet Élu en 1956 au fauteuil 40

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Académie Françaisepublié le 19/07/2012 à 17h43

Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur des Palmes académiques, Croix de guerre 1914-1918, Diplomate, Historien, Journaliste

Chastenet JacquesNé à Paris, le 20 avril 1893.

Après une scolarité secondaire au lycée Condorcet, Jacques Chastenet de Castaing obtint une licence d’histoire, en même temps qu’il suivait des études de droit. Diplômé en 1913 de l’École libre des Sciences politiques, il servit pendant la première Guerre mondiale comme officier de liaison auprès de la 2e division américaine. Docteur en droit en 1918, il fut reçu premier au concours des Affaires étrangères. Attaché, puis secrétaire d’ambassade, il fut nommé en 1920 secrétaire général de la Haute Commission interalliée des Territoires rhénans, puis, l’année suivante, secrétaire général de la conférence des ambassadeurs.

Après plusieurs longs séjours à l’étranger — en Angleterre et aux États-Unis notamment — Jacques Chastenet devait se consacrer dans l’entre-deux-guerres au journalisme. Il fut rédacteur diplomatique à L’Opinion et à la Revue politique et parlementaire, avant de prendre la direction du Temps, poste qu’il devait occuper pendant une dizaine d’années, tout en assumant, de 1934 à 1940, les fonctions de vice-président du syndicat de la presse parisienne.

Jacques Chastenet eut encore, après la Seconde Guerre mondiale, un rôle diplomatique : membre de la mission militaire française en Égypte, membre du Conseil français du Mouvement européen, vice-président de la ligne européenne de coopération économique, il fut également conseiller de l’Union française entre 1952 et 1958.

Outre ses multiples articles et ses contributions publiées dans la presse, Jacques Chastenet est l’auteur de nombreux ouvrages historiques et politiques : Du Sénat constitué en cour de justice (sa thèse de doctorat, soutenue en 1918), William Pitt (1941), Wellington (1945), Vingt ans d’histoire diplomatique (1945), Le Parlement d’Angleterre (1946), Le Siècle de Victoria (1947), Raymond Poincaré (1948), La France de M. Fallières (1949), Élisabeth Première (1953), Winston Churchill (1956), La Vie quotidienne en Angleterre au début du règne de Victoria (1961), et surtout une Histoire de la IIIe République (sept volumes publiés entre 1952 et 1963), qui constitue son œuvre principale.

Très attaché à la Gironde, dont son père avait été sénateur, et où il possédait, dans le Fronsadais, une belle propriété viticole, le château de Carles, Jacques Chastenet consacra également plusieurs livres à sa province.

Membre de l’Académie des Sciences morales depuis 1947, Jacques Chastenet fut élu à l’Académie française, le 29 novembre 1956, par 24 voix au fauteuil de l’amiral Lacaze, sans concurrent. En mai de la même année, il s’était déjà présenté sans succès au même fauteuil, où il n’avait recueilli que 12 voix contre 13 à La Varende. Jacques Chastenet fut reçu le 28 novembre 1957 par Léon Bérard.

Il est l’auteur de la formule, dite un jour devant Maurice Druon, et depuis souvent répétée, par laquelle il définissait les qualités nécessaires pour être un bon candidat à l’Académie : « Il faut avoir du talent, de la notoriété, et être de bonne compagnie ».

Mort le 7 février 1978.

Les ombres de Bousquet

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L'Expresspublié le 24/11/1994 à 22h02 par Eric Conan

Dans son portrait de l'ancien chef de la police de Vichy, Pascale Froment décrit ses amitiés et ses réseaux. Mais n'explique pas ses véritables choix.

Mitterrand et Bousquet à LatcheIl y a, désormais, ces photos. René Bousquet, en 1965, au premier rang d'un meeting de François Mitterrand, en 1974, partageant un repas intime avec le premier secrétaire du Parti socialiste en sa résidence de Latche, ou encore l'écoutant parler d'un air bienveillant. L'histoire de ces clichés symbolise l' "affaire Bousquet": ils dormaient dans les archives photos de "Paris Match", du "Point" et de L'Express. René Bousquet était alors inconnu du public, et ni lui ni François Mitterrand ne s'inquiétaient de leur proximité devenue aujourd'hui scandaleuse.

Dans la biographie que Pascale Froment consacre à l'ancien chef de la police de Vichy, François Mitterrand donne la clef de cette amitié: "Il me voyait comme un continuateur d'une carrière qu'il n'avait pas pu faire." Le meilleur du livre réside dans la mise à plat du réseau commun aux deux hommes. Pascale Froment décrit bien les personnages appartenant au clan Bousquet et au clan Mitterrand pendant et après la guerre. Hauts fonctionnaires républicains, de sensibilité radicale ou franc-maçonne, beaucoup d'entre eux s'acquittaient des objectifs de la collaboration d'Etat tout en protégeant des résistants d'origine vichyste dont François Mitterrand constitue l'un des meilleurs exemples. Plusieurs d'entre eux passeront de l'état-major de René Bousquet aux cabinets du jeune ministre de la IVe République.

Pour le reste, cette première biographie, synthèse des connaissances sur la vie du jeune carriériste couvé par le radicalisme toulousain, n'apportera guère de faits nouveaux à ceux qui ont suivi l' "affaire Bousquet". Cela tient en partie à la méthode. Pascale Froment traite la période essentielle de l'Occupation à travers le dossier d'instruction du procès de 1949 pour mettre en évidence ses lacunes et les mensonges de l'accusé à l'aide de recherches déjà publiées. Sont ainsi largement sollicités les travaux très précis de l'historien Jean-Pierre Husson (René Bousquet préfet dans la Marne de 1940 à 1942), ceux de Serge Klarsfeld (la participation de la police française à la déportation des juifs) et ceux de Jacques Delarue (la rafle et la destruction du Vieux-Port, à Marseille). D'où les manques ou les imprécisions sur les questions moins balisées, en particulier l'action de René Bousquet dans la gestion des camps d'internement, son aide réelle envers certains résistants (question cruciale pour comprendre son acquittement en 1949), son rôle exact à la Banque de l'Indochine et à "La Dépêche du Midi", et ses relations avec François Mitterrand après 1981, notamment lorsqu'il est visé par une "procédure judiciaire complexe" sur laquelle Pascale Froment ne s'étend guère, au point même de négliger le mémoire en défense, très argumenté, de 60 feuillets, que René Bousquet avait adressé à ses juges peu avant son assassinat.

Mais il y a plus gênant. Cette biographie souffre d'une erreur de perspective résumée - et annoncée - par la célèbre phrase de Primo Levi sur laquelle Pascale Froment a choisi d'ouvrir son livre: "Ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires." Or René Bousquet ne fait précisément pas partie de ces hommes ordinaires et indifférents aux circonstances décrites par Primo Levi. Il importe donc moins de s'interroger sur son "ambition", sa "lâcheté" ou ses "mensonges" que de rappeler que sa trajectoire s'explique par de véritables choix. René Bousquet ne nécessite pas seulement le portrait individuel, qui peut suffire pour un grand délinquant (Pascale Froment a publié, en 1991, une belle "Histoire vraie de Roberto Succo, assassin sans raison", Gallimard). L'ancien chef de la police de Vichy et son maître Laval n'étaient pas des antisémites, mais leurs noms restent liés à la tragédie juive parce qu'ils ont incarné les errements d'un "réalisme politique" affranchi de tout principe: devant l' "évidence" d'un nouvel ordre européen, ils estimaient que tout était négociable pour que la France y fût acceptée.

René Bousquet, par Pascale Froment. Stock, 624 p., 160 F.

Léon Blum face à Vichy

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Léon Blum face à VichyLe maréchal Pétain ne sait pas, en ce mois de février 1942, que le procès de Riom va devenir son pire cauchemar. Il ne pense qu’à désigner un bouc émissaire pour la défaite de 1940, qui a vu la France envahie par les troupes de Hitler en un mois seulement. Et croit l’affaire entendue car il a réuni un tribunal à sa botte et nommé les coupables : les ministres du Front populaire.

Mais deux grains de sable vont enrayer la mécanique mise en place par Vichy à Riom: l’éloquence de Léon Blum et l’humour de Daladier. Les deux hommes, loin de se laisser mener à l’abattoir vont réussir à retourner la situation en leur faveur. Un coup de théâtre historique que les comptes rendus d’audience restituent fidèlement.







EAN commerce : 9782258109469
Editeur (Livre) : Presses de la Cité
Date sortie / parution : 13/03/2014
Auteur : Julia Bracher

World War II Spies

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World War II SpiesAs World War II erupted in 1939, all eyes focused on the front lines. But behind the scenes, spies had a huge impact. Learn the secrets of World War II's most influential spies and how their undercover work affected major events of the war.














Author : Sean Stewart Price
ISBN-13: 9781476501222
Publisher: Capstone Press
Publication date: 07/01/2013

bookEditorial Reviews

Children's Literature - Greg M. Romaneck

The Second World War was fought on many fronts encompassing virtually the entire world. One important but little known theater of operations in the war was that of espionage. All of the major combatants in World War II had intelligence agencies that used field operatives to gather vital information. In some cases those agents were highly successful in capturing secret information, communicating it back to their handlers, and then living to see the results of their efforts. In other instances, spies were captured, tortured, and executed with little to no effect on the course of the war. It is the stories of a select group of World War II spies that writer Sean Stewart Price presents in this illustrated publication. In telling the stories of these shadow warriors, Price does a first rate job of both detailing the efforts of the selected spies as well as describing them in ways that bring them to life.

For example, Josephine Baker was a famous singer and nightclub performer who emigrated from the United States to France due to prejudice aimed at African Americans in her homeland. Josephine Baker was also a spy who gathered information from her contact with German officers who took in her show in Paris. At great risk to herself and her family, Josephine Baker smuggled intelligence information out of France thereby making her contribution to the Allied war effort. It is stories such as this one that make World War II Spies an informative and interesting read. Reviewer: Greg M. Romaneck.

bookMeet the Author

Sean Stewart Price has written more than 50 books for children and teenagers, and his biography "Front Page Lives: Benazir Bhutto" garnered a starred review from Booklist. He has edited nine books for teachers and contributed to numerous text books and reference works. A former managing editor of "Junior Scholastic" magazine in New York, Price has written articles for publications such as "National Geographic Kids" and "The New York Times Upfront". He lives with his family in Alabama.

Castellane Boni de

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Castellane Boni deBoniface de Castellane, né Marie Ernest Paul Boniface, comte de Castellane-Novejean, dit Boni de Castellane, est un dandy et homme politique français, né le 14 février 1867 dans le 7e arrondissement de Paris et mort le 20 octobre 1932 à Paris. La prononciation de son nom de famille est Caslane en omettant le te du milieu. Issu d'une illustre et antique lignée originaire de Provence (voir la Maison de Castellane), fils d'Antoine de Castellane, marquis de Castellane-Novejean et de la marquise, née Madeleine Anne Marie Le Clerc de Juigné, Boni de Castellane partage son enfance entre la résidence de ses parents 27, rue de Constantine (Paris 7e) et le château de Rochecotte en Indre-et-Loire, appartenant à sa grand-mère, Pauline de Talleyrand-Périgord, marquise de Castellane.

Il fait ses études au Collège Stanislas de Paris, à l'école Sainte-Geneviève puis au collège des Oratoriens de Juilly (Seine-et-Marne). Après avoir échoué à l'oral de Saint-Cyr, il effectue son service militaire en 1885 au 15e bataillon de chasseurs à pied à Fontainebleau en Seine-et-Marne, puis à Sampigny dans la Meuse. Il voyage en Italie en 1892, au Portugal et en Espagne en 1893. En 1894, il rencontre, à Paris, chez Fanny Read, Anna Gould, fille d'un milliardaire américain, Jay Gould, qu'il épouse le 4 mars 1895 à New York. La nouvelle comtesse de Catellane est fort laide, petite, légèrement bossue, ce qui fait dire aux mondains de l'époque: « Elle est plus belle, vue de dot ! » Le couple s'installe à Paris la même année, d'abord avenue Bosquet. Il voyage en Angleterre. Naissent alors trois garçons, Boniface (1897-1946), Georges (1898-1944), et Jay (Jason) (1902-1956) et une fille, Marie-Louise, en 1896, morte en bas-âge.

En avril 1896, on pose la première pierre du Palais Rose, nouvelle résidence des Castellane, construite par Ernest Sanson, à l'angle de l'avenue du Bois (aujourd'hui avenue Foch) et de l'avenue de Malakoff. On raconte que le jour de son inauguration, Boni de Castellane eut le geste inédit de régler - dans la limite de 500 francs - les loyers des paroissiens nécessiteux1 de Saint-Honoré d'Eylau, sa paroisse. Le journaliste Lucien Corpechot le décrit : « En haut de son escalier de marbre, sanglé dans sa redingote grise fleurie d'un œillet pourpre, tendant vers les épaules, bombant la poitrine, creusant les reins, la tête en arrière, le nez au vent, des yeux bleus, le teint clair, les cheveux blonds, gai et souriant, grave néanmoins, sentant la noblesse en toutes ses manières, un rien de glorieux, mais avec quelle aisance… »

En 1897, le couple achète un trois-mâts, le Walhalla, sur lequel Boni de Castellane et Anna Gould effectuent une croisière en Norvège et en Russie. La même année, il acquiert le château du Marais en Essonne, avec 1 200 hectares de terre, et le château de Grignan dans la Drôme en 1902. Le 8 mai 1898, Boni de Castellane est élu député des Basses-Alpes dans la circonscription de Castellane. Réélu le 27 avril 1902, son élection est invalidée, mais il est réélu le 15 janvier 1903. Il est réélu le 6 mai 1906 et son élection est de nouveau invalidée, mais il n'en est pas moins réélu le 30 septembre 1906. Il est battu le 2 mai 1910. En 1899, Boni participe aux régates de Cowes en Angleterre avec l'Anna, construit spécialement. En 1900, il effectue un nouveau voyage aux États-Unis, puis un autre en 1903. La même année, il effectue une croisière à Malte, Constantinople et Venise.

Son épouse, dont il présentait la chambre avec un ton de guide de musée sous les commentaires du type : « voilà le revers de la médaille », ou pire encore : « voilà la chapelle expiatoire », se lasse des frasques de son mari volage autant que de ses dépenses immodérées. En janvier 1906, Anna Gould demande la séparation de corps. Le divorce est prononcé le 5 novembre 1906. Boni de Castellane quitte le Palais Rose inachevé, et où son chiffre sera effacé après le remariage civil d'Anna Gould avec le duc de Talleyrand - cousin de Boniface4 - et s'installe chez ses parents rue de Constantine, avant d'acheter un appartement, 2, place du Palais-Bourbon. Il demande l'annulation de son mariage à la Sacrée Rote de Rome qu'il obtient en 1924.

Il devient courtier en objets d'art ; « (…) son goût inné lui permit de guider dans leurs achats les étrangers fortunés, notamment américains. On peut considérer qu'il est le père des grandes collections américaines » (Éric Mension-Rigau, 8 novembre 2009). Le 13 février 1918, l'antiquaire parisien René Gimpel le décrit ainsi dans sa galerie de la rue La Boétie : « Sa poitrine est trop bombée, ses épaules trop carrées, sa taille trop pincée. Il est très dandy, très blond, encore vert, trop vert, très charmeur, trop poupée, et très grand seigneur. » Engagé volontaire en 1914 (à l'âge tardif de 47 ans), il sert pendant quelques mois en tant que sergent interprète auprès de l'armée britannique au Havre, où il s'ennuie terriblement. Après quelques mois, « Une circulaire de Millerand vint m’aider à me sortir d’embarras : elle renvoyait dans leurs foyers tous les hommes de la classe 87 ». Il vend alors son appartement à Emilio Terry et s'installe à l'hôtel Ritz. En 1915, il se rend à Rome pour obtenir l'annulation de son mariage. En 1918, il achète un hôtel particulier, 71, rue de Lille, où il reçoit des personnalités politiques étrangères réunies à l'occasion de la conférence de la Paix.

En 1919, il voyage en Suisse, et rend visite à l'ex-empereur d'Autriche Charles de Habsbourg-Lorraine en exil à Prangins. Albert Besnard fait de lui un portrait qu'il refusera : « Albert Besnard… réussit à me donner l'air d'un noceur affalé contre une colonne à la sortie de chez Maxim's ! » En 1921, il subit les premiers symptômes d'une encéphalite léthargique. Il séjourne fréquemment à Pau et à Londres, vend son hôtel particulier et achète un appartement avenue Victor-Emmanuel III (l'actuelle avenue Franklin-D.-Roosevelt). En 1924, il fonde l'association La Demeure historique, avec le docteur Joachim Carvalho. Il meurt à Paris le 20 octobre 1932 des suites de sa maladie.

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