Issue d'une famille modeste, Lucia Bosè entre à quatorze ans comme dactylo dans le cabinet d'un avocat. Elle devient ensuite vendeuse dans une pâtisserie. Une de ses amies envoie une photo de Lucia au comité d'un concours de beauté : elle franchit toutes les étapes jusqu'au titre suprême de Miss Italie 1947, malgré l'opposition de son père et de son frère. L'année 1947 est d'ailleurs à marquer d'une pierre blanche puisque Gianna Maria Canale, future reine des Amazones, arrive deuxième au concours et Gina Lollobrigida troisième. Laurence Schifano, auteur de plusieurs ouvrages sur Luchino Visconti, éclaire d'une lumière plus intense et nuancée les débuts de Lucia :
« En entrant dans une pâtisserie de Milan - la pâtisserie Galli de la via Victor Hugo, célèbre pour ses panettones, Luchino Visconti a remarqué une petite caissière de seize ans à la taille élancée, aux grands yeux mélancoliques, au maintien si racé qu'on la prendrait pour une Visconti. "Vous, lui a-t-il dit, vous ferez un jour du cinéma, j'en suis sûr." Le lendemain, l'ami qui l'accompagnait revient [...] : "Vous savez qui vous a parlé hier ?... Luchino Visconti..." Qui est Visconti, elle ne le sait pas, cette petite employée qui trime depuis l'âge de douze ans, qui est née dans une ferme des environs de Milan et a vécu son enfance dans la pauvreté et la peur des bombardements. Mon univers, dira-t-elle, se réduisait au comptoir d'une pâtisserie. L'évasion, pour moi, c'était la ligne 26, Monforte, Scalo, Porta Romana, Ripamonti, Porta Vigentina. Il y avait Sergio, mon premier amoureux, et l'Idroscalo. C'était tout. Jusqu'au jour, un an plus tard, où sa photographie s'étale en première page des journaux : elle vient d'être élue Miss Italie par le jury d'un concours de beauté présidé et financé par la GiViEmme, la célèbre firme de cosmétiques des Visconti. Du jour au lendemain, elle est couverte de cadeaux, d'invitations, de propositions. Le rêve de milliers de jeunes filles se réalise pour elle : 100 000 lires pour un sourire, raconte-t-elle... Un million et plus pour un beau visage... À l'époque, c'était la richesse, le succès. L'Italie, notre Italie d'alors vivait dans l'espérance du million capable de changer une vie... Sans aucun doute, c'est alors que naquit Lucia Bosè.
Et que naquirent ses relations avec la famille Visconti : Edoardo [frère de Luchino] tombe amoureux d'elle, devient son amant. Luchino décide de lui faire tourner cette Chronique des pauvres amants que devrait financer son frère et qu'elle devrait interpréter au côté de Gérard Philippe et Marguerite Moreno. Mais les choses tournent mal, pour le film, et pour les amours de Lucia. Et Luchino la recueille chez lui, veille sur elle - elle souffre alors de tuberculose -, empêche Edoardo de la revoir... De la destinée de Lucia, quelque chose restera dans le futur Bellissima. » — Laurence Schifano, Visconti, les feux de la passion, Flammarion 1989
Lucia Bosè tourne un essai pour Riz amer filmé par Giuseppe De Santis mais rate le rôle au profit de Silvana Mangano : l'héroïne, ouvrière des champs en short haut et ajusté, fait de Mangano une star internationale. Bosè débute au cinéma sous la direction du même réalisateur dans Pâques sanglantes (it:Non c'è pace tra gli ulivi), coscénarisé par Carlo Lizzani, au succès bien moindre. C'est Michelangelo Antonioni qui la révèle, mystérieuse et émouvante dans sa réserve, dans deux joyaux méconnus, coécrits par Francesco Maselli. Pourtant, pour La Dame sans camélia, Antonioni souhaitait Gina Lollobrigida. L'actrice, consacrée par le nouveau cinéma italien, s'illustre encore dans Les Fiancées de Rome (it) de Luciano Emmer et Onze heures sonnaient de De Santis ; Mario Soldati, Giorgio Simonelli, Francesco Maselli la dirigent. Lucia est associée à plusieurs reprises au jeune premier Walter Chiari - à qui de brèves fiançailles l'unissent. Steno et Mario Monicelli, Francesco Rosi, Luigi Zampa, Ettore Scola participent à l'écriture de certains de ses films, dans ce temps de grande vitalité de la création cinématographique italienne.
En 1954, elle est éclipsée par une toute jeune Brigitte Bardot dans un mélodrame d'espionnage. L'année suivante, Lucia Bosè épouse le matador Luis Miguel Dominguin, qui vient de rompre avec Ava Gardner, et s'installe en Espagne. L'actrice travaille alors avec Juan Antonio Bardem (Mort d'un cycliste condamné par la censure franquiste) et Luis Buñuel. Après une apparition dans Le Testament d'Orphée de Jean Cocteau, Lucia Bosè se retire. La mythique interprète d'Antonioni ne revient sur les écrans qu'en 1968, année de son divorce. Le fils issu de cet amour, Miguel Bosé, mène une carrière d’acteur et de chanteur en Europe, principalement en Espagne. Certes l'ex-égérie du néoréalisme littéraire collabore de nouveau avec des compatriotes prestigieux : les frères Taviani et Federico Fellini, Mauro Bolognini à trois reprises, Liliana Cavani, au cinéma et à la télévision. Certes la rivale de Silvana Mangano, digne de succéder à Isa Miranda et Alida Valli, fréquente le meilleur cinéma d'auteur : Marguerite Duras, qui lui offre une improbable conversation avec Jeanne Moreau et Gérard Depardieu, Daniel Schmid, Jeanne Moreau (pour son film-essai sur les actrices Lumière) l'emploient. Certes l'icône joue George Sand, la comtesse Bathory, Dona Elvira dans L'Avare de Molière.
Cependant il manque à Miss Italie 1947 un premier rôle dans un film populaire. Lucia Bosè participe également au célèbre et polémique Chronique d'une mort annoncée de Francesco Rosi, cependant sa composition est reléguée au second plan. Discrète, comme elle était déjà à l'époque de sa gloire dans ses rôles les plus beaux, Lucia Bosè promène depuis quarante ans sur des écrans exigeants la nostalgie d'une époque bénie. Le cinéphile se souviendra de sa beauté ensorcelant Raf Vallone, Massimo Girotti ou Georges Marchal, dans Chronique d'un amour ou Cela s'appelle l'aurore...