publier le 12/04/2012 à 17h49 par Gilles Bridier
Figure de la Résistance avec sa femme Lucie, Raymond Aubrac poursuivit son engagement bien après la libération de la France. Et délivra avec elle un message aux
jeunes générations: «Oser, c’est créer».
Hô Chi Minh, Lucie Aubrac et sa fille Elizabeth, en 1946
Dans le couple, c’est Lucie qui capte la lumière. Parce son aventure est peut-être la plus romantique. C’est elle
qui organisa les évasions de Raymond, son mari, lorsqu’il fut prit par l’ennemi. La première fois, elle ne
s’appelait pas encore Aubrac. Et c’est son personnage qui sera porté à l’écran sous les traits de Carole Bouquet, pour incarner l’engagement féminin dans la Résistance.
Mais Raymond a aussi été une figure de la lutte contre le nazisme, avec elle à son côté, ou l’inverse, si bien
qu’on n’imaginerait pas de les séparer dans une lutte qu’ils menèrent ensemble jusqu’à plus de quatre vingt-dix ans chacun, lorsqu’ils cosignèrent en 2007 la préface du livre L’autre
campagne.
Ils y dénonçaient « l’égoïsme, le repli sur soi, la peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général eu bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie ». Avec
ce message rédigé à deux, pour les jeunes générations : «Résister, c’est oser. Et oser, c’est créer.» Le même message de Stéphane Hessel dans Indignez-vous.
Raymond, Samuel de son nom, est un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées lorsqu’il fait la connaissance, à
Strasbourg, d’une jeune enseignante, bourguignonne de souche. La guerre vient d’éclater lorsqu’ils se marient, en décembre 1939. Raymond endosse l’uniforme, est fait prisonnier et déporté à Sarrebourg. Lucie organise son évasion, la première. Le couple se réfugie à Lyon.
Il leur faut changer de nom: Raymond choisit celui d’un personnage de roman, commissaire dans une série
policière en vogue. Ce sera Aubrac. A Lyon, il rencontre Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Ensemble, avec Lucie, ils vont créer un journal clandestin, «Libération», qu’ils lanceront en 1941.
Avec d’Astier, Raymond participe à la création du réseau Libération-sud, organise des sabotages, forme les
recrues. Il devient membre de l’état-major de l’armée secrète. Par deux fois, la Gestapo de Lyon l’arrête. Par deux fois, Lucie parvient à le libérer. La deuxième arrestation prend une tournure dramatique : pris dans une rafle en même temps que
Jean Moulin, Raymond est enfermé
à la prison de Montluc. Il sera torturé. Face à lui, Klaus Barbie.
Lucie est enceinte de leur deuxième enfant. A la tête d’un commando, elle parvient à délivrer quatorze prisonniers
lors d’un transfert en camion. Raymond fait partie du groupe.
Contraints à la clandestinité, Raymond et Lucie avec leur fils Jean-Pierre partent en avion pour Londres. Quelques jours plus tard, Catherine, leur deuxième enfant,
voit le jour. Le mythe de Lucie naissait en même temps.
Elle fonde un journal, il démine
L’engagement reprit pour Raymond, plus conventionnel, à Alger, au côté du général de Gaulle. Il hésita alors à
reprendre son nom. Il craignait les mesures de rétorsion pour les membres de sa famille prisonniers. C’est donc sous le nom d’Aubrac qu’il signa ses premiers textes officiels. Il le conservera,
même une fois l’armistice signé, lorsqu’il sera nommé Commissaire régional de la République à Marseille.
La responsabilité est énorme, il y revenait encore à la fin de sa vie:
«Ni le général de Gaulle ni la Résistance ne voulaient de l’administration militaire que les Etats-Unis avaient mise sur pied pour les pays occupés, après leur libération.
Il avait été prévu de nommer un commissaire de la République dans les dix-huit régions du pays, avec tous les pouvoirs pour rétablir la légalité républicaine. J’ai nommé des préfets, créé des
tribunaux… Nous avions tous les pouvoirs de l’appareil d’Etat, législatif, exécutif, et judiciaire. J’ai par exemple exercé le droit de grâce dans plusieurs dizaines de cas. Et j’ai pris environ
1.550 arrêtés, toujours sous le pseudonyme de Raymond Aubrac. C’était une mission de transition, pour
réorganiser le pays et éviter que les alliés ne s’en chargent.»
La reconstruction du pays est engagée. Alors que Lucie fonde un journal Privilèges de femmes, Raymond, l’ingénieur, est chargé, au sein du ministère de la Reconstruction, d’organiser et de réaliser le déminage de
toute la France. «C’était une mission dangereuse, urgente et compliquée, que nous avons menée avec 50.000 prisonniers allemands et quelques milliers de Français pour les encadrer. Nous avons
retiré 13 millions de mines, mais 2500 personnes ont été tuées sur les chantiers. Tout ceci, aujourd’hui, est complètement oublié», commentait-il des décennies plus tard.
L'Indochine, l'Algérie, et l'enseignement
Son engagement, avec Lucie, trouva aussi à s’appliquer dans les luttes anti-coloniales. Dès 1946, juste avant que
la guerre d’Indochine n’éclate, le couple hébergea Hô Chi Minh qui fondera la République démocratique du Vietnam. Raymond restera d’ailleurs toute sa vie un invité d’honneur du pays, où il se rendit encore à plus de 90 ans. Avec
Lucie, il prit également position contre la guerre d’Algérie. En répétant ce passage de l’appel du 18 juin 1940:
«La flamme de la résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas».
Jusqu’à la fin de sa vie, Raymond Aubrac lutta pour diffuser les valeurs d’engagement et de résistance contre
l’intolérance et le racisme. Plus intéressée que lui par l’approche pédagogique, à l’origine de son choix pour l’enseignement, Lucie avait entrepris de donner des conférences dans des lycées et de multiplier les messages en direction des jeunes.
Raymond l’admirait pour sa capacité d’indignation toujours intacte, qu’il partageait. Alors, c’est tout
naturellement qu’il alla lui-aussi à la rencontre des jeunes, dans le sillage de Lucie ou inversement comme au
début de leur engagement commun. Jusqu’au bout.