Marie François Durand de Grossouvre, né le 29 mars 1918 à Vienne (Isère) et mort le 7 avril 1994 à Paris, est un industriel et
un conseiller de François Mitterrand. Il descend d'une famille originaire du Bourbonnais (XVIe siècle) et fixée à Grossouvre comme maître de forges à la fin du XVIIIe siècle. Il est le descendant
direct de Jean-François Durand, seigneur de Grossouvre (1737-1802). Famille de juges et officiers des Basses Marches du Bourbonnais dont la filiation est établie jusqu'en 1596. En 1923, son père,
le banquier Maurice Durand de Grossouvre (notamment directeur de la banque de Salonique puis de la Société Générale à Beyrouth), meurt des conséquences d'une exposition à l'ypérite pendant la
Grande Guerre. François de Grossouvre gardera des attaches affectives fortes avec le Liban (Lydia Homsy, la marraine de son fils cadet Henri, était libanaise).
Élevé en France chez les Jésuites au Lycée Saint-Louis-de-Gonzague dans le 16e arrondissement de Paris et à Franklin, il fait ensuite des études de médecine à Lyon. Bien que n’ayant jamais exercé
la médecine dans le civil, il gardera un intérêt pour le sujet et, quadragénaire, il passera un diplôme de rhumatologie. Il participera aussi à la création de la clinique Saint-Louis à Lyon (dans
le quartier de Vaise) et du centre anti-migraine de Vichy. Quand survient la Seconde Guerre mondiale,
il est affecté comme médecin auxiliaire à un régiment de tirailleurs marocains, et rejoint ensuite une équipe d'éclaireurs skieurs dans le Vercors (où sa mère a une maison) ; il y rencontre le
capitaine Bousquet, membre de l'un des premiers réseaux de l'Organisation de résistance de l'armée (ORA). François de Grossouvre revient à Lyon où il obtient son diplôme de docteur en médecine en
1942, et devient médecin du 11e cuirassiers, commandé par le colonel Lormeau.
Il rejoint quelque temps le Service d'ordre légionnaire (SOL), dirigé par Joseph Darnand, mais en 1943 quitte le SOL pour rejoindre le maquis de la Chartreuse
(près de Grenoble) et participe aux combats du Vercors. Il avait alors le nom de guerre « Clober » de Claudette Berger, sa fiancée qui deviendra son épouse. Pendant la guerre, il rencontre
Pierre Mendès France à bord d’un bombardier. Ce dernier sera à l’origine de la première rencontre entre
François de Grossouvre et François Mitterrand. Ce bombardier français appartient, semble-t-il, à un groupe
de bombardement sous commandement américain. François de Grossouvre disait avoir un grade dans l'armée américaine supérieur à son grade français. À la Libération, il sera établi qu'il était
infiltré au SOL en tant qu'agent de l'ORA. Sous le nom de code de « Monsieur Leduc », il
devient le chef du réseau stay-behind « Arc-en-ciel », installé par l'OTAN en France, dans le cadre de l'opération Gladio.
En 1943, il se marie avec Claudette (dite Claude) Berger, fille de l'industriel Antoine Berger ; six enfants naîtront de ce mariage: Patrick, Xavier, Isabelle, Marie-France, Nathalie, et Henri.
François de Grossouvre s'impose à la tête des sociétés de sa belle-famille : Le Bon sucre (1944-1963) et A. Berger et Cie (1949-1963). Il fonde ensuite la Générale sucrière. Ses liens avec les
limonadiers lui permettent, avec des collaborateurs italiens, l’homme d’affaires Gilbert Beaujolin et le nord-américain Alexandre Patty, d’obtenir une licence exclusive de production de
Coca-Cola. Il s'associe avec Napoléon Bullukian (le parrain de son fils Henri) pour l'embouteillage. C’est la première usine de ce type en France. Il est parallèlement conseiller du commerce
extérieur de la France (1952-1967) et vice-président de la Chambre de commerce franco-sarroise (1955-1962). En 1953, il investit dans la création du magazine L'Express. Il noue à cette occasion
une amitié avec Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber.
François de Grossouvre a aussi repris l’entreprise de soierie Ducharne qu’il développera en lui rattachant la production de fibre de verre (entreprise Ducharne et Verester). Dans les années 1970,
il devient actionnaire majoritaire des quotidiens Le Journal du Centre et La Montagne, deux quotidiens régionaux du nord du Massif central. Alors qu'il était avant-guerre proche des milieux de
l'Action française (il a, jeune étudiant, rencontré Charles Maurras et milité, comme François Mitterrand,
au Parti du nationalisme intégral), il se lie d'amitié avec François Mitterrand lors d'un voyage en Chine en 1959. Ses proches soulignent la fibre « sociale » profonde et sincère de François de
Grossouvre. Il achète une propriété dans l'Allier (non loin de la Nièvre, fief électoral du futur président) qu'il exploite et où il peut s'adonner à ses deux grandes passions, l'équitation et la
chasse4. En 1965, aux côtés de Charles Hernu et d'André Soulier, avocat et élu lyonnais, il fait partie du « triumvirat » de direction de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, que
préside François Mitterrand. Ce dernier, dont il finance une partie de la campagne électorale (salles de
meeting, voyages), le charge notamment de participer aux négociations avec le Parti communiste.
Il prend également un pied-à-terre à Paris et s'active dans l'ombre de François Mitterrand. En 1974, il
devient le parrain de Mazarine Pingeot, la fille qu'Anne Pingeot donne à celui-ci, et veille sur les secrets de la famille Mitterrand, dont aucun ne sera révélé du vivant de Grossouvre. Il jouera
un rôle clé pour le financement des campagnes électorales de François Mitterrand en 1974 et en 1981. Il est nommé dès juin 1981 chargé de mission auprès du Président de la République, qui lui
confie les problèmes de sécurité et les dossiers sensibles, notamment ceux liés au Liban, à la Syrie, à la Tunisie, au Maroc, au Gabon, aux pays du Golfe, au Pakistan et aux deux Corées. Il est
également président du Comité des chasses présidentielles, fonction qu'il conservera jusqu'à son décès, et qu'il utilise pour des rencontres informelles avec des personnalités politiques
nationales ou étrangères. En juillet 1985, il quitte ses fonctions de chargé de mission et devient conseiller international des avions Marcel Dassault (1985-86).
Il conservera néanmoins son bureau élyséen, son appartement de fonction du quai Branly (voisin de celui d'Anne et Mazarine Pingeot), ses secrétaire et gardes du corps du GIGN, avec le budget
correspondant ; surnommé par certains « l’Homme de l’ombre », il continue de recevoir des visiteurs importants à l'Élysée ou ailleurs. Ces activités difficilement contrôlables n'ont pas manqué de
susciter des jalousies et François de Grossouvre faisait l'objet d'une surveillance constante. Le 7 avril 1994, peu avant 20 h, son garde du corps, un gendarme du GIGN, le retrouve mort, d'une
balle dans la tête, dans son bureau du palais de l'Élysée, situé au premier étage de l'aile Ouest. Les obsèques de François de Grossouvre sont célébrées le 11 avril 1994 en l’église Saint-Pierre
de Moulins (Allier), où parmi les quelque 400 personnes de l'assemblée, on compte le président de la République François Mitterrand, l’ex-président du Liban Amine Gemayel, des représentants
consulaires du Maroc et du Pakistan, et les anciens ministres socialistes Pierre Joxe, Louis Mexandeau et René Souchon.
L'inhumation du disparu au cimetière de Lusigny se déroulera dans l'intimité familiale avec Amine Gemayel aux côtés de la famille et en présence, non souhaitée par la famille du défunt, du
président de la République. Le suicide présumé de François de Grossouvre a donné lieu à plusieurs versions et contestations. Aucune des thèses soutenant la version de l'assassinat ne s'est
imposée à ce jour. Le 7 avril 1994, peu après 23 heures, la présidence de la République annonce la mort de François de Grossouvre. Ce soir-là, il devait se rendre pour le dîner chez un ancien
premier ministre gabonais. En homme raffiné (on le surnommait le duc de Guise), il fait envoyer à 18 heures un bouquet de fleurs à la maîtresse de maison avec un petit mot : « Je me réjouis
d'être avec vous ce soir ». Vers 20 heures, un gendarme venu lui apporter un télégramme découvre François de Grossouvre mort assis dans son fauteuil, un Manurhin MR-73 de calibre .357 Magnum à la
main. Bizarrement, personne n'a entendu le coup de feu à l'Élysée, pas même le gendarme en faction sous sa fenêtre, alors que l'arme utilisée est de très gros calibre, qu'il y a « du sang
jusqu'au plafond » (dixit le docteur Gubler, médecin personnel de François Mitterrand, dans Le Grand
Secret).
L'enquête judiciaire, écourtée (il n'y a notamment pas eu d'expertise balistique), conclut au suicide malgré des indices troublants : le rapport d'autopsie précise que le corps présentait « une
luxation avant de l'épaule gauche et une ecchymose à la face », alors que le corps de François de Grossouvre a été retrouvé assis dans son fauteuil. D'après une source contradictoire, Daniel
Gamba, gendarme du GIGN affecté à la sécurité du Président de la République à l'époque, le bruit de l'arme à feu aurait alerté son garde du corps, qui se serait précipité dans le bureau de
François de Grossouvre. Des proches du pouvoir ont soutenu que François de Grossouvre était dépressif, ne supportant pas le fait de vieillir et vivant mal sa progressive mise à l'écart… C'est la
thèse que soutiendront notamment le docteur Gubler, dans son livre Le Grand Secret et Pierre Favier et Michel Martin-Roland dans La Décennie Mitterrand, tome 4. Mais cela a été démenti par le médecin traitant, le docteur Claude Loisy, la famille et des
amis de François de Grossouvre.
Dans Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, Pierre Péan indique que le responsable des chasses faisait tout pour diffamer le président Mitterrand. François de Grossouvre
était dégouté par l'affairisme du président et de nombreux socialistes arrivés au pouvoir. Il serait allé, indique l'enquêteur, jusqu'à proposer ses services à Jacques Chirac en 1988 via Omar
Bongo. Ce dernier, outré d'une pareille trahison, n'aurait pas donné suite. Le suicide de François de Grossouvre fait l'objet d'une polémique médiatique. Certains tentent de minimiser l'événement
en le ramenant au rang de simple fait divers, alors que d'autres font le lien entre l'acte tragique et les affaires de l'État que François de Grossouvre a eu à connaître lors de son passage à
l'Élysée, voire les affaires d'État qu'il aurait pu révéler, ou encore les affaires de famille et les secrets par lesquels il était lié (l'existence de Mazarine Pingeot ne sera révélée au grand
public que quelques mois plus tard).
La journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué revient, dans Le Dernier Mort de Mitterrand, sur le parcours de
François de Grossouvre, sa relation avec Mitterrand et sa mort. Elle dit avoir interrogé une cinquantaine de personnes (anciens ministres, collaborateurs, gardes du corps…) et affirme n'avoir
trouvé aucune preuve d'un assassinat. Elle détaille aussi la façon dont l'Élysée, paniqué, songea d'abord à faire transporter le corps à l'extérieur (au point d'appeler une ambulance militaire),
puis envoya les gendarmes du GSPR quai Branly - où François de Grossouvre vivait au-dessus de l'appartement réservé à Anne Pingeot et Mazarine Pingeot - afin de le fouiller avant l'arrivée de la
police judiciaire. Le livre de Raphaëlle Bacqué provoque une réaction de la famille de Grossouvre, qui conteste son approche, ses conclusions sur le décès et s'interroge sur les raisons de la
parution de cet ouvrage.
Le pamphlétaire Jean Montaldo, dans la presse, puis dans son livre Mitterrand et les 40 voleurs, et le capitaine Paul Barril tenteront d'accréditer l'idée d'un assassinat de François de
Grossouvre. Dans son livre Guerres secrètes à l'Élysée (qui lui valut d'être condamné le 27 mai 1997 par le tribunal correctionnel de Paris parce qu'il diffamait Gilles Ménage, ex-directeur
adjoint de cabinet du président François Mitterrand, et Michel Charasse), Paul Barril suggère la thèse de
l'assassinat.
Des éléments précis étayent cette version :
- l'absence d'enquête sérieuse, notamment auprès des personnes présentes ce soir-là à l'Élysée ;
- la disparition de la totalité de ses notes au Président de la République, de nombreuses autres archives et surtout du manuscrit de « souvenirs » que François de Grossouvre rédigeait ;
- la luxation de l'épaule gauche de la victime, découverte lors de l'autopsie, qui pourrait être due au fait qu'il aurait été maintenu de force sur son fauteuil lors du « suicide » ;
- le bruit de la détonation de l'arme qui n'a pas été entendu : il aurait pu être masqué pour éviter que le garde du corps, demeurant à proximité, n'intervienne trop vite ;
- la dégradation continue des relations entre la victime et François Mitterrand rapportée par des familiers ;
- des remarques de François de Grossouvre vers la fin de sa vie affirmant qu'il se sentait menacé : « ils vont me tuer... » ;
- les suicides en série : Pierre Bérégovoy, le capitaine Pierre-Yves Guézou.
Plusieurs des enfants de François de Grossouvre ayant commencé des recherches sur la mort de leur père, ont reçu des menaces anonymes et deux ont même été mis en garde directement par François Mitterrand qui les a, peu après la mort de leur père, en avril 1994, découragés d'entreprendre des «
recherches inutiles ». Les derniers mois de sa vie, François de Grossouvre invitait régulièrement des journalistes pour leur faire des confidences sur les dérives du pouvoir mitterrandien, et il
rédigeait des mémoires. Selon Frédéric Laurent, Dominique Venner et François d'Orcival, après avoir quitté ses fonctions officielles en 1985, il continuait à être chargé par le président de la
République française de missions de diplomatie parallèle dans des pays sensibles (Golfe, Maroc, Liban, deux Corée, Pakistan) et continuait aussi à être un personnage clé du système Stay-behind,
et cela jusqu'à la fin de sa vie.
Selon Jean Lacouture, Pierre Favier et Michel Martin-Roland, François de Grossouvre n'occupait plus aucune
fonction, et n'avait d'ailleurs joué qu'un rôle marginal entre 1981 et 1985 alors que François de Grossouvre a joué un rôle important de coordination des services de renseignements et de missions
de diplomatie secrètes confiées par François Mitterrand. François de Grossouvre était jusqu'à la fin de sa
vie officiellement président du comité des chasses présidentielles où étaient régulièrement invités des chefs d'États, des diplomates, et des responsables gouvernementaux. Un autre mobile évoqué
un temps a été sa connaissance supposée des relations entre la France et de nombreux pays africains, particulièrement le Rwanda, en raison de la coïncidence de sa mort (le lendemain) avec
l'attentat du 6 avril 1994 contre le président rwandais.
La journaliste Colette Braeckman, spécialiste des affaires africaines du journal Le Soir de Bruxelles (qui a soutenu que la France pourrait être mêlée à l'attentat), affirme que l'une des
dernières paroles de Grossouvre aurait été « Les cons, ils n'ont pas fait ça ». Le rapport sur le génocide au Rwanda, Aucun témoin ne doit survivre, réalisé conjointement par La Fédération
internationale des droits de l'homme et Human Rights Watch (dont la branche africaine est qualifiée par Filip Reyntjens, Bernard Lugan et Pierre Péan d'officine FPR), évoque dès 1998 dans sa version anglaise, le rôle de François de Grossouvre à deux reprises,
et souligne cette coïncidence de dates. De mars 2004 à 2011 la version de l'enquête du juge Jean-Louis Bruguière, celle du journaliste Pierre Péan et celle de l'ancien lieutenant de la branche armée du FPR A. J. Ruzibiza concluaient que c'est le FPR qui
aurait commandité cet assassinat.
Depuis 2012, l'enquête approfondie par le juge Marc Trévidic, successeur du juge Bruguière, après notamment son déplacement à la tête d'une équipe d'enquêteurs au Rwanda et une enquête
balistique, a remis en cause cette version française en désignant le camp militaire des Forces armées rwandaises, soutenues par la France, comme lieu de tir le plus probable. Des questions sur
une implication française ont également été relancée à partir d'un faux certificat de "genre de mort" d'origine militaire de deux gendarmes français au Rwanda juste après l'attentat et d'une
perquisition effectuée au domicile de Paul Barril dans le cadre de l'enquête française. Le journaliste Éric Reynaud, dans Suicide d'État à l'Élysée, la mort incroyable de François de Grossouvre
(sorti le 12 mars 2009), est convaincu que François de Grossouvre a été assassiné.