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Bérégovoy : théories et contre-théories du complot

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Le Nouvel Observateurpublié le 30/04/2008 à 19h30 par Pascal Riché



Un documentaire de France3 défend la thèse de l’assassinat de l’ex-Premier ministre. Un livre s’attaque à cette rumeur tenace.

Pierre BérégovoyLes amateurs de théories du complot peuvent se réjouir : France3 s’apprête à diffuser, le 3 mai, un documentaire suggérant que Pierre Bérégovoy ne s’est pas donné la mort, mais a été assassiné. Aux antipodes, donc, d’un autre documentaire récemment diffusé par France2 dans le cadre de l’émission Un jour, un destin, et qui s’employait à mettre en lambeaux la thèse du meurtre.

Selon la version officielle, admise par la plupart des médias et des proches de l’ancien Premier ministre, ce dernier s’est tiré une balle dans la tête au bord d’un canal nivernais, il y a quinze ans jour pour jour, un mois après l’échec de la gauche aux élections législatives de mars 1993.

Mais les hypothèse d’une conspiration n’ont jamais cessé de circuler depuis le drame. L’une d’entre elle évoque par exemple « deux plongeurs » qui auraient attendu Béré dans l’eau du canal... Une équipe, a affirmé un ancien commissaire des RG en 2001, le suivait pas à pas...

« Pierre Bérégovoy s’est suicidé » « Ah ? Il est déjà 18 heures ? “

Le documentaire de France3, signé Francis Gillery, épouse franchement la thèse d’un assassinat. Dans la version que nous avons visionnée, il débute même par une scène, façon docu-fiction, assez brutale. Un huissier frappe à une porte, dans le silence d’un palais de la République : ‘ Monsieur, excusez moi de vous déranger, mais Pierre Bérégovoy s’est suicidé.’ L’autre personnage (invisible) répond : ‘ Ah ? Il est déjà 18 heures ? Cette introduction accusait trop clairement François Mitterrand d’avoir trempé dans un assassinat : la chaîne publique a demandé qu’elle soit coupée ; Gillery a accepté.

La première partie du documentaire campe le portrait de Pierre Bérégovoy en monsieur propre’ . L’homme intègre qui aurait, la mort dans l’âme, accepté de fermer les yeux sur de très nombreux scandales (Urba, les frégates, Magny Cours, les écoutes...), et qui, donc, en savait trop. Seconde partie : une énumération des ‘ faits troublants’ liés à sa disparition : le rapport d’autopsie n’a jamais été communiqué à la famille, aucune expertise balistique n’a été effectuée, la position étrange du corps, l’arme (un 357 Magnum) qui ne colle pas avec la blessure, les témoignages ‘ fantaisistes’ du chauffeur et du garde du corps, etc. Sans parler de certains témoins qui attestent que Pierre Bérégovoy n’était pas dépressif, mais songeait au contraire à se lancer dans la course de la présidentielle. Le tout est accompagné d’une musique de film d’horreur (coups d’archets de violons suraigus et dissonnants), et d’insinuations sur le rôle qu’auraient pu jouer dans l’affaire François Mitterrand ou son âme damnée Michel Charrasse.

Autant dire que cette émission hérisse par avance les proches de l’ancien Premier ministre : ‘ Encore une théorie fumeuse ? C’est hallucinant ! , me déclare Vincent Sol, gendre de Béré, qui avait sa confiance :

    Qu’est-ce qu’ils s’imaginent, que le garde du corps était complice ? Si vous aviez vu son état de détresse après la mort de mon beau père ! A l’exception de son épouse [Gilberte, décédée en 2001, ndlr], tous ceux qui l’entouraient juste avant sa mort sont convaincus qu’il s’est bien suicidé, ils n’ont pas l’ombre d’un doute !

Avant sa mort, Pierre Bérégovoy m’a remis deux lettres’

Dans le documentaire de Gillery, l’ancien commissaire des RG Hubert Marty Vrayance parle d’une ‘ équipe’ qui était chargée de suivre Béré (mais Gillery ne précise pas que ce témoin, croit aussi à d’autres complots et qu’il est considéré comme un mythomane par son ancienne hierarchie).

A la fin du documentaire, un autre témoin, Pascal Mornac, musicien bourbonnais, affirme avoir rencontré aux abords du lieu du drame, AVANT l’arrivée du garde du corps et du chauffeur, mais après les coups de feu, une très hichckokienne petite dame ‘de type XVIe arrondissement’ et deux mastards au crâne rasé engoncés dans des costumes, qui lui ont demandé de vider les lieux. Question : pourquoi Mornac a-t-il gardé ce lourd secret pendant quinze ans ? Il n’a pas souhaité nous répondre.

Bérégovoy le dernier secretSur plusieurs de ces ‘ faits troublants’ et de ces ‘ zones d’ombre’ , un livre apporte pourtant des réponses. ‘Bérégovoy, le dernier secret’ est une enquête rédigée par un journaliste du Monde, Jacques Follorou. Le livre regorge d’anecdotes tendant à tordre le cou à l’idée selon laquelle Bérégovoy était, en avril 1993, ‘ un battant prêt à se relancer dans d’autres batailles’ . Oui, Béré a vécu une descente aux enfers, oui, il était un homme brisé par l’affaire Pelat (affairiste qui lui avait prêté un million de francs pour l’aider à l’achat d’un appartement) et épuisé par l’échec aux municipales, qu’il se reprochait. Jacques Follorou apporte également un témoignage capital, celui du gendre de Pierre Bérégovoy, l’avocat Vincent Sol :

    ‘ Plusieurs semaines avant sa mort, mon beau père, Pierre Bérégovoy, m’a remis deux lettres. La première m’était adressée, je l’ai ouverte, il me demandait de m’occuper de sa famille après sa mort. La seconde était au nom de François Mitterrand. On ne l’a pas ouverte, mais il devait lui annoncer la même chose qu’à moi ; sa volonté de disparaître. Je lui ai dit que vraiment il ne pouvait envoyer une telle lettre au chef de l’Etat, alors on l’a déchirée.’

Sol nous a confirmé cette anecdote. Hélas, il n’a pas gardé la lettre : ‘Quand il me l’a remise, j’étais furieux, je l’ai déchirée et jetée devant lui’, nous raconte-t-il.

Follorou, enfin, affirme avoir eu, lui, accès au dossier judiciaire. Il restitue les éléments de l’enquête sur les causes de la mort du socialiste.

Il balaye par exemple la rumeur selon laquelle Bérégovoy serait mort après avoir reçu deux balles dans le corps. L’autopsie a eu lieu à l’institut médico-légal de Paris, au lendemain du drame qui, à l’époque, soulève une immense émotion en France. ‘ Le tir est à bout touchant’ conclut le texte cité par notre confrère, ‘ il n’y a pas d’autres lésions violentes’ . Bérégovoy est donc bien mort d’une seule balle tirée dans la tempe droite et ressortie par le front gauche. Des traces de poudre sont retrouvées sur sa main droite et sur sa chemise. C’est la même poudre que celle de l’arme trouvée à côté de son corps. Ce n’est pas tout : l’analyse toxicologique révèle l’absorbtion d’antidépresseurs les deux jours précédent le suicide.

L’énigme du ‘carnet noir’

Reste l’énigme du ‘ carnet noir’ dans lequel Bérégovoy prenait des notes, et qui avait étrangement disparu au lendemain de sa mort. Au point que Gilberte Bérégovoy, sa femme, s’interroge publiquement sur les circonstances de sa mort. En réalité, ce ‘ carnet noir’ (un répertoire) n’a jamais été soustrait par des barbouzes. Il a été pris par le directeur de cabinet de Bérégovoy, Didier Boulaud (aujourd’hui maire de Nevers), qui le confie alors à Vincent Sol. Pourquoi ? Pour ne pas dévoiler à l’épouse de Pierre Bérégovoy ‘ l’existence de certaines relations de son mari’ . Boulaud a fait cette confidence face à la caméra dans le documentaire de France2. Un secret d’alcôve qui pourrait, à lui seul, expliquer bien des contradictions, cachotteries, coups de fils mystérieux et autres ‘ éléments troublants’ .

Dans son livre, Follorou retrace l’obsession de Pierre Bérégovoy, à partir de l’affaire du prêt Pelat, pour ses ‘turpitudes passées’ : mouvements d’argent sur son compte BNP dans les années 80, libéralités accordées à lui ou à sa famille par certains hommes d’affaires, comme Roger-Patrice Pelat, Samir Traboulsi ou André Bettancourt. Un récit sans complaisance, qui ébranle l’icone Bérégovoy, mais rend plus crédible encore la thèse du suicide.

Mais le livre ne lève pas entièrement le voile sur les mystères qui ont entouré l’enquête sur la mort du Premier ministre. Follorou cite ainsi quelques extraits du rapport d’autopsie, alors qu’il aurait pu les publier en annexe de son livre. Pour mettre un terme à ces quinze années de polémique, il y aurait un moyen simple : mettre un terme à cette ambiance de secret, tout mettre sur table, rendre public, une fois pour toute, l’intégralité des éléments de l’enquête judiciaire.


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