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Retour sur Oyonnax et sur la commémoration du 11 novembre 2013

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Mediapartpublié le 30/11/2013 à 11h35 par Charles Heimberg

Entre usage et mésusage de l’histoire et du passé, la commémoration d’Oyonnax, dans l’Ain, le 11 novembre 2013, était particulièrement intéressante.

Romans-Petit HenriRappelons les faits, tout à fait singuliers. Le 11 novembre 1943, plus d’une centaine de maquisards des montagnes alentours (les récits donnent des chiffres variables, d’où cette formule prudente, car telle n’est pas la question principale) défilent brièvement dans les rues d’Oyonnax. Leur chef, Henri Romans-Petit, dépose alors sur le monument aux morts de l’agglomération une gerbe portant l’inscription « Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18 ». Une Marseillaise est ensuite entonnée. La démonstration, hautement symbolique et solennelle, ne dure que quelques minutes. Et ses acteurs disparaissent aussi vite qu’ils étaient apparus. Mais l’affaire fait évidemment grand bruit, jusqu’à la radio de Londres.

La population locale, que l’on voit présente et apparemment accueillante sur des images du défilé prises par Marc Jaboulay, le fils d’un maquisard, images qui sont incluses dans un petit film (disponible sur http://www.dailymotion.com/video/xdn5ur_defile-du-11-novembre-1943-a-oyonna_webcam), va payer un lourd tribut dans la région en termes de représailles. La rafle de Nantua du 14 décembre 1943, qui fait suite à une action contre deux personnes accusées de collaboration quelques jours avant, va se solder par de nombreux hommes emprisonnés et déportés, dont beaucoup ne reviendront pas.

Ce 11 novembre 2013, à Oyonnax dans l’Ain, la foule était nombreuse, venue assister à la reconstitution du défilé, avec la présence annoncée du chef de l’État. Beaucoup de figurants s’étaient préparés à cet événement hors du commun. Comme il se doit dans la plupart des reconstitutions historiques de ce genre, l’heure des faits n’a pas été respectée parce que des problèmes d’organisation ont pris le dessus. Mais peu importe. La vraie question était en effet de savoir ce qu’il en a été de la compréhension de ces faits et de leur signification pour aujourd’hui.

La reconstitution du défilé a été longuement attendue dans le froid et s’est déroulée très rapidement, conformément au déroulement de l’événement qu’elle évoquait. Une musique hollywoodienne s’est soudainement répandue dans la rue principale, comme pour créer un suspense à vrai dire assez peu crédible. Les figurants étaient disposés un peu partout ; certains avaient eu de la peine à traverser la foule pour jouer leur rôle de part et d’autre de la reconstitution. Et les acteurs ont défilé au pas de course.

L’attente des badauds avait donné lieu à toutes sortes de commentaires. Comment le président allait-il arriver ? Avait-il fait fermer expressément un aérodrome ? Allait-il rejoindre Oyonnax en voiture ou en hélicoptère ? À côté de ces questions, quelques remarques acerbes s’entendaient aussi ci et là : Ras-le-bol des taxes et des impôts ! ; Hollande, tu nous gonfles… Des adolescents un peu excités se manifestaient bruyamment derrière le rideau des spectateurs frigorifiés, les uns pour se plaindre de ne pas pouvoir aller là où ils voulaient, les autres pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec l’événement qui se déroulait alors.

Je ne sais pas dans quelle mesure cette reconstitution a été ressentie comme crédible par celles et ceux qui s’étaient massés dans la rue principale d’Oyonnax. Mais il m’a semblé, en entendant les badauds, que toute cette mise en scène les avait bien plus plongés dans la Seconde Guerre mondiale que dans la Grande Guerre, même si c’était un 11 novembre... Certes, cela correspondait bien aux faits évoqués ; et il en aurait sans doute été différemment un peu plus au nord… Mais ici, à Oyonnax, c’est bien d’abord et surtout la figure de ces maquisards et de leur démonstration qui était dans les esprits.

Il n’en est toutefois plus allé de même avec le discours de François Hollande. Rares sont ceux, en réalité, qui l’ont vu de visu sortir de sa voiture, hésiter, aller timidement serrer une ou deux mains, comme il est apparu à la télévision. La presse a évoqué avec insistance des sifflets et des contestations qui ont peut-être été exagérés. Et les commentaires sur le discours du chef de l’État retransmis sur écran géant dans tout le parc municipal ont généralement été mitigés ou critiques. Mais ils l’ont rarement été à propos des vrais problèmes qu’il a posés en confondant deux guerres si différentes, aux enjeux si contrastés.

À propos du défilé, François Hollande a en effet déclaré que « c'était-là le plus bel hommage qui pouvait être rendu aux anciens combattants de 14-18 : leurs fils venaient risquer leur vie pour rappeler que leurs pères avaient donné la leur pour la même cause ». Et il a ajouté que « cette cause a un nom : elle s'appelle la liberté. »

Il a souligné un peu plus loin que « 70 ans plus tard, nous sommes réunis aujourd'hui, dans la fidélité du souvenir, pour évoquer deux guerres, deux guerres terribles : la Grande Guerre et celle de 1940-1945. Nous ne les confondons pas. Mais ici, à Oyonnax, elles se répondent l'une, l'autre. »

« Ici à Oyonnax », a-t-il ajouté, avec raison cette fois, il y avait en particulier « des hommes, pas seulement des Français mais aussi des Républicains espagnols, qui portaient le drapeau de la liberté pour tous les peuples du monde. »

Mais il a ensuite posé « cette même question qui revient, qui revient sans cesse : pourquoi se sont-ils battus ? Les poilus de 14, les héros anonymes des tranchées, les femmes qui étaient à l'arrière et qui faisaient vivre le pays. Pourquoi se sont-ils battus, les Français libres ? Les maquisards ? Les résistants ! Pourquoi sont-ils montés au front ? Pourquoi ont-ils pris les armes au sacrifice de leur vie ?

Un mot revient pour répondre : la patrie. Oui, la patrie, c'est-à-dire le legs reçu des générations précédentes mais aussi ce que signifie la patrie, ce qu'elle incarne : une promesse de dignité, de justice et d'émancipation. »

Enfin, dans la foulée de cette patrie recouvrant le sens des deux guerres, et après avoir évoqué une France qu’il fallait aimer, il a encore eu ces mots qui ont parachevé sa confusion des deux conflits mondiaux et de leurs enjeux respectifs : « Ce 11 novembre est dédié à la République. En 1914, la République s'est révélée plus forte que les régimes autoritaires qui croyaient que, parce qu'elle était un État de droit, la République serait un État de faiblesse. Non, la République sait montrer sa force et sa fermeté. »

En réalité, rendre hommage dans le contexte de l’occupation allemande aux soldats de 14-18 dans un esprit patriotique et pour protester, cela n’avait pas du tout le même sens à cette époque que la mise à plat opérée par François Hollande. Rendre hommage aux soldats de 14-18, à leur courage, à leurs souffrances en 2013 ou 2014, cela devrait en effet inviter à une réflexion sur la guerre et ses horreurs, mais cela ne devrait ni justifier une guerre injustifiable, ni affranchir l’État de ses responsabilités morales pour avoir envoyé toute une génération de jeunes gens sur un front meurtrier et mutilant. En outre, la continuité de valeurs avancée par François Hollande est une absurdité ; elle efface toute la notion de lutte contre la barbarie et les fascismes qui a caractérisé la Seconde Guerre mondiale dans sa triple dimension de guerre patriotique, de guerre sociale et de guerre de libération antifasciste (selon les trois enjeux de cette guerre mis en évidence par l’historien Claudio Pavone pour l’Italie des années 1943-1945 dans Une guerre civile : Essai historique sur l'éthique de la Résistance italienne, Paris, Seuil, 2005, édition originale 1991).

Plus significatif encore, comme l’historien Antoine Prost l’a bien souligné dans son article « Commémorer sans travestir. La guerre de 1914-1918 comme grand événement » (Le Débat, 2013/4, n° 176, pp.137-144), l’idée d’une guerre civile européenne de trente ans, de 1914 à 1945, conduirait en quelque sorte, et de manière inacceptable, à exonérer Adolf Hitler de ses responsabilités dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Sans parler, bien évidemment, de la dimension antifasciste de la Résistance qui, du même coup, se trouve ainsi occultée.

Autre écueil et autre simplification, le petit film montrant le défilé d’Oyonnax du 11 novembre 1943 est présenté aujourd’hui avec un fond musical tiré d’un festival de musiques militaires à Saumur (sans indication de date). C’est ainsi une vision très militaire de la Résistance qui est suggérée. Or, nous touchons là une question qui mérite débat. Prenant le contre-pied du dernier livre d’Olivier Wieviorka sur la Résistance (Histoire de la Résistance. 1940-1945, Paris, Perrin, 1945), qui ne porte que sur les organisations de la Résistance stricto sensu, l’historien François Marcot propose, dans un article récent (« Comment écrire l’histoire de la Résistance ? », Le Débat, 2013/5, n° 177, pp. 173-185), « une conception globale de la Résistance formée de deux cercles concentriques, aux limites floues : une Résistance-organisation, qui ne comprend de toute évidence qu’une toute petite minorité, et une Résistance-mouvement sociale qui l’en­globe. Constituée d’une population beaucoup plus large, elle inclut tous ceux qui ont mené des actions individuelles dont la répétition constitue un fait social, et tous ceux dont les actes de soli­darité ont été essentiels à la Résistance orga­nisée. La Résistance-mouvement social n’est nullement en marge de la Résistance-organisa­tion : elle conditionne son existence. » Ainsi, dans le cas d’Oyonnax, et dans ces quelques images du défilé, la présence apparente de la population locale incarne en quelque sorte, et potentiellement, une forme de cette Résistance-mouvement sociale qu’il n’y a pas lieu de négliger.

Dès lors, commémorer une ou des guerres, est-ce renoncer pour autant à la complexité du passé ? Faut-il donc fatalement que tout discours commémoratif qui émanerait du monde politique passe par ces mises à plat, ces simplifications et ces raccourcis ? Certes, dans le cas des deux guerres mondiales, François Hollande et ses conseillers pourront toujours dire que cette vision d’une guerre de trente ans est présente dans l’historiographie récente. Mais le plus important est ici de savoir à quoi sert une telle réification de notre regard sur le passé. Et sans doute s’agit-il dans ce cas de donner raison à l’État et à l’armée, ou en tout cas de ne pas suggérer une critique, pourtant nécessaire, de leur rôle dans la société.

La mise sur le même plan des deux guerres mondiales pose pourtant un problème de fond pour ces passeurs d’histoire que sont les enseignants. Elle crée en effet beaucoup de confusion sur les grandes articulations de l’histoire du XXe siècle. Comme le concept de totalitarisme lorsqu’il est pris dans son sens absolu, elle constitue un nuage de fumée qui empêche toute analyse raisonnée sur les drames de masse de cette période.


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