publié le 13/01/2012 à 21h08 par Jan Friedmann
Le bulletin scolaire de Goebbels, les brouillons du “boucher d’Auschwitz”, les
gobelets des SS, une quantité d’objets ayant appartenu aux nazis s’arrachent lors de ventes aux enchères aux
Etats-Unis, relate Der Spiegel.
Dessin de Mayk, Sydsvenskan, Malmö
Le national-socialisme a encore une valeur à Stamford, dans le Connecticut. Les deux feuillets de texte écrits par Albert Speer, ancien ministre de l’Armement du Reich, lors de son procès à Nuremberg, en 1945, y sont proposés à 10 000 dollars. Un prix somme toute modeste : les brouillons
griffonnés par Josef Mengele, le médecin des camps de concentration [le “boucher d’Auschwitz”], pendant son exil
en Amérique latine, ont été arrachés par un collectionneur privé pour 300 000 dollars. En vente également, la correspondance entre Joseph Goebbels, alors jeune chef de la propagande d’Hitler, avec son Führer, des bulletins scolaires et même des
poèmes et des tragédies signées Goebbels.
Chez Alexander Autographs, la maison d’enchères de Stamford, une bourgade située au nord-est de New York, le marché des reliques nazies est florissant. Le IIIe Reich renaît sur tout un étage du
bâtiment en fond de cour : gobelets à l’effigie des SS, assiettes décorées du portrait du Führer, documents
jaunis. La plupart des objets proviennent d’Allemagne. Les acheteurs, eux, sont curieusement, ces temps-ci, des Russes fortunés.
“Les gens veulent des souvenirs”, explique Bill Panagopoulos, le propriétaire des lieux. Cet ancien pompier de 53 ans pétri de bon sens exerce depuis vingt-cinq ans ce commerce de symboles
militaires et d’objets historiques.
Sur le thème de l’époque nazie, son catalogue propose aussi une écritoire en laiton avec ses encriers et son set à buvards, qui aurait servi à Hitler en 1938 pour signer les accords de Munich [qui ont ouvert la voie à Hitler pour annexer la Tchécoslovaquie], un
meuble ancien qui proviendrait de Berghof, à Berchtesgaden [résidence secondaire d’Hitler dans les Alpes
bavaroises], ou encore une tablette en bois figurant deux oies en plein vol au-dessus de la berge encombrée de roseaux d’un lac. Selon les indications portées sur l’objet, il s’agirait du premier
prix décerné à l’issue d’une partie de chasse à la volaille sauvage organisée par le commandement du camp de concentration de Dachau [en Bavière].
M. Panagopoulos affirme ne guère apprécier tous ces objets, qui distillent “un mauvais karma”. Sans doute est-il sincère : sa famille est d’origine grecque, et le village natal de ses parents a
été brûlé par les troupes allemandes pendant la guerre.
Mais M. Panagopoulos est un commerçant né sur le sol américain, donc très attaché à la liberté d’opinion et à l’économie libérale. Le thème de la Seconde Guerre mondiale serait devenu très populaire aux Etats-Unis. Pour nombre d’historiens, ce business est
assez obscène, et pourtant, rétorque notre homme, “les acheteurs ne sont pas des néonazis”. Certains objets, tel le journal du “docteur” Mengele écrit à Auschwitz sont plutôt achetés par des familles juives aisées, relate le commissaire-priseur.
Nombre de ces pièces ont été envoyées d’Europe par les héritiers des nazis. Et la marchandise ne manque pas, précise M. Panagopoulos.
Même si les universités et les musées sont invités à acheter certaines pièces, les institutions publiques s’exécutent rarement faute de budget. C’est ainsi qu’échapperont sans doute aux
chercheurs des legs importants tels que les déclarations manuscrites d’Adolf Eichmann, l’organisateur de
l’Holocauste, lors de son procès en Israël, ou encore un document que Klaus Barbie, le sulfureux chef de la
Gestapo à Lyon, aurait écrit lors de son arrestation, en 1983. Qui a souhaité vendre ce blabla propagandiste ? La
maison Alexander Autographs n’en dit mot, excepté que ces documents proviennent d’Europe. Mais il y a fort à parier qu’ils appartenaient à François Genoud, le banquier suisse du nazisme, décédé en 1996. C’est cet admirateur du IIIe Reich qui a lancé le
commerce des souvenirs liés à ses idoles nazies, autant pour préserver ces reliques que pour gagner de l’argent. Le commissaire-priseur propose aussi un livre de comptabilité qui a enregistré de
substantielles rémunérations. Il atteste de sommes versées aux médecins personnels d’Adolf Hitler, Theodor
Morell et Karl Brandt, ou encore au maréchal Wilhelm Keitel [commandant des forces armées allemandes]. Le dernier enregistrement comptable date de la mi-avril 1945.
L’ouvrage pourrait provenir de la chancellerie du Reich [détruite en 1945 par l’Armée rouge] mais peut aussi être une copie ou un faux. Les historiens se pencheraient volontiers sur la question.
Mais il n’est pas certain qu’ils aient l’occasion de voir ce cahier.
Repère — Joseph Goebbels
Avant de devenir un haut fonctionnaire nazi, Joseph Goebbels était un étudiant en histoire et en lettres
qui passait son temps à lire et à écrire, et à des passes d’armes amoureuses, comme l’attestent certaines de ses lettres en vente chez Alexander Autographs. Il cultivait notamment une double
relation amoureuse avec les deux sœurs d’un de ses amis de fac. Ce prétendant se montrait (déjà) plutôt brutal. “Mes lèvres sont tout abîmées”, se plaignit ainsi l’une des sœurs après la visite
du jeune homme. Plus tard, en 1923, une autre de ses maîtresses, Else Janke, née de mère juive, écrivit à Goebbels après une dispute “sur la question raciale” : “Ma déception est véritablement un obstacle à la poursuite
de notre vie commune.” Leur relation a toutefois duré jusqu’en 1926 malgré le violent antisémitisme de Goebbels. Celui-ci écrivit dans son journal : “Nous ne pouvons même plus être amis. Un monde nous sépare.”