Jusqu'au milieu de l'année 1942, la Wehrmacht est chargée de la lutte contre la Résistance française, grâce à son
service de contre-espionnage, l'Abwehr, et à sa police militaire, la Geheimefeldpolizei (GFP)
dont une section est établie à Caen, rue Grusse. Cette prérogative allait lui échapper progressivement au profit des SS et du RSHA. Dès
1940, en dépit de l'hostilité de la Wehrmacht, des commandos du Sipo-SD s'établissent à
Paris et dans quelques villes de province, dont Rouen, avec mission de surveiller particulièrement les agissements des communistes. Le tournant décisif se produit en mai 1942 lorsque le général
SS Karl Oberg est nommé
chef suprême des SS et de la police en France. La GFP est dissoute et ses effectifs reversés dans le Sipo-SD.
Le SD-Kommando Rouen installe plusieurs antennes en Basse-Normandie. Celle de Caen: Aussenkommando Caen , s'établit dans l'ancienne maison du docteur Pecker (médecin juif arrêté comme otage
après les sabotages d'Airan), 44 rue des Jacobins. Le service comprend une douzaine d'hommes :
sous les ordres de l'Untersturmführer Henrich Meier, policier professionnel et ancien membre de la Gestapo d'Hambourg.
Comme la plupart de ses collègues, il porte un surnom :" Henri". Il a pour adjoint l'Hauptscharführer Harald
Heyns, dit" Bernard " . Celui-ci parle couramment le français comme Herbert von Bertholdi, "Albert" , appelé
aussi le" policier mondain ".
L'équipe comprend aussi :
- l'athlétique Herman Seif,
- Xavier Vetter dit " Walter", homme au regard fiévreux et peu rassurant,
- Karl Melhose,
- Helmut Althaus,
- les chauffeurs : Max Kramer et Eric Bartels, Heinrich Michaeliss, Karl Ludwig
- et Maurer, le cuisinier du groupe, tous les deux anciens membres de la GFP de Rouen.
L'équipe est renforcée quelque temps plus tard par l'arrivée de Karl Zaumzeil, dit" Charles ", professeur d'histoire à Magdebourg, et dont la correction contraste avec la singulière
brutalité de ses collègues. L'équipe est assistée de Käte Burstorff, interprète, et Gertrud Treiber, la secrétaire.
De gauche à droite : Kart Zaumzeil, Kart Melhose. Henrich Michaeliss, Herman Seif (assis), Maurer, Helmut Althaus, Karl
Ludwig. Herbert von Bertholdi, Xavier Vetter (à demi caché), Käte Bustorf (interprète) et Gertrud Treiber (secrétaire)- Photo prise entre octobre 1943 et mars 1944.
On peut s'étonner que malgré la légende Arthur Friedrich porte un uniforme de la Wehrmacht et non celui du Sicherheitsdienst comme ici mais le fait n'est pas isolé, lire ici un extrait de ce
livre. La plupart des hommes logent dans une vaste et belle demeure, le Château de la Motte. La Gestapo occupe également un superbe hôtel particulier, propriété Legallais-Bouchard au N°1 rue du
Puits de Jacob. Les gestapistes mènent grande vie, fréquentent assidûment certains établissements comme la Vieille Hostellerie tenue par Germaine Marion, maîtresse de" Charles ". Certains
Français gravitent dans l'entourage de la Gestapo comme le sinistre Brière ou la redoutable maîtresse de" Bernard ".
En octobre 1943, celui-ci est appelé dans l'Orne où il est promu à la tête du Sipo-SD d'Alençon. C'est à cette époque que la Gestapo de Caen change de méthode pour lutter contre la Résistance.
Elle s’adjoint les services des auxiliaires de la bande à Hervé pour infiltrer les groupes de Résistance et faire la chasse aux réfractaires. La bande est surtout cantonnée au renseignement En
février 1944," Bernard " est de retour, succédant à la tête de l'antenne de Caen à Meier et" Charles " appelés à Rouen. Cette date marque un changement dramatique dans l'action de la Gestapo
caennaise." Bernard" utilise alors sans vergogne les services de Raoul Hervé et de sa bande. Une traque impitoyable est alors menée contre les résistants et les réfractaires. Après le
Débarquement," Bernard" et ses hommes quittent Caen, mais la Gestapo continue ses massacres jusqu'à la fin du mois d'août.
Le sort des hommes de la Gestapo
Jérôme Skudareck, agent allemand de la Gestapo de Caen, s’évade dans la nuit du 31 décembre 1945 au 1 janvier 1946 de
la prison où il était détenu. En juillet 1952, s'ouvre à la caserne de Reuilly, à Paris, le procès dit de la Gestapo de
Caen. La formule est bien excessive car seuls deux membres comparaissent devant les juges: Karl Ludwig et Joseph Hoffmann, ancien gardien en chef de la maison d'arrêt. Les autres sont jugés par
contumace. Ils ont tous réussi à échapper aux rigueurs de la justice et à disparaître dans la nature.
En septembre 1944, Herbert von Bertholdi,"Albert " , est démasqué dans un bureau américain à Cherbourg où il fait fonction d'interprète. Interné à Foucarville (Manche), les autorités américaines,
à la demande de la sécurité militaire française, acceptent le principe d'un transfert à Caen pour interrogatoire. Mais, lorsque les policiers se présentent quelques semaines plus tard. "Albert "
a disparu. Il a été transféré en Allemagne avec un groupe important de prisonniers. Dès lors sa trace disparaît.
Harald Heyns dit " Bernard ",
chef de la Gestapo de Caen, va, lui aussi, échapper à la justice. Arrêté au printemps 1945 par les Britanniques, il est traduit devant un tribunal militaire en août 1948, accusé d'avoir fait
exécuter des prisonniers canadiens en Normandie. Quelques minutes avant l'audience, il demande à satisfaire un besoin naturel, démonte une tôle d'une vespasienne de fortune et prend la fuite. Nul
ne le reverra !
Herman Seif et Karl Melhose, internés dans le même camp que" Bernard" à Hambourg, disparaissent sans plus de difficultés. Le tribunal militaire de Paris condamne les membres absents à la peine de
mort par contumace. Kart Ludwig écope d'une peine de 15 ans de travaux forcés tandis que Joseph Hoffmann est condamné à perpétuité.