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Libération réfute le dernier argument de défense de l'ancien fonctionnaire

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Libérationpublié le 03/12/1997 à 15h01 par Annette Levy-Willard

Papon n'a jamais sauvé 130 juifs. Le 13 novembre, l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde affirmait à son procès qu'il avait radié 130 juifs du «fichier des israélites», de 1942 à 1944. «Libération» a retracé l'histoire de ces personnes: il apparaît que Papon n'a pris aucune initiative en les radiant de ce registre, et que 120 au moins d'entre elles n'étaient pas juives.

Papon MauriceLe jeudi 13 novembre, devant la cour d'assises de Bordeaux, juste avant que le procès soit suspendu pour trois semaines, un bref échange entre Maurice Papon et un avocat des victimes faisait figure de coup de théâtre. L'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde venait d'affirmer qu'il n'avait «aucune relation avec l'occupant mais qu'il avait sauvé des juifs de la déportation», un avocat des victimes l'interpellait alors: «Donnez-nous des noms!» Maurice Papon répliquait: «Une lecture attentive du rapport d'experts donne la liste des gens que j'ai pu sauver. Les radiations directes concernent 130 personnes.» «J'ai été un sauveur de juifs malheureusement trop discret», ajoutait-il.

Le «fichier des israélites». Le doute s'est alors installé sur le rôle de l'ancien secrétaire général. Il aurait en quelque sorte «fait ce qu'il pouvait», radiant 130 personnes du fichier de la mort. Ce «registre des israélites» condamnait ceux qui s'y trouvaient inscrits à porter l'étoile jaune (sous peine d'internement), à être interdit professionnellement, à être privés de leurs biens, de leurs droits, et, finalement, servait aux policiers français et aux Allemands pour opérer leurs rafles. Ce fichier était géré par le secrétaire général de la préfecture.

D'où vient ce chiffre de 130 avancé par Papon? L'accusé le tire, comme il le dit, d'«un rapport d'experts». Celui de Jacques Delarue, ancien commissaire de police devenu historien, rédigé en 1985 à la demande du juge d'instruction. Ce document présente une «liste des personnes dont Maurice Papon décide ou obtient la radiation du registre des juifs». Et affirme, dans sa conclusion, que «les radiations prouvées dues à l'initiative directe de Maurice Papon concernent au moins 130 personnes».

Delarue a retrouvé dans les archives les noms de ces 130 «sauvés» et la date de leur radiation du fichier. Il les a communiqués au juge d'instruction. Les avocats de Maurice Papon exigeront pendant le procès que ce rapport ­ annulé en même temps que l'instruction de l'époque ­ soit pourtant versé à nouveau au dossier.

Chiche. Nous avons voulu vérifier cette liste qui se trouvait parmi les pièces de cette instruction. Avec le concours de Serge et Arno Klarsfeld, nous avons vérifié un à un les noms des «sauvés», la réalité dément les affirmations de Maurice Papon. On s'aperçoit en fait que le «courage» de Papon a consisté à rayer du ficher juif" des personnes qui n'étaient pas juives. Il n'a fait qu'appliquer consciencieusement les lois raciales de Vichy, faisant le tri entre «aryens» et juifs, condamnant ainsi ces derniers à la déportation mais «sauvant» des catholiques que les Allemands n'avaient jamais eu l'intention de déporter ­ ou de tuer. La procédure de radiation. Comment s'opéraient ces radiations? Le secrétaire général rayait du fichier les gens certifiés «authentiquement aryens» par un rapport officiel du Commissariat général aux questions juives. C'est l'antenne locale du Commissariat, la SEC (section d'enquête et de contrôle) qui était chargée de vérifier la «non-judaïté» des individus qui protestaient de leur inscription sur le fichier juif. La SEC, après examen de chaque cas, envoyait ensuite une lettre au préfet régional pour qu'il les enlève du fichier conservé à la préfecture. Ces lettres (voir ci-contre), à en-tête du Commissariat général aux questions juives, section d'enquête et de contrôle (SEC), sont toutes sur le même modèle: «J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint divers rapports établis par nos inspecteurs tendant à la radiation des intéressés du registre des israélites.» Suivaient à chaque fois les noms des gens à radier. Michel Slitinsky, à l'origine des poursuites contre Maurice Papon, a retrouvé 187 rapports de la SEC demandant des radiations. Soit plus que les 130 que s'attribue Papon. Que s'est-il passé avec les autres? Radiations tardives. Reprenons la liste des 130 soi-disant sauvés par Maurice Papon. Dans l'ordre du rapport Delarue, on commence par Pereyra Soarez, née Herbage, et son fils Emile. Delarue ne précise pas ­il ne précise jamais­ qu'un rapport de la SEC du 5 août 1943 établit qu'ils ne sont pas juifs. L'expert note cependant que Papon les radie le 20 octobre. Plus loin, Albert Le Faou n'est radié que le 5 mars 1943, pourtant le rapport de la SEC sur son cas ­ignoré comme les autres par Delarue­ avait été envoyé à la préfecture dès octobre 1942. Mme Berlinerblau et sa fille Monique, rapport de la SEC de septembre 1942, ne sont radiées que le 5 mars 1943. On remarque souvent les dates du 7 décembre 1942 ou du 5 mars 1943: Papon a sans doute, ces jours-là, pris une pile des dossiers en attente et signé en bloc les radiations d'«aryens», en se conformant aux instructions du Commissariat aux questions juives. Certificats de baptême. A chaque fois, un rapport de la SEC indique que ces personnes ­souvent des femmes non juives mariées à des juifs­ ne doivent pas être considérées comme juives. En poursuivant la lecture de cette liste des 130 «sauvés», on constate par exemple que Marthe Bargues, née Charpagner, et son fils Raymond avaient fait l'objet d'une demande de radiation par la SEC le 27 août 1942 avec, dans leur dossier, l'extrait d'acte de baptême de l'intéressée, celui de son père, le certificat d'obsèques religieuses de sa grand-mère paternelle, l'extrait de baptême de sa mère et le certificat d'obsèques religieuses de sa grand-mère maternelle. Quant au fils Raymond, il est baptisé. Papon «le sauveur» traînera quatre mois avant de rayer ces catholiques.

Contraints de se faire enregistrer, les pères juifs avaient souvent inscrit leur famille, même leur femme et leurs enfants non juifs selon les critères des lois raciales. Réalisant le danger, quand certains membres de la famille avaient été arrêtés et internés (par les services de police de Papon), les femmes et les enfants non juifs ont alors fait des démarches auprès de la SEC ­ou parfois directement à la préfecture­ avec les papiers prouvant qu'ils étaient catholiques.

On trouve ainsi, sur la liste des 130 radiés par Papon, Marie Schinazi, née Sabourin, et ses neuf enfants. La SEC écrit le 27 janvier 1943 à la préfecture qu'«ils doivent être reconnus comme non juifs. Extrait de baptême de leur grand-mère paternelle, extrait de baptême de leur mère, extrait de baptême de sa grand-mère maternelle, extrait de baptême de son grand-père paternel.» Le bureau local du Commissariat général aux questions juives transmet donc leur dossier à la préfecture pour qu'ils ne figurent plus au fichier juif. Papon mettra quatre mois à simplement entériner la décision vitale pour cette famille et ne radie Mme Marie Schinazi et ses enfants du fichier qu'après avril 1943. Le père, juif, qui n'a évidemment pas été rayé du fichier par Maurice Papon, sera déporté.

Certains catholiques se retrouvent même, à cause du retard de la préfecture, dans l'antichambre de la mort. Souvent déjà arrêtés et internés par la police. Mme Blanchy, par exemple, n'était pas juive, selon le rapport de la SEC du 26 mai 1943. Le 30 décembre 1943, toujours considérée comme juive, elle est transférée à Drancy. La radiation de la préfecture de Bordeaux n'arrivera que le 6 janvier 1944, alors qu'elle est sur le point d'être mise dans un convoi pour Auschwitz. Un catholique déporté à Auschwitz. Le jeune Carol Herbst n'a pas eu cette chance de dernière minute. On trouve pourtant son nom dans la liste Delarue, créditant Papon de l'avoir radié du fichier juif. L'un des «130 sauvés», donc. En réalité, c'est l'administration précédente, celle du préfet Allype, qui avait fait la démarche auprès du Commissariat aux questions juives pour attester que Carol Herbst était catholique. Arrêté dans la rue en avril 1943, il est mis dans un convoi pour Drancy le 8 juin. A Drancy, Carol Herbst proteste et rappelle qu'il a un dossier qui traîne à la préfecture de Bordeaux sur son cas, prouvant qu'il n'est pas juif. La direction du camp de Drancy prend la peine d'écrire à Bordeaux pour vérifier. Papon reçoit la lettre le 12 juin et finalement envoie un télégramme le 19 juin à Drancy pour «surseoir à toutes mesures. Cas litigieux». Ce catholique ne sera pas «sauvé»: il sera déporté à Auschwitz. Enfin, 19 personnes «aryennes» ont été radiées par Papon le 7 décembre 1942, six mois après son arrivée à la préfecture de Bordeaux. Toutes sur dossiers constitués par le préfet Pierre Allype et le service des questions juives de la préfecture précédente.

Erreur sur le bienfaiteur. Sur la liste, une seule personne, en l'état de nos recherches, peut être considérée comme d'origine juive. Il s'agit de la femme de Roger Asse. Et malheureusement pour Papon, il ne peut pas mettre cette intervention à son crédit, même si le rapport Delarue la range dans la liste des «lettres adressées aux SS pour radiation du registre des israélites». Le mari, Roger Asse, catholique, grand mutilé de guerre, était un ami de Lucien Dehan, le responsable de la SEC, qui sera fusillé à la Libération, accusé, à tort d'avoir fait déporter tous les juifs de Bordeaux. Roger Asse viendra témoigner en sa faveur au cours de son procès et expliquera: «Ma femme ayant été arrêtée, Dehan m'a dit: "Ne craignez rien, ses papiers ont été envoyés aux autorités, cela s'arrangera.» Ce qui fut fait. Avec un rapport de la SEC (avril 1943) et une radiation du fichier (février 1944).

Simple enregistrement. Il n'y aurait donc pratiquement aucun juif sur les 130 personnes prétendument sauvées de la déportation par Papon. Certes, quelques noms sans prénom n'ont pu être vérifiés à ce jour avec certitude mais, en tout cas, 120 personnes sur la liste des 130 n'étaient pas juives, selon les dossiers constitués par les services antisémites de l'administration de Vichy. Maurice Papon n'a fait qu'enregistrer cette sélection entre «aryens» et «juifs». Contrairement à ce qu'écrit l'expert invoqué par la défense: ce n'est même pas «à l'initiative directe de Papon» que ces noms ont été rayés du fichier. Il agissait, comme on l'a vu, sur les instructions du Commissariat général aux questions juives. Si, heureusement, des non-juifs ont pu échapper à la déportation, le vrai courage de Maurice Papon aurait été de sauver des juifs en les rayant du fichier.


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