publié le 17/12/2013 à 19:37
Régis Debray propose la panthéonisation de "cette Américaine naturalisée en 1937, libertaire et gaulliste, croix de guerre et médaille de la Résistance".
François Hollande pèse soigneusement le pour et le contre de chaque candidat à la 70e panthéonisation. En
octobre, un rapport du Centre des monuments nationaux préconisait que l'élu soit une élue, de préférence du XXe siècle, qui se serait illustrée par son "courage", sa "ténacité", son "engagement
républicain". Les noms ne manquent pas, de Germaine Tillion à Lucie Aubrac, en passant par la philosophe Simone Weil.
De la ceinture de bananes à la couronne de laurier
À cette liste prestigieuse, Régis Debray ajoute donc
celui de l'actrice de music-hall Joséphine Baker, "d'origine métissée afro-américaine et amérindienne", nous
apprend Wikipédia, qui fit les beaux jours des Folies-Bergères et eut deux amours : son pays et Paris. "Des Folies-Bergère au suprême sanctuaire ? De la ceinture de bananes à la couronne de
laurier ? Profanation ! Le Front national accusera. Le burgrave gémira. La vertu hoquettera", s'amuse l'intellectuel.
Mais il ne s'agit évidemment pas d'une plaisanterie, et Debray est tout à fait sérieux : "On nous répondra : Plus politiquement correct, tu meurs. Rions de cet éclat de rire. C'était très
incorrect, avant-guerre, de se produire les seins nus, d'aimer un petit auteur de polars, Simenon, et d'ensorceler cubistes et surréalistes. Et très risqué (chez "les saltimbanques" en vogue,
plutôt insolites) d'entrer dans les services secrets de la France libre en 1940, d'épouser en 1955 la cause des Noirs nord-américains (en se faisant chasser des grands hôtels de New York),
d'assister en 1966 à la Conférence tricontinentale de La Havane - en soutenant les mouvements de libération latinos - et d'engloutir sa fortune pour entretenir une famille arc-en-ciel avec douze
enfants adoptifs, de tous horizons", rappelle-t-il.
"De l'audace !"
Comme le rappelait Slate, le panthéonisé est aujourd'hui un homme blanc (il n'y a que deux femmes au Panthéon, Marie Curie et Sophie Berthelot, qui ne doit cet honneur qu'à Pierre Eugène
Marcellin Berthelot, son chimiste de mari. Y reposent aussi deux hommes de couleur, Félix Éboué et Alexandre Dumas). Il est aussi le plus souvent militaire. Contrairement à ce que l'on croit, il
y a peu d'artistes au Panthéon, rappelle le site, seulement huit écrivains, et pas un seul musicien (si l'on exclut Rousseau, qui ne doit pas sa panthéonisation au Devin du village, l'intermède
qu'il composa en 1752).
C'est donc une triple injustice qui serait réparée d'un coup d'un seul. "De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace", conclut Régis Debray. Voir reposer côte à côte la chair et la
science, la fantasque et le supplicié, Orphée et Jean Moulin, ne serait pas la pire façon de faire remonter de la
vie au sommet de la colline, de fermer les portes de la guerre et d'accorder la République aux temps nouveaux, polyphoniques, frondeurs et bon enfant.