Babi Yar ou « Ravin de la vieille femme », est un lieu-dit entre les villages de Łukianowka et Syriec, où près de 40 000 personnes (prisonniers de guerre soviétiques, communistes, Juifs, Roms, nationalistes ukrainiens et otages civils) furent assassinées par les nazis et leurs collaborateurs locaux, pendant la Seconde Guerre mondiale.
C'est l'un des massacres de la Shoah par balles. Le 19 septembre 1941, la Wehrmacht entra dans Kiev, qui comptait 900 000 habitants dont 120 à 130 000 Juifs. Les forces spéciales du NKVD présentes à Kiev connaissant la tactique d'occupation des Allemands avaient préparé un gigantesque piège. L'armée allemande avait pour habitude d'utiliser les installations officielles comme poste de commandements, symbolisant leur prise officielle de pouvoir en s'établissant dans les sièges locaux du gouvernement soviétique mais aussi dans les locaux du Parti Communiste. Ce faisant le NKVD avait dissimulé plus d'une dizaine de milliers de charges explosives et de mines dans la plupart des bâtiments publics et laissé un commando sur place chargé de les faire sauter une fois les Allemands en position dans l'espoir de décimer le commandement de la Wehrmacht de la zone et renouvelant la longue tradition russe de politique de la terre brûlée. Les charges furent mises à feu le 24 septembre déclenchant un gigantesque incendie qui dura cinq jours et tua des milliers de soldats allemands. Ce sont les Juifs de Kiev qui payèrent pour cette ruse de guerre.
Le Général de la Wehrmacht Alfred Jodl témoigne lors de son procès à Nuremberg : « [...] Nous avions à peine occupé la ville, qu’il y eut un suite d’énormes explosions. La plus grande partie du centre ville était en feu ; 50 000 personnes se trouvaient sans toit. Des soldats allemands furent mobilisés pour combattre l’incendie ; Ils subirent d’énormes pertes, car pendant qu’ils luttaient contre le feu, d’autres bombes explosèrent encore… Le commandant de la place de Kiev pensa d’abord que la responsabilité du désastre incombait à la population civile locale. Mais nous avons trouvé un plan de sabotage qui avait été préparé longtemps à l’avance et qui avait listé 50 à 60 objectifs, prévus pour être détruits. Les techniciens ont immédiatement prouvé que le plan était authentique. Au moins 40 autres objectifs étaient prêts à être détruits ; ils devaient sauter grâce à un déclenchement à distance par ondes radio. J’ai eu en mains le plan. » — Général Alfred Jodl
« Dans la rue Kreshtchatik les Allemands arrêtent un Juif en train de sectionner un tuyau destiné à combattre l’incendie. Il est immédiatement abattu. Cet incident devient le prétexte pour rendre responsables des explosions les Juifs de la ville. Le commandant militaire de Kiev, le major général Eberhardt rencontre immédiatement le HSSP SS-Obergruppenführer Friedrich Jeckeln, commandant de l’Einsatzgruppe C, le SS-Brigadeführer Otto Rasch et le commandant du Sonderkommando 4a, le SS-Standartenführer Paul Blobel. Il décident que le seule « réponse appropriée » à cet acte de sabotage ne peut être que la destruction radicale des Juifs de Kiev, et qu’elle sera réalisée par le Sonderkommando 4a. Ce commando est formé d’hommes du SD et de la SiPo, des 3 compagnies des « Bataillons de Waffen-SS mises à disposition pour des actions spéciales », et d’une unité du 9è bataillon de Police [...] » — op. cit. Einsatzgruppen.
Le 28 septembre, un communiqué ordonna à tous les Juifs de se présenter le lendemain, jour de Yom Kippour, à 8 h avec leurs papiers, valeurs et des vêtements chauds. Il était précisé que tout Juif trouvé ailleurs et sans possession du communiqué en question, ainsi que tout civil surpris à cambrioler un appartement juif évacué, serait exécuté. La plupart des habitants de Kiev, juifs ou non, pensaient qu'il s'agissait d'une déportation. En réalité, les nazis avaient décidé d'exécuter immédiatement le maximum de Juifs possible en se servant du sabotage comme prétexte. Le commandement en place (Generalmajor Kurt Eberhard, Höherer SS-und Polizeiführer SS-Obergruppenführer Friedrich Jeckeln, le chef de l'Einsatzgruppe C, SS-Brigadeführer Otto Rasch et de l'Einsatzgruppe 4a SS-Standartenführer Paul Blobel) avait sélectionné une unité spéciale (Sonderkommando 4a) pour l'exécution du plan et le lieu de sa réalisation.
Les Juifs de Kiev se rassemblèrent au lieu ordonné, s'attendant à être embarqués dans des trains. La foule était suffisamment dense pour que la majorité ignorât ce qui se passait en réalité. Lorsqu'ils entendirent les mitrailleuses, il était trop tard pour prendre la fuite. Ils furent conduits par groupes de dix à travers un corridor formé de soldats, forcés à se dévêtir sous les coups de crosse, puis exécutés au bord de la gorge de Babi Yar. Le massacre dura deux jours. Selon les rapports allemands, 33 771 Juifs furent exécutés durant l'opération. Dans les mois qui suivirent, 60 000 exécutions eurent lieu au même endroit sur des Juifs, Polonais, Tsiganes, Ukrainiens. Parmi eux se trouvait la poétesse et activiste ukrainienne Olena Teliha. Après les exécutions de masse, un camp de concentration fut créé à Babi Yar. Les communistes, résistants et prisonniers de guerre y ont été enfermés. Le nombre de victimes du camp est estimé à 30 000.
Quand l'Armée rouge reprit le contrôle de la ville le 6 novembre 1943, le camp de concentration fut converti en camp soviétique pour prisonniers de guerre allemands et fonctionna jusqu'en 1946. Le camp fut ensuite détruit, et dans les années 1950 et 1960, le développement urbain gagna la zone, avec la construction d'un complexe d'immeubles et d'un parc. La construction d'un barrage à proximité vit le ravin rempli par des gravats industriels. Le barrage se rompit en 1961, provoquant des coulées de boues qui firent de nombreuses victimes dans le secteur. Les dirigeants soviétiques ne voulurent pas mettre en avant la spécificité juive de la tragédie de Babi Yar. Ils présentèrent plutôt ces atrocités comme un crime commis contre le peuple soviétique en général et les habitants de Kiev plus particulièrement. Ainsi le premier rapport de la Commission d'État extraordinaire en date du 25 décembre 1943 fut il officiellement censuré en février 1944.
Plusieurs tentatives furent menées sous l'ère soviétique pour ériger un mémorial à Babi Yar pour commémorer le destin des victimes juives mais elles n'aboutirent pas. Un monument officiel fut érigé aux victimes soviétiques en 1976. La mémoire du lieu reste compliquée en Ukraine du fait du grand nombre de victimes assassinées à cet endroit et pour des raisons différentes. Après la chute de l'Union soviétique en 1991, le gouvernement ukrainien autorisa la création d'un monument spécifique aux victimes juives, monument qui fut inauguré en septembre 2001. D'autres monuments furent érigés par la suite, quelquefois de simples croix, dédiées aux nationalistes ukrainiens, aux enfants ou à deux prêtres orthodoxes exécutés par les nazis. Un monument fut également proposé pour rappeler le massacre de nombreux tsiganes mais n'a pas abouti par manque de financement et tracasseries administratives. Depuis 1990, la médaille de « Juste de Babi Yar » récompense les personnes qui ont porté secours aux Juifs condamnés à mort dans l'extermination de Babi Yar. 400 personnes ont reçu cette médaille à ce jour.