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Camp des Milles

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Le Camp des Milles était un camp d'internement et de déportation français, ouvert en septembre 1939, dans une usine désaffectée, une tuilerie, au hameau des Milles (commune d'Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). 

Camp des MillesCamp des Milles

Entre 1939 et 1942, il a connu l'internement d’étrangers et d’antifascistes de 38 nationalités pour devenir finalement une antichambre d’Auschwitz avec la déportation de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants juifs en août et septembre 1942 dans le cadre de la Shoah. Il est le seul grand camp français d'internement et de déportation encore intact et il devient accessible au public avec l'ouverture d'un Site-Mémorial sur les lieux mêmes à l'été 2012. L’histoire du camp débute sous la IIIe République, au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement français prend la décision d’interner les ressortissants du Reich, fussent-ils d’authentiques antifascistes ayant fui de longue date le nazisme qui sévissait dans leur pays d’origine pour venir se réfugier en France. Considérés paradoxalement et tragiquement comme des ”sujets ennemis”, les internés sont victimes d’un mélange de xénophobie, d’absurdité et de désordre administratifs ambiants. Dans le Sud-Est, ces étrangers sont internés dans la Tuilerie des Milles, alors désaffectée. Ce bâtiment industriel devient un camp d’internement sous commandement militaire français. Les internés y vivent dans des conditions très précaires.

En juin 1940 s’ouvre une seconde période avec la défaite française et la signature de l’armistice. C’est là que se situe l’épisode du Train des Milles popularisé par le film de Sébastien Grall. À partir de juillet, sous le régime de Vichy, le camp est rapidement surpeuplé (3 500 internés à la fois en juin 1940). Au cours de cette période sont transférés aux Milles notamment les étrangers des camps du Sud-Ouest, et en particulier des anciens des Brigades internationales d’Espagne ainsi que des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade. À partir de novembre 1940, le camp, passé sous l’autorité du Ministère de l’Intérieur, devient le seul camp de transit en France pour une émigration Outre-Mer, transit régulier ou illégal avec l’aide de particuliers, d’organisations ou de filières locales et internationales. Au fil du temps, les conditions d’internement se dégradent : vermine, maladies, promiscuité, nourriture insuffisante...

Jusqu'en aout 1942 le camp sous administration militaire est dirigé par le capitaine Charles Goruchon assisté d'une trentaine de sous-officiers puis passe sous administration civile et est dès lors placé sous l'autorité de l'intendant de police de Marseille Maurice de Rodellec du Porzic. Une troisième période correspond aux mois d’août et septembre 1942 qui voient la déportation vers Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes de plus de 2 000 Juifs, hommes, femmes et enfants. Vichy a accepté de livrer 10 000 Juifs de la zone dite “libre” à l’Allemagne. Au début du mois de juillet 1942, Pierre Laval propose d’inclure les enfants âgés de moins de seize ans dans les déportations. Le 3 août, le camp est bouclé. Femmes et enfants juifs de la région sont orientés vers les Milles pour rejoindre les autres internés avant d’être déportés. Ne sont pas épargnés les Juifs réfugiés politiques ou étrangers ayant servi dans l’armée française. Et une centaine d’enfants sont ainsi déportés à partir de l’âge d’un an. Au total, cinq convois sont constitués. En réaction, des hommes et femmes courageux aident les internés et les déportés.

Certains furent reconnus Justes parmi les Nations : Père Cyrille Argenti, Edmond et Nelly Bartoloni, Marie-Jeanne et Auguste Boyer, Mgr Marius Chalve, Georgette et André Donnier, pasteur Marc Donadille et son épouse Françoise Donadille, pasteur Charles Guillon, Alice Manen et son époux pasteur Henri Manen, R.P Joseph Marie Perrin, abbé Fernand Singerlé, pasteur Gaston Vincent et son fils Michel. Ces événements surviennent avant même l’occupation allemande de la zone Sud (11 novembre 1942). Au-delà du mois de septembre 1942, le camp, demeurant un centre de transit, vivote : ses derniers occupants, très peu nombreux, quittent ses murs de briques en décembre 1942. « Ce qui était particulièrement douloureux à voir c’était le spectacle des petits enfants. Car des ordres stricts furent donnés en dernière heure tels qu’au-dessus de 2 ans, tous devaient obligatoirement partir avec leurs parents… Des enfants tout petits, trébuchant de fatigue dans la nuit et dans le froid, pleurant de faim… de pauvres petits bonshommes de 5 ou 6 ans essayant de porter vaillamment un baluchon à leur taille, puis tombant de sommeil et roulant par terre, eux et leurs paquets – tout grelottant sous la rosée de nuit ; de jeunes pères et mères pleurant silencieusement et longuement dans la constatation de leur impuissance devant la souffrance de leurs enfants ; puis l’ordre de départ fut donné pour quitter la cour et partir au train. » — Pasteur Henri Manen, Aumônier du Camp - “Juste parmi les Nations”, devant le convoi du 2 septembre 1942.

De nombreux lieux d’internement de la région (GTE- Groupement de Travailleurs Étrangers - et hôtels) ont été reliés au Camp des Milles. Des hommes, des femmes et des enfants, considérés comme étrangers, le plus souvent juifs et antifascistes, y furent regroupés. D’autres centres d’internement existaient dans les départements voisins, comme à Toulon, Alès, Loriol, Saint-Cyr, Vidauban… Une caractéristique essentielle du Camp des Milles réside dans l’ampleur et la diversité de la production artistique réalisée par les internés, malgré les privations et le manque de moyens. Cette production est abondante durant la première période du camp, entre 1939 et 1940. Mais on la retrouve avec une intensité variable tout au long de l’existence du camp, jusqu’à l’été 1942. Ce foisonnement s’explique incontestablement par la présence de nombreux artistes et intellectuels, dont certains bénéficient déjà d’une renommée internationale, tandis que d’autres ne seront reconnus qu’après la guerre.

Toutes les disciplines sont concernées : la peinture et le dessin (avec notamment Max Ernst, Hans Bellmer, Robert Liebknecht, Gustav Ehrlich dit Gus, Eric Isenburger, Ferdinand Springer, Werner Laves, Leo Marschütz, Franz Meyer, Alfred Otto Wolfgang Schulze dit Wols, Max Lingner (de) et Karl Bodek) ; la littérature avec des écrivains, poètes, traducteurs ou critiques (comme Alfred Kantorowicz (de), Golo Mann, Lion Feuchtwanger, Franz Hessel, Manès Sperber, Friedrich Wolf ; la musique (avec le pianiste et compositeur Erich Itor Kahn (de), le chef d’orchestre Adolf Siebert, les chanteurs Ernst Mosbacher, Joseph Schmidt, Léo et Siegfried Kurzer, le pianiste de jazz Ernst Engel...) ; le théâtre avec des comédiens, chansonniers, auteurs dramatiques et metteurs en scène (comme Friedrich Schramm et Max Schlesinger) ; la sculpture avec Peter Lipman-Wulf... À leurs côtés, sont aussi présents des architectes (Konrad Wachsmann (de)...), des professeurs d’Université, prix Nobel avec Otto Meyerhof (prix Nobel de médecine en 1922), Tadeusz Reichstein (prix Nobel en 1950 pour son invention de la cortisone), médecins, avocats, architectes ou journalistes mais aussi des députés ou hommes politiques allemands, autrichiens, italiens...

Parmi ces personnalités, beaucoup s’attachent à poursuivre leur activité, influencés par les circonstances extraordinaires et tragiques qui président à leur internement comme par le cadre même de la tuilerie. Ils donnent libre cours à leur créativité, parfois avec humour ou ironie, pour préserver leur dignité, prendre du recul sur leur condition, tromper l’ennui, entretenir leur moral comme celui de leurs camarades ; parfois aussi pour s’attacher les faveurs d’un membre de l’administration. Des cours ou conférences sont donnés, des pièces de théâtre et des opéras sont joués. Les autorités se montrent d’ailleurs plutôt bienveillantes. Des commandes officielles sont aussi parfois passées, comme la réalisation d’imposantes peintures murales pour le réfectoire des gardiens en 1941. Environ 350 œuvres sont ainsi conçues au Camp des Milles. En outre, des centaines de traces, décorations ou graffiti anonymes ont été mis au jour sur les murs du Camp. Ces artistes sont imprégnés des grands courants du début du XXe siècle. Ils marquent de leur empreinte l’histoire du Camp des Milles et sa mémoire.

Combat contre l'oubli

1942 à 1981 : On ne parle pas du Camp des Milles dans la région. Mais des rescapés et certains acteurs commencent à témoigner, comme le pasteur Henri Manen Juste parmi les Nations qui a livré son témoignage noté sur le vif dans son journal Au fond de l’abîme, et quelques internés comme Lion Feuchtwanger Le Diable en France, 1942. Serge Klarsfeld travaille sur les noms des déportés des Milles ; en 1979, quelques universitaires d’Aix-en-Provence autour de Jacques Grandjonc commencent des recherches.

1982-1983 : Face à l’annonce de la destruction de la “Salle des peintures murales” de l’ancien camp, d’anciens résistants et déportés, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et la mairie d’Aix-en-Provence se mobilisent et sensibilisent la Direction régionale des Affaires culturelles : une instance de classement est alors prise le 05 novembre 1982 par le ministère de la culture, sur proposition de la Conservation régionale des monuments historiques, pour assurer la protection immédiate du site. L’inscription sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques du 03 novembre 1983 sera suivie d’un classement par arrêté du 2 novembre 1993 pour ce qui concerne l’atelier de menuiserie avec les peintures qu’il renferme. L'essentiel des bâtiments et des espaces seront, eux, été inscrits le 23 février 2004.

1985 : Inauguration d’une stèle commémorative et naissance d’un Comité de coordination pour la sauvegarde du Camp des Milles et la création d’un Musée mémorial de la Déportation, de la Résistance et de l’Internement, rassemblant l’ensemble des associations concernées, dont le travail sera relayé à partir de 1991 par l’Association du Wagon-Souvenir et du Site-Mémorial du Camp des Milles.

1992 : Après l’inauguration d’un Chemin des Déportés (1990), un Wagon du Souvenir est installé sur les lieux mêmes des déportations et abrite une petite exposition d’élèves d’un collège marseillais. L’opération “Mémoire pour demain”, rassemble plusieurs milliers d’élèves autour de débats, projections de films, spectacles, expositions... Inauguration la même année aux Milles d'une école primaire au nom d'Auguste Boyer, Juste parmi les Nations, ancien gardien du camp.

1993 : Sauvegardée puis restaurée, la “Salle des peintures murales” est classée monument historique. Son ouverture au public est confiée au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre.

2002 à 2009 : Un Comité de pilotage fonde l’Association “Mémoire du Camp d’Aix-les-Milles” (2002) et œuvre à la conception d’un mémorial ambitieux. L’ensemble du site (7 ha) est inscrit comme Monument historique (2004). Les financements nécessaires, publics et privés, sont rassemblés (2006-2009) et le site est acheté avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

Depuis 2009 : La “Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation” est créée et immédiatement reconnue comme établissement d’utilité publique par décret du Premier ministre. Elle rassemble quatre ministères, les collectivités locales et les associations concernées, ainsi que quelques grandes entreprises mécènes.

2012 : Le 10 septembre 2012, le site-mémorial est inauguré par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation. Le site est ouvert au public depuis ce jour.

La « Fondation du camp des Milles - Mémoire et Éducation » est un établissement reconnu d’utilité publique par décret du Premier Ministre en date du 25 février 2009 (JO du 27 février 2009). Elle a pour mission la sauvegarde, l’ouverture au public des bâtiments du camp ainsi que son aménagement en lieu d’éducation citoyenne et de culture. Présidée par Alain Chouraqui, directeur de recherche au CNRS, avec Serge Klarsfeld vice-président, elle rassemble l’ensemble des institutions et partenaires concernés, publics et associatifs ainsi que des entreprises privées : État (Ministères de la Culture, de l’Éducation nationale, de l’Intérieur et de la Défense), Région Provence Alpes Côte d’Azur, Communauté du Pays d’Aix, Ville d’Aix-en-Provence, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Mémorial de la Shoah, CRIF, Association des Fils et Filles des déportés juifs de France, Association du Wagon-souvenir, Association « Mémoire du Camp d’Aix-les Milles », Groupe Lafarge, Fondation d’Entreprise Écureuil, Fondation France Télécom, aujourd’hui « Fondation Orange » Orange (entreprise). Cette Fondation bénéficie aussi du soutien du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, la Ville de Marseille, AXA, le Groupe Alteor et la SNCF.

Un Conseil scientifique international et pluridisciplinaire, présidé par le recteur de l'Académie d'Aix-Marseille, est garant des contenus du Site-Mémorial. Une coopération renforcée a été mise en place par convention entre la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation et Aix-Marseille Université depuis la création en mars 2010 d’un Institut Fédératif Européen Pluridisciplinaire traitant notamment des effets des crises et déstabilisations sur les règles, droits et libertés.

Par ailleurs, l’objectif prioritaire de la Fondation étant une pédagogie tournée vers les jeunes et en particulier les scolaires, un partenariat étroit a été mis en place avec l’Éducation nationale. Un « service éducatif » a ainsi été mis en place au sein du Site-Mémorial, composé d’enseignants (des premier et second degrés) mis à disposition par le rectorat. Ce service est destiné à aider les enseignants à préparer leur visite, les accueillir et les accompagner, avec le souci des programmes officiels, en histoire, ECJS, littérature, philosophie, histoire des arts, langues, etc. Un parcours spécifique pour les 9-12 ans a été conçu ainsi que des ateliers pédagogiques proposés aux enseignants qui veulent approfondir certains aspects de la visite ou effectuer des activités interactives et d’implication. Un centre de ressources adapté est également mis à leur disposition.

Plusieurs médias accompagnent ce projet depuis que la mémoire de ce camp a émergé dans les années 1980, et surtout depuis l’inauguration du Wagon du Souvenir en 1992, à l’occasion du 50e anniversaire des déportations des Milles et du sud de la France. Qu’il s’agisse de la presse régionale, nationale, internationale ou spécialisée, ce sont des médias très nombreux et divers, journaux, radios, télévisions, presse Web, qui ont suivi avec attention l’évolution de l’opération, avec souvent de longs sujets et de nombreuses photographies, parfois en première page. À quoi se sont ajoutés de nombreuses revues ou fanzines associatives reflétant l’ancrage du projet dans la société civile. Cet intérêt des médias et leur constance traduisent une vive conscience de la sensibilité du sujet et de ses enjeux durables de mémoire, de culture et d’éducation. Ils expriment aussi un trouble certain devant les difficultés, souvent jugées significatives, rencontrées par le projet, ainsi qu’une volonté claire d’aider celui-ci en soutenant tout particulièrement sa dimension d’éducation citoyenne ancrée dans un lieu de mémoire exceptionnel.


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