Au moment de sa mort, on va souhaiter à Yves Bertrand ancien directeur des Renseignement Généraux, un traitement plus digne que celui réservé par son service à Hassan Jandoubi une victime de l’explosion de l’usine AZF transformé par leurs soins et sans la moindre preuve en terroriste islamiste. On va de même souhaiter aux proches d’Yves Bertrand, en plus de la souffrance liée à son décès, de ne pas être désignés dans de nombreux médias comme la famille d’un terroriste responsable de l’explosion d’une usine ayant fait trente morts, plusieurs milliers de blessés et détruit ou endommagé des milliers de logements. A commencer par ceux de leurs voisins.
En instrumentalisant, d’abord à des fins politiques partisanes, puis au service des intérêts de la défense de Total, la mort d’un ouvrier innocent qui avait pour seul tort de porter un nom à consonance maghrébine, l’ancien directeur des RG a montré qu’il n’était pas au service de l’Etat, mais bien le défenseur des intérêts d’un clan. Sur ce plan, il a parfaitement adhéré aux mœurs du RPR en général et de la chiraquie en particulier. A l’occasion de la sortie d’un livre dont le titre (1) est une merveille dans le genre promesse qui ne sera pas tenue, j’avais écrit le texte ci-dessous. In mémoriam d’un homme, mais surtout d’une époque que l’on aimerait révolue.
Ignorant comme beaucoup ce qu’avait noté Yves Bertrand, dernier directeur central des Renseignements Généraux, dans ses carnets, on n’en était que plus impatient de découvrir le livre(1) renfermant « tout ce qu’il n’a pas pu ou pas voulu y consigner » comme l’écrit Fréderic Ploquin, grand reporter à Marianne et co-signataire de l’ouvrage. L’intégrale d’une carrière, en quelque sorte.
On ne cachera pas le scepticisme que nous inspirait cette promesse de « tout » dire. Non par mauvais esprit. Pour de vagues raisons toutes bêtes, liées à quelques lois ou règlements administratifs de ce pays concernant la fonction publique et à fortiori la police. Liées à l’obligation de réserve, au secret qui, bizarrement, peut s’attacher aux fonctions qui ont été les siennes. On aurait pu invoquer d’autres raisons, est ce bien nécessaire ?
On a pu se faire une idée du degré de fiabilité des affirmations de l’homme qui pendant douze ans a été à la tête des RG « ce service mythique » (sic) en lisant la version qu’il donne de son rôle dans la propagation de l’hypothèse de l’attentat à la suite de l’explosion de l’usine AZF. Yves Bertrand affirme ceci : « Nos fonctionnaires avaient été intrigués par la disparition d’un Maghrébin dont on disait qu’il enfilait les slips les uns sur les autres à la façon de certains martyrs islamistes ».
Passons aux faits. Le Maghrébin qui, le vendredi 21 septembre, jour de l’explosion, portait plusieurs sous vêtements s’appelle Hassan Jandoubi. Il est mort à son poste de travail, à quelques dizaines de mètres du hangar qui a explosé. Son corps a été trouvé et sorti des gravats dès l’après midi. Le lendemain en fin de matinée, un médecin légiste a procédé à l’examen du corps en présence de policiers du SRPJ. Les sous vêtement ont été découverts à cette occasion. Résumons : Jandoubi est mort le 21 septembre. Son corps est examiné le 22 et autopsié le 23. Il n’a jamais disparu. Ni de son vivant, ni après sa mort. Qui plus est, aucun maghrébin n’a disparu dans cette affaire.
Bilan : Yves Bertrand empile une information totalement fausse (la disparition) une imprécision bien pratique (on disait , qui on ?), un fait constaté sorti de son contexte (les sous vêtements) pour finir par une pure affabulation (la façon de s’habiller de certains martyrs islamistes). Autrement dit, sur le plan des faits, un impressionnant sans faute. En tout cas traduite en français courant sa phrase a de bonnes chances d’être comprise comme : un arabe habillé comme un terroriste a pris la fuit après l’attentat. Un sens pour le moins éloigné des faits mais tout à fait cohérent avec l’appui constant des RG et de leur directeur, avec une thèse maison, celle de l’attentat terroriste.
La fameuse note blanche des renseignements généraux qui a lancé la thèse de l’attentat, lui a donné la crédibilité d’un document provenant d’un service de l’Etat est datée du 3 octobre 2001. Treize jours après l’explosion, et la découverte du corps de Jandoubi, dix jours après son autopsie. Autant dire qu’il a fallu un certain temps à « nos fonctionnaires pour être intrigués » par une disparition qui n’a jamais eu lieu.
Toutes les allégations contenues dans les trois pages de cette note ont fait l’objet d’investigations du SRPJ de Toulouse dans le cadre de l’instruction. Pas une n’a été confirmée. La plupart étaient ridicules. Elles ont pourtant créé des ennuis à des innocents et fait souffrir leur famille. Ce document qualifié de « note de travail faite dans l’urgence » par Joël Bouchité alors patron des RG Toulousains, lors de son audition le 30 avril 2009 devant le tribunal correctionnel, n’a pas été inutile, bien au contraire. Il a rendu d’immenses services à la défense du groupe Total. Une fuite dans la presse a permis très vite de faire prospérer la thèse de l’attentat. Quel journal bénéficie le premier de ce scoop et sera invité le soir même pour que nul n’en ignore au journal de vingt heures de TF1 ? Valeurs actuelles dont le directeur délégué de la rédaction, « Eric Branca est un intime et la plume d’Yves Bertrand » révèlera plus tard Nicolas Beau, rédacteur en chef du site bakchich, à l’époque journaliste au Canard Enchaîné.
La thèse a été livrée clé en main avec une preuve ficelée dans un raisonnement imparable et mensonger : C’est forcément un attentat puisque la piste de l’acte terroriste a été volontairement négligée et enterrée par décision des plus hautes autorités de l’Etat. Du beau boulot.
Dans cette manipulation, Hassan Jandoubi, le maghrébin n’a pas disparu. Au contraire il a été omniprésent. « Le 23 septembre il était inconnu des renseignements généraux, dix jours plus tard c’était un terroriste » a ironisé devant le tribunal Fréderic Malon, le commissaire qui a dirigé l’enquête du SRPJ de Toulouse. Son nom, sa mémoire, son cadavre, ont été utilisés à l’encontre des faits, des analyses, des enquêtes, dans des articles, des livres et les plaidoiries de la défense jusqu’au dernier jour du procès. Avec un cynisme que l’on laisse à chacun le soin de qualifier. Bien plus que quatre sous vêtements, son véritable tort aura été de porter un nom d’origine maghrébine.
Sur tout cela, comme sur la façon dont la note blanche a atterri dans la presse, en commençant par celle d’extrême droite, Yves Bertrand n’a rien à dire. D’ailleurs la question ne lui est pas posée. Des tas d’autres questions viennent à l’esprit, mais au final, une semble s’imposer plus que les autres. Pourquoi dans les autres quatre cents pages du livre, Yves Bertrand serait il plus fiable que dans celle consacrée à l’explosion de l’usine AZF ? Oui, Pourquoi ?
PS : « Contrairement à d’autres, je sais faire la différence entre les trotskistes, les libertaires et les situationnistes » affirme le retraité de la police page 272 pour illustrer sa connaissance des milieux gauchistes. Cinq pages plus loin il confond la Ligue Communiste Révolutionnaire et la Gauche Prolétarienne. La première, et non pas la seconde, a bien été dissoute par Raymond Marcellin ministre de l’intérieur le 23 juin 1973 à la suite de l’attaque d’un meeting du mouvement d’extrême droite Ordre Nouveau. La Gauche Prolétarienne, contrairement à ce qu’ affirme Yves Bertrand s’est auto dissoute.
1) Ce que je n’ai pas dit dans mes carnets… entretien avec Frédéric Ploquin Fayard éditeur