publié le 30/11/2013 à 17h10 par Laurent Legrand
Le 30 novembre 1945 : Rudolf Hess, l'ancien chef du parti nazi, revendique la responsabilité de ses actes, au procès de Nuremberg.
Depuis le mois d'août 1940, Londres est devenue le berceau des gouvernements en exil qui participeront à la conférence de Saint-James à partir du 12 juin 1941. L'un des objectifs est la création
d'une juridiction internationale capable de condamner fermement la criminalité nazie. Le 13 janvier 1942, la déclaration de Saint-James est signée et c'est à cette date que prend forme l'ébauche
d'un procès international.
L'Union soviétique, absente des débats de Saint-James, va néanmoins dans le sens de cette déclaration en sensibilisant les gouvernements occidentaux sur l'urgence de la situation. Cet impératif
se traduit par l'envoi de deux notes décrivant les récriminations reprochées aux nazis. L'une fait référence aux Einsatzgruppen opérant dans le sillage de l'avancée des troupes allemandes, véritable outil de la politique génocidaire
du IIIe Reich coupable d'avoir tué près de 550 000 personnes lors des six derniers mois de l'année 1941.
Les accords de Moscou du 1er novembre 1943 ne permettent pas de tirer la moindre conclusion au sujet du sort réservé aux grands criminels autrement dit de définir s'il y aura jugement ou
exécution sommaire. Les responsables des crimes seraient ainsi livrés aux autorités des localités où ces derniers avaient eu lieu et seraient jugés immédiatement en se conformant aux lois du pays
de chaque localité. Les grands criminels de guerre nazis seraient condamnés d'une autre manière étant donné la portée de leurs crimes qui pouvait se résumer à une aire géographique particulière.
Face à cette incertitude, d'autres scénarios furent envisagés.
Quel sort pour les condamnés ?
Le 10 novembre 1943, Churchill n'est pas favorable à une prise en charge juridique des grands criminels de
guerre et penche davantage pour la constitution d'une liste d'environ cinquante à cent noms de dirigeants nazis susceptibles d'être exécutés sommairement dans l'optique de précipiter la fin de la
guerre. Cette propension de Churchill à vouloir régler rapidement le sort des grands criminels est partagée
par Roosevelt et Staline qui aborda ce sujet lors de la conférence de Téhéran le 29 novembre 1943. L'échange se déroula lors d'un dîner au cours duquel Staline évoqua la liquidation de cinquante mille chefs des forces armées allemandes afin d'en arriver à l'anéantissement
de la puissance militaire allemande. Une suggestion que Roosevelt appuya en précisant qu'il serait
nécessaire d'en exécuter "juste quarante-neuf mille". Ces propositions firent blêmir Churchill qui entreprit
de quitter la salle avant d'être rattrapé par un Staline jovial et visiblement enclin à le faire marcher.
Aux États-Unis, Henry Morgenthau (secrétaire américain au Trésor sous Roosevelt) proposa un plan dont les finalités se traduisirent par le morcellement de l'Allemagne, la
destruction des installations industrielles et minières allemandes, la perte de territoires orientaux et occidentaux ainsi que l'exécution sommaire et massive des dirigeants nazis. Ce projet
scandalisa d'ailleurs Henry Stimson, secrétaire d'État à la Guerre, qui fut totalement opposé au plan
Morgenthau et qui proposa un mémorandum dont le contenu faisait référence à un tribunal international. Malgré l'indignation de son secrétaire d'État, Roosevelt continua de prendre parti pour
Morgenthau, en témoignent les dispositions fermes de Churchill et FDR à la
suite de la conférence de Québec d'août 1944. Les deux représentants s'opposent clairement à un processus judiciaire et en particulier pour les grands criminels tels que Hitler, Himmler, Göring et Goebbels : "On ne
saurait abandonner à des juges, si éminents ou avertis soient-ils, le soin de trancher en dernière instance une affaire comme celle-ci."
Alors que les trois grands semblaient unanimes sur le devenir des grands criminels nazis, Staline et plusieurs dirigeants changèrent de positionnement et se projetèrent davantage vers la
constitution d'un tribunal international comme l'avait conseillé Molotov en premier lieu. L'impopularité du
tsar rouge en Occident ou encore les réticences initiales de Churchill au sujet des exécutions sommaires de masse des dirigeants nazis évoquées à Téhéran amenèrent Staline à
changer son fusil d'épaule. La mort de FDR, le 12 avril 1945, accéléra également la mise en place
d'une procédure judiciaire à l'encontre des responsables nazis, Truman étant réceptif aux arguments préalables
de Stimson et consorts.
Une justice controversée
Le 8 août 1945, à Londres, le tribunal militaire international vit le jour après plusieurs mois de
négociation marquée par l'inadéquation des conceptions juridiques libérales et démocratiques de l'Occident avec celles des "grands procès spectacles" jusqu'alors prônés par les Russes. Courant
1943, les Soviétiques perpétuaient de "grands procès spectacles" sur la place publique au cours desquels les accusés étaient jugés coupables puis exécutés. L'intérêt d'une telle démarche était
bien entendu d'exploiter le format d'un procès pour attester de la culpabilité des accusés. Malgré la culpabilité évidente de certains dirigeants nazis, la présomption d'innocence et le droit à
la défense ne purent être occultés par les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Américains et Britanniques eurent finalement gain de cause sur la manière dont se déroulerait le procès. La charte du procès est élaborée et chaque puissance représentée (États-Unis,
Grande-Bretagne, France, Russie) peut nommer un juge et un juge suppléant. Suite à l'établissement de la charte et du statut du tribunal, les quatre délégations entreprirent de rassembler les
preuves, d'établir la liste définitive des accusés et de rédiger l'acte d'accusation. Le tribunal détermine quatre chefs d'accusation : le complot, les crimes contre la paix, les crimes de guerre et le crime contre l'humanité. La procédure dura pratiquement un an et après 403 séances, le verdict
fut rendu le 30 septembre 1946, dont la lecture prit deux jours. Les accusés prirent connaissance de leur peine dans l'après-midi du 1er octobre, douze condamnations à la peine de mort, sept
peines d'emprisonnement et trois acquittements furent prononcés.
Les controverses furent néanmoins nombreuses au sujet de ce procès et notamment la présence de Soviétiques comme partie prenante de l'accusation coupable d'avoir envahi la Pologne à l'entame de
la guerre ou encore d'avoir perpétré le massacre de Katyn qui coûta la vie à des milliers de Polonais. Le cas de Rudolf Höss alimenta également la polémique en raison du fait que l'ancien commandant du camp d'extermination d'Auschwitz fut jugé, a posteriori, devant le tribunal suprême de
Pologne alors qu'il commandita la mise à mort de millions d'individus issus des différents pays d'Europe. Des crimes de guerre furent reprochés aux alliés notamment par Casamayor, magistrat
français, qui déclara "Fusiller cent mille hommes, femmes, enfants, vieillards comme la Wehrmacht le fit en Ukraine,
c'est mal. Tuer cent mille, deux cent mille hommes, femmes, enfants, vieillards par bombardement comme à Dresde, Hiroshima, Nagasaki, c'est bien." L'instrument juridique formalisé dans le cadre
du procès de Nuremberg ne permit pas d'en arriver au "plus jamais ça" puisque la seconde partie du XXe siècle fut jalonnée par plusieurs massacres tandis qu'à l'heure actuelle les camps de
concentration sont toujours maintenus en Corée du Nord.