publié le 11/06/2013 à 00:00 propos recueillis par Laurence Liban
Ancien résistant et auteur de 1939-1945... et se leva le vent de la liberté, Jean Sauvageon est l'un des piliers de l'Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI). Pour
L'Express, il revient sur le destin de cette haute terre de résistance que fut la Drôme.
Jean Sauvageon, figure de la Résistance drômoise
Que se passe-t-il dans le département en juin 1940?
Le 17 juin, alors que le maréchal Pétain, président du Conseil, vient de demander l'armistice, l'armée
allemande poursuit son avancée vers le sud. Lyon étant déclarée ville ouverte, elle investit Romans dès le 22 juin, où elle se heurte à l'armée française, postée de l'autre côté de l'Isère. Les
combats durent jusqu'au 25, date de la signature de l'armistice. Les Allemands demeurent dans la ville jusqu'au 5 juillet, puis refluent vers ce qui est devenu la zone occupée. Désormais, la
Drôme est en zone "libre", ou non occupée. Investi des pleins pouvoirs, Pétain instaure l'Etat français le 11
juillet.
Quelles sont les premières mesures du gouvernement?
Son premier souci est d'encadrer les populations, notamment la jeunesse. A Die et à Romans, le secrétaire d'Etat Lamirand inaugure une maison de jeunes, le 9 mars 1941. Les Compagnons de France
et les Chantiers de jeunesse sont également créés, de même qu'est mis en place l'instrument de propagande que fut la Légion française des combattants, et son service d'ordre, le Service d'ordre
légionnaire (SOL). Par ailleurs, Vichy vote le statut des juifs, qui permet d'interner les juifs étrangers. Dès le 17 septembre 1940, le rationnement est instauré. Il se fera par carte le 15
janvier suivant. De plus, les clauses d'armistice prévoyant la livraison à l'Allemagne d'une grande part de la production française, le secteur industriel de Romans, axé sur la fabrication de
chaussures et les tanneries, y envoie beaucoup de ses produits. Tout se passe comme si la France était une colonie allemande.
Comment la vie s'organise-t-elle?
Les femmes prennent peu à peu la place des hommes restés prisonniers en Allemagne. Elles investissent les usines ou les exploitations agricoles de ce département très rural. Cette main-d'oeuvre
est complétée grâce à l'apport des réfugiés hébergés dans les villages. En effet, le 23 mai 1940, 800 Rémois fuyant l'invasion ont débarqué à Romans. S'y ajoutent les Alsaciens et les Lorrains,
opposés à l'annexion de leur province, qui arrivent par communautés entières, maire et curé compris. Sans oublier les frontaliers chassés par l'invasion italienne. L'afflux est tel que la région
sature. Le 15 novembre, 1000 personnes venues de l'Est devront rester deux à trois jours dans leurs trains, le temps de trouver où les loger. Il faut rappeler que les réfugiés espagnols de 1937,
et surtout de 1939, étaient déjà nombreux dans la Drôme. Certains ont été internés dans les camps de Loriol et de Montélimar, avec des antinazis originaires d'Allemagne ou d'Autriche, en France
depuis 1933.
Par la suite, peu de soldats rentreront, malgré l'institution de la Relève (un prisonnier libéré contre trois volontaires pour le travail en Allemagne), en juin 1940. La création du service du travail obligatoire (STO), en février 1943, va pousser une grande quantité de jeunes à prendre la poudre d'escampette,
tandis que d'autres, sans travail donc attirés par le salaire qui leur était promis, partent pour l'Allemagne. Il est à noter que, le 10 mars 1943, une manifestation rassemble des centaines de
Romanais et de Péageois, qui s'opposent à l'envoi des requis en l'Allemagne. Si elle n'a pu empêcher le départ du train, elle l'a retardé de plusieurs heures.
De nombreux réfractaires au STO se cachent dans les fermes, où ils deviennent ouvriers
agricoles. C'est à partir de là que les premiers maquis se constituent.
Dans quelle mesure la vie quotidienne est-elle affectée?
Les maires sont destitués et remplacés par Vichy tandis que les conseils généraux font place à des conseils nommés. Même si les gens se débrouillent avec un bout de potager et quelques lapins, la
situation en ville se durcit peu à peu. Comme partout en France, des manifestations contre la faim sont organisées, à Romans notamment. Elles rassemblent près de 3000 personnes, dont beaucoup de
femmes.
Qu'en est-il de la collaboration?
La Légion des volontaires français et la Milice recrutent. Le PPF, parti de Doriot, comptait 279 affiliés dans
le département, dont 164 inscrits à Romans. La ville est donc un foyer de collaboration. Mais son identité ouvrière en fait également un foyer de résistance. C'est sur le plan économique que la
collaboration fonctionna le mieux, par l'intermédiaire des mouvements agricoles chargés de diriger les productions locales vers l'Allemagne. Les agriculteurs étaient surveillés lors du battage du
blé. Les contrôleurs, souvent recrutés parmi les instituteurs, savaient heureusement fermer les yeux et falsifier les documents.
En novembre 1942, à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, la zone libre est à son tour occupée. Quelles en sont les conséquences?
L'armée italienne occupe la Drôme jusqu'à la signature de l'armistice entre les Alliés et l'Italie, en septembre 1943. Cette occupation était plus administrative que militaire, elle n'est pas
restée dans la mémoire des gens, bien que les troupes de Mussolini aient attaqué des maquis, en particulier dans le Vercors et dans les Baronnies.
Où en est, alors, la Résistance?
Jusqu'en 1941-1942, elle est l'affaire de quelques individus et de petits groupes politiques, sportifs, amicaux. La réaction collective se développe à partir de l'institution du STO, qui provoque
un changement radical de l'opinion. Un grand nombre de familles sont touchées par cette mesure, qui dévoile le caractère néo fasciste de Vichy. C'est à la ferme d'Ambel, au-dessus d'Omblèze, que
naît l'un des premiers maquis. Ceux-ci se répandront rapidement au nord de la Drôme, dans le Vercors, le Diois et les Baronnies, terres de vallées, de bois et de montagnes en voie de
désertification rurale, dont les fermes abandonnées constituent des refuges pour les maquisards. Les sabotages ferroviaires s'intensifient avec l'occupation allemande, qui prend le relais des
Italiens en septembre 1943 et, surtout, après le 6 juin 1944.
Comment vivent les Drômois sous la botte hitlérienne?
Les Allemands leur font regretter les Italiens. La répression est plus dure, en particulier à l'égard des juifs, jusque-là plus ou moins protégés par les Italiens. La tension monte d'un cran pour
les résistants. Des attentats ont lieu, comme celui de Vercheny, qui cause, en décembre 1943, la mort de 19 permissionnaires allemands et, en représailles, la déportation de 57 Français -37 n'en
reviendront pas. Ou encore, le 22 février 1944, le massacre de 35 maquisards à Izon-la-Bruisse et Eygalayes. On croit le débarquement proche, mais rien ne se passe. C'est la déception. Pendant ce
temps, le Vercors s'organise. Parvenue dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, la nouvelle du débarquement américain en Normandie donne le signal de la mobilisation générale d'une armée de près de 4000
hommes, dont un grand nombre est sans moyens ni formation. Le 9 juin, 700 jeunes sont partis en camions de Bourg-de-Péage. Et sans se cacher!
Entre le 6 juin et les combats pour la libération de la fin août, la Drôme bascule dans l'horreur...
La précipitation avec laquelle la Résistance drômoise applique le "plan vert", qui organise le sabotage des voies ferrées, et engage l'action provoque de nombreuses pertes. Dès le 6 juin, des
combats meurtriers se déroulent à Crest et à Etoile-sur-Rhône. Le 12, les Allemands attaquent Taulignan, où ils fusillent 15 otages, et Valréas. Dans cette enclave du Vaucluse, 53 otages sont
fusillés. Le 15, plus de 1500 soldats investissent le centre de résistance qu'est Saint-Donat : 83 hommes sont pris en otages, 3 sont emmenés à la prison Montluc à Lyon et fusillés le 8 juillet à
Portes-lès-Valence. Une cinquantaine de femmes sont violées. Combovin, Plan-de-Baix, Beaufort-sur-Gervanne puis Saou sont bombardées.
Pendant ce temps, la République française a été restaurée au coeur du Vercors. Le 14 juillet, la fête nationale est célébrée à Die par un défilé de résistants. C'est l'euphorie. Mais le 21
juillet, l'assaut allemand, par air et par terre, est lancé par 10000 hommes. Trois jours plus tard, le maquis est anéanti. Mais les crimes se poursuivent. Des dizaines de combattants et de
civils périssent à Vassieux. Le 25 juillet ont lieu l'incendie de La Chapelle-en-Vercors et le massacre de 16 jeunes dans ce village. Le 27, les blessés réfugiés dans la grotte de la Luire sont
exécutés. Au total, on comptera 840 tués, dont 201 civils.
Comment la Drôme est-elle libérée?
La bataille de Montélimar est un événement déterminant de la guerre. Une semaine de combats au cours desquels les Alliés, débarqués en Provence le 15 août, vont tenter d'empêcher la fuite de
l'armée allemande avec le concours de la Résistance. Valence est libérée le 31 août 1944 sans l'aide des Américains. Le département est entièrement libéré le 1er septembre, soit quinze jours
après le débarquement en Provence.