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Olivier Faron : les chantiers de jeunesse, avoir 20 ans sous Pétain

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L'Expresspublié le 25/05/2012 à 7h00

Les chantiers de jeunesse sont nés de la défaite militaire Française de 1940 et ils ont eu vocation à remplacer le service militaire obligatoire, désormais interdit par l’Occupant.

Les chantiers de jeunessDe l’été 1940 à mai 1945, 400 000 jeunes de vingt ans, nés entre 1920 et 1924, y ont été mobilisés.

Les analyses rétrospectives historiques sur cette réalité vécue se voient rares ; en effet par manichéisme et surtout volonté d’oubli de certains pans complexes du fait national, d’aucuns identifient les chantiers à une volonté de la France de Pétain, post-armistice de juin 1940, de créer un embrigadement de la jeunesse avec version fascisante ou à une institution de sauvegarde préparatoire à un acte de résistance future, en ayant sous la main les jeunes de la reconquête…

Olivier Faron, directeur général actuel de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon et historien émérite, a réalisé un ouvrage passionnant, qui se lit avec aisance, et, qui de plus, se méfiant des raccourcis faciles, donne à réfléchir sur la réalité d’organisation des chantiers en portant une objectivité assumée qui blâme certains comportements de responsables et accentue les concrétisations inspirantes et positives ; surtout le livre met en perspective la notion de chantier solidaire, au sens noble et dépoussiéré de doctrines malvenues, à l’heure où certains de nos débats citoyens font resurgir les volontés de création de service civil, civique ou humanitaire.

Le comédien Jacques Charron, irremplaçable interprète de Molière, notre Yves Montand National, les ministres Olivier Guichard et Charles Hernu (à qui par delà cette chronique, j’adresse un souvenir modeste mais  ému pour avoir aimé travailler en confiance avec lui, en ma jeunesse, de 1985 à sa mort en 1990, sur les dossiers d’urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon), le créateur de Danone, Antoine Riboud, ont connu les chantiers et en ont parlé, souvent, et sans prosélytisme circonstanciel, et sans jugement péremptoire, avec un souvenir fort.

Le Maréchal Lyautey, qui avait beaucoup écrit sur la nécessité du rôle social, mobilisateur et protecteur de l’officier, avait inspiré Joseph de la Porte du Theil, chargé dès juin 1940 par Pétain de concrétiser la mise en œuvre de chantiers de jeunesse destinés à transmettre les valeurs nationales lors d’activités laborieuses et en groupe.

La Porte a perdu un de ses fils lors des combats de 1940 et personne ne peut comprendre son engagement s’il n’a pas en mémoire ce drame personnel.

La Porte se place d’abord comme un patriote, qui considère que l’arrêt des combats devenait inévitable, mais qui se positionne toujours comme Anti-Occupant et qui espère, dans le sillage d’une foi profonde et un culte Maréchaliste, la libération un jour du pays.

La Porte ne sera jamais fasciste, il restera jusqu’à l’excès Maréchaliste et les chantiers porteront sa marque : il possède un fait d’armes : il a contre vents et marées protégé les Alsaciens-Lorrains de leur incorporation forcée dans la Wehrmacht dès 1940, en dissimulant leur identité et surtout en les mobilisant en priorité dans les chantiers, pour éviter leur retour en zone interdite.

Quand on voit ce que certains « malgré nous »sont devenus au cours de la guerre (de nombreux « malgré nous » ont été enrôlés dans la Division Das Reich de sinistre mémoire à Oradour comme à Tulle…), on ne peut qu’apprécier ce geste à la fois courageux et patriotique.

Mais La Porte ne saisira pas ou ne voudra pas saisir les évolutions de 1943 quand le Général Van Hecke, qui restera toujours fidèle à La Porte sentimentalement, placera avec raison les jeunes des chantiers d’Algérie en liaison directe avec les Alliés du débarquement en Afrique du Nord et donc sous la bannière de la future résistance.

La Porte comprendra ses errements quand il sera arrêté en 1944 et envoyé en détention en Allemagne, avec le contentement marqué des sinistres Miliciens.

Alors que dire des chantiers aujourd’hui, avec le recul, en associant regard aiguisé critique et volonté de ne pas refaire l’histoire au milieu des jugements hâtifs ?

Que l’expérience a correspondu aux circonstances de l’armistice mais aussi à l’air du temps, où il était souhaité s’afficher dans l’inspiration repérée protectrice du Maréchal mais sans rien devoir aux Allemands.

Que le projet a eu clairement la volonté de relayer les idéaux de la Révolution Nationale et notamment la propension à éradiquer tout esprit collectiviste ou communisant.

Que les hommes des chantiers se trouvaient sans arme et qu’ils ont vécu une expérience jugée par beaucoup comme unique, où ils ont défriché des forêts repérées à l’abandon ou sans âme, créé des routes, aménagé des clairières et qu’ils se sont sentis utiles pour aider le pays en une période étouffante et rude.

Que le choix du travail contraint et la pression de l’Occupant pour la création du STO a entraîné que les chantiers se sont placés au service de l’Allemagne Nazie fin 1943/ début 1944, ce que La Porte a regretté, sans malheureusement s’y opposer, et ce que l’Histoire lui reprochera, sans le condamner, à la Libération.

Il reste que la volonté initiale des chantiers, en référence totale à la doctrine du rôle social de l’officier, se rapproche de la réflexion toujours actuelle sur l’engagement de la jeunesse conciliant investissement individuel et intérêt général.

Les propositions de Martin Hirsch, en 2009, de création de service civique, ayant vocation à représenter 10% d’une classe d’âge pour constituer une œuvre utile comme la préservation du patrimoine écologique s’inspirent, par delà les différenciations d’époque et bien évidemment doctrinales, des référents des chantiers qui souhaitaient consacrer élévation (pour les chantiers de 40 : il s’agissait d’une soi-disant élévation spirituelle, aujourd’hui il s’agirait d’une élévation solidaire) et participation à un enjeu fort (patriotique et pastoral pour les chantiers de 40, sous les refrains de Giono, de protection du patrimoine ou de médiation sociale aujourd’hui).

Un livre qui permet de mieux comprendre et donc de mieux vivre.

Cette humble chronique est dédiée à la mémoire de mon Très Cher Grand-Père Maternel, Henry Picarle (1920/1998), mobilisé en 1940 dans les chantiers de jeunesse, au chantier de Cormatin (entre Lyon et Bourg en Bresse) et qui fut très présent en ma lecture.

Les Chantiers de jeunesse  - Editions Grasset – 20,50€

Pour aller plus loin :

Le natif de Vichy que je suis (« on ne choisit pas les pavés de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher » dit la chanson…) ne peut vivre l’histoire complexe de sa Ville, en une période troublée, sans revenir en permanence à deux sources de référence inépuisables :


Deux livres qui dévoilent une France déchirée et beaucoup plus sombre que ce qui a été décrit et qui démontrent une nouvelle fois la prophétie de Voltaire : « on doit analyser sans juger sinon on ne peut rien comprendre et ne tenir aucune leçon ».

Ce dernier message est dédié à tous les donneurs de leçon, à qui j’adresse un bonjour en passant !


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