Le 70e anniversaire de l’insurrection et de la libération de Paris est célébré jusqu’au 25 août. Une première cérémonie est organisée à la préfecture de police mardi 19 août.
Le 26 août 1944, le général de Gaulle passe en revue les troupes de la 2e division blindée du général Leclerc, place de l'Etoile, lors du défilé sur les Champs-Elysées au lendemain de la libération de Paris.
ENTRETIEN avec Christine Levisse-Touzé, historienne, directrice du musée du maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la libération de Paris et du musée Jean Moulin*
Pour l’historienne, ces événements historiques ont contribué à faire en sorte que la France retrouve son rang parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
La Croix : Quels étaient les enjeux de la libération de Paris en 1944 ?
Christine Levisse-Touzé : Pour le général de Gaulle et pour les résistants, c’était un grand objectif de politique internationale. Il s’agissait de s’imposer à Paris et de faire en sorte que la France retrouve son rang parmi les vainqueurs et à la table des négociations. Ce n’est pas rien.
Cette libération impose aussi le général dans sa légitimité et comme chef du gouvernement provisoire. Si l’on se place d’un point de vue stratégique, Paris avait également une importance pour Hitler.
Il voulait que la ville soit tenue jusqu’au bout, parce que cela représentait quelque chose de fort pour lui. Pour les Américains aussi. Même si, pour des raisons d’ordre logistique et pour la progression de leurs armées, ils ont souhaité contourner Paris, ils n’envisageaient pas moins de libérer la ville à un moment ou à un autre.
C’était simplement une question de temps. À la mi-août 1944, pour eux, l’objectif était de gagner au plus vite l’est et le nord et de faire la course vers les infrastructures portuaires pour permettre l’alimentation de leurs divisions. Quand on lit les mémoires d’Eisenhower, on voit bien qu’il était important que Paris soit sauvé. Mais il parlait de début septembre.
Le général Leclerc a-t-il forcé la main aux Américains en fonçant vers Paris avec la deuxième division blindée, le 22 août 1944 ?
C. L.-T. : Oui, mais il n’était pas seul. Les pressions sur les Alliés ont été multiples. Il y a eu ainsi plusieurs missions envoyées par la Résistance. Le général Leclerc a une double mission. Il est sous commandement américain, mais il a aussi une mission politique confiée depuis décembre 1943 par le général De Gaulle, qui est de libérer la capitale.
À partir du moment où ses hommes ne sont plus employés pour les opérations en cours en Normandie, après la rupture de la poche de Falaise, il lui importe de précipiter les décisions au plus vite.
D’où sa désobéissance et l’initiative très téméraire d’envoyer le détachement du commandant de Guillebon aux portes de Paris, le 21 août 1944, pour aller voir l’état des défenses allemandes. Il est rappelé à l’ordre. Mais peu importe.
Il force le cours des choses, comme De Gaulle : de retour en France le 20 août, De Gaulle est allé au PC du général Eisenhower en Normandie pour lui dire que s’il ne donnait pas la décision d’envoyer la division Leclerc à Paris, il le ferait.
Quel a été le degré de résistance des Allemands ?
C. L.-T. : Les Allemands disposent de 20 000 hommes, mais qui ne sont pas tous des militaires instruits à la guerre. Il y a beaucoup d’administratifs. Même si ce sont des troupes pas toujours très organisées, elles tiennent leurs positions.
On a souvent dit qu’elles n’avaient pas très envie de se battre, mais la manière dont s’opèrent les redditions montre que leur comportement est très inégal. Ces soldats sont parfois très opiniâtres et ne respectent pas toujours les ordres de se rendre.
Il y a aussi des endroits minés, comme les centraux téléphoniques. Il y avait également des troupes en repli de Normandie ou du Sud-Ouest, qui traversaient Paris et servaient momentanément de renforts.
Il y a eu de vrais combats. Toute la place de la Concorde était un camp retranché. Les pertes de la division Leclerc ont aussi été importantes dans les combats destinés à repousser la contre-attaque allemande, du 26 au 30 août, au nord de Paris. Cela a été du corps à corps.
Sans l’intervention de la 2e DB et d’une division américaine, l’insurrection parisienne aurait-elle pu se terminer par un massacre ?
C. L.-T. : Je ne peux pas répondre à cette question. Je suis historienne, je ne fais pas de l’histoire-fiction. Il faut simplement rappeler que l’ordre de mobilisation du colonel Rol-Tanguy, responsable des Forces françaises de l’intérieur (FFI) en Île-de-France, dit qu’il faut ouvrir la route de Paris aux Alliés et les y accueillir.
Il considère qu’il est indispensable qu’il y ait une intervention de troupes libératrices. Il apparaît aussi dans les archives que l’état-major FFI a deux craintes permanentes et fondées : celle de ne pouvoir assurer le ravitaillement de la ville, parce que Paris est au bord de la famine, et puis il y a la peur, jusqu’au bout, d’un empoisonnement de l’eau potable par les Allemands.
Propos recueillis par Pascal Charrier *Avec Dominique Veillon, directeur de recherche au CNRS, elle est commissaire de l’exposition « Le combat pour la liberté, août 1944 », ouverte jusqu’au 27 septembre à la salle Saint – Jean de l’Hôtel de ville de Paris. De 10 heures à 18 h 30, du lundi au samedi. Entrée gratuite.