Roger Henri Charles Salengro, né le 30 mai 1890 à Lille et mort le 18 novembre 1936, est un homme politique socialiste français.
Il passe son enfance à Dunkerque de 1891 à 1904. Étudiant à la faculté des Lettres de Lille, il adhère à la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et fonde un groupe d'étudiants collectivistes. Militant fougueux, il n'hésite pas à porter la contradiction dans les réunions de droite. En 1912, il effectue son service militaire au sein du 33e RI et est inscrit au Carnet B pour avoir, pendant l'une de ses permissions, manifesté contre la loi des Trois Ans. Le 2 août 1914, il est arrêté sur ordre du préfet du Nord, de même que tous les inscrits du département, contrairement aux instructions données par le ministre de l'Intérieur, Louis Malvy, de ne pas inquiéter les syndicalistes portés sur le carnet. Libéré sur l'intervention de Gustave Delory, il rejoint son unité et participe aux combats d'Artois et de Champagne. Il est fait prisonnier le 7 octobre 1915.
Revenu de la guerre affaibli par trois années de captivité, il se lance dans le journalisme et le militantisme. Il est alors l'un des principaux animateurs de la SFIO dans le Nord. Il est élu conseiller municipal de Lille sur la liste Gustave Delory et conseiller général du canton de Lille-Sud-Ouest. Il devient secrétaire administratif de la Fédération. Il succède à Gustave Delory comme maire en 1925 et est réélu en 1929 et 1935. Député socialiste de 1928 à 1936, il devient en 1936 ministre de l'Intérieur du Front populaire de Léon Blum. C'est lui qui annonce la signature des accords de Matignon en juin 1936. On lui doit aussi la loi sur la dissolution des ligues, le 18 juin 1936.
Roger Salengro est, à l'été 1936, l'objet d'une campagne de presse infamante de la part de la presse d'extrême-droite, en raison de son action contre les ligues (loi sur la dissolution des ligues, projet de nationalisation des gazettes d'extrême-droite). Tout commence le 14 juillet 1936 lorsque le quotidien de Charles Maurras, L'Action française, publie un article non signé s'indignant que Roger Salengro puisse s'incliner devant la tombe du soldat inconnu, puis se poursuit le 21 août 1936, avec la publication par le journal d'extrême-droite Gringoire d'un article qui pose la question « Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, a-t-il déserté le 7 octobre 1915 ? » Cette accusation avait déjà été formulée auparavant, en 1923, par le Parti communiste.
L'Action française reprend et renforce les attaques les jours suivants et ses articles sont repris par d'autres journaux. Roger Salengro oppose démenti sur démenti aux accusations, mais se voit chaque fois l'objet d'une nouvelle attaque. La campagne de presse est relayée à la Chambre des députés par le chef de file de son opposition municipale à Lille, Henri Becquart, à partir du 14 juillet 1936. Salengro ayant été coursier à vélo pendant la guerre, ses adversaires le caricaturent à l'envi sous l'aspect d'un cycliste. Il est surnommé « le rétro-pédaleur », et les « accusations » implicites d'homosexualité se veulent blessantes. On dépose même sur la tombe de sa défunte femme Léonie (morte en 1935), en guise de couronne mortuaire, un vieux pneu usagé de vélo qu'il jette à terre de rage lors d'une visite à sa mère.
Bien que l'accusation de désertion ait été reconnue comme infondée des années auparavant, le soldat Salengro ayant en fait été capturé par l'ennemi, la polémique enfle durant l'été dans un pays encore marqué par la guerre contre l'Allemagne. Après un discours de Léon Blum et de lui même au perchoir de l'Assemblée nationale, où il se défend tant bien que mal contre la calomnie et le mensonge, la Chambre des députés, par un vote du 13 novembre 1936, par 427 voix sur 530, soutient Roger Salengro contre les accusations de l'extrême-droite. Mais Gringoire, par la plume d'Henri Béraud, ridiculise aussitôt le ministre en le surnommant du sobriquet de « Proprengros ». L'opinion publique, influencée par ces attaques à répétitions, ne retient que le soupçon.
Ne supportant plus les calomnies, le ministre de l'Intérieur, fragilisé et déprimé, décide de mettre fin à ses jours. En pleine inspection à Lille, sa ville natale, le 17 novembre 1936, Salengro rentre chez lui dans la soirée et croise dans la rue un homme qui le reconnait, l'insulte et lui crache au visage. Arrivé et seul dans son appartement, il entre dans la petite cuisine, met son chat dans le cellier, ferme la porte en posant au bas une serpillière mouillée, ouvre le robinet de la gazinière, étale sur la table deux exemplaires du journal Gringoire, et rédige deux lettres : l'une adressée à Léon Blum et l'autre à son frère. Salengro meurt asphyxié dans les minutes qui suivent. Il écrit : « S’ils n’ont pas réussi à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort. »
Le 22 novembre 1936, à Lille, Léon Blum rend hommage dans une oraison funèbre à son défunt ministre dans « un de ses plus beaux discours [...] », en accusant les journaux d'opposition de sa mort, « [...] et la France célèbre un socialiste populaire, modeste et têtu, à l'image des héros de cet âge d'or de la gauche ». Des extraits de sa prise de parole se retrouvent dans le quotidien L'Humanité daté du 23 novembre 1936. Plus d'un million deux cent mille personnes assistent aux obsèques du ministre, ce qui en fait les plus grandes funérailles nationales depuis celles de Victor Hugo. Roger Salengro est enterré au cimetière de l'Est à Lille. Après l'émotion suscitée par sa mort, une loi est promulguée le 18 décembre, visant à aggraver les peines frappant la diffamation par voie de presse.