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Syrie. Bachar al-Assad, du timide fils à papa au "boucher de Damas"

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Ses ministres sont à la table des négociations à Genève. Ses alliés, russes, chinois ou iraniens imposent leur loi. Ses ennemis se battent entre eux. Et s'il avait gagné ?

 

Le président syrien Bachar al-Assad

Le président syrien Bachar al-Assad

Des hauteurs de sa maison du mont Kassioun où il passe parfois la nuit pour échapper aux attentats, comme autrefois Saddam Hussein dont on ne savait jamais dans lequel de ses palais il avait choisi de demeurer, Bachar al-Assad contemple les lumières de Damas avec un étrange orgueil. A l'automne 2011, quelques mois après le début de la crise, sa femme l'avait supplié d'envisager l'exil, de penser à ses enfants. Mais il lui avait opposé son devoir et lui avait promis qu'il ne connaîtrait ni le sort d'un Ben Ali ni celui d'un Kadhafi. Force est de constater qu'il a tenu sa promesse. 

"Les superpuissances occidentales alliées aux pétromonarchies avaient juré sa perte. Aujourd'hui, ses ministres sont invités à la conférence de Genève !", commente, admiratif, un officier alaouite proche de lui. Comment peut-on inviter à la table des négociations les représentants d'un homme qu'on accuse de crimes contre l'humanité, s'interrogent, consternées, les ONG syriennes qui, tous les jours, font le compte des cadavres mutilés par le régime ?

Sanglant stratège

Quel changement depuis la timide accession au pouvoir de Bachar en juin 2000 ! Aujourd'hui, dans son pays, devenu le terrain de manoeuvres de toutes les puissances régionales et l'enjeu d'une nouvelle guerre froide entre la Russie et les Etats-Unis, le fils à papa a gagné ses galons sanglants de stratège. Effacé, le sinistre record de son père Hafez et ses dizaines de milliers de morts pour mater la révolte de Hama en février 1982. Trois années de guerre civile, 130.000 morts dont 11.420 enfants (selon l'Oxford Research Group), loin de hanter les nuits du "boucher de Damas", ont balayé ses scrupules.

Au début de la crise, devant quelques étudiants venus lui rendre visite en délégation, il s'était épanché sur la difficulté à assumer les brutalités du pouvoir. Il affirmait alors ne pas approuver les exactions des terribles "Jawiye", les services de renseignement de l'armée de l'air. Il avait même confié aux jeunes gens un souvenir qui en disait long sur ses réticences à endosser l'héritage. Etudiant, Bachar al-Assad avait assisté à une cérémonie publique en l'honneur de l'anniversaire de son père. Tandis que tout le monde applaudissait, le jeune homme se demandait quelle attitude adopter. C'est alors qu'un membre des services secrets qui ne l'avait pas reconnu s'approcha et lui administra une violente gifle pour punir son manque de ferveur. "Je me suis demandé s'il fallait que je me fasse reconnaître. Finalement, j'ai décidé de partir." 

L'ombre du père

Aveu de faiblesse qui semble aujourd'hui irréel à l'aune de la terrible répression qui sévit en Syrie. Il est bien loin, en effet, le temps où Bachar, empêtré dans une fonction trop lourde pour lui, semblait écrasé par l'ombre de son père. Il n'est plus cet autocrate par défaut, ophtalmologiste au regard fuyant et à la voix de fausset, qui semblait porter son indécision dans ses bajoues. D'ailleurs, l'Occident, depuis la guerre fratricide que se livrent en Syrie les différents groupes armés de la rébellion, ne fait même plus de son départ un préalable à toute négociation. A tel point que ce président tortionnaire, "rempart contre le chaos", comme le présente officiellement la Russie, et comme le chuchotent aussi certains diplomates américains, songe sérieusement à se présenter à sa succession en juin.

Comble du cynisme, dans un entretien à l'AFP, Bachar, fort de ses derniers succès diplomatiques, s'est vanté d'avoir refusé de collaborer avec les services secrets occidentaux qui auraient quémandé son aide contre les groupes fondamentalistes.

La communauté internationale a-t-elle parié trop vite sur la fin de ce Caligula avec lequel elle doit se résoudre à composer ? Lakhdar Brahimi, le médiateur de l'ONU, a toujours réfuté la vision simpliste des diplomates occidentaux qui imaginaient le régime de Bachar al-Assad disparaître aussi vite que celui de Hosni Moubarak.

La méthode de contre-insurrection

Force est de constater que la méthode syrienne de contre-insurrection a fonctionné : le régime regagne du terrain. Dès le début de la révolte, Bachar al-Assad a rappelé aux affaires Ali Douba, l'ancien chef des services secrets qui avait orchestré la répression de Hama aux côtés de Rifaat al-Assad, et que son père avait écarté de peur qu'il ne lui fasse de l'ombre. Le géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie où il se rend régulièrement, estime que, même si l'armée syrienne a ses faiblesses, elle a bénéficié du coaching actif des Iraniens et des Russes qui lui ont appris à appliquer les méthodes employées en Tchétchénie.

Ainsi, lorsque les rebelles s'emparent d'une localité, celle-ci est plongée sous un déluge de bombes, jusqu'à ce que la population civile les pousse à partir, ce qui conduit les groupes armés à commettre des exactions. Puis l'armée régulière revient et organise la population en milices d'autodéfense. "Cette méthode de contre-insurrection repose sur un constat, observe le géographe, il est plus facile d'inciter les Syriens à lutter contre le terrorisme islamiste qu'à se battre aux côtés de l'armée du régime." 

Selon lui, Damas contrôlerait environ 30% du territoire habité, à peu près comme l'insurrection. Mais d'un côté, il s'agit de zones urbaines qui forment un axe cohérent où vit près de la moitié de la population. Tandis qu'en zone rebelle, les bombardements ont provoqué un terrible exode : 3 millions de réfugiés à l'étranger, 6 millions de déplacés de l'intérieur. "Le régime a joué la montre en attendant que les rebelles se battent entre eux et que les Occidentaux, peu enclins à accueillir les réfugiés, se lassent..." Ce qui a fini par arriver.

Le piège de Genève 2

Désormais, les Etats-Unis, qui s'inquiètent ouvertement des risques d'une victoire des fondamentalistes, ont stoppé l'aide matérielle aux rebelles. Depuis l'accord sur les armes chimiques, la Russie est passée du statut peu enviable de meilleure alliée du tyran à celui de champion de la stabilité mondiale. En annulant seulement in extremis l'invitation qu'il avait lancée à Téhéran, le secrétaire général de l'ONU a voulu indiquer clairement que l'Iran, au même titre que l'Arabie saoudite ou le Qatar, est un interlocuteur aussi légitime que d'autres dans le dossier syrien.

Quant à l'opposition politique syrienne, représentée par la Coalition nationale, elle n'a pu éviter, selon le mot d'un diplomate arabe, le piège de Genève 2 : "Si elle ne participait pas à la conférence, on lui aurait imputé la responsabilité d'un échec des négociations et elle aurait disparu. Mais en acceptant de s'asseoir face aux émissaires d'un régime qui ne lui reconnaît aucune légitimité, elle risque de perdre le peu de crédit qui lui reste encore..."

La faiblesse et les divisions de la communauté internationale ont-elles conduit l'opposition démocratique syrienne à sa perte et apporté la victoire sur un plateau à Bachar al-Assad, comme le déplorent certains diplomates ? De passage il y a quelques jours à Paris, le prince Hassan de Jordanie affirmait sans masquer son amertume que "les grandes puissances considèrent désormais le Moyen-Orient comme un hobby, une distraction dont ils se servent pour servir leurs intérêts". Manière de dire que le maintien au pouvoir du Caligula de Damas est devenu pour elles un moindre mal.

Est-ce à dire pour autant que Bachar a définitivement gagné ? Selon un haut fonctionnaire international, il a certainement obtenu un sursis dans un pays désormais atomisé, gangrené par le fondamentalisme, et dont la balkanisation préfigure certainement celle de la région. Et surtout, comme il vient lui-même de l'admettre : quoi qu'il arrive, la guerre sera longue.


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