Juan Domingo Perón (8 octobre 1895 - 1er juillet 1974) est un militaire argentin et un homme politique qui a été président de la nation argentine du 4 juin 1946 au 21 septembre 1955 et du 12 octobre 1973 à sa mort le 1er juillet 1974, date à laquelle lui succède sa troisième épouse Isabel Martínez de Perón. Il a également été secrétaire-adjoint à la guerre, secrétaire au travail et à la santé ainsi que vice-président et secrétaire à la guerre dans de précédents gouvernements militaires entre 1943 et 1945.
Né dans une petite ville près de Lobos (province de Buenos Aires), il est le fils de Mario Tomás Perón, fermier, et de Juana Sosa. Il entre à l'école militaire à l'âge de 10 ans, puis au Collège militaire de la nation quatre ans plus tard, en 1910. Il en ressort à 20 ans, progressant rapidement dans la hiérarchie. Vers la fin des années 1930 (la « décennie infâme »), il est observateur militaire dans l'Italie fasciste. Lors de son séjour, il assiste à des cours de philosophie politique et intègre les conceptions fascistes et corporatistes dans son idéologie déjà marquée par l'antilibéralisme et le nationalisme économique, nationalisme qui était conjugué, avec l'yrigoyénisme des années 1920, à l'anti-impérialisme.
C'est aussi en Italie qu'il comprend l'importance de la mobilisation des masses et de leur intégration dans le jeu politique, ainsi que la priorité accordée à l'union syndicale comme fédératrice de la classe ouvrière. Pourtant, Perón n'assimile de l'expérience italienne que ce qu'il considère utile : son idéologie est déjà nettement formée avant son voyage. Héritier surtout de la vision de la doctrine sociale de l'Église, qui demande la conciliation des intérêts des patrons et des ouvriers et condamnait le libéralisme et le capitalisme comme philosophies de vie, Perón est alors déjà partisan de la création d'une forme de corporatisme catholique et médiéval, à l'instar de ce que le franquisme et l'Estado Novo de Salazar, au Portugal, semblent mettre en place à la même époque.
Perón se marie avec Aurelia Tizón le 5 janvier 1929, qui décède neuf ans plus tard d'un cancer de l'utérus. Sa nouvelle femme, María Eva Duarte de Perón (1919-26 juillet 1952) se marie avec lui le 10 décembre 1945 et devient rapidement extrêmement populaire. Surnommée Evita, elle contribue à attirer davantage de soutien des milieux ouvriers (les descamisados ou « va nu-pieds ») et des femmes envers le régime. Elle mourra également d'un cancer de l'utérus en 1952 à l'âge de 33 ans. Perón est réélu en 1951, mais les problèmes économiques, la suspicion de corruption généralisée ainsi que le conflit avec l'Église catholique romaine en raison de la direction laïque prise par le régime finissent par unir l'opposition et contribuent à sa chute avec le coup d'État militaire de septembre 1955, autoproclamé de la « Révolution libératrice ». Le cadavre d'Evita est alors inhumé clandestinement en Italie, par le général Aramburu, avec l'aide du Vatican, tandis que le péronisme et le Parti justicialiste sont interdits, et le seront jusqu'aux élections de 1973, conduisant à d'importantes crises politiques.
Il s'exile à tour de rôle au Paraguay, au Venezuela, au Panama, en République dominicaine et s'installe quelque temps à Madrid. En 1961, il se remarie à la chanteuse de cabaret María Estela Martínez, qui devient sa troisième épouse. Le 4 juin 1943, il est, en tant que colonel, une personnalité significative dans le coup d'État militaire organisé par le GOU (qui signifie "Groupe des Officiers Unis", il s'agit d'une loge secrète à l'intérieur de l'armée) contre le gouvernement civil de Ramón Castillo. Initialement secrétaire-adjoint à la guerre sous le général Pedro Ramírez, il devient secrétaire au travail et à la santé en (novembre 1943) puis vice-président et secrétaire à la guerre sous le général Edelmiro Julian Farrell (février 1944).
Sa politique en faveur des ouvriers et la manifestation de ses ambitions personnelles l'opposent à une partie des militaires appuyée par les grands propriétaires terriens. Il est poussé à la démission le 9 octobre 1945. Perón est arrêté peu après, mais des manifestations de masse organisées par le syndicat CGT poussent ses geôliers à le relâcher le 17 octobre 1945 après une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes (les « descamisados ») dans la place principale de la capitale, la Plaza de Mayo. Événement fondateur du péronisme, ce jour, commémoré par la suite, prend le nom du « Jour de la loyauté ».
Bien que la majorité des radicaux fût fortement opposée aux péronistes (la foule était traitée avec des injures animalières), une partie réformiste décide de soutenir ce mouvement, créant l'Unión Cívica Radical Junta Renovadora. En revanche, les partis communiste (à l'exception de Rodolfo Puiggrós, qui fonde le Mouvement ouvrier communiste), socialiste, démocrate national et Parti démocrate progressiste (Argentine) (conservateurs) font front commun contre Perón, soutenus par l'organisation patronale FUA et les Etats-Unis. Malgré l'opposition ouverte des USA (et l'ingérence dans la campagne électorale de l'ambassadeur US Spruille Braden aidé de son assistant Gustavo Duran) , le soutien populaire dont il bénéficie alors lui permet d'emporter la présidence avec 56 % des suffrages lors des élections du 24 février 1946. Le péronisme se définit alors en tant que « justicialisme », mélange de nationalisme et de populisme. Perón appuie les revendications sociales et ouvrières, et rejette la tutelle américaine ou britannique tout en cherchant à engager le pays vers une modernisation.
Son mode de gouvernement a été rapproché par ses adversaires du fascisme, notamment par son culte de la personnalité. Toutefois, à la différence majeure du fascisme, le régime péroniste a maintenu le multipartisme, ce qui en soi interdit de l'assimiler aux régimes fascistes. Il fut plébiscité de façon permanente entre 1945 et 1955 à travers des élections présidentielles, régionales ou municipales qui confirmaient presque tous les deux ans l'appui massif des électeurs au régime. Malgré des tentations de dérive autoritaire de la part du régime, la Constitution est respectée tout comme la séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
La Déclaration de 1947, fondatrice de l'Organisation démocrate-chrétienne d'Amérique (ODCA), se réfère ainsi implicitement au péronisme lorsqu'elle critique le néo-fascisme ; de façon peut-être ironique, l'ODCA, tout comme le péronisme, prétend alors définir une « troisième voie » entre capitalisme et communisme, ce qui en fait des rivaux évidents. À l'inverse, l'abbé intégriste Julio Meinvielle, antisémite et proche du national-catholicisme, considère que le régime de Perón prépare la voie au communisme, en raison de la politique sociale : Meinvielle compare ainsi le général à Kerenski ou Alcalá-Zamora.
Appelé le « Conducteur » (Conductor), son pouvoir aura connu un succès large à l'étranger dans le contexte de la décolonisation et de l'émancipation du Tiers-Monde via la création du mouvement non-aligné. Evita Péron déclare alors: « Dieu est argentin… et c'est pourquoi il nous a envoyé Perón ». Fortement influencé par la doctrine sociale de l'Église et notamment par les encycliques Rerum Novarum de 1891 et Quadragesimo Anno de 1931, Perón a poursuivi des politiques dont le but était de donner plus de poids politique et économique à la classe ouvrière. Il a permis l'explosion du nombre d'ouvriers syndiqués et a aidé à la création de la puissante Confederación General del Trabajo, CGT (Confédération Générale du Travail, fondée la première fois en 1930). Il appelait cette politique la « troisième voie » entre le capitalisme et le communisme bien qu'il ait été fortement anti-américain et anti-britannique. Malgré ses ressemblances avec certains points de la doctrine sociale de l'Église et surtout de la démocratie chrétienne, le péronisme s'en distingue nettement, à la fois par son mode de gouvernement autoritaire, et aussi en raison du conflit avec l'Église dans lequel s'engage Perón à partir de 1954.
Perón a également mené une politique ambitieuse d'industrialisation du pays : en 1947, il annonce le premier plan quinquennal pour permettre le développement des nouvelles industries nationalisées. Il démarre aussi le programme nucléaire national. Des militaires organisent un putsch le 16 juin 1955: le bombardement de la Plaza de Mayo, s'il ne réussit pas à faire tomber Perón, fait plus de 300 morts. Trois mois plus tard, un putsch réussi, la dite Revolución Libertadora, renverse le général, remplacé par le général Eduardo Lonardi. Le nouveau régime est d'inspiration national-catholique. L'Argentine des années 1950 et années 1960 a été marquée par de fréquents changements de gouvernements (huit chefs d'Etat de 1955 à 1973), une faible croissance économique, une continuelle pression sociale et deux dictatures militaires (« Révolution libératrice » de 1955-58 et « Révolution argentine » de 1966-1973). Les gouvernements successifs échouent à relever l'économie et à réprimer la résistance péroniste, particulièrement forte dans les secteurs de la Jeunesse péroniste, tandis que les formations spéciales du péronisme, soutenues par Perón (Montoneros, Forces armées péronistes, Forces armées révolutionnaires, etc.) s'étaient lancées dans la lutte armée contre la dictature de la « Révolution argentine ».
La situation sociale s'aggravant, notamment après le Cordobazo, équivalent du mai 68 français, le général Alejandro Lanusse prit le pouvoir en mars 1971 et, cédant à la pression populaire et politique (appel conjoint des partis politiques de la Hora del Pueblo (en)) promet de restaurer la démocratie, en lançant le « Grand Accord National ». De son exil en Espagne, Perón manifeste son soutien à ses alliés de gauche. Il revient une première fois en Argentine en novembre 1972, pour une durée d'un mois, dans un avion affrété par la Fiat, qui en le soutenant espère qu'il puisse rétablir l'ordre nécessaire aux affaires. Le 11 mars 1973, des élections se tiennent, mais Perón en ayant été exclu, les suffrages se portent sur son « remplaçant » Héctor José Cámpora, élu président. Il s'agit des premières élections présidentielles « sans proscription des secteurs majoritaires ni limitation grave des libertés civiques » depuis 1946.
En juin 1973, Peron revient définitivement d'exil, dans un avion de nouveau affrété par la Fiat, en compagnie d'Hector Campora et de Luchino Revelli-Beaumont, directeur de Fiat-Argentine (kidnappé en 1977 à Paris). De fête espérée, son retour se transforme en tragédie, avec le massacre d'Ezeiza durant lequel l'extrême-droite péroniste tire sur la foule réunie pour accueillir le caudillo. Campora démissionne en juillet 1973 ouvrant la voie à de nouvelles élections. Peron devient président pour la troisième fois en octobre 1973 avec son épouse Isabel comme vice-présidente. Le nouveau régime de Perón a été perturbé par le conflit qui opposait ses partisans de gauche et ses partisans de droite. Lui-même se tournant de plus en plus vers une politique de droite, les actes terroristes ont commencé à se multiplier.
En matière de politique extérieure, Perón a pris position en faveur d'une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme. Il laissait entendre qu'il ne s'alignerait pas de façon automatique ni avec les États-Unis ni avec l'Union soviétique. Simultanément, des controverses éclatent entre historiens au sujet de l'accueil accordé par l'Argentine à des anciens nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le péronisme avait organisé un réseau de réception d'anciens officiers et scientifiques du régime nazi, en fournissant des passeports argentins.
Perón meurt le 1er juillet 1974, moins d'un an après son retour au pouvoir et sa femme, Isabel Martínez de Perón lui succède, mais les problèmes demeurent. Elle est écartée du pouvoir le 24 mars 1976 par une junte militaire dirigée par le général Jorge Rafael Videla. Perón a été inhumé au cimetière de la Chacarita de Buenos Aires. Sa tombe a été profanée en 1987 et ses deux mains sont volées5. Aujourd'hui encore, on ne sait toujours pas qui est à l'origine de ce geste, ni quelle en est la signification. Cependant, les tortures perpétrées à l'égard des opposants politiques durant ses mandats pourraient avoir incité ces actes. Son corps a été transporté le 17 octobre 2006 à San Vicente, à 52 km de Buenos Aires, où il possédait une résidence, transformée depuis en musée.