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Conférence de Wannsee

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L'objet de la conférence de Wannsee à Berlin, qui réunit, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables civils et militaires du Troisième Reich, porta sur l'organisation administrative, technique et économique de l'extermination des Juifs d'Europe, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann GoeringHeinrich HimmlerReinhard Heydrich et Adolf Eichmann.
Villa Wannsee

Villa Wannsee

Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’Autriche ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive.

Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe à approximativement onze millions de personnes, dont un demi million vivent dans des pays qui ne sont pas sous contrôle allemand. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l'émigration, la prochaine solution à envisager, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d'acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »

Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs. « Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre. Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté. »

Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne l’historien fonctionnaliste Christopher Browning, « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat ; ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu'on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates. » Toujours selon Heydrich, au cours de l'exécution pratique de la solution finale, l'Europe sera passée au peigne fin d'ouest en est.

Heydrich ReinhardL'opération débutera sur le territoire du Reich, y compris les protectorats de Bohême et de Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement Général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés. Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de Theresienstadt.

Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi- Juifs ou quart de Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptions. Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse.

La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy, est autorisé à appliquer ses propres règles qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy.

Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horty mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann.

L’exposé d’Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles. Le représentant du Ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportés.

Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Goering pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Goering assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.

Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d'État, Dr. Bühler, qui « remarqua qu'on saluerait, au Gouvernement général le fait de commencer la solution finale dans le Gouvernement général, car le problème du transport n'y ajouterait pas de difficulté supplémentaire, et que des raisons de mobilisation pour le travail ne viendraient pas y entraver le déroulement de l'action. Il faudrait éloigner aussi vite que possible les Juifs des territoires du Gouvernement général, car le Juif, porteur d'épidémie, y représentait un danger particulièrement éminent, et apportait en outre, par ses trafics continus, le désordre dans la structure économique du pays. Il n'avait qu'un seul souhait: que la question juive soit réglée sur ce territoire le plus vite possible. »

La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur. Une réunion est organisée aux Ministère des territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du Ministère de la propagande.

« En mars 1942, la connaissance de la solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer – selon les termes de Rosenberg – à la tâche historique que le destin a confiée à l’Allemagne nazie. » Le procès-verbal d'Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion est le document sur lequel s'organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d'autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes.

Ce n'est qu'en 1947 qu'une copie du procès-verbal, aussi connu comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvé dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Reinhard HeydrichHeinrich Müller ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l'évènement ou font valoir qu'ils ne pouvaient pas se rappeler ce qui s'est passé là-bas. Seul Friedrich Wilhelm Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.

Le procès-verbal comporte d'importantes omissions, qui ne sont mises en évidence qu'au cours du procès d'Eichmann en Israël en 1962. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion du cognac a été servi, et que la conversation est devenue moins retenue. Il explique : Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d'une manière très différente du langage que j'ai dû utiliser plus tard dans le rapport. [...] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d'extermination.

Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s'est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu'il buvait rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l'accord de la part des participants, et plus que cela, l'accord a pris une forme inattendue. À l'issue de la réunion Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être verbatim.

Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne semble trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon ». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés ».

Le procès-verbal doit donc être lu en conjonction avec le témoignage de Eichmann pour obtenir une vision aussi proche que possible des propos réellement tenus. La conférence de Wannsee ne dure que quatre vingt dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n'est pas comprise par ses participants de l’époque.

Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir.

De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer. Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA ».

Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue d’Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques.

L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des co-responsables du plan qu’il poursuivait.

Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Goering lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli. »

Les participants à la conférence :


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